L'ouverture des universités à l'entreprise

Ici, on discute des sciences de la nature, mais aussi des sciences humaines et sociales.

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drÖne
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L'ouverture des universités à l'entreprise

Message par drÖne »

On va pas rigoler dans les années qui viennet, à l'université, moi je vous le dis :
Les présidents d'université appellent à une "refondation"

La conférence des présidents d'université (CPU) veut faire de la "refondation" des universités un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle, a annoncé, jeudi 28 septembre, son vice-président, Yannick Vallée. La CPU, qui réunit 102 établissements d'enseignement supérieur, compte s'adresser aux candidats pour leur faire part de sa vision de l'université du XXIe siècle, qui passe notamment par une réforme de la "gouvernance".

"Le système actuel n'est pas adapté, estime M. Vallée. Il faudra bien qu'un ministre ait le courage de mettre les partenaires autour d'une table." Depuis les lois Faure, de 1968, et Savary, de 1984, le mode de gestion des universités n'a pas évolué. Leurs conseils d'administration fonctionnent à la façon "d'un comité d'entreprise", considère le vice-président de la CPU. De fait, les stratégies définies par les conseils d'administration apparaissent souvent comme la somme des décisions de groupes de pression représentant les différentes disciplines et les différents syndicats. "Il faut que les conseils s'ouvrent à la société civile et admettent 50 % de personnalités extérieures", notamment des chefs d'entreprise, estime M. Vallée.

Le sujet est politiquement sensible. Luc Ferry, alors ministre de l'éducation nationale, avait dû renoncer, en novembre 2003, à son projet visant à renforcer l'autonomie des universités. Les représentants de la CPU estiment une telle réforme possible pendant "l'état de grâce" qui suit traditionnellement les élections présidentielles. "Je réclame que le prochain gouvernement soit visionnaire sur l'université. S'il ne fait pas cette réforme, personne ne la fera", martèle Yannick Vallée. Autre problème rencontré par les universités : leur financement. "Il manque de l'ordre de 3 milliards d'euros par an", estime la CPU.

Par ailleurs, M. Vallée a qualifié de "bon premier pas" la proposition de François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur, de mettre en place une préinscription des lycéens à l'université dès le mois de février afin de permettre "une orientation positive".
Comme par hasard, la "société civile" est réduite par la CPE aux entreprises. Le risque de cette prétendue ouverture des universités (ha le bon vieux cliché de la "tour d'ivoire", qui sous-tend tout cela !) s'orienter vers un système à l'anglo-saxonne qui, sans moyens attribués à la recherche par l'Etat, se mettra comme il l'a fait en Angleterre, au seul service des entreprises. Du coup, effondrement des recherches non finalisées ou ne trouvant pas d'application à très court terme. Et disparition annoncée des SHS, n'en doutons pas, à part quelques filières croupions. On n'est pas prêts de régler grâce aux sciences les grands problèmes qui se posent à nos sociétés, du changement climatique aux flux migratoires, de la circulation des connaissances au rapport à l'autre, etc.

De la barbarie économique...

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drÖne
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LLB
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Message par LLB »

Au fond le discours de Pestre historien des sciences, apparaît comme une tentative plus ou moins avouée d'anticiper toutes ces "évolutions" supposées toujours naturelles, on ne sait trop pourquoi.
J'ai été très impressionnée en lisant un ouvrage de Claude Lefort "un homme en trop" en hommage à Solyenitsine : il critique le fait que Koestler et Merleau Ponty ont commenté a posteriori les grands procès staliniens en raisonnant comme si les procureurs et les membres du parti avaient une vision claire du déroulement des choses et de la signification des évènements. Lefort relève que nos auteurs font comme si le Parti, les procès, étaient presque "nécessaires", fatals, alors que pour Lefort, le sens de ce qui se passait ne pouvait être que construit au moment où ça advenait, il n'existe aucun point de vue surplombant d'où on pourrait dire : les choses évoluent dans ce sens parce qu'il y a un caractère de nécessité historique à cette évolution.
Autrement dit : tous ces discours où on lit que les choses doivent changer parce les cadres qui les organisent "datent" font comme si le locuteur était déjà dans le futur d'où il pouvait juger du sens de ce qui se passe voire décréter que certaines choses sont déjà "finies".
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drÖne
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Message par drÖne »

Oui, on reste dans le cadre idéologique du libéralisme : partir du principe qu'on ne peut plus changer le monde car il est parfait tant que l'économie le dirige. Qu'il s'agisse de la politique des Etats ou de la "gouvernance" des université, c'est la même chose : toute résistance est vouée à l'échec, toute pensée se noie dans la lâcheté intellectuelle, dans le constat que ce qui est est, et sera, dans le status quo de la fuite en avant moderniste et libérale.

La position "naïvement" descriptive de l'histoire des régimes de sciences telle que la défend Pestre nous renvoie aux apories de Weber disant que le politique ne devait pas pénétrer sur les campus : principe positiviste à la rigueur tenable tant qu'ils s'agit de sciences de la nature, et encore, mais absurde dans le contexte des sciences humaines et sociales. C'est pour ça que je lis l'Ecole de Francfort en ce moment : pour leur clairvoyance en ce qui concerne l'inséparabilité du théorique et du pratique.

Mais que veux tu : un président d'université est-il encore un chercheur, un intellectuel, ou un vulgaire administrateur, simple relai de la doxa économique ?

il ne se passera rien de bon dans le domaine du savoir sans une révolution radicale, extérieure à l'université, qui éliminerait tous les ventres mous qui interdisent tout changement dans les rapports de force. En gros, je ne crois plus à la possibilité d'une évolution positive et pacifique à l'intérieur du champ de la Raison, et certainement pas à la manière d'Habermas, par une réconciliation de la Raison avec elle même via une éthique de la communication. D'où mon désir de quitter mon métier et l'Europe, car il me faut bien reconnaître que je n'ai pas non plus envie de me battre physiquement ou militairement pour des idées, ce qui serait certainement, dans l'état actuel des choses, la seule possibilité de faire changer les rapports de force.

'fin, bref, comme tu vois, j'ai un moral d'enfer.

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Message par LLB »

Il y a beaucoup de gens qui n'adhèrent en rien à tout le paquet libéralisme-gouvenance-convergence-modernisation-hybridation, et on sait bien qu'il y a un grouffre réel entre les modes classiques d'expression de la parole publique et l'opinion publique, et même la non-opinion publique car au fond, si je prends mon cas, je ne fonctionne pas sur des opinions, je n'en ai pas beaucoup, sauf en réaction à ce sur quoi on est sommé d'avoir une opinion. Comment faire en sorte que ce soit une énorme passivité qui puisse faire cesse l'horreur activiste des libéraux...Oui je sais, le problème n'est plus de faire, je sais....
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Message par drÖne »

Tout ce que je sais, c'est que je n'ai pas envie de passer les prochaines années à trouver une réponse à ce problème, mais à vivre intelligemment. Car pour l'instant, si j'ai une certitude, c'esr que l'université n'est plus le lieu de l'intelligence. L'a-t-elle jamais été au fait ? J'y crois de moins en moins. Ca a toujours été le lieu de la lâcheté et des compromissions : c'est même un thème de la littérature et du cinéma (rappelle-toi Stalker de Tarkowski), c'est dire...

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Message par juko »

quel est le rapport avec Stalker?
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Message par drÖne »

juko a écrit :quel est le rapport avec Stalker?
Ben chacun des "héros" embarqués vers la zone est en quête de la pureté et de la cohérence qu'il a perdu dans sa vie sociale : l'écrivain, l'universitaire et je ne sais plus qui d'autre sont chacun en situation d'échec intellectuel et artistique faute de courage. C'est ça qui les pousse à aller dans la "zone". Mais c'est uniquement un sacrifice qui leur permettra de retrouver la pureté. Entre autre, le sacrifice de la rationalité... Il faut qu'ils croient intimement qu'en suivant des boulons attachés à des rubans et lancés en l'air par un simple d'esprit, et qu'en traversant une piscine vide, ils sauveront le monde. Tout le cinéma de Tarkovski, ou presque, tourne autour du thème du sacrifice. Il avait compris quelque chose d'important, là, je trouve.

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