Que faire contre la conjuration des imbéciles ?

Désobéissances et micro-résistances.

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drÖne
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Message par drÖne »

Bonne idée, de rappeler que la lecture de Marcel Mauss est bigrement intéressante. Je suis en train de terminer, justement, son "Essais sur le don : forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques" (je donne la référence du bouquin, au cas où ça intéresserait certains : Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris : PUF, 2003 [texte publié à l'origine en 1924]).

Sans rentrer dans le détail, ce que j'en retiens et qui me paraît utile à la réflexion, c'est deux choses, simples :

- la notion de "propriété", qu'on a souvent tendance à attribuer (il me semble) à la bourgeoisie et à l'époque capitaliste, a toujours existé. Elle est même au fondement, selon Mauss, de la structuration symbolique du don.

- le don n'est pas, en soi, une pratique forcément pacifique liée à la générosité et au désintéresement : la pratique du potlach (en gros, l'une des formes possibles du don-dontre don chez les indisens d'amérique du nord), ou d'autres formes de don-crontre don en Polynésie, ou dans pas mal d'endroits de la planète, a souvent une connotation agressive : on cherche à humilier l'autre, voire à le tuer (métaphoriquement) en lui faisant des cadeaux qu'il ne pourra pas rendre tellement ils seront somptueux. De plus, le don prend souvent la forme d'une destruction volontaire de ses propres biens, là aussi pour humilier ou pour soumettre les gens à qui on fait des offrandes, soit qu'on cherche à les agresser, soit qu'on cherche à s'en faire des alliés.

- les formes marchandes de l'échange de biens n'ont pas toujours existé, le système de don-contre don, éminemment symbolique, lui était antérieur, était également très répendu, et quand il était contemporain à l'existence d'un système marchand, ce dernier était considéré comme méprisable (chez les indiens d'amérique du nord, par exemple)

Je trouve tout ça intéressant pour relativiser à la fois la tendance "anar" à renier l'idée de propriété (quand ils cherchent à imaginer un autre monde possible, et c'est d'ailleurs une des thématique majeure du discours des squatteurs tout comme de certains adeptes du copyleft), et pour relativiser parallèlement l'idée libérale selon laquelle le marché serait dans la nature des choses, les hommes ayant toujours commercé. Ces deux idées (la propriété est contemporaine du capitalisme et le marché a toujours existé) semblent fausses, donc idéologiques, donc discutables.

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Message par LLB »

Tu as raison de donner des infos sur le bouquin et de présenter le contenu. Ta présentation fait peut-être un peu trop la part belle au don comme compétition, rapport de force. C'est vrai qu'il y a ça, mais on l'a peut-être d'autant plus vu qu'on fonctionne sur la compétition nous-mêmes. Il ya aussi dans la logique du don deux autres choses qui sont peut-être plus loin de nous
et c'est ça qui est intéressant aussi, le fait que certaines logiques ne soient pas directement superposables à ce qu'on peut y projeter depuis notre propre point de vue, peut être attaquées, peut être occultées ou refoulées :
- le don oblige non seulement à rendre, mais aussi à garder : il y a une partie des choses qui sont données pour être conservées sans que celui qui conserve en acquiert la pleine propriété. Il est gardien. On connaît bien aussi cette modalité du don, j'en parlais à propos du fait qu'on héritait, dans un autre post, à propos du fait qu'on héritait (de valeurs, d'idéaux, etc.). Or, cette obligation est annulée dans l'échange marchand.
- celui qui a le pouvoir n'en profite pas pour acquérir encore plus que ce qu'il n'a grâce à sa position de pouvoir : le pouvoir l'oblige à donner énormément. Alors ça, c'est franchement exotique chez nous n'est-il pas?
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drÖne
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Message par drÖne »

Oui, en effet, j'ai été un peu rapide ! L'autre truc intéressant que j'ai oublié, c'est que le don d'objet ne se résume pas à "je te donne un objet" ou à "je le fracasse devant toi". Car en fait, contraitrement à l'échange marchand, l'objet donné ou échangé garde sa valeur (non marchande, mais symbolique) pour l'ensemble des parties en présence (le donateur, le donataire, mais aussi les futurs ou anciens partenaires de l'échange, car le système de don-contre don ne se limite pas à un seul échange, mais à des cycles d'échanges). Cette valeur symbolique, il la garde même une fois l'objet détruit, voire même, il acquière une nouvelle valeur, supérieure, dans l'opération de destruction. En particulier chez les indiens d'amérique du nord, un "cuivre" (une sorte de blason ou de bouclier armorié, signe de pouvoir et de propriété je crois), une fois détruit en petits morceaux, chaque morceau se met à circuler au sein des tribus indiennes, et le jeu est de le reconstituer, de le riveter, et là il a une super valeur, bien supérieure à celle de son état initial avant la destruction. Je trouve ça fascinant, ce rapport à la fois aux objets et au don, qui place l'objet et le don contre don au sein d'un circuit et de l'histoire des tribus, parfois sur des dizaines d'années. On est bien loin, là, de l'échange marchand occidental de l'époque industrielle qui pense l'objet et l'échange à partir d'une valeur fixée, monétarisée par le producteur de l'objet (l'industriel, puis le marchand), sans lien véritable avec la communauté. pour Mauss, le don est une institution sociale, à cause de cette circulation et de ce "surplus" symbolique qui n'est pas inhérent à la nature de l'objet, ou à la valeur du matériau qui le compose, mais à l'idée d'échange et de communauté elle-même.

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Message par LLB »

Je repensais à une chose qui a à voir avecles récits de Juko et Dröne à l'Est. Aujourd'hui l'ethnologie apparaît souvent comme un réservoir de belles histoires, alors qu'en fait, depuis toujours, les ethnologues, comme Mauss (qui n'a guère voyagé il est vrai) et les autres, ont tenté de rendre compte de dimensions de l'homme par l'observation empirique et la réflexion sur les récits empiriques, en partant du caractère proprement sidérant du rapport à l'Autre, au lieu de traiter les dimensions de l'homme en tirant tout de ses raisonnements et de sa culture.
De ce point de vue, je reviens à l'effet des récits que Juko et toi avec faits de vos voyages : on y ressent le fait que d'avoir été physiquement engagé dans un rapport d'altérité a changé autre chose que les questions elles-mêmes, elle a change la forme, la densité, la couleur, les résonances de ces questions, leurs implications. On le ressent fortement en tant que lecteur de vos récits, même si ce sont des exoériences éphémères et très situées.
C'est vrai qu'on se pose tous la question au moins intellectuellement : qu'est-ce qui s'est passé à l'Est, pourquoi une telle faillite, pourquoi est-ce que c'est le système libéral qui sert d'alternative. En vous lisant on se dit qu'on peut se la poser presque physiquement.
Figure-toi Juko que Mauss avait prédit dès 1920 l'échec du soviétisme. Pourquoi? Parce qu'il avait été frappé par la force du mouvement coopératif en URSS et que pour lui, la régime soviétique avait non pas développé ce mouvement mais l'avait écrasé, et ça il l'avait contre compris parce qu'il avait ressenti, alors qu'au loin, d'autres intellectuels prenaient le Canada Dry du sovétisme pour le mouvement coopératif lui-même qu'il avait pourtant démantelé mais sans le faire disparaître des idées.
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Message par drÖne »

En effet, je date mon aversion physique, et plus seulement intellectuelle, pour le communisme, de l'époque de mon voyage dans les pays de l'Est. J'y allais pourtant sans grands a priori, mais je n'aurais certainement pas aujourd'hui la même conception de l'échec du communisme si j'en étais resté à la lecture des récits de Soljenitsyne, ou d'un quelconque traité de philosophie politique. D'une certaine manière, c'est vrai que je "sais" ce que le communisme a fait aux individus, et plus particulièrement aux ouvriers, pour y avoir été directement et avoir éprouvé l'ambiance de plomb qui y régnait. Idem avec Berlin est d'ailleurs...

Reste que l'anthropologie (ou l'ethno), ne peut pas se réduire à une espèce de journalisme amélioré : les journalistes croient souvent - et ils le disent - que leur "témoignage" les rapproche de la vérité... ouais, le problème, c'est que c'est leur concept de vérité qui, justement, les empêche de voir quoi que ce soit. Même chose, sans doute, pour nos récits de voyage un peu naïfs : sans culture ni réflexion théorique, sans un minimum de systématisation des observations, on risque d'en rester à une appréhension folkloriste ou à celle du touriste ou du journaliste, qui affiche ses goûts et ses dégoûts, ou sa croyance en une vérité "de contact" qui ne vaut peut être pas mieux qu'une vérité livresque de philosophe, non ?

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Message par LLB »

Oui il va de soi que je mettais en avant cette caractéristique du récit d'expérience, qu'on trouve y compris en ethnographie, non pas pour réduire la discipline à ça (elle mobilise des cadres et des pratiques qui n'ont rien à voir avec le récit touristique ou le journalisme) mais juste parce qu'on est au contraire tellement habitué à nier cette expérience physique de l'Autre dans la construction du savoir académique. Je ne crois pas qu'on soit en danger de confondrel'ethnographie avec le journalisme ou le tourisme, on est plutôt en danger de le considérer comme une pratique qui ne fait rien de l'expérience physiquement éprouvée, qui ne laisse aucun résidu de cette expérience dans le savoir qu'elle produit.
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Message par thierry nsx »

Pour le peu que je connais du terrain du dialogue (qu'il soit physique ou virtuel) car au fond c'est bien de dialogue même si celui ci doit être tenu debout sur écran ou couché sur papier, j'ai toujours été obligé dans tenir 2.

Encore une fois je ne vais parler que d'expériences concrètes, m'enfin, ce n'est pas la première fois et si cela faisait chier le monde, on me l'aurait signifié plus tôt. Bref.

Donc je disais toujours 2 discourts (tient on passe de dialogue à discourt), l'un énergique, fait de phrase toute faite, impulsif, limite abusif ... le seul moyen d'amorcer comme à la pêche l'imbécile.

Une fois qu'il a mordu, il est malheureusement trop tard, je lui déverse la seconde partie, qui en général lui est fatal, il a mis son cerveau sur open, c'est un tord. 2ème acte se joue sur du concentré, je ne sais qu'une chose après l'entrevu, peu importe la forme (de l'entrevu physique, écrite), il sera saoul.

Je ne joue jamais à ce jeu, quand je n'en connais pas le sujet, ni tant que je ne l'ai suffisamment approfondi, il faut qu'il soit léché, il faut que cela soit de nature précieuse, voir à la limite beau. C'est comme cela que vous me verez assez souvent me taire et de temps en temps assouvir d'un seul coup mon sens de la communication.

Donc voila à mon sens les 3 règles du discourt, 2 formes, l'une d'armorce et l'autre de fond, le tout dans la plus grande beauté.

Reste plus qu'a réssusciter quelques poètes ...
Modifié en dernier par thierry nsx le 08 janv. 2005, 11:56, modifié 1 fois.
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Message par LLB »

On dirait une joute, est-ce que tu peux raconter plus sur ta manière de dialoguer?
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Message par thierry nsx »

Soyons totalement honnête, je n'ai pas ce comportement avec tout le monde, on parle bien d'impermabilité.

L'imbécile, c'est un peu lui le sujet, adopte souvent un comportement qui force à faire divertion, qui force à mener quelque peu une joute, telement il sait passer au travers du dialogue.

Je n'ai jamais utilisé de stratagème pendant les réunions du "silence tue" (ou si peu, ces réunions ont eu lieu seulement pour organiser les manifestives) par exemple, il n'était en aucun necessaire d'adopter une posture. Comme ici je ne le ferais pas, par contre dès que je vais sur Tekalombre, j'adopte un autre comportement, qui est soit de rembarrer totalement l'interlocuteur (ou les interlocuteurs), ou alors de me ballader sur le sujet avec déjà un plan de dévelopement en tête (enfin cela fait déjà un bout que ce genre de sujet n'est pas apparu).

Alors est-ce une joute ? Quelque peu, il faut l'admettre. Est-elle équitable ? Pas du tout. Pourquoi ? Parceque jamais je ne me perdrais à faire l'imbécile gratuitement, quand je vais au dialogue c'est pour y poser une pierre, si je n'ai pas cette pierre, je reste auditeur ou/et questionneur. Dernière question, est-ce un comportement élitiste ? Peut-être mais je me cache bien de le faire savoir au(x) jouteur(s).
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Message par thierry nsx »

LLB a écrit :On dirait une joute, est-ce que tu peux raconter plus sur ta manière de dialoguer?
Une petite démo très technoïd d'une joute:

http://www.tekalombre.net/tekalombre/vi ... hp?t=10524

Le premier truc était de faire de la provoc, de la dérision, du cynisme et en suite d'attendre pour emboiter le pas ...
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