Pour sauver la planète, il faut sortir du capitalisme

Ici, on discute des sciences de la nature, mais aussi des sciences humaines et sociales.

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drÖne
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Pour sauver la planète, il faut sortir du capitalisme

Message par drÖne »

Trouvé sur Rue 89, ce compte rendu de deux bouquins. A priori, ça colle bien avec ce que je pense et avec ce que je peux dire après mes 6 mois en Argentine. L'écologie des "petits gestes" individuels n'est pas suffisante pour penser un nouveau (et plus respectueux) rapport à la nature, même s'il ne s'agit pas de condamner les petits gestes.

http://www.rue89.com/american-ecolo/200 ... fisent-pas
Deux ouvrages, aux Etats-Unis et en France, montrent les limites des efforts individuels, et prônent une rupture avec le capitalisme.

Sortir du capitalisme pour sauver la planète, c’est dans l’air des deux côtés de l’Atlantique. Mais là où les Américains prennent des précautions de sioux pour ne pas être accusés de communisme, les Français n’ont pas ces pudeurs: ils osent volontiers les mots "utopie", "coopérative" et autres "rapports de classe".

Deux auteurs, l’un français, l’autre états-unien, représentent ce courant qui a pris une ampleur inattendue avec l’emballement de la crise actuelle. Tous deux théorisent les fondations du nouveau monde nécessaire, qui ferait presque totalement table rase de l’actuel. Encore que l’Américain soit un peu moins radical, question de contexte historique sans doute.

Couverture de 'The Bridge at The Edge of the World'James Gustav Speth, doyen à l’université Yale de la School of Forestry and Environmental Studies, a publié en 2008 "The Bridge at The Edge of The World: capitalism, the environment, and crossing from crisis to sustainability". Traduction approximative: "Le Pont du bout du monde: le capitalisme, l’environnement, et le passage de la crise vers la durabilité."

Gus Speth y pose notamment la question suivante:

"Comment expliquer ce paradoxe? La communauté de ceux qui se soucient de l’environnement -à laquelle j’ai appartenu toute ma vie- ne cesse de grandir, de se sophistiquer et d’accroître son influence, elle lève des fonds considérables, et pourtant, les choses vont de pire en pire."

"Pour sauver la planète, il faut sortir du capitalisme"

Hervé Kempf, dont j’ai déjà évoqué l’ouvrage "Comment les riches détruisent la planète" (2007), publie cette semaine une suite à ce premier opus déjà traduit en quatre langues "Pour sauver la planète, sortez du capitalisme".

Kempf y reprend des éléments de sa démonstration initiale, et expose sa méthode, analogue à celle de son confrère américain, mais en tournant moins autour du pot:

"Pour sauver la planète, il faut sortir du capitalisme, en reconstruisant une société où l’économie n’est pas reine mais outil, où la coopération l’emporte sur la compétition, où le bien commun prévaut sur le profit."

Dit comme ça, c’est presque bateau, mais le livre de Kempf, court et facile à lire, est un concentré d’efficacité démonstrative. Il n’assomme pas le lecteur avec le détail de la catastrophe écologique mondiale en cours, celle-ci étant censée lui être déjà plus ou moins connue. Kempf rappelle les origines de la dérive qui nous a entraînés dans ce pétrin:

"Dans 'Comment les riches détruisent la planète', j’ai décrit la crise écologique et montré son articulation avec la situation sociale actuelle, marquée par une extrême inégalité. (…) J’ai résumé l’analyse du grand économiste Thorstein Veblen. Pour celui-ci, l’économie des sociétés humaines est dominée par un ressort, ‘la tendance à rivaliser -à se comparer à autrui pour le rabaisser’.

Le but essentiel de la richesse n’est pas de répondre à un besoin matériel, mais d’assurer une ‘distinction provocante’, autrement dit d’exhiber les signes d’un statut supérieur à celui de ses congénères. (…) Cela nourrit une consommation ostentatoire et un gaspillage généralisé."

A l'origine de la catastrophe écologique, des dérives individualistes

Dans ce nouveau livre, Kempf laisse un peu tomber les super riches -il leur a déjà réglé leur compte- pour nous enfoncer, nous, gens ordinaires souvent plein de bonne volonté, le nez dans notre caca. En gros, au cours de trente dernières années, le capitalisme a exacerbé l’idéologie individualiste au plus haut point, "en valorisant à l’extrême l’enrichissement et la réussite individuelle au détriment du bien commun".

Kempf déniche les dérives individualistes du capitalisme là où on n’aurait pas forcément pensé à les y voir, ni surtout à les lier aux dégâts écologiques: dans le délitement des liens familiaux, la pornographie, le trafic d’êtres humains, le remplacement du politique et de l’action collective par la psychologie à toutes les sauces…

"Car pour la personne à qui l’on répète sans arrêt que sa vie ne dépend que d’elle et que les liens sociaux sont d’importance secondaire, la satisfaction se trouve d’abord dans la satisfaction matérielle: elle est source de plaisir -un plaisir qu’on ne trouve plus dans l’interaction et le partage avec les autres."

Gus Speth est sur la même longueur d’onde qu’Hervé Kempf, mais il le dit à sa manière, politiquement correcte, soucieuse de ne pas froisser la sensibilité des gens qui s’impliquent avec cœur, dans son pays, pour faire évoluer les politiques publiques et leur propre vie.

Gus Speth balaie les conclusions naïves d'Al Gore

Il leur démontre gentiment que la technologie, la science, le progrès technique, dont les Etats-Unis sont si fiers d’être souvent leaders, ne suffiront pas à restaurer l’état de la planète, ni à assurer à l’humanité le train de vie dont les pays riches se prévalent.

En gros, il balaie l’assurance donnée par Al Gore à ses concitoyens dans son film "Une vérité qui dérange". L’ex-vice-président explique, dans qu’avec un peu de bonne volonté individuelle et beaucoup de technologies nouvelles, on peut inverser le cours de choses. Speth estime que cette approche est dépassée:

"La situation requiert des changements plus profonds et plus systémiques que l’approche environnementale en vigueur aujourd’hui. On doit complètement changer le système."

Couverture de 'Pour sauver la planète, sortez du capitalisme'Hervé Kempf ménage encore moins ses lecteurs. Pour lui, les fameuses technologies vertes dont on nous rebat les oreilles, nous promettant grâce à elles le retour de la croissance (verte, la croissance!), sont plus dangereuses qu’utiles à la bonne santé de la planète.

Non pas intrinsèquement (c’est toujours mieux de produire de l’électricité avec du vent qu’avec du charbon), mais parce que pour Areva, Suez, EDF, Endesa, E.ON, Enel, etc., il n’y a aucun changement de modèle énergétique en jeu, seulement une opportunité à saisir dans la compétition en cours entre grands producteurs. Le mot d’ordre reste: produire".

Les conseils écolos se situent toujours du point de vue de l'individu

Kempf massacre la "bien-pensance écologique, nichée dans les détails", qui a contaminé les plus fervents écolos:

"Tous les guides expliquant comment vivre en ‘vert’ se situent du point de vue de l’individu, jamais du collectif. (…) ‘Je me préserve des grosses chaleurs’, ‘je réutilise mes objets’, ‘je refuse les traitements chimiques’, ‘je démarre en douceur’, etc…

Etre consom’acteur, chez Nature et Découvertes, invite à ‘consommer engagé’, puisque ‘consommer = voter’, et range les actions entre ‘ma cuisine’, ‘ma trousse de toilette’, ‘mon garage’, ‘mon atelier’… EDF, dans son guide ‘E = moins de CO2’, range l’univers entre ‘ma planète’ et ‘ma maison’. (…)

Dans le paradis capitaliste, il suffit que nous fassions ‘les bons gestes pour la planète’, et ‘les politiques et les industriels suivront’."

Gloups. A quoi ça sert de faire des efforts si on est tellement ridicule? Kempf et Speth sont en accord sur ce point: seule l’action collective, massive, stratégiquement concertée, a des chances d’inverser la tendance.

"Je ne suis pas en train de vous dire: 'Arrêter de recycler'", écrit Gus Speth, "mais je dis: 'Bâtissez un mouvement collectif', et 'confrontez la consommation avec une nouvelle éthique d’autosuffisance'."

Un mouvement de fond en cours aux Etats-Unis

Kempf est encore plus offensif:

"Chacun, chaque groupe, pourrait dans son coin réaliser son bout d’utopie. Il se ferait sans doute plaisir, mais cela ne changerait pas grand-chose au système, puisque sa force découle du fait que les agents adoptent un comportement individualiste. (…)

L’enjeu n’est pas de lancer des alternatives. Il est de marginaliser le principe de maximisation du profit en plaçant la logique coopérative au cœur du système économique."

J’ai choisi d’insister davantage sur le livre d’Hervé Kempf pour trois raisons: il sort le 8 janvier en librairie; il contient de nombreux exemples français et européens plus parlants pour le lecteur que ceux pris dans le contexte culturel américain; enfin, il aborde de front la question des inégalités sociales, dans un langage plus brusque qui me convient mieux. C’est purement personnel.

En revanche, l’approche de Gus Speth est d’autant plus remarquable qu’elle accompagne un mouvement de fond en cours aux Etats-Unis. Quelque chose qui s’apparente aux expériences alternatives écolos de certaines communautés des années 70, sauf qu’aujourd’hui, leurs acteurs n’ont pas la prétention de vivre en marge du système. Ils vivent dedans, autrement, avec moins, volontairement beaucoup moins.

Je reviendrai bientôt sur ce sujet des "volontaires de la simplicité", qui commence à passionner la presse nationale. En attendant, on peut lire ce reportage paru dans le numéro de janvier de O, le magazine d’Oprah Winfray.

► Pour sauver la planète, sortez du capitalisme d'Hervé Kempf - éd. du Seuil - 14€.
► The Bridge at The Edge of the World de James Gustave Speth - Yale University Press - 320p., env. 28$.
drÖne
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kickblaster
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Message par kickblaster »

Très bien tout ça Dröne, peut-on mettre le mouvement des décroissants ( ou objecteurs de croissance ) en paralllèle ? Ils pronent le partage, l'altruisme, la modération ne mettent pas la technologie avant toutes choses mais d'abord l'être humain etc .
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drÖne
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Message par drÖne »

Je n'ai pas lu ces deux bouquins, mais il n'est pas impossible qu'ils soient dans la ligne de la décroissance. Reste que la décroissance, en tant que "théorie" (je sais pas comment qualifier ça) ne se développe que dans les pays du nord. Ici, en Argentine, ça n'est absolument pas à l'ordre du jour, car pour le 1/3 monde, la croissance économique apparaît comme une nécessité. Et ça, c'est pas évident d'en discuter. Ensuite, la croissance est aussi pensée en termes de croissance démographique : ici aussi, elle est plutôt vue positivement, car il apparaît naturel (et ça l'est !) aux gens qui vivent ensemble d'avoir des enfants. Du coup, ça complexifie ce qu'on doit penser autour de la décroissance qui ne peut pas se résoudre à une nouvelle donné économique centrée sur les pays riches : il faut aussi intégrer les perspectives démographiques et de développement urbain des pays pauvres. Je ne sais pas si les décroissantistes ont un avis là dessus.
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Message par juko »

est-ce qu'il y a des décroissantistes qui refusent le beurre?
pardon...
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Message par kickblaster »

Clair que les pays tiers_mondistes, émergeants que sais-je, en ont un p'tit peu rien à branler de la décroissance.
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oliv
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Message par oliv »

La decroissance, d'apres moi, c'est exactement ca, c'est partager les richesses du Nord avec les pays du Sud, donc, decroissance au Nord et croissance au Sud ne me paraissent pas incompatibles, mais au contraire complementaires...et,Juko, ici, ils ne mangent pas de beurre (euh, moi, si), mais de l'huile de palme, donc, pas de prob, tu peux continuer a manger...
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drÖne
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Message par drÖne »

oliv a écrit :La decroissance, d'apres moi, c'est exactement ca, c'est partager les richesses du Nord avec les pays du Sud, donc, decroissance au Nord et croissance au Sud ne me paraissent pas incompatibles, mais au contraire complementaires...
Le problème, c'est que quand les pays du sud font dans la croissance, le résultat est souvent pire que quand nous on fait dans la croissance : capitalisme sauvage, esclavage dans l'industrie, pollution importante, urbanisation anarchique, surpopulation, analphabétisation. Leur manière d'envisager la croissance, en tout cas en Argentine, ressemble fort au capitalisme industriel européen du XIXème siècle. En réalité, on ne partage rien avec le sud : les riches exploiteurs du sud, la plupart du temps sous l'impulsion de banques ou d'entreprises du nord, se servent simplement dans leurs réserves de ressources et d'esclaves en les faisant fructifier à notre profit, les pays riches du nord. C'est ça qui nous permet de faire comme si on partageait. Mais en réalité, on n'a jamais rien partagé avec le sud : on leur a simplement imposé nos modèles. Je ne sais pas comment les pays du sud pourront se libérer de l'emprise du suicide écologique, social et économique des pays du nord. Peut-être que tout ira mieux quand les blancs auront disparu : cf. ce que rapporte souvent LLB à propos d'un livre de Pierre Clastre (qu'il faut absolument que je lise), où des indiens nord américain disent justement que l'homme blanc pue la mort et que la prairie ne reverdira que quand les blancs auront commis leur suicide.
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