C'est plutôt drôle de voir à quel point ressurgissent ici, et de manière tout à fait légitime, l'une des angoisses fondactrices des "science humaines" (wou, quelle prétention!!!), celui du rapport individu/collectif. Je suis parfaitement d'accord avec toi Miss_yl sur la distinction à opérer entre masse et collectif, dès lors que l'on considère le collectif comme collecte, comme assemblage d'hétérogénéités par opposition à une masse informe, à traiter quantitativement sans finalement aucune préoccupation pour l'être. Tiens, ça me remet en mémoire un petit passage de l'intro de l'homme unidimensionnel de Marcuse (et là, vu que je suis autorisée à citer des trucs, j'en profite...):
"Si nous cherchons à tracer un lien entre les causes du danger et l'organisation de la société, il nous faut bien reconnaître que la société industrielle avancée, tout en entretenant le danger, n'en devient pas moins plus riche, plus vaste et plus agréable. L'économie adaptée aux exigences militaire rend la vie plus aisée pour un nombre toujours plus grand de personnes et elle étend la maîtrise de l'homme sur la nature. Dans de telles conditions, les communications de masse on peu de mal à faire passer des intérêts particuliers pour ceux de tous les hommes de bon sens. Les besoins politiques de la société deviennent des aspirations et des besoins individuels, leur satisfaction favorise la marche des affaires et le bien public et le tout semble être l'expression même de la raison. Et pourtant cette société dans son ensemble est irrationnelle. Sa productivité détruit le libre développement des besoins et des facultés humaines, sa paix n'est maintenue que par la constante menace de la guerre, si elle s''accroît, c'est en réprimant les possibilités qui permettraient de pacifier la lutte pour l'existence. Cette répression, si différente de celle qui caractérisait les phases antérieures, moins avancées, de notre société, s'effectue aujourd'hui non pas à partir d'un stade d'immaturité naturelle et technique, mais plutôt à partir d'une position de force. Les capacités (intellectuelles et matérielles) de la société contemporaine sont infiniment plus grandes que jamais, ce qui signifie que la domination de la société sur l'individu est infiniment plus grande que jamais. L'originalité de la société réside dans l'utilisation de la technologie, plutôt que de la terreur, pour obtenir la cohésion des forces sociales dans un mouvement double, un fonctionnalisme écrasant et une amélioration constante du standard de vie".
Non, je ne vais pas me lancer dans une apologie de Marcuse, que je ne saurais cautionner pleinement, mais ce texte de 1964 me semble constituer un témoignage à la fois pleinement historique et ancré dans une certaine actualité.
J'en reviens au sujet de départ, celui de la dialectique individu/société, qui à la lumière de texte de ce type ne me semble pas intéressante en tant que telle (d'un point de vue strictement théorique, chacun a sa trajectoire de résolution de ce problème - détours par le structuralisme, afinement bourdieusien, atterrissage dans une certaine socio pragmatique en ce qui me concerne). Bien au contraire, un morceau de texte comme celui de Marcuse (mais il y en avait évidemment beaucoup d'autres à évoquer) traduit bien la nécessité de concevoir ce rapport dans un ici et maintenant qui ne signifie en aucun cas oubli des épisodes antérieurs, mais attention à la superposition des formes de ce rapport.
Nous avons là un témoignage, un format d'appréhension et de description du rapport de ce qu'il appelle la "société industrielle" comme instrument de domination de masse des masses, par un travail d'uniformisation insidieux des aspirations individuelles. Faire en sorte que l'on se sente libre d'avoir des désirs conformes, que toute forme d'aspérité soit perçue comme déviance.
Actualisation... Les techniques du pouvoir sont devenues moins "lourdaudes", la société industrielle n'est plus, elle est parvenue à absorber sa critique pour se déployer comme epistemè libérale (le terme d'epistemè est peut-être un peu exagéré, mais c'est ce que j'ai trouvé de mieux pour traduire un sentiment, pfff... faudrait des notes de bas de pages dans les posts, *Je n'ai d'autre alternative que de m'effondrer sur le sol, pris d'un rire hystérique*!!!). Ce n'est plus un processus matériel-concret centré sur l'agir, le produire qui gouverne, mais bien une idéologie dont la force est de refuser de se nommer comme tel, un esprit du capitalisme dont la force est de se constituer en évidence absolue. Capable de formater les désirs de nos désirs, de conférer l'illusion d'une existence et d'une spécificité individuelle tout comme les traits d'une appartenance à un groupe. Elle satisfait aussi bien l'aspiration à l'individualité, l'unicité que la constitution de groupes fondés sur des valeurs partagées, traite aussi bien le conformiste que l'anti-conformiste (ou prétendu tel). Bien loin de ne faire qu'uniformiser, elle s'attaque désormais à la pluralité, grignote les formes d'existence qui se voulaient récalcitrantes (l'évolution que rappelait dröne des mouvements alternatifs me semble en constituer une triste preuve).
Non, je ne suis pas non plus dans un plaidoyer nihiliste. Mais cela me permet d'éclaircir l'appréhension du rapport individu/collectif dans un état mental qui est celui d'un certain individualisme forcené au sein de collectifs pré-formatés, ayant par trop perdu de leur pouvoir critique car déjà absorbés. Bref, penser un collectif un peu autrement (idée que me semble-t-il nous partageons tous), un collectif qui comme je le disais plus haut soit une collecte d'hétérogénéités, ne recherche pas l'harmonie factice d'une identité commune et ne soit pas l'apologie d'un absolu de la différence, mais dont la non-fin est la convergence. Qui soit le lieu d'une poursuite de l'individuation (et non pas individualisation), insouciant de sa productivité sociale tout comme d'une fausse homogénéité qui serait la recherche d'un "faire groupe".
(en ce sens, je ne suis pas tout à fait d'accord avec miss-yl sur le regroupement des mécontents, mais je joue sans doute un peu sur les mots, je suppose que l'on esst d'accord là dessus, donc je m'étale pas dans une controverse stérile). Cette idée traine assez souvent, pour des raisons diverses (et souvent l'angoisse de formes d'illégitimités à parler), en filigrane dans nos posts, mais il me semble que conférer une vraie valeur à un collectif attaché à la récalcitrance passe tout à la fois par des critiques/valeurs partagées, des formes d'appréhension du monde à discuter, la préservation des processus d'individuation et surtout celle certaine schizophrénie. C'est peut-être là que se joue là récalcitrance, dans la constitution de collectif schizophrènes...
Tout ça pour ça... "d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit me semble on ne peut plus approprié :*Je n'ai d'autre alternative que de m'effondrer sur le sol, pris d'un rire hystérique*: Bon, ben c'était ma séance psychiatrie du jour... .