Refuser de collaborer avec la société de contrôle

Désobéissances et micro-résistances.

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drÖne
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Refuser de collaborer avec la société de contrôle

Message par drÖne »

Bon, le titre est un peu prétentieux, mais c'est une micro résistance à moi que j'ai, et qui se déroule depuis un an sur mon lieu de travail. Je suis universitaire, et mon administration me demande régulièrement de justifier de l'occupation de mon temps de travail. En gros, ça prend la forme d'une fiche semestrielle à remplir, où j'indique le nombre de mes cours, leur durée, etc. Depuis un an ou deux, ces contrôles se multiplient de manière délirante, par différents biais, et ne sont en rien justifiés dans la mesure où nos administrations ont déjà ces informations. Ne serait-ce que parce que c'est moi même, à partir du nombre d'heures statutaires que je dois à l'Etat de part ma fonction, qui ai élaboré mes cours, et parce que j'ai déjà envoyé des infos sur mes cours à cette même administration. En ce moment, on nous demande, en plus, de justifier de nos travaux en dehors de notre administration : et pourquoi pas du temps qu'on passe aux chiottes ou de celui qu'on passe à dormir aussi ? Du coup, ça fait un an que je refuse de rendre ces fiches administratives. On me relance régulièrement, mais je fais le mort : je ne risque rien, sans doute même pas un blâme, mon salaire ne sera pas touché, et je les emmerde.

C'est vraiment micro comme résistance, mais si tous ceux qui, comme moi, jouissent de la sécurité de l'emploi et de postes considérés comme socialement légitimes se mettaient à ce genre de micro résistance, on ferait plier nos administration car on ne risque rien du tout. Le problème, c'est que mes collègues, qui ne pensent généralement pas (si vous saviez à quel point les relations avec des intellectuels et les universitaires sont décevantes ! Si vous saviez à quel point cet univers relève de la psychiatrie ! Si vous saviez à quel point on n'y a jamais une seule discussion intéressante ! Si vous saviez le nombre de lâches et de crétins qu'on y croise...), ne pensent même pas qu'ils pourraient résister facilement à ce qu'ils critiquent parfois, quand l'un de leurs derniers neurones encore valides se met en position <ON> (rassurez vous, ça ne leur arrive qu'une fois tous les dix ans).

Plus généralement, je crois (et on en discute souvent avec LLB) que c'est sur nos lieux de travail que se jouent les principales formes de résistance possible aux pouvoirs coercitifs qui sont en train de se mettre en place. Résiter sous la forme de manifestation est parfois utile, souvent une perte de temps, mais si on développait sur les lieux de travail des formes de résistance civile (ou passive ?), je crois qu'on pourrait réellement changer des choses. Or, les syndicats sont incapables d'avoir de telles initiatives, dans leur immense lâcheté et du haut de leur monumental désir que l'ordre social ne change jamais et que les puissants restent puissants pour qu'eux-mêmes puisent justifier leur place de bouffons syndicaux. J'en avais discuté avec un délégué syndical, mais la seule forme d'action qu'ils savent mettre en place c'est la grève d'une 1/2 journée genre un samedi matin, histoire de ne pas faire de vague : leur fonction est de rabattre toute idée utopique, toute vraie résistance, sur des revendications corporatistes bien gnian gnian, dont ils savent par avance qu'elles ne changeront pas les équilibres en place.

Bref : micro résistez sur vos lieux de travail, c'est là qu'on arrivera peut-être à mettre des grains de sable dans le rouleau compresseur libéral-sécuritaire !

+A+
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
dana
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Message par dana »

ça me fait penser à ce que disait un psychanalyste lors d'un séminaire consacré au sujet ultra sensible de l'évaluation (parce qu'en gros, ce qu'on reproche aux psychanalystes c'est qu'ils refusent de se plier à l'injonction d'évaluer leurs pratiques dans des grilles à la con).

Il y avait là pas mal d'infirmières de secrétaires d'acteurs du milieu hospitalier, des femmes surtout, dont la plainte était à peu près la suivante : "on n'a plus le temps d'écouter nos patients, on nous demande de remplir des fiches délirantes dans lesquelles la singularité des sujets disparait totalement, il faut faire du chiffre, on renvoie des personnes qui sont au bord du suicide parce qu'il n'y a pas assez de lits, on doit justifier d'un million de choses avant de pouvoir faire bénéficier le patient d'une aide, etc..."

le psy leur demande :
"et alors que faites vous ?"

et elles de répondre :

"... on triche. On triche en remplissant les documents, on se débrouille pour aider le patient malgré les obstacles administratifs, etc.."

Le psy :
"ben voilà : c'est parfait. Continuez ainsi. C'est à ça que sert l'hystérique, à ruser devant la loi, parce que son amour de la vie, sa passion de l'autre ne tolère pas la soumission au discours du maître. Continuez mon dieu ! On a besoin de vous !"

[nb : ce qu'on entend en psychanalyse par hystérique, je ne peux pas l'exposer ici, ce serait trop complexe, mais disons que l'hystérique (qui peut être tout aussi un mâle qu'une femme d'ailleurs et n'a plus grand chose à voir, au niveau comportemental avec les pauvres filles frustrées et etouffées que Charcot soignait en son temps) est la figure même de la révoltée sociale - qu'elle se frotte au maître quel qu'il soit : médecin, professeur, scientifique politique, etc.. Nul maître ne la soumettra jamais (et c'est en cela que parfois elle souffre, et même terriblement)]
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LLB
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Message par LLB »

J'ai évalué des projets de recherche pendant trois ans, boulot effectué à titre gracieux d'ailleurs, car ça fait partie traditionnellement en France des tâches des enseignants-chercheurs dès qu'ils pilotent des programmes eux-mêmes.
A l'Europe on les paie, je ne pense pas que ça soit un progrès, c'est juste une évolution qui tient compte du fait que le travail demandé n'est plus lié de manière intéressante et directe à la recherche proprement dite.
J'ai adpoté une autre technique les les hystériques dont tu parles. Je recevais les projets avec les fiches de crières, et je répondais sur papier libre que les grilles de critères proposées me semblaient discutables : ainsi le critère "qualité des montages financiers" venait avant le critère "qualité scientifique". Je rendais une évaluation sur mes propres critères. Chose stupéfiante, je n'ai jamais eu la moindre réponse et je ne sais pas ce qui s'est passé pour les projets en question dont je n'ai jamais eu de nouvelles. On ne me demande plus d'évaluer de projets de recherche aujourd'hui.
J'en ai discuté avec des collègues qui me disaient c'est con, tu aurais tu remplir les trucs et t'arranger pour très bien noter dans les critères imposés les projets que tu jugeais bons, maintenant tu n'as même plus de prise sur le processus et tu ne peux plus aider des collègues.
Mais (et là aussi ce sont des choses dont on a discuté avec Dröne) je préfère quand même faire un retour sur les grilles, pour exprimer le fait que je ne me considère par comme un sujet incompétent sur les grilles administrativisées, que j'ai un droit d'évaluation sur la procédures d'évaluation. Evidemment ça ne sert strictement à rien si on est tout seul à le faire, à part ne pas en venir à incorporer à son insu des normes auxquelles on obéit même en rusant consciemment.
Le Lion Bleuflorophage
morue
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Message par morue »

une micro resistance qui fait grincer des dents :
"Bruce Perens posts in his blog about an amusing encounter between Richard Stallman and United Nations security at the World Summit on the Information Society in Tunis. It seems that RFID technology, which Stallman opposes for privacy reasons, was used in the identification badges for the conference. From the blog: 'You can't give Richard a visible RF ID strip without expecting him to protest. Richard acquired an entire roll of aluminum foil and wore his foil-shielded pass prominently.' During a keynote speech, Stallman also passed around the tinfoil for other to use as well. It seems that UN security was not amused, however, as they would not let him leave the room for some time." What makes this even funnier, of course, is that tin foil hats won't stop them.


http://slashdot.org/article.pl?sid=05/1 ... 33&tid=117
le truc c'est que richard stallman est un des iventeurs du langage "C", une personnalité respectée dans l'univers informatique, et le plus drole est qu'en realité l'aluminium menager (tinfoil) ne bloque pas toutes les fonctionnalités des RFID ... :D

un sacré petit blagueur ce richard ;)
staivair
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Re: Refuser de collaborer avec la société de contrôle

Message par staivair »

drÖne a écrit : Bref : micro résistez sur vos lieux de travail, c'est là qu'on arrivera peut-être à mettre des grains de sable dans le rouleau compresseur libéral-sécuritaire !
argggh !!! j'ai essayé, je vais pas énumérer les micro-tentatives, mais je n'ai aucun espoir en ce qui concerne mon lieu de travail. Ils sont tous aplati par le compresseur libéral et pas moyen de les faire regonflé : trop de confort les as bien endormi, ils n'ont pas senti la douleur du rouleau....
rien n'est vrai, rien n'est possible
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LLB
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Message par LLB »

Je crois que je comprends, pour Drone et moi c'est faisable parce qu'on est deux et aussi, grande chose, parce qu'on peut à tout moment se référer à des principes de liberté de parole qui étaient légitimes et même fondateurs dans les sciences humaines. Or quand on voit ce qu'il reste de liberté de parole dans nos établissements, on se dit que ça doit être très dur dans des mondes professionnels où il n'y a pas des recours à la "tradition" : c'est ce que nous dit sans arrêt quelqu'un avec qui on travaille des fois qui a monté une petite boite dont il s'auto-licencie périodiquement quand la faillite menace, mais maintenant, on ne peut plus arriver à financer ce qu'on fait avec lui parce que le Ministère de la recherche souhaite de financer que les partenariats avec des trucs comme Bouygues, France Télécom, qu'ils aillent au diable, que se las pongan al.....
Le Lion Bleuflorophage
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