Foucault-Marx, parallèles et paradoxes

Désobéissances et micro-résistances.

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drÖne
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Foucault-Marx, parallèles et paradoxes

Message par drÖne »

Un entretien avec Etienne Balibar, paru dans l'Huma, et qui me semble nous concerner assez directement, pusiqu'il y est question de micro-résistance. Pour les amateurs de théorie...

http://www.humanite.presse.fr/journal/2 ... -16-453088
l’année foucault
Foucault-Marx, parallèles et paradoxes

Entretien avec Étienne Balibar. Pour le philosophe plutôt que l’idée d’une « grande alternative », le rapport des deux pensées si gnale les points de passage et de confrontation incontournables d’une politique de transformation.

« Sous des formes constamment renouvelées, un véritable combat avec Marx est coextensif à toute l’oeuvre de Foucault », écriviez-vous en 1989 dans Foucault et Marx, l’enjeu du nominalisme, à l’occasion d’un colloque organisé peu après la mort de l’auteur de la Volonté de savoir (1). Dans les hommages qui lui sont rendus aujourd’hui, la question de la rupture avec le marxisme apparaît des plus centrales. Qu’est-ce qui se joue dans cette confrontation ?

Étienne Balibar. Je ne me refuse pas à discuter de la confrontation Marx-Foucault ni Foucault-Marx dans ses aspects à la fois intrinsèques, du côté de l’interprétation des textes, mais aussi conjoncturels et idéologiques. De ce dernier point de vue, cela me semble réducteur. Je le dirais aussi bien pour ceux qui, aujourd’hui encore, et il faudrait s’interroger sur la raison pour laquelle ils en ont tellement besoin, continuent d’enfoncer le clou, et expliquent comment avec Foucault l’antidote au marxisme aurait été définitivement trouvé, d’autant plus efficace et convaincant qu’il ne s’agit pas d’une pensée conservatrice mais d’une oeuvre elle-même puissamment critique, ce qui permet de parer par avance à toute forme de soupçon et d’accusation, et qui présente le bénéfice de mettre en évidence les aspects conservateurs, traditionalistes ou autoritaires du marxisme et de la politique qui s’est réclamée de lui. J’ai moi-même contribué à ce débat à différentes occasions. Mais dans la préface de la Crainte des masses, je reviens sur le parallèle Marx-Foucault en en faisant deux représentants à plus d’un titre opposés, mais aussi nécessairement voisins et apparentés de ce que j’appelais la politique de la transformation, au sens de la transformation des structures de pouvoir et de domination. L’avantage de ce parallèle a toujours été à mes yeux non pas de trouver des terrains d’entente artificiels ou des convergences forcées, mais d’aiguiser des différences. Et par là même de mettre pleinement en évidence le bénéfice d’ouverture et de pensée critique que peut comporter pour des philosophes et aussi des militants, dans le monde d’aujourd’hui, le fait de se référer à des discours multiples. Du point de vue philosophique, la stricte confrontation est réductrice car il y a chez Foucault des problèmes dont il n’y a pas de trace chez Marx. Ce qui met en évidence que le marxisme n’est plus heureusement une conception du monde sans extérieur, ce qu’elle n’était sans doute pas du temps de Marx.

Suivant les questions, le face-à-face n’est pas exact, dans la mesure où d’autres références doivent intervenir, à Weber ou Freud en particulier. Il n’y a donc pas une grande alternative : ou Marx ou Foucault. Il y a un terme dans les Mots et les Choses dont je me suis souvent servi : le « point d’hérésie ». Au sens du point de divergence radicale. Sur la question du pouvoir, du rapport entre société et norme juridique, il y a des points d’hérésie Foucault-Marx. Mais il y a des points d’hérésie Foucault-Freud sur la sexualité qui sont d’une actualité brûlante. Tout comme il y a sur d’autres sujets des points d’hérésie Weber-Marx.

Si l’on délaisse l’idée de grande alternative, et que l’on cherche à spécifier les articulations et les « points d’hérésie », apparaît la question du collectif et de l’individu. De Marx à Foucault, on semblerait, pour simplifier, passer d’une théorie des structures collectives à une pensée du sujet micropolitique...

Étienne Balibar. C’est le genre de question qu’il faut aborder en deux temps. En commençant par la simplifier pour comprendre l’alternative, avant de compliquer les choses pour rectifier ce qu’il y a de mystificateur dans les - oppositions terme à terme. Il y a un côté profondément collectiviste dans la pensée de Marx, aussi bien au niveau de l’analyse du rapport social, des forces motrices du procès historique et des objectifs politiques. La critique de l’individualisme chez lui est essentiellement celle des formes bourgeoises de l’individualisme, celles qui sont enracinées dans l’emprise universelle du marché, dans la formalisation juridique de l’individu propriétaire comme atome de base de la société. C’est un aspect très profond dans la pensée de Marx que d’envisager le communisme non comme l’anéantissement de l’individu dans la masse, mais comme l’émergence de possibilités d’individuation écrasées par la société bourgeoise. Si l’on veut situer Foucault immédiatement en regard, il faut reconnaître que le fond de la pensée de Foucault, tant du point de vue philosophique que du point de vue éthique et politique, est un très puissant individualisme libertaire. Dont les racines sont complexes. Il y a une référence nietzschéenne qui est absolument permanente d’un bout à l’autre de l’oeuvre. Mais elle n’est pas la seule. Il y a une référence kantienne qui, avec le temps, a pris de plus en plus d’importance. Même des références hégéliennes et, du point de vue de la critique des normes, des références à la tradition sociologique et anthropologique française. Donc, d’un point de vue éthico-politique, Foucault est un penseur libertaire très profondément individualiste. Mais du point de vue de l’analyse de la formation et de la transformation des rapports de pouvoir, ce n’est pas du tout la négation de la dimension sociologique des problèmes. De même qu’il y a un correctif individualiste dans le communisme marxien, il y a un correctif anthropologique et sociologique dans la pensée de Foucault. En particulier pour tout ce qui concerne la partie analytique de l’oeuvre, que l’on découvre de plus en plus à travers la publication des cours, dans laquelle il s’est proposé une sorte d’intelligibilité des formes de la modernité. Foucault était confronté en permanence à la nécessité de reprendre les questions qui étaient au coeur de la pensée critique de la seconde moitié du XXe siècle, à savoir les questions de l’aliénation et de l’émancipation. Ces questions-là ne pouvaient être abordées dans une perspective strictement individualiste.

Pourtant, il existe bien une lecture « libérale » de Foucault, défendue entre autres par François Ewald, qui n’est pas le moins avisé de ses lecteurs.

Étienne Balibar. Même lorsque Foucault s’est approché très près de certaines formes de pensée libérale, que certains de ses disciples les plus proches ont ralliées tandis que d’autres au contraire lui demeurent tout à fait irréductibles, il n’a jamais été ni un théoricien de l’autonomie de la volonté ni du sujet, ni un théoricien de l’homo economicus. La question de savoir si ces interprétations libérales se réclament abusivement de l’héritage foucaldien est importante. Elle devra être reprise soigneusement lorsque seront publiés les textes qu’il a écrits pour ses cours sur le libéralisme. Il ne faut pas exclure que l’on ait alors à faire aux énoncés les plus complexes et les plus ambigus de la pensée de Foucault.

Le pouvoir est partout chez Foucault. Jusque dans la constitution même du sujet individuel, qui est aussi l’échelle de la résistance. Celle-ci peut-elle ouvrir sur une dimension d’action collective ?

Étienne Balibar. Je formulerais les choses pour mon compte de la façon suivante : il y a une tentative d’appropriation permanente de concepts venant de Marx ou de Foucault, que je fais jouer les uns contre les autres de façon à les retailler pour les utiliser les uns et les autres. Il faut commencer par ce qui oppose très manifestement les deux perspectives, qui ne correspondent pas simplement à l’opposition entre le collectif et la macropolitique d’un côté, l’individuel et le micropolitique de l’autre. Il faut partir je crois des oppositions entre les notions d’exploitation, de domination et de pouvoir. Ce qu’avaient en commun des écoles aussi différentes les unes des autres que la deuxième génération de l’École de Francfort en Allemagne, l’althusserisme français, l’opéraisme italien et une certaine école anglo-américaine, c’était de prendre la question des rapports d’exploitation et de pouvoir dans une unité indissoluble. Ce qui n’est pas le cas de Foucault. Ce qu’il a fait, c’est donner un contenu empirique, historique et sociologique à ce qu’Engels avait dénoncé comme la métaphysique du pouvoir. En quoi il renouait avec d’autres traditions de la pensée anthropologique et socialiste. Il y a en effet un côté proudhonien chez Foucault. Il a introduit une terminologie et une problématique qui permet de reformuler deux grandes questions : d’une part la multiplicité des modes d’assujettissement et de domination, et d’autre part la corrélation des phénomènes d’assujettissement ou de sujétion - l’exploitation en est un - et des processus de subjectivation, dont la résistance et l’émancipation sont une dimension fondamentale. Il n’y a pas de difficulté à appliquer cette grille à la relecture de l’oeuvre de Marx lui-même.

D’ailleurs certaines des sources de la pensée de Foucault sur ce point viennent du marxisme, qu’il l’ait reconnu ou non. Un certain héritage de la critique de la réification et de la rationalité bureaucratique passée par Lukacs a certainement favorisé la formulation des idées de Foucault sur la résistance au pouvoir disciplinaire. Et le rôle du voisinage d’Althusser ?

Étienne Balibar. Un de ses points de plus grande divergence avec le marxisme althussérien était la question de l’appareil d’État. Mais il est intéressant de voir comment quelqu’un comme Judith Butler (2) parvient à combiner de façon paradoxale des références foucaldiennes avec des références marxistes à travers Althusser, mais aussi freudiennes et lacaniennes. Chez Foucault, le discours est toujours un élément politique. Mais il me semble que Butler fait de cette question de la politique du langage quelque chose de moins abstrait et de moins individualiste que Foucault. Elle explore le discours comme un plan d’organisation des rapports de pouvoir dans la société où se jouent des rapports de forces collectifs. Dans la tradition marxiste, cela était plus ou moins recouvert par l’idée de lutte idéologique. Ce n’est pas un hasard si Butler s’est tourné vers Althusser, qui était hanté par la nécessité de développer cette dimension sous-développée de la théorie marxiste et de proposer un concept de la lutte des classes comme lutte dans l’élément de l’idéologie. Ce que tentent de faire Butler et quelques autres, c’est une - véritable prise en compte de la matérialité du discours. Il y a par ailleurs chez Foucault une difficulté à penser certains mécanismes de domination qui sont structurels, mais aussi invétérés et durables. Car il a concentré son attention sur l’idée que le rapport de pouvoir est un rapport instable et fragile. Pour cette raison existe - c’est cela l’idée du micropouvoir et de la microrésistance - la possibilité de renversement du rapport de forces et du rapport de pouvoir. Le point d’achoppement, marqué dans la discussion avec certaines féministes mais aussi à propos des transformations du capitalisme dans la société actuelle, c’est qu’il est extrêmement difficile de suggérer que toutes les structures de domination sont fragiles et réversibles. Cela ne veut pas dire que Foucault est un simple théoricien de la révolte individuelle, et qu’en ce qui concerne les grandes structures transhistoriques de la domination de classe ou de genre, il faut en revenir à des conceptions centralisées de la politique de masse. Au fond, il n’y a de résistance à la domination et de mouvement de transformation que dans la rencontre entre une révolte individuelle et une forme de mobilisation et d’organisation collective. On pourrait s’en sortir par une espèce d’oecuménisme de principe, dont des formules circulent du côté de Porto Alegre, avec l’idée qu’il faut un « mouvement de mouvements » qui ne réduise pas a priori la pluralité des formes d’organisation et des objectifs. Mais ce n’est là qu’une façon de nommer le problème. Ce qui est devenu un objet de réflexion critique fondamentale aujourd’hui, c’est bien la question des modalités de collectivisation des résistances individuelles.

Entretien réalisé par

David Zerbib

(1) In Foucault philosophe, ouvrage collectif,

Le Seuil, 1989. Texte repris dans la Crainte des masses. Politique et philosophie

avant et après Marx. Galilée, 1996.

(2) Philosophe américaine, auteur de l’ouvrage récemment traduit le Pouvoir des mots. Politique du performatif. Éditions Amsterdam, Paris 2004.

Article paru dans l'édition du 16 décembre 2004.
drÖne
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dana
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Message par dana »

Au fond, il n’y a de résistance à la domination et de mouvement de transformation que dans la rencontre entre une révolte individuelle et une forme de mobilisation et d’organisation collective.
Certes.
Et tout le problème, c'est quelles pourraient être les modalités de cette rencontre.
Je suis pessimiste de ce point de vue. Si rencontre il y a, et que ça aille vraiment au delà d'un simple croisement - c'est-à-dire deux personnes qui se croisent dans la même pièce mais qui vont dans des directions différentes, et viennent d'horizons différents, ce qui est toujours le cas si l'on considère le sujet (et pas la description sociologique de l'individu), alors on doit assumer un certain sacrifice de soi - à commencer par les raisons profondes et personnelles pour lesquelles on en est là et pour lequelles on micro-résiste.
parce que la micro-résistance, si tant est qu'elle existe dans un certain détachement vis-àvis des discours et des opinions (collectifs), si tant est qu'elle s'origine de sa propre tragédie, sa tragédie à soi, et non pas d'une référence dont je me méfie toujours au destin cruel de l'humanité, alors cette micro-résistance, elle a tiré l'essentiel de sa force, de son efficacité, des aléas de sa propre existence, et des efforts qu'on a entrepris de faire pour survivre tout de même.
Et
ce dont je suis certain, c'est que dans cette rencontre qu'on espère, on y sera forcément perdant - on y sera raté si vous voulez.
Et ce dont je ne suis pas certain, c'est qu'on ait quelque chose à y gagner, et en tous cas, qu'au bout du compte, par le biais d'une "mobilisation et organisation collective", on "transforme" vraiment les choses.

[ça n'a surement rien à voir, mais je pense soudain au destin d'althusser.. rattrapé par son destin singulier de souffrance quoi qu'il ait écrit auparavant]

Supposez que vous adhériez à un mouvement féministe, un collectif de défense des homosexuels, au parti de la décroissance. Bon très bien. Si vous y adhérez, on peut espérer que ce ne soit pas simplement en vertu d'une sympathie pour ce mouvement, fut-elle intellectuelle, mais parce que vous vous sentez concernés dans ce combat.
Mais si vous êtes concernés, l'êtes vous à titre personnel ou à titre collectif (en tant qu'être humain par exemple) ?
Si vous l'êtes à titre personnel, on peut imaginer que c'est parce que vous avez eu à souffrir dans votre chair, et si vous adhérez, c'est que les discours produits par ces collectifs parlent de vous dans un certain sens et de cette souffrance.

Mais
Ce qui est certain, c'est que ces discours ne parlent pas vraiment de votre souffrance, mais d'autre chose. De quelque chose de forcément plus général, plus abstrait, d'un concept de la souffrance en général - et les solutions qu'ils prétendent, solutions "collectives", supposent , pour que vous y adhériez que vous supportiez aussi une part de sacrifice dans la considération de votre destin personnel.

Alors oui, Foucault est trés précisément quelque part dans ce dilemme (et sa vie autant que son oeuvre le signe, ce dilemme)

D'un autre côté, on prône aussi l'abandon de toute action collective : c'est la vague libérale (d'un libéralisme bien spécifique d'ailleurs, qui navigue à des années lumières d'adam smith), ou : une certaine vague libérale, qui, aux souffrances personnelles, répond par la médicalisation ou la psychologie à la petite semaine (cf. la théorie de la rémédiation de l'autre là, je sais plus son nom, enfin si je le sais mais ça me gonfle de le citer).
Je connais bien les discours de ce genre, qui, s'appuyant sur le diagnostic entendu de paranoia vous concernant, ne manquent pas de le rappeler à tout bout de champ, si bien qu'à les entendre vous n'êtes jamais victime d'injustice, ni personne, et d'ailleurs le problème n'est pas là : le problème c'est vous, ou du moins le signifiant dont vous êtes affublés [ce qu'on dit de vous], le paranoiaque ou le rmiste ou l'arabe ou l'intellectuel ou ce que vous voudrez.

Aux états unis (et ailleurs) on sait que chacun se fait une identité de l'appartenance à une minorité - on est toujours pour peu qu'on cherche bien à même de se reconnaître dans une minorité. C'est à interroger (et j'imagine que ça déjà été fait) cette histoire de minorité, comparé à cette histoire de collectif, ou encore de communauté.
Voià déjà trois termes qui à l'évidence ne signifie pas la même chose.

J'irai plus loin : prenez trois féministes, et demandez leur si elles se sentent appartenir à une minorité ? un collectif ? une communauté ? Et bien je suis assez persuadé qu'on entre pas dans ces mouvements là avec le même signifiant en poche, parce qu'on y entre pas pour les mêmes raisons : c'est à coup sûr qu'on n'y entre pas de la même manière, avec la même histoire, selon qu'on cherche à stygmatiser ses plaintes dans l'appartenance à une minorité, à faire nombre afin d'améliorer la solidarité entre ses membres comme dans le cas des collectifs, à trouver une nouvelle famille comme dans le cas des communautés.

J'ai envie de dire : ce dont parle bablibar, au sujet de l'impasse du collectif, pris entre la nostalgie du communisme et le désenchantement libéral, c'est de ce drame de l'inadéquation du politique et du sujet. le sujet du politique n'est pas le sujet justement, mais l'individu (ce qu'on peut grouper dans des statistiques, alors qu'on ne peut grouper des sujets, sinon en les vidant, comme il fut tenté d'être fait dans les camps de la mort - et il n'est d'ailleurs pas certains qu'on y parvint).

Si j'avais à revendiquer, c'est au niveau du sujet.
Entre Foucault et Marx, je choisis Lacan (mais ça vous le savez déjà).
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drÖne
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Message par drÖne »

En ce qui me concerne, je serais intéressé par une sortie de ces grands partages : Sujet vs Collectif, Individu vs Masse, Psychologie vs Sociologie. Une sortie par le haut qui, dans le domaine de l'action, ne se contenterait pas de dire "on devrait être des sujets dans l'action collective" ou "pas d'organisation sans individu", mais qui organiserait la médiation entre le sujet et le collectif comme des passages en s'interrogeant sur les temporalités, les lieux, les dispositifs à travers lesquels ont peut être à la fois sujet et membre d'un collectif ou d'une organisation. Ma petite culture de sémioticien autodidacte m'apprends que chez Peirce, la signification (celle de nos actes, celles des textes, celles des pratiques sociales, toute forme de signification qui ne se résume pas à ce qu'on entend habituellement par "effet d'un signe") est affaire de passage entre les dimensions de l'individu et celles du collectif via la médiation de la relation et/ou de l'action. En gros, en simplifiant à l'extrême, Peirce propose une grille d'analyse en trois temps : tout système de convention ou de normes repose sur des relations et toute relation repose sur des éléments individuels (des individualités) qui n'existent que par leur mise en relation, mise en relation qui constituent des habitudes, des conventions, des règles, des arguments. Penser à la structure du syllogisme comme bonne métaphore pour imaginer un tel système (un arguement présuppose une proposition qui présuppose des termes). Au lieu du "sigbnifiant/signifié" binaire, on a un système ternaire.

Hum...

je n'irai pas plus loin sur tout ça ce soir : je suis dans une période de telle remise en cause de mon ancrage dans les sciences humaines, l'université, etc., qu'il y a des raisonnements que je n'arrive même plus à imaginer avoir tenu un jour. D'aileurs, je ne réussi même plus à retrouver les fils d'argumentations que je maîtrise pourtant depuis 10 ans, c'est dire. Pour penser, il faut encore aimer penser. Je n'aime plus penser, ce soir je ne ressens plus que de la haine et l'envie de butter des gens (en particulier certains universitaires : là, en butter un ou deux, histoire de me défouler). On verra plus tard.

+A+

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Message par dana »

"on devrait être des sujets dans l'action collective"
je crois que c'est une contradiction dans les termes
je ne crois pas qu'on puisse être sujet dans une collectivité (aussi neutre soit-elle)
On est toujours un autre (un signifiant) dans un collectif, jamais un sujet
mais évidemment le sens où j'entend sujet, ce n'est certes pas le sens où on l'emploie habituellement :)
je joue avec ça

pour le dire autrement
je dirais qu'il y a le sujet d'un côté (le lieu de la vérité)
et de l'autre les grand partages dont tu parles : individu/collectif, individu/masse etc..

sinon
1° tu as lu Rorty ?
attention, ça va t'insupporter d'une certaine façon (parce que là tu prends une claque quand tu viens d'une tradition gauchiste européenne)
mais
c'est le seul qui me paraisse avoir tiré de Pierce une position contemporaine sensée (la solidarité)
2° je crois comprendre un peu ce que tu traverses
un peu seulement (parce qu'au fond rien n'est pire que d'être compris)
il y a un certain temps pour ma part que j'ai perdu mon ancrage
que j'ai décroché la corde qui me tenait à la maison des discours
et
je dois avouer que c'est exaltant
mais parfois
très dur
à vivre
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Message par dana »

et je me sens très violents aussi
c'est pourquoi il faut que j'arête de poster sur certains sites
et que j'arrête pas mal de choses
je me disais
je devrais écrire des polars pour me défouler
où je pourrais occire qui je veux au prétexte de la littérature
ça m'évitera la prison
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Message par drÖne »

Non, je n'ai pas lu Rorty. Peirce a été mobilisé, à une époque, par des marxistes (à Perpignan en particulier, par Deledalle entre autre, et Michel Balat, tiens, c'est plus proche de toi car il revendique la psychanalyse). Pour moi, qui suis "peircien", le sujet ne peut en aucun cas être le dépositaire de la vérité, cette dernière - pour peu qu'on puisse la cerner - ne pouvant être que collective et relationnelle. Je sais : j'ai plongé bien profond dans Peirce, c'est mon seul bagage philosophique (avec kant, histoire d'épater la galerie, car c'est quand même bien chiant Kant... et Descarte, car Peirce critiquait Descartes, et je me suis donc mis à le lire. Sinon, Foucault & co, of course).

Mais bref, c'est une affaire de paradigme (au sens Kuhnien) : si tu penses dans les termes de "signifiant/signifié" tu ne peux pas voir les choses dans les mêmes termes que celui qui pense en fonction de "representamen-objet-interprétant" : c'est deux cadres sémiotiques opposées, qui reposent sur des catégories philosophiques incompatibles. Y'en n'a pas un qui est meilleur que l'autre, mais l'un comme l'autre définissent des cadres de perception de la réalité (la réalité phénoménologique, la notre, le monde "réel" quoi) et de la nature des concepts mobilisables et légitimes pour appréhender ces réalités.

Sinon, je t'envie un peu d'avoir réussi à décrocher. Même si on a réussi (enfin, LLB a réussi) à créer un espace que je considère comme exceptionnel au sein de nos institutions, un espace de générosité et d'intercompréhension, de rigueur intellectuelle et de formation de jeunes chercheurs sans égal à mon avis dans l'université française, on est tellement isolés dans un océan de merdicité et de brutalité, que plus rien de cette intelligence du dispositif n'est perceptible de l'extérieur, ety qu'on doit affronter d'autant plus d'hostilité. Et il y a une telle brutalité de cet extérieur, doublé d'une telle lâcheté de ceux qui sont pourtant proches de nos positions, que je ne peux plus croire que les SHS aient encore quoi que ce soit à dire d'intelligent sur le monde : nous sommes les derniers dinosaures d'un univers moribond...

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Message par dana »

je vois assez bien ce que tu expliques de pierce
et je assez fasciné par cette triade de penseurs américains indépendants autant qu'on peut l'être : thoreau, emerson, pierce)
et plus tard des gens comme Austin et Rorty
qui me stimulent
ça me rafraichit de les lire
en philosophie française, j'ai complètement raté ça
dans les années 80, c'était descartes / kant / hegel
point barre
donc je m'y suis mis en solo après

mais il y a aussi parallèlement la psychanalyse, et surtout lacan
alors disons que le sujet je le prends en partie chez lacan pour ce que j'en saisis. Même chose pour la vérité (et je prends acte de la ruine du concept de vérité chez Austin et Rorty)

pour le moment je ne suis pas en mesure d'organiser tout ça
et je ne suis pas sur d'avoir envie d'organiser quoi que ce soit

vivre et penser c'est la même chose pour moi, un work in progress
sauf qu'à la fin on n'est pas forcé d'en faire une oeuvre
vivre c'est déjà pas mal

le truc c'est que vous êtes en rapport avec cette petit scène ou plutôt ce petit théâtre qu'est l'université
et ça peut devenir insupportable d'être à la fois in et out
d'être sur scène et hors scène
c'est la raison pour laquelle j'ai été incapable de poursuivre l'exépdition universitaire
et d'ailleurs
n'importe quel boulot
et même n'importe quel théâtre (y compris la musique et tout ce qui s'ensuit ou pas :)

mais
hors-scène
c'est où ?
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