du mérite

Désobéissances et micro-résistances.

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geronimo l'insoumis
djeunz of ze room
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Message par geronimo l'insoumis »

milles plates excuses, je n'avais donc pas compris ( c'est ce que j'avais mis entre parenthèse) le sens de ton message. Par contre, pour ce qui est de l'attitude des gens, qu'ils soient de ville ou de campagne, je ne suis pas tout à fait d'accord. Bien sûr, il existe des troupeaux d'individualiste (eh non, ce n'est pas incompatible) dans les villes comme dans les campagnes mais, cotoyant les deux (les endroits, pas les individualistes... quoi que ???), je trouve que, sans parler d'amour de son prochain (comme le font si bien les religions), l'intérêt porté à son voisin et l'entraide désintéressée est plus spontanée dans les trous perdus que dans les concentrations de population.
dana
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Message par dana »

milles plates excuses, je n'avais donc pas compris
meuh non
c'est qu'il fallait que j'explique mieux ce que j'avais en tête
et ça m'a fait plaisir de relire mon cher rousseau
(frêre en psychose)
mais c'est vrai qu'il faut préciser car le souci de l'autre a été tellement dévoyé par le catholicisme
ça veut plus dire grand chose maintenant
cela dit
soeur emmanuelle ou soeur theresa n'en restent pas moins des sacrées gonzesses, catho ou pas, capables de se taper des lépreux toute la journée sans horreur, et ça, qu'on le veuille ou non, c'est pas donné à tout le monde, quelles que soient les raisons pour lesquelles on le fait
l'intérêt porté à son voisin et l'entraide désintéressée est plus spontanée dans les trous perdus que dans les concentrations de population.
oui ça se discute n'est-ce pas..
moi je trouve les gens du cantal globalement plus attentionnés que ceux des landes ou du Poitou pour causer des campagnes que je connais
mais bon
je me fais pas trop d'illusions non plus
si les mecs savaient à quoi je m'amuse avec mon appareil photo dans leurs montagnes ou ce que je raconte dans mes chansons, ou comment je vis et les questions qui me préoccupent vraiment, ou mes petits stages psychomachins, je sais pas si les cantalous seraient aussi sympas que ça
faut voir
mais je préfère pas leur causer de ça
je préfère qu'ils croient je sais pas quoi à mon sujet
ça a l'air de leur convenir ce qu'ils croient
on me lance pas des pierres
on m'offre un kawa de temps à autres
on se boit un petit blanc en déconnant sur les parigots
là ça fait pas de mal ça risque pas de provoquer une esclandre :)
dana
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Message par dana »

Pour en revenir à la pitié rousseauiste
qui me semble être tout de même un sacré point de pensée
dont on fait rarement cas
parce que ça donne une lumière un peu crue, voire légèrement cynique, dans ce qu'on accepte de comprendre du rapport à l'autre
pour y revenir donc
je pousserais le bouchon à ma manière de paranoaique
en disant que ça explique aussi pourquoi le sujet (disons vous et moi) est toujours plus ou moins raté
rater l'autre ça peut aller loin
et ça se comprend fort bien si on considère avec sérieux ce que raconte rousseau
de l'autre on n'a jamais qu'une image, qui se constitue entre soi et soi
on part de soi, on devine en l'autre un semblable, on s'identifie, on imagine d'éprouver ce qu'il éprouve, on s'émeut de soi-même éprouvant cette épreuve, et on la renvoie vers l'autre, en donnant de l'amour, ou de la pitié
mais
ce processus peut planter, et il plante souvent
à différents niveaux
imaginez par exemple que vous soyez en face d'un autre, mais qu'en raison d'une difformité de sa figure par exemple, vous ne puissiez même pas le reconnâitre pour un semblable.
Par exemple : elephant man.
(c'est un exemple grossier, pour beaucoup de gens ça dysfonctionne également si l'autre a la peau un peu foncée ou les yeux un peu bridés ou si le fils aime les garçons et la fille les filles, ou bien trimballe un bite là où on attendrait une chatte)
Alors le processus ne démarre pas. Il n'y a pas d'identification possible donc pas de pitié (comment réagirions-nous devant un lépreux ?)
On peut se raisonner et passer par delà cette altérité absolue dieu merci (altérité qui dès lors n'était pas si absolue que ça)

mais le processus peut planter à un autre niveau, bien plus pernicieux.
supposons qu'on reconnaisse en l'autre un semblable (ça se joue au niveau du corps et/ou du langage)
Il se peut toutefois que l'on se sente incapable de supporter ce qu’on imagine de la manière dont l’autre vit. Que ce qu'on imagine de l'autre, les choix qu'on lui prête par exemple, soient tout simplement imprédicables à soi-même.
Notez que ça se joue au niveau du fantasme qu'on se fait de l'autre et de la possibilité d'y prendre place dans ce fantasme, de se l'approprier, de se mettre à la place de l'autre imaginairement.
Toute l'intolérance sociale se joue à ce niveau là : les haines, les discriminations, les banissements, les excommunications, les procès pour sorcellerie, les internements psychiatriques : ce n'est pas que l'autre ne soit pas reconnu comme un semblable, c'est qu'au contraire il présente les caractères de ce que Freud nommait : l' "unheimlich" - qu'on traduisit joliment "l'inquiétante étrangeté". Il est à la fois le même et l'autre.
je donne un exemple trivial : déclarez tout de go dans un lieu public que vous vivez avec le rmi et que vous ne souhaitez absolument pas travailler. Expliquez un peu quels sont vos jouissances secrètes (par exemple, s'étaler de tout son long dans l'herbe des montagnes et demeurer là des heures durant qu'il neige ou qu'il vente) : on aura tôt fait de vous prendre pour un fou, ou au moins pour un IDIOT : c'est-à-dire un semblable certes, mais d'une singularité irréductible (qui n' entre pas dans les cases en somme, n'est pas descriptible par les signifiants sociaux habituels, ne répond pas à ce qu'on attend, car le discours social-normatif est d'abord une attente, l'ensemble de ce qui est attendu d'un semblable)

ne pas croire à ce que la plupart des gens croient, voilà qui suffit dans certains contextes à vous attirer les foudres et les rumeurs.

Non pas qu'on vous haisse par plaisir (quoique, une foule peut jouir d'haïr ensemble), mais parce qu'au fond l'étranger provoque cette angoisse, cette angoisse dont on pourrait dire avec Rousseau qu'elle procède de l'incapacité qu'on a de s'imaginer à la place de l'autre. Ainsi il y a des hommes qui me ressemblent et qui ne croient pas à ce en quoi je crois.
Angoisse qui, au mieux peut engendrer le doute, au pire, être reportée sur l'autre (et dès lors l'angoisse rejetée sur l'autre porte le nom de haine).

Bref
tout cela est affaire d'amour propre entendu au sens de Rousseau

et ce que j'aime sur ce forum
c'est qu'on a la possibilité de marquer sa différence sans susciter la haine, mais au contraire une curiosité féconde.
(Lacan : L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas)
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LLB
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Message par LLB »

J'ai envie de participer à la discussion parce que j'ai un gros problème de mérite, mais je n'ai rien à apporter que mon propre sens commun, ne m'étant jamais intéressée au mérite comme thème ou comme concept, ce qui est un tort. C'est plus lié aux jugements.

Je n'ai jamais eu l'impression de mériter suffisamment non pas les cadeaux ou les souffrances, mais plutôt les jugements d'autrui et les conséquences qu'ils impliquent.

Pour moi le mérite est donc viscéralement lié au fait que l'Autre se trompe sur mon compte, parce qu'il ne connaît pas plus la valeur de ce que je fais que je ne la connais moi-même. A l'instant même où autrui m'attribue des qualités, je ne mérite pas ce jugement puisque je le trompe puisque je l'ai amené à être trompé sur mon compte puisque moi-même je ne ressens rien de ces qualités. Tout est affaire de conjoncture et de moment et s'il attend que j'ai telle ou telle qualité, il sera forcément déçu et de ce fait, je suis en faute tout de suite, irrémédiablement. Si je donne un peu d'argent à quelqu'un en particulier, je souffre du fait qu'il puisse penser que je suis généreux ou quoi que ce soit de ce genre, parce qu'il a tort de projeter dans un geste qui ne mérite pas de se voir attribuer une telle signification, et qu'en retour je le trompe puisque je ne peux pas lui témoigner de reconnaissance ou d'intérêt pour l'opinion qu'il a de ce geste, puisqu'à l'instant j'ai déjà honte de tout le malentendu et de mon incapacité à ressentir des choses simples.
Inversement, si l'autre m'accuse de certains défauts structurels "tu es comme ça", je ressens immédiatement que je ne mérite pas ce jugement puisque je ne ressens rien de ces défauts. Les défauts structurels, ils sont flous, indicibles, effrayants à force de ne pas pouvoir être stabilisés dans quelque chose de sûr.

Dans les cas miraculeux où on se sent habité par la grâce d'être digne du monde et digne d'être en vie et amoureux, on ne mérite rien non plus parce que le sentiment de mérite n'a plus rien à voir là-dedans.

Pourtant, paradoxalement, je m'accorde le droit de juger autrui tout en anticipant le fait qu'il puisse ne pas supporter le jugement même (surtout) très favorable, car dans cette situation, je crois qu'il ne peut se voir lui-même en train d'avoir des effets dignes d'amener le jugement. Ce que est étrange c'est que ça ne peut pas être symétrisé.
Dans tous les cas, l'impossibilité de porter un jugement reviendrait à faire le jeu d'un relativisme, à susciter les effets d'un relativisme, qui ne peut pas être un principe, c'est impossible.

Il y a chez des sociologues comme Simmel l'idée que l'amour d'autrui peut être une notion sociologique réelle, qu'on procède trop par le pire en disant que tout comportement social est lié à un calcul intérêt personnel, y compris par effet miroir. J'aime bien cette sociologie si éloignée de notre sociologie française si rationalisante et si pessimiste au fond.
Le Lion Bleuflorophage
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