Léviathan (pêcheurs, assassins ! Le premier film tourné du point de vue des poissons)

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Léviathan (pêcheurs, assassins ! Le premier film tourné du point de vue des poissons)

Message par drÖne »

Documentaire de Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel, 2012, France/UK/US, 87 min

Allez voir "Léviathan", vous en sortirez nauséeux. Physiquement nauséeux... C'est un véritable ovni cinématographique, glauquissime et... poissonneux. Littéralement, ce film documentaire qui expose le quotidien d'un chalutier de pêche industrielle semble avoir été tourné du point de vue des poissons : la caméra flotte, ventre à l'air, ou plonge au cœur des vagues, fuyant les goélands. Ou encore elle se fait simple membre des immenses bancs de merlus pourchassés par les chaluts, découpée par les couteaux des poissonniers du bord, harponnée par les crocs des pêcheurs qui découpent des raies à la machette.

Le film résulte d'un refus d'adopter un point de vue humain, voire d'une absence totale d'incarnation de l'idée même de "point de vue", puisque presque aucune des prises de vues n'a été cadrée par des humains. Toutes les images ont été obtenues automatiquement par une caméra fixée sur des haubans, des mats, des tiges, puis laissée à son triste sort, balancée par les vents furieux, plongée dans des flots des vagues folles en suivant le roulis du navire.

Les visions n'en sont que plus démoniaques, dantesques, horrifiques, fantastiquement belles et sidérantes : c'est plus pictoraliste que cinématographique, mais d'un pictorialisme sanguinaire et crade de film d'épouvante, paradoxalement chargé de dénoncer le Mal : l’industrieuse propension des humains à massacrer le vivant, à exploiter la nature, en l'occurrence ici nos amis les... hum... les poissons. Dénoncer le Mal, ou énoncer le Mal : on ne sait plus trop en fin de compte, tant ce film est inhumain, ou plutôt an-humain. Anti-humain ? Réalisé pourtant par des ethnologues, il n'a que faire des travailleurs de la mer. C'est un peu là que le bat blesse : ces travailleurs, pêcheurs pris dans la nasse du capitalisme, dépeints comme de simples rouages d'une machinerie industrielle qui les broie, auraient gagné à être écoutés, vus, et à signifier autrement que par analogie avec la chair triste et morbide des poissons pris et broyés dans les filets des chaluts. Le film recrée alors paradoxalement l'inhumanité qu'il dénonce, mécanise la mécanique, déshumanise le peu d'humanité qu'il aurait pu capter, et se trouve de manière très ambiguë en phase avec l'idéologie du Mal qu'il était supposé combattre.

Cette limite n'en fait pas moins un incroyable spectacle, qui nous force à réfléchir sur nos destins de prédateurs assassins inscrits dans l'industrie de la pêche. Allez-y avec le coeur bien accroché, ou alors avec un sac vomitif : vous voilà prévenus... La bande son, toute en bruitisme indus, concourt grandement à l'ambiance hypnotique du film : aucun commentaire ne viendra troubler l'horreur de ce cinéma de l'atrocité du réel.

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drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
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