La science, espace de connaissance pure et désintéressée...

[drÖne]

Le dernier numéro du Journal du CNRS, magazine tout entier dédié à la promotion de cette vénérable institution, est consacré à un thème scientifique de première importance : "La maison du futur". Passons sur la futurologie dont je ne pensais pas que l'épistémologie du CNRS avait pu l'emprunter à cette éminente théoricienne de la sociologie qu'est Elisabeth Tessier (thèse soutenue sous la direction du grand sociologue Mafesoli, mouaaarf, pouffons en coeur !), passons également sur le look très "marketing industriel" que le Journal duCNRS aborde depuis qu'il est rédigé par des communiquants issus de la prestigieuse Université de Paris 7 où des amis à nous, férus de doctes dissertations sur l'histoire des sciences, les forment à la propagande scientiste tout en dénonçant dans le même temps les sokaliens comme "scientistes", bref, passons sur cette grande cohérence intellectuelle qui caractérise la Science avec un grand "S", et venons en au fait.

La maison du futur, vue par le CNRS, sera équipée de systèmes de vidéosurveillance élaborés par l'INRIA, et qui permettent à des caméras de "suivre en permanence les mouvements des voitures et des personnes circulant" autour de la maison. Des "caméras intelligentes peuvent non seulement détecter et suivre le déplacement d'un être humain mais également repérer la position de son corps, de ses mains et l'emplacement de son visage".

Fiers d'appartenir à l'élite de la pensée scientifique, et ne reculant devant aucun sacrifice budgétaire, l'INRIA se livre à des vérifications empiriques de la connaissance théorique ainsi produite contre tous nos préjugés de sens commun : "d'ores et déjà, ce système informatique peut filmer des réunions en sélectionnant automatiquement les plans - larges et serrés, etc. - les plus appropriés, en tenant compte à la fois des mouvements dans la pièce et des personnes qui y prennent la parole". De plus, "le parking de l'INRIA Rhône-Alpes a lui même été transformé en un lieu d'expérimentation de ce procédé de reprérage visuel. Filmé par six caméras, il sert à tester un réseau de surveillance, Parkview, chargé de relever en permanence les positions et les déplacements des voitures et des humains qui y circulent."

L'objectif de tout cela relève d'une épistémologie de la complexité des sciences pour l'ingénieur qui montre bien à quel point les sciences contemporaines élaborent de la connaissance de manière pure et désintéressée : "Objectif : être en mesure un jour d'envoyer en temps réel ces informations à un véhicule cybercar sans chauffeur afin qu'il les utilise pour se garer automatiquement. Et, bien sûr, sans écraser personne !".

Pourquoi "sans écraser personne" ?

Bienvenue en Drönésie grâce au CNRS, à l'INRIA, aux communiquants de Paris 7, et à la Sciences Pure, facteur de progrès social.

+A+

[dana]

oui mais ça va rendre le CNRS sympathique à 90% des gens
ça les fera rêver
(un petit-peu-plus-de-jouir)
alors que
le dictionnaire des philosophes d l'antiquité
http://upr_76.vjf.cnrs.fr/Instruments_travail/DPhA/DPhA_Pub.html
dont le quatrième volume toujours dirigé par l'excellent Richard Goulet, de Labeo à Ovidius
donc
ce dictionnaire
qui est une vraie mine
un truc génial
tout le monde s'en branle
à part un millier de chercheurs dans le monde

(je dis ça parce que mon directeur de thèse, Luc Brisson, fait partie de cette UPR, et que j'aime beaucoup ce mec là, et denis O'Brien aussi.. )

[drÖne]

Et d'abord pourquoi y'a que des grecs et des latins dans ce dico, bordel ? N'y aurait-il eu aucune pensée en Egypte, par exemple, bien avant les philosophes grecs ? J'en doute. Encore un complot crypto-philosophique pour nous faire croire que la pensée n'est qu'Européenne, et qu'en dehors de l'Europe tout n'a jamais été que barbarie, racaille, et banlieues à problèmes. D'où la nécessité des caméras de surveillance. Tiens, qui sera le prochain philosophe de la surveillance ? Un grec ? hum. Je dirais plutôt un philosophe nourri au lait de l'Eurocynisme libéral et adepte de l'inversion des valeurs. Un ancien gauchiste si possible, revenu des errances libertaires de sa jeunesse.

+A+

[dana]

héhé
pourquoi des grecs et des latins
bah tu sais bien
y'a sans doute eu des penseurs dans l'egypte antique (je veux dire avant les grecs), mais le léger bins, c'est que la seule chose qu'on sache d'eux, c'est ce que les grecs nous en racontent
après on a les hiéroglyphes mais doit bien y avoir une UFR à ce sujet
et quand on parle de la pensée grecque faut bien comprendre que la plupart des grands penseurs grecs venaient plutôt d'Asie Mineure globalement
Et même que ce que nous appelons la pensée occidentale vient toute entière d'Asie mineure
et ma période préférée (l'antiquité dite tardive) ben ça vient de partout autour de la méditerranée
Mais rassure toi, mon cher brisson (grand grand platonicien s'il en est) étudiait le sanskrit à langues O et s'intéressait plus qu'il n'est permis à l'orphisme, à l'egypte ancienne etc..
Pour avoir pas mal bossé dans leur entourage à un moment je peux te certifier que c'était vraiment des érudits mais trsè ouverts d'esprit, pour la plupart à l'UFR 76
(on pouvait pas en dire autant des universitaires purs)
maintenant je connais strictement rien d'autre au CNRS, mais effectivement, ça chauffe en ce moment
ça déménage dans les conseils d'administration
faut du résultat maintenant

[drÖne]

héhé
pourquoi des grecs et des latins
bah tu sais bien
y'a sans doute eu des penseurs dans l'egypte antique (je veux dire avant les grecs), mais le léger bins, c'est que la seule chose qu'on sache d'eux, c'est ce que les grecs nous en racontent
après on a les hiéroglyphes mais doit bien y avoir une UFR à ce sujet
et quand on parle de la pensée grecque faut bien comprendre que la plupart des grands penseurs grecs venaient plutôt d'Asie Mineure globalement

Ah, ça me rassure ! L'antiquité, c'est une belle invention de notre culture tout de même... Surtout l'invention de la "démocratie grecque", qui a du durer moins de 50 ans si je ne me trompe pas, mais qui nous permet d'imaginer que nous avons, nous européens, un super héritage à transmettre...

maintenant je connais strictement rien d'autre au CNRS, mais effectivement, ça chauffe en ce moment
ça déménage dans les conseils d'administration
faut du résultat maintenant

Faut du chiffre, surtout...

J'ai été plié de rire quand j'ai vu nos belles âmes du CNRS (qui évaluent les universitaires à tour de bras, en les considérant comme de la merde, vu que eux sont l'élite de la nation, les seigneurs d'une race scientifique pure...) s'esbaudir suite à la longue réforme du CNRS qui nous avait été annoncée comme un modèle : diantre ! Pas une femme n'accédait à des postes à responsabilité ! Et on y trouvait le (très mauvais et très controversé) sociologue Michel Mafesoli, directeur de la "thèse" d'Elisabeth Teissier (l'astrologue de Mitterrand). Avec Moscovici père dans le jury, tout de même : le père, Serge, grand sociologue, le fils, porte parole du PS. Mitterrand, son astrologue, Moscovici fils : tu vois se dessiner les traits de la collusion entre pouvoir et savoir...). Bref, nos grands chercheurs du CNRS s'insurgent contre ces deux faits scandaleux à leurs yeux. Et moi je me marre comme un bossu : comment ? L'élite des chercheurs de la nation n'aurait, finalement, pas plus d'éthique que nous, les bougnoules de l'université ? Eux qui nous évaluent avec des moues écoeurées et nous dictent leur modèle de la science avec tant de mépris ? Moi je dis : que Mafesoli soit nommé à un poste de direction est très bien puisque après tout il dirige un labo au CNRS : que le CNRS assume ! Que la sociologie du CNRS assume ! Oui, j'approuve l'idée que le CNRS porte un défenseur de l'astrologie et des visions "tribales" de la techno à sa direction, super ! Qu'on voit enfin les surhommes du CNRS descendre de leur piedestal, et qu'ils arrêtent de nous la jouer "vous, les universitaires, vious faites de la mauvaise recherche". Ou alors qu'ils virent Mafesoli et sabordent son labo : mais ça, ils ne le feront pas...

+A+

[LLB]

Quand je faisais des études, puis ensuite quand j'ai travaillé, je ne faisais pas la moindre distinction entre université, CNRS, EHESS, Ecoles, etc. pour la bonne raison que pour moi tout était réuni dans le même paquet indistinct Grand et Beau de la recherche et de l'Université.

Comme pour les éléphants c'est tout la même chose, il sont dans la Savane comme les chercheurs sont dans la Recherche, paisibles et sereins, broutant et vaquant agréablement, mus par des nécessités supérieures qui les dépassent et qu'ils assument parfaitement.

Quelle ne fut pas ma surprise n'est-ce pas quant j'appris que ce n'était pas du tout la même chose, qu'il fallait d'abord savoir si machin était au CNRS ou dans tel labo pour se prononcer sur l'intérêt de son travail. J'ai entendu à l'occasion de "Sauvons la Recherche" l'expression d'un racisme anti-universitaire stupéfiant que je ne soupçonnais pas. C'est dégradant, les hommes ne ressemblent pas aux livres qu'ils écrivent. Surtout quand on comprend le problème : ce qui rend l'université détestable c'est qu'après 68 elle s'est ouverte à la masse, les DEUG remplis d'une masse grouillante et hébétée de nuls "qui ne savent pas pourquoi ils sont là", terrifiantes visions de multitudes ignorantes parties à l'assaut de la vénérable institution et la submergeant sous une irrespirable vague de médiocrité.
On voit reparaître aujourd'hui le projet d'une Université de Paris qui regrouperait les universités Paris 1 2 3 4 5 et 6 ( c'est à dire toutes celles crées avant 70, arfff), l'ENS Ulm, l'EHESS. Retour quarante ans en arrière après le pénible épisode de la démocratistaion, de l'ouverture, etc. Quel est l'enjeu? Magnifique : être dans le classement international des universités fait par l'Université de Shangaï Le type qui a fait ce classement doit être abasourdi par les retombées spectaculaires de son travail médiocre sur les élites internationales.
Personnellement, j'ai "fait" des DEUG dits "poubelles" (médiation culturelle) et j'y ai vu des destins se forger en une heure de temps, des gens se mobiliser, des parcours se transformer, j'ai eu les plus belles expériences d'enseignement dans ce contexte. En tout cas, j'i ressenti tout sauf de la médiocrité hébétée dans ce contexte.
Heureusement car sinon, j'aurais sans problème adhéré à l'idée des masses hébétées dans les amphis etc. qui est très facile à croire, très vraissemblable, au point qu'elle pourrait se réaliser quand même, à force de tout mettre en place pour que l'amour de la médiocrité règne enfin.

[dana]

j'ai "fait" des DEUG dits "poubelles" (médiation culturelle)

vraiment ??
comme ma chérie !!
où ça tu l'as fait ce DEUG ?

moi c'est étrange, mais le CNRS (enfin : l'UFR76) je me le représentais plutôt comme un paradis, et aussi l'école pratique des hautes études où j'ai eu la chance de mettre le bout du nez
alors que l'université et l'école normale (où j'ai eu droit de mettre un peu plus que le bout du nez : j'avais une entrée à la bibliothèque rue d'Ulm, donc j'y ai passé environ deux ans de ma vie dans cette bibiothèque hallucinante) j'ai haï ces gens là
et je les hais toujours d'ailleurs

les gens du CNRS ont toujours eu du respect pour le paysan que j'étais aux yeux des étudiants parisiens et des normaliens
on causait d'égal à égal
je me souviens que O'Brien (un sacré client en philosophie ancienne, irlandais) m'invitait à discuter de mes recherches en buvant du cherry dans son petit pied à terre à paris, ça vous motivait un homme ça
J'aimais bien ces érudits qui planaient à dix mille
un jour dans le métro, j'étais avec mon directeur de thèse, un type ultra savant, mais vraiment très gentil, et un clodo vient nous demander des sous. je vois mon prof qui se recroqueville sur son siège..
Puis il me demande : "vous qui connaissez le chomage" (on en avait causé un peu) "pourriez vous m'expliquer un peu comment ça se passe, comme ils vivent ?"
j'ai trouvé ça touchant
j'ai de la sympathie pour ces gens là mais je suis content de m'être barré

[LLB]

J'étais à Lille, DEUG de médiation culturelle de 1997 à 2000.
En fait la morale de nos expériences respectives, c'est qu'il y des imbéciles et des gens super partout (ma boulangère me le disait à l'instant) mais addendum, parfois ces personnes s'instituent représentants d'une classe contre l'autre et on les suit. Un type du CNRS dit "les universitaires mon dieu, quels nuls" et on s'engouffre dans son cadre en se disant "quels nuls les gens du CNRS pour dire ça". Ou à l'inverse on enchante toute une classe à cause d'un type super qu'on constitue en représentant à son insu.
N'empêche quand même que le CNRS au niveau de sa direction certes, a eu des positions publiques pénibles qui engagent tous ses membres dans une parole publique précisément.

[bituur esztreym]

ahh, les grecs et les latins,

mais zénon de kittion par exemple était un sémite..
ce qui explique très bien dans sa pensée un sens historique difficile sinon..

enfin je crois que c'est ça..

c'est Patrice Cambronne, universitaire de Bordeaux, traducteur et présentateur de St Augustin (notamment Pleiade je crois), connaisseur hors pair, c'est-à-dire, à fond, je crois, de toute l'antiquité, si si je crois bien, qui m'avait ouvert pas mal de perspective dans ce genre...
pour ce qu'il en reste dans ma pauvre tête vous me direz...

une perle de 1e année espagnol, examen d'histoire antique et médiévale :
quand les romains arrivent, les peuples en ibérie étaient .. les mayas, les incas et les aztèques.
si si.
une autre : aux 10-11e siècle, c'étaient les romains et .. napoléon qui étaient alliés pour la conquète de l'espagne.
si si.
une autre : la 1e guerre punique opposait les romains aux.. italiens.

maintenant que tout le monde est d'accord, on peut aller se coucher, relire hadrien, quignard, Laure, et autres joyeusetés.

lowry : la traduction de J. Darras. j'ai lu la 1ere, puis celle-ci. meilleure.
une grosse discussion là-dessus ici

ayant bien foutu le waïe dans ce sérieux fil, je vais rejoindre mon amie horizontale.

[bituur esztreym]

ah non, j'oubliais : dans la maison du futur, le frigo par exemple parlera et proposera à chaque résident de la demeure qui serait encore tenté de s'approcher de cet engin des plats et denrées en accord avec son régime...

non mais... un coup de marteau sur le processeur, on rebourre le frigo de ce qu'on veut, et vaffanculo.