Europe enlevée par Zeus

boucher

L’enlèvement d’Europe, François Boucher, 1747.

Par Le Lion Bleuflorophage

Un des mystères de la vie amoureuse compliquée et effrenée des Dieux grecs réside certainement dans l’énergie déployée par les immortels pour séduire des mortels par les moyens les plus fatigants et les plus hasardeux. Il nous semblerait pourtant que se présenter comme divinité suffirait à leur assurer le prestige nécessaire à ces conquêtes amoureuses.

Les tentatives d’explication “du point de vue des Dieux” semblent toujours étonnament insuffisantes, un peu comme ces surhommes télévisuels dotés de tous les pouvoirs qui manquent tellement d’imagination dans la manière de mobiliser ceux-ci de façon efficace, ce qui nous vaut heureusement des heures de feuilletons, de suspens, et de rebondissements, là où l’affaire pourrait être réglée en trois minutes. Ainsi Zeus passant son temps à prendre toutes les formes possibles pour visiter des mortelles aguichantes, sous prétexte de se cacher de sa femme Héra.

Les explications “du point de vue du mythe” font quant à elle intervenir de pesantes allégories réaggrégées a posteriori à partir de fragments de l’histoire, un peu comme de la volaille reconstituée, et dans ce cas, c’est toute la dynamique fulgurante de ces métamorphoses qui échappe aux symbolismes didactiques. Ainsi Zeus se métamorphosant en un magnifique taureau pour conquérir Europe : le taureau, figure de virilité triomphante, opposé à la virginale jeune fille faisant ses bouquets, etc.

Mais la question centrale est plutôt : comment une jeune fille normalement constituée pourrait-elle tomber amoureuse d’un taureau, fut-il un taureau comme “on n’en avait jamais vu et comme on en verra jamais plus, avec une robe couleur châtaigne, le front marqué d’un disque d’argent et surmonté de cornes en croissant de lune”. Le taureau arrive au milieu du pré où les jeunes filles cueillent des fleurs, composant un charmant tableau propre à déchaîner l’inspiration des peintres du pittoresque, et les jeunes filles, au lieu de fuir, lui trouvent “un air si doux qu’elles l’entourent et le caressent à l’envi, respirant avec délices le parfum qui venait de lui, un parfum plus odorant encore que celui des fleurs de la prairie”.

Vous y croyez vous à l’odeur délectable du taureau dans le pré ?

Puis le taureau se tourne vers Europe et “il meugla si harmonieusement que même une flûte n’eût pu rendre un son plus mélodieux”. Le miracle jusqu’ici, c’est que nous puissions croire à cette scène. Enfin le taureau se couche aux pieds d’Europe, elle s’assoie et crie aux autres de venir la rejoindre “car j’en suis sûre, il pourrait nous porter toutes ; et il semble si doux, si gentil à voir, il ressemble plus à un homme qu’à un taureau sauf qu’il ne parle pas”. Ah l’innocente ! Là-dessus le taureau bondit dans la mer sans les attendre  toutes, une seule lui suffit, et il court sur les flots. Chemin faisant, il explique les choses à Europe en lui proposant un voyage de noces en Crête, et Europe est entièrement d’accord.

Rien à voir avec les contes moraux du crapaud qui sollicite un baiser de la princesse, laquelle cède par esprit de sacrifice, mais enfin, dans tous les cas, on demande aux jeunes filles idéalistes et rêveuses l’exploit de réussir à trouver du charme à des créatures qui en sont dépourvues totalement, et de fait, il semble que ces jeunes filles si possédées par l’urgence de l’amour attendu, sont prêtes à enchanter de toutes leur imagination des créatures finalement point si éloignées de l’homme, puisqu’il ne leur manque que la parole.

Le Lion Bleuflorophage

One thought on “Europe enlevée par Zeus

  1. Méconnaissance du monde grecque antique, où l’on faisait la court à une jeune fille en prenant l’aspect d’un animal (comme on le retrouve dans le culte de Mithra, pourtant exclusivement masculin celui-là) Europe à donc été séduite par le numéro de théâtre pastoral de Zeus, et non par un taureau dans la symbolique…

Répondre à Tony Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Next Post

La naissance de Vénus

mer Mar 25 , 2009
La naissance de Vénus, de Botticelli (vers 1485) Par Le Lion Bleuflorophage Un jour, le Ciel, constamment épris de la Terre, se répand sur elle pour faire donner libre cours à son désir amoureux. Cronos, un de leurs innombrables enfants, à l’esprit particulièrement retors, s’embusque dans un coin avec une […]