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Amérique latine : les Tartuffe de l’Union européenne

Posté : 24 mai 2010, 22:49
par drÖne
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Amérique latine : les Tartuffe de l’Union européenne

Les 17 et 18 mai s’est tenu à Madrid le Sommet Union européenne–Amérique latine et Caraïbes, en l’absence des présidents Raúl Castro (Cuba), Hugo Chávez (Venezuela), Daniel Ortega (Nicaragua), ainsi que des chefs de gouvernement Angela Merkel (Allemagne), Silvio Berlusconi (Italie) et David Cameron (Royaume-Uni).

Au terme de cette rencontre a été émise une « Déclaration de Madrid » dans laquelle, parmi les poncifs et dans le style inimitable inhérents à ce genre d’exercice, figure, au paragraphe 5 : « Nous confirmons notre attachement à la Déclaration universelle des droits de l’homme (…) ainsi qu’à la promotion et à la protection des droits de l’homme universels, et soulignons notre volonté de coopérer à la réalisation de l’objectif commun consistant à atteindre les normes les plus élevées en matière de droits de l’homme. » Le paragraphe 6 précise : « Nous réaffirmons que nous sommes déterminés à lutter contre l’impunité, en particulier des crimes internationaux les plus graves, notamment ceux visés dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Leur poursuite devrait être assurée par l’adoption de mesures au niveau national ou au niveau approprié, ainsi que par un renforcement de la coopération internationale. »

C’est sans doute inspiré par ces nobles pensées que le président de la Commission européenne, M. José Manuel Durao Barroso, a signé le 19 mai, avec M. Álvaro Uribe, un traité de libre-commerce Union européenne–Colombie. Au même moment, le secrétaire général de la présidence de ce pays, M. Bernardo Moreno – un très proche du chef de l’Etat – était appelé à comparaître devant la justice pour son implication dans le scandale des écoutes illégales perpétrées par la police politique (le Département administratif de sécurité, DAS) à l’encontre de magistrats, de journalistes et d’opposants. Au même moment encore, le Bureau pour les droits de l’homme et le déplacement en Colombie (Codhes), par la voix de M. Marcos Romero, faisait savoir : « Nous dépassons déjà le niveau des disparitions en Argentine, qui a été de près de trente mille personnes ; il peut aller au-delà de cent mille dans les dernières décennies du conflit colombien » – dont, précise l’organisation Médecine légale, « 38 255 personnes au cours des trois dernières années (1) ».

Pour sa part, la Confédération syndicale internationale (CSI) dénonçait, en ce mémorable 19 mai : « En 2008, quarante-neuf syndicalistes ont été assassinés [en Colombie], ce qui représente une augmentation de 25 % par rapport à 2007. En 2009, quarante-huit l’ont été. Et cette année [à la mi-mai], vingt-cinq. »

Pour la petite histoire, on rappellera que les douze membres de l’Union des Nations sud-américaines (Unasur), à l’exception de la Colombie et du Pérou, avaient menacé de ne pas participer au Sommet si le Honduras y était invité. Emmenés par l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, l’Equateur et le Venezuela, ils ne reconnaissent pas la légitimité du président Porfirio Lobo, élu au terme d’une rupture de l’ordre constitutionnel qui s’est soldée, le 18 juin 2009, par le renversement de M. Manuel Zelaya.

De retour d’une mission au Honduras, une délégation de la Commission interaméricaine des droits de l’homme s’est déclarée « préoccupée » : elle a identifié « une série d’assassinats, en particulier de beaucoup de journalistes [sept pour être précis] qui ne donnent pas lieu à une enquête appropriée (2) ». On estime à cent cinquante les exécutions extra-judiciaires perpétrées depuis le coup d’Etat par des paramilitaires et des membres de la police ou de l’armée.

Pour désamorcer la menace de boycott pesant sur le sommet de Madrid, M. Lobo a renoncé à y participer. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas fait le voyage. Après s’être réuni en audience privée avec le roi d’Espagne Juan Carlos, le président du Conseil espagnol José Luis Rodríguez Zapatero et plusieurs entrepreneurs ibériques, il a participé à la rencontre parallèle qui, le 19 mai – décidément un grand jour –, s’est conclue par la signature d’un accord d’association comprenant un large volet commercial de libre-échange entre l’UE et l’Amérique centrale – dont, faut-il le préciser, le Honduras (3).
Maurice Lemoine

(1) TeleSur, Caracas, 12 mai 2010.

(2) BBC Mundo, Londres, 21 mai 2010.

(3) Et le Nicaragua, pourtant membre de l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), censée proposer une alternative… au libre-échange.