L'APPEL

Désobéissances et micro-résistances.

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LLB
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Message par LLB »

Je me demande si ce qu'on vit n'est pas une énorme crise du don, le don tel qu'observé presque partout par Mauss, on en a déjà parlé sur le forum mais plus ça va plus il me semble que ce qu'il a dit sur le fait que les sociétés qui fonctionnaient sur le don était capital, et que malheureusement, on ne prend la pleine mesure des choses ou des gens que lorsqu'ils disparaissent. En sciences sociales, on perçoit ce phénomène certains processus ne sont désignés et ne deviennent visibles que lorsqu'ils disparaissent.
Le don chez Mauss ne se réduit en rien au mécanisme simplet auquel on l'a associé, du don/contre don, qui est comme un simple échange marchnd. Le don c'est le lien parce qu'est il crée une dette perpétuelle, être attaché par la dette, donner à son tour.
On donne quelque chose et ça oblige celui à qui l'on donne. Il donnera à son tour. Ce cycle suppose de s'en remettre à autrui, donc de risquer quelque chose, d'engager sa confiance, et c'est ce risque qui oblige l'autre.
Les héritiers de Mauss parlent justement de l'héritage : une grande partie de ce qui est donné est destiné à être transmis, jamais à être consommé. Or on est actuellement dans un fonctionnement où les "héritiers" dilapident ce qu'ils ont reçu, ils ne transmettent rien, ils ne donnent rien, ils prennent tout ce qui leur est donné, ils mangent, ils grossissent, ils explosent de signes, valeurs, biens. Ils font comme cet informateur d'un ethnologue, à qui celui demandait de lui le contenu des "paquets" sacrés transmis avec vénération de génération en génération. L'informateur décide de "donner" ça à l'ethnologue (pourquoi? on se le demande), il ouvre le paquet sacré dont il est dépositaire et gardien pour le transmettre à son tour. Dedans, il y a quelques cailloux, tout est consommé.
Le Lion Bleuflorophage
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drÖne
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Message par drÖne »

La crise du don, ou de la transmission, j'y crois assez mais comme un symptôme, un effet, et non comme une cause. A mon avis, et je viens de compulser quelques statistiques de l'INSEE, c'est probablement lié à différents facteurs :

- le vieillissement de la population : http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle_fich ... &souspop=3

En 1950, les plus de 85 ans étaient 200 588, en 2005 ils sont 1 085 467. On constate, pour les autres tranches d'âge, que celles qui croissent le plus entre 1950 et 2005 sont les populations les plus âgées.

- La baisse de la fécondité : http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle_fich ... 3&tab_id=7

Notre société ne se renouvelle plus par sa jeunesse. On constate de plus que les femmes dont la fécondité augmente sont plus âgées en 2005 qu'en 1980. Autrement dit, on a des enfants de plus en plus tard en moyenne.

- La participation électorale est plus importante chez les plus anciens que chez les plus jeunes : http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle_fich ... &souspop=3

On raisonne souvent sur les chiffres de la population comme si les seules conséquences étaient d'ordre économique (la question des retraites). Mais on oublie que ça peut aussi structurer les valeurs que se donne et que porte une société, ainsi que les valeurs qu'elle transmet à ses plus jeunes.

Ces chiffres font peur : ce sont ceux d'une société vieillissante, égoiste, qui hait ses jeunes.

Hier j'ai entendu que l'âge moyen desd militants du PS était de 60 ans et que la couche de population la plus représentée dans ce parti était celle des hauts fonctionnaires. J'ai aussi entendu le discours de fabius, retransmis à la TV, lors du congrès du PS. il hurlait, vociférait en tribune, en criant que la grande nouveauté apportée par les socialistes était... le cervice civil obligatoire pour les garçons et les filles, afin de leur inculquer les valeurs de la répuiblique et de la laïcité. Sans déconner, on aurait dit un leader d'extrême droite populiste réclammant "une bonne guerre" pour calmer les sauvageons.

Moi je dis : on est super mal barrés en France pour les années qui viennent, avec le type de sociologie qu'il va nous falloir subir. On ne s'en sortira certainement pas par de l'argumentation. Et moi je ne me battrai pas pour ce pays de merde peuplé de vieux cons égoïstes.

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drÖne
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LLB
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Message par LLB »

Je suis d'accord.
Le basculement vers une société de vieux qui possédants hait sa jeunesse, le fait que l'aveniur appartienne désormais à ces vieux, c'est sans doute lié à cette crise du don.
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dana
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Message par dana »

oui
très bien vu
c'est quoi ce discours de Fabius ?
(qui ne me surprend pas notez bien)
mon dieu
se barrer oui
oui mais je suis déjà désaffilié barré
dans le cantal
c'est nulle part ça
et y'a déjà que des vieux là bas
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drÖne
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Message par drÖne »

dana a écrit :oui
très bien vu
c'est quoi ce discours de Fabius ?
Juste son discours d'hier au début du congrès du Parti Socialiste. J'ai pas le texte, car je l'ai vu à la TV (oui, je sais, je me fais du mal...).

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dana
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Message par dana »

Le don c'est le lien parce qu'est il crée une dette perpétuelle, être attaché par la dette, donner à son tour.
On donne quelque chose et ça oblige celui à qui l'on donne. Il donnera à son tour. Ce cycle suppose de s'en remettre à autrui, donc de risquer quelque chose, d'engager sa confiance, et c'est ce risque qui oblige l'autre.
Cette crise du don (dont) que tu parles.
L'autre jour je me suis entendu dire à mon père qu'il n'était pas obligé d'être mon père, et qu'il n'avait pas été obligé non plus de m'avoir conçu (ce qui vous donne un aperçu de la relation).
Quand on lit Freud (excusez je ne suis pas sociologue), par exemple et surtout : l'homme aux rats, on comprend que la dette est ce par quoi la famille est possible (et sans doute au-delà toute communauté qui fonctionne sur le modèle d'un endettement vis-à-vis d'un père, ou d'un nom du père : par exemple la patrie ou l'entreprise)

Les psychanalystes d'aujourd'hui, et déjà Lacan dans ses derniers séminaires (à partir des années 70), avant qu'ils se taisent et fassent joujou avec des bouts de ficelles (je dis ça avec beaucoup d'affection notez bien), ces gens là admettent aujourd'hui que ce qui a changé depuis freud (et probablement avec les années 60), c'est la prééminence de la focntion du nom-du-père, si bien qu'aujourd'hui le mécanisme de la dette est bien souvent (je dis pas toujours) défaillant, voire inexistant :
car pour que la dette fonctionne en tant qu'obligeante, il faut qu'on soit au moins deux - un qui donne et un qui s'en sente l'obligé. Ce qui fonctionnait à l'époque de M. Mauss et de S. Freud, et qui fonctionne encore grosso modo sur une bonne partie du globe, déraille dans la plupart des pays riches occidentalisés. Rousseau et Hobbes l'avaient bien vu, qui tous deux, bien que d'une manière opposée, soutenaient le contrat social d'un Souverain -fut-il le peuple.

Enfin, chez moi, et chez la plupart des amis que j'ai, ça déraille, c'est manifeste. On ne sait plus ce qu'on doit parce que le légataire ne sait plus donner.
Mon père l'autre jour : ce que je te donne chaque mois tu sais, je le prends sur la somme qui me reste pour mes "menus plaisirs" (quand on conait la nature de ces menus plaisirs, enfin bon... ne moralisons pas, c'est son petit bricolage de névrosé à lui)

Dans le bouquin de ouellebeK, d'ailleurs, les élus auront bien évidemment cessé de faire des enfants (moi-même.. j'en repousse soigneusement et méthodiquement l'éventualité - mais peut-être est-ce une histoire de mâles je ne sais pas, tu dis avoir ton avis là dessus LLB ?)

Cette histoire de don contre don, c'est du passé pour moi : au sens où je n'attends rien de ce que je donne - et là n peut se demander : est-ce que c'est cela donner ? Le fait est que je ne sais pas non lus demander, et que le commerce (au sens le plus vaste) est chez moi ce qui cloche (enfin, ce qui cloche manifestement, pour le reste, voyez avec mon analyste :)

Et quand je me promène sur musique-libre.org ou ici ou ailleurs (là où s'invente l'alter - mais l'autre de quoi ? telle est la question : peut-on être l'autre d'un autre qui n'en a cure ? qui s'en contrefout ?), quand j'écoute à droite et à gauche, oui 'entends quelque chose de semblable, quelque chose qui ne croit plus au fonctionnement de don/contre don, qui n'a plus confiance là dedans, qui ne se reconnait pas de dette.

Tu dis cette chose terrible, le don c'est le lien, et si on lit plus loin, on comprend que le lien c'est la dette : mais c'est une perspective qui m'est tout à fait insupportable (sans doute parce que je vois le monde come le sychotique paranoiaque que je suis censé être, ce n'est pas seulement moi qui le dit).

Qu'en pensez-vous ? Y' a t-il lieu d'éprouver une quelconque nostalgie envers ce monde dont la pierre de touche était la dette ? Vous connaissez ces régions du monde où les enfants travailent dès l'age de 5 ans pour rembourser ce que doivent leur père (généralement le droit d'être en vie) ?
Exister dans la peine pour rembourser ce qu'on doit au sacrifice d'un Dieu, ou au délire d'un tyran, n'est-ce pas ce que vivent et vécurent des générations d'hommes et de femmes ?

Si nous (c'est-à-dire vous et moi qui écrivons sur ce forum, ou du moins qui commentons l'APPEL), si nous nous sentons le cul entre deux chaises, n'est-ce pas que justement nous y sommes, le cul entre deux chaises, coincés générationnellement, explorant du coup un monde sans père, sans signifiant père ? (sinon le père défaillant ?)

C'est très prétentieux de se croire à l'orée d'une nouvelle humanité (et assez banal -ce qui désamorce malheureusement le texte de l'APPEL : dommage) : mais ils ne sont pas si nombreux ceux qui décidèrent de mener leur vie "à côté", sans travailler par exemple. Et là j'en reviens à ton texte, LLB, qui m'obsède je dois dire :
J'ai l'impression que ce n'est pas d'action collective dont nous avons besoin, c'est de cran et de foi pour dire non et prendre des positions là où nous sommes déjà, au quotidien, et ce n'est possible et supportable dans la durée que si nous avons des témoins et si notre non-action est reconnue par quelques personnes pour qui elle fait sens.
ça fait une paye que j'ai pas lu un truc aussi... honnête.
Du cran et de la foi (j'ai le cran, je crains de ne pas avoir tout à fait la foi, ça viendra, dans les montagnes je l'ai la foi, mais quand je redescend..)
et surtout : le témoin, qu'il faille un témoin
J'ai beaucoup écrit là dessus, mais de manière un peu sauvage, sans trop savoir
c'est un signifiant qui m'appele ce "témoin".
(tu peux lire ce que j'écris là, http://www.another-record.com/ha/ mais gardez pour vous ok ? Je ne tiens pas spécialement à être lu, pour des raisons qu'on comprendrza en lisant :)
enfin, tu m'éclaires dun signifiant là
thx so much

(bon faut que je (re)lise Mauss maintenant, arff, ça dit se trouver sur le net j'imagine...
morue
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Message par morue »

Scolie
c'est quoi une scolie ? 8)
dana
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Message par dana »

c'est ça :
Image

http://membres.lycos.fr/microcox/scolie.htm

sinon, la scolie c'est une note en marge, généralement accrochée à une proposition-clé, un théorème, une proposition importante : par exemple Spinoza dans l'Ethique fait un usage débordant des scolies (si bien d'ailleurs que sans les scolies l'Ethique serait tout à fait incompréhensible.

Dans les textes infiniment longs et barbants de la théologie scolastique médiévale tu as souvent des tonnes de scolies qui viennent expliciter clarifier préciser etc..

tiens un petit exemple chopé au hasard sur le net, un bouquin de bruno latour qui s'apelle Guerre et paix des mircobes :
http://www.ensmp.fr/~latour/livres/ii_c ... tions.html :
1.1.4. Toute chose est la mesure de toutes les autres.

Scolie : quand je dis mesure, je veux dire celle qu'on donne, celles qu'on prend, celle qu'on a.
morue
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Message par morue »

okidok !

sinon pour en revenir au texte a l'origine du debat, il m'a laissé un gout amer, celui de la violence ...

celui de savoir qu'un des connards qui a ecrit ce truc, pourrais bien m'assassiner avec pour seule justification de son acte la realisation de son ideal.

Quelqu'un qui finalement s'arroge le droit de tuer, de condamner a mort, avec tout ce que cela implique de jugement a l'emporte piece sur le compte des perssonnes à qui il faudrait donner la dîte mort.

bref comme dans la chanson de Brassens le redacteur de ce texte est de ceux qui disent qu'on fait pas d'hommelette sans casser des os, mais ne compte probablement pas être le premier a crever. Finalement lui qui se pretend hors du systeme, plus que tous les autres, en fait plus que jamais partie par son utilisation de la violence.

Il parle de la "paix", mais nous vivons bel et bien dans une periode de violence extreme, violence morale et psychique en particulier, et il ne fait qu'ajouter un peu plus à ce climat en pronant l'usage des armes.

moi je prends note d'une chose : que la plupart des tentatives de modification brutale de paysage politique ont rarement donné des resultats probants.

"Nous sommes trop jeunes nous ne pouvons pas attendre."
dana
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Message par dana »

celui de savoir qu'un des connards qui a ecrit ce truc, pourrais bien m'assassiner avec pour seule justification de son acte la realisation de son ideal.
en 1988 un de mes meilleurs amis (un peu plus qu'un ami d'ailleurs) militait au MPPT (MOuvement pour un parti des travailleurs, qui je vous assure n'était pas des rigolos)
en fait il les formait aux arts martiaux (ce qui lui a valu pas mal d'emmerdes avec la police, qui l'emmerdait pour des pneus lisses, des voitures mal garées etc.. et prenait ce prétexte pour fouiller son appart)
un jour on causait, on avait quoi.. 20 ans.. il m'explique son truc du MPPT, que le jour de la révolution ils iraient d'abord chez les bourgeois afin de récupérer leurs richesses pour les redistribuer (par le biais de l'état) aux pauvres (je caricature hein, excusez).
Et moi : "et s'ils veulent pas les bourgeois ?"
lui : "ben on les forcera, même si on doit les buter"
bon... je réfléchis et je dis :
"mais supposons que dans dix ans par exemple, j'ai moi-même une situtation, disons que je sois dentiste (comme ton père), que ce soit le jour de la révolution, et suppose que tu débarques chez moi avec ta kalachnikov, que je refuse de te filer mes tunes, tu fais quoi ?"
lui... anxieux, réfléchit, puis me fait une réponse assez vaseuse comme quoi moi c'était différent, etc..
enfin bon..

la morale de cette histoire c'est que cet ami, pour qui j'ai par ailleurs le plus grand respect quoiqu'on s'est pas vu depuis heu, 10 ans, au moins, cet ami donc, est devenu professeur de mathématique, et que moi, je sis devenu heu.. rien.. rmiste, si tant est que ça soit quelque chose qui vous définit.

marrant non ?

Cela dit, la violence de l'APPEL, hum, elle est assez pathétique, mais ce n'est pas comparable, c'est de la guérilla dit-il, oui, bon, c'est pas l'aspect le plus intéressant du texte.
Mais quand on s'avance dans ces extrémités de violence, et l'auteur de l'APPEL ne serait pas le premier (je vais pas vous refaire la liste des groupes terroristes depuis le XIXeme siècle), n'est-ce pas parce qu'on désespère de tout autre moyen d'action ?
Quand on vit dans un pays gouverné par un tyran ou une dictature, il y a une sorte de légitimité à cette violence (et d'ailleurs les démocraties les soutiennent parfois, bien que souvent, elles soutiennent plutôt les tyrans mais c'est une autre histoire)
Quand on vit sous un régime démocratique, ce qui est notre cas (ne jouons pas sur les mots, la démocratie c'est bien ce qu'on vit, une de ses formes en tous cas), ben c'est plus embêtant. On est tout de même fondé à avoir quelques scrupules avant d'aller buter son voisin.

Le problème flagrant dans le fil de nos posts là c'est qu'entre la violence et le retrait érémitique, on ne croit plus à la troisième voie, la voie du jeu politique (enfin, l'auteur de l'APPEL lui n'y croit plus).
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