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drÖne
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Rapport INSERM sur les troubles comportementaux

Message par drÖne »

Je reprends ce sujet avec un nouvel exemple, d'actualité, à savoir le rapport de l'INSERM sur les troubles comportementaux des enfants qui sert aujourd'hui d'argument pour renforcer la surveillance généralisée dès l'école élémentaire.

Voici tout d'abord la synthèse du rapport :
http://ist.inserm.fr/basisrapports/trou ... nthese.pdf

De l'extérieur, on pourrait penser que ce rapport n'est que mal utilisé par l'actuel gouvernement, qu'il ne serait qu'un rapport scientifique, ne prenant pas parti comme j'ai pu le lire ailleurs : il ne serait "que" scientifique, l'espace de pureté de la Raison serait préservé, mais ce seraient les usages de ce rapport et son instrumentalisation politique qui seraient malhonnêtes.

Il me semble au contraire que ce rapport prend parti et que ce sont directement les pratiques scientifique qu'il faut interroger : l'INSERM a accepté en connaissance de cause la demande de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs indépendants (le commanditaire), et n'a sans doute pas remis en question les présupposés de la commande (la déviance serait un symptome pathologique lié au sujet, à son développement, à des facteurs génétiques, et s'étudierait sur des bases cliniques, sans apport des sciences sociales). L'INSERM a, en effet, fait des choix en termes de cadrages disciplinaires (partir d'un cadre très positiviste, celui du biomédical agrémenté de sciences cognitives : le choix des experts et de la biblio est éloquent).

Page IX du rapport, on lit :
L'INSERM a écrit : L’Inserm a mis en place un groupe pluridisciplinaire d’experts rassemblant
des compétences dans les domaines de la psychiatrie, psychologie, épidémiologie,
sciences cognitives, génétique, neurobiologie, éthologie pour effectuer
une analyse critique des données internationales des différents champs disciplinaires[...]

Ce rapport s'inscrit par ailleurs dans une autre polémique qui oppose l'INSERM à la psychanalyse (discipline pour laquelle je n'ai pas d'affinité particulière) : l'INSERM a en effet été mandaté pour "évaluer" la profession de psychanalyste. L'évaluation a été ressentie par les psy comme une agression des sciences "dures" envers une discipline qui n'a pas de comptes à rendre à un groupe d'experts qui ne fait pas partie de ses pairs. Il faut savoir qu'en sciences, ce qui garantit la rigueur et l'objectivité d'une évaluation, c'est le fait qu'elle soit menée par des pairs, à savoir des experts du même domaine. Sinon, imaginez ce que donnerait, si on sysmétrisait la situation, l'expertise d'un labo de physique nucléaire par des chercheurs en histoire de l'art... La situation se complexifie un peu du fait que la psychanalyse n'est pas une discipline universitaire : a priori, c'est pas considéré comme de la science. Plutôt comme un "background" culturel et une pratique sociale de thérapie. Mais bon, ça s'inscrit nettement dans le domaine des réflexions des sciences humaines, et non dans celui des sciences de la nature.

Mais l'INSERM a pourtant été mandaté pour expertiser des psy, alors que ses compétences ne relèvent pas du domaine des sciences humaines et sociales. Quand une "expertise" se déroule dans ces conditions, cela signifie qu'elle repose sur une décision des tutelles qu'il s'agit d'entériner après coup en la masquant sous les atours d'une décision rationnelle. Coup assez classique dans le métier. Le rapport INSERM sur les troubles de comportement s'inscrit dans une vieille guéguerre entre psychanalyse et psychologie cognitive (+ psychiatrie et sciences biomédicales) : le retour de l'affaire Sokal, en somme, pour schématiser. Vieux règlements de comptes entre vieux ennemis.

Pour revenir au rapport, on peut lire les intentions des tutelles sans même entrer dans le contenu du rapport : "dis moi qui tu chosis comme experts, je te dirais quelle était ta décision préalablement à l'expertise"... L'absence de spécialiste des sciences sociales, des sciences de l'éducation, ou des sciences politiques est ici un choix qui surdétermine radicalement le contenu du rapport. En amont de ce choix des experts individuels, il y a eu celui de l'INSERM en tant qu'institution : c'est là que tout s'est joué. Mais cela s'est visiblement joué sur la base d'une demande de la Caisse nationale d’assurance maladie, et pas du ministère de l'éducation. Reste à savoir comment un rapport pondu pour la CNAM se retrouve utilisé comme argument dans un débat politique sur un fait de société, sans qu'il n'ait été réalisé à cet effet. Je dirais qu'à partir de ce que je vois du fonctionnement du ministère, c'est le bon vieux mélange entre manipulation, désinformation et incompétence qui fonctionne ici. Rajoutez la couche habituelle de connerie des universitaires, leur lâcheté intellectuelle chronique et leur manque de clairvoyance politique depuis les années 70/80, et vous avez un bon gros institut de recherche biomédicale (INSERM) qui sert à justifier des politiques sécuritaires néo-fascistes.

Pour le reste, le contenu est d'une pauvreté affilgeante : on retrouve même le modèle du rat de laboratoire pour modéliser le comportement infantile... Ou encore des critères de diagnostic faisant totalement abstraction de toute interrogation sur le sens des conduites chez les acteurs. Pathétique.

Le vers est donc dans le fruit dès l'amont de la rédaction du rapport, au sein même de l'institution scientifique, qui est plongée dans l'idéologie sécuritaire alliée ici au positivisme le plus traditionnel des sciences expérimentales. Les intérêts sociaux, comme souvent, ne sont pas externes aux sciences mais les traversent de part en part. C'est pourquoi se pose le problème d'une éthique qui ne serait pas exclusivement biomédicale comme c'est trop souvent le cas en France aujourd'hui, mais d'emblée sociale, c'est à dire ouverte aux sciences sociales. mais serait-ce suffisant ? J'en doute : les sciences humaines et sociales elles-mêmes, en dehors des trop rares poches de résistance, montrent au quotidien leur absence de perspicacité politique et leur aveuglement moral...

Je signale au passage une pétition contre ce rapport :

http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/

+A+
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
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