Victor Hugo, toujours d'actualité

Discussions sur les enjeux politiques et socio-culturels des musiques populaires ou savantes.

Modérateur : drÖne

Répondre
Avatar du membre
drÖne
Présidictateur
Messages : 7766
Enregistré le : 05 oct. 2002, 22:35
Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
Contact :

Victor Hugo, toujours d'actualité

Message par drÖne »

Trouvé sur le site des intermittents, ce discours de Victor Hugo à l'Assemblée :

Des lettres, des arts et des sciences
Intervention de Victor Hugo à l’Assemblée Nationale en 1848

Personne plus que moi, messieurs, n’est pénétré de la nécessité, de l’urgente nécessité d’alléger le budget ; seulement à mon avis, le remède de l’embarras de nos finances n’est pas dans quelques économies chétives et détestables ; ce remède serait, selon moi, plus haut et ailleurs ; il serait dans une politique intelligente et rassurante, qui donnerait confiance à la France, qui ferait renaître l’ordre, le travail et le crédit et qui permettrait de diminuer, de supprimer même les énormes dépenses spéciales qui résultent des embarras de la situation. C’est là, messieurs, la véritable surcharge du budget, surcharge qui, si elle se prolongeait et s’aggravait encore, et si vous n’y preniez garde, pourrait, dans un temps donné, faire crouler l’édifice social. J’ai déjà voté et continuerai de voter la plupart des réductions proposées, à l’exception de celles qui me paraîtraient tarir les sources même de la vie publique et de celles qui, à côté d’une amélioration financière douteuse, me présenteraient une faute politique certaine.

C’est dans cette dernière catégorie que je range les réductions proposées par le comité des finances sur ce que j’appellerai le budget spécial des lettres, des sciences et des arts. Je dis, messieurs, que les réductions proposées sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts, sont mauvaises doublement. Elles sont insignifiantes au point de vue financier et nuisibles à tous les autres points de vue. Insignifiantes au point de vue financier, cela est d’une telle évidence, que c’est à peine si j’ose mettre sous les yeux de l’assemblée le résultat d’un calcul de proportion que j’ai fait. Je ne voudrais pas éveiller le rire de l’assemblée dans une question sérieuse ; cependant, il m’est impossible de ne pas lui soumettre une comparaison bien triviale, bien vulgaire, mais qui ale mérite d’éclairer la question et de la rendre pour ainsi dire visible et palpable.

Que penseriez-vous, messieurs, d’un particulier qui aurait ‘500 francs de revenus, qui consacrerait tous les ans à sa culture intellectuelle, pour les sciences, les lettres et les arts, une somme bien modeste : 5 francs, et qui, dans un jour de réforme, voudrait économiser sur son intelligence six sous ? Voilà, messieurs, la mesure exacte de l’économie proposée. Eh bien ! ce que vous ne conseilleriez pas à un particulier, au dernier des habitants d’un pays civilisé, on ose le conseiller à la France.

Je viens de vous montrer à quel point l’économie serait petite ; je vais vous montrer maintenant combien le ravage serait grand. Ce système d’économies ébranle d’un seul coup tout net cet ensemble d’institutions civilisatrices qui est, pour ainsi dire, la base du développement de la pensée française.

Et quel moment choisit-on ? C’est ici, à mon sens, la faute politique grave que je vous signalais en commençant : quel moment choisit-on pour mettre en question toutes les institutions à la fois ? le moment où elles sont plus nécessaires que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir.

Eh ! quel est, en effet, j’en appelle à vos consciences, j’en appelle à vos sentiments à tous, quel est le grand péril de la situation actuelle ? L’ignorance.

L’ignorance encore plus que la misère.
L’ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts.

C’est à la faveur de l’ignorance que certaines doctrines fatales passent de l’esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau des multitudes. Et c’est dans un pareil moment, devant un pareil danger, qu’on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de poursuivre, de combattre, de détruire l’ignorance ! sur ce point j’en appelle, et je le répète, aux sentiments de l’assemblée.

Quoi ! d’un côté la barbarie dans la rue, et de l’autre, le vandalisme dans le gouvernement ! Messieurs, il n’y a pas que la prudence matérielle au monde, il y a autre chose que ce que j’appellerai la prudence brutale. Les précautions grossières, les moyens de police ne sont pas, Dieu merci, le dernier mot des sociétés civilisées.

On pourvoit à l’éclairage des villes, on allume tous les soirs, et on fait très bien, des réverbères dans les carrefours, dans les places publiques ; quand donc comprendra-t-on que la nuit peut se faire aussi dans le monde moral et qu’il faut allumer des flambeaux dans les esprits ?

Oui, messieurs, j’y insiste. Un mal moral, un mal moral profond nous travaille et nous tourmente. Ce mal moral, cela est étrange à dire, n’est autre chose que l’excès des tendances matérielles. Et bien, comment combattre le développement des tendances matérielles ? par le développement des tendances intellectuelles ; il faut ôter au corps et donner à l’âme.

Quand je dis : il faut ôter au corps et donner à l’âme, Vous ne vous méprenez pas sur mon sentiment. Vous me comprenez tous ; je souhaite passionnément, comme chacun de vous, l’amélioration du sort matériel des classes souffrantes ; c’est là selon moi, le grand, l’excellent progrès auquel nous devons tous tendre de tous nos voeux comme homme et de tous nos efforts comme législateurs. Eh bien la grande erreur de notre temps, ça a été de pencher, je dis plus, de courber l’esprit des hommes vers la recherche du bien être intellectuel.

Il importe, messieurs, de remédier au mal ; il faut redresser pour ainsi dire l’esprit de l’homme ; il faut, et c’est la grande mission, la mission spéciale du ministère de l’instruction publique, il faut relever l’esprit de l’homme, le tourner vers la conscience, vers le beau, le juste et le vrai, le désintéressé et le grand. C’est là, et seulement là, que vous trouverez la paix de l’homme avec lui-même et par conséquent la paix de l’homme avec la société.

Pour arriver à ce but, messieurs, que faudrait-il faire ? il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies. Il faudrait multiplier les maisons d’études pour les enfants, les maisons de lecture pour les hommes, tous les établissements, tous les asiles où l’on médite, ou l’on s’instruit, ou l’on se recueille, ou l’on apprend quelque chose, ou l’on devient meilleur ; en un mot, il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd. Ce résultat, vous l’aurez quand vous voudrez. Quand vous le voudrez, vous aurez en France un magnifique mouvement intellectuel ; ce mouvement vous l’avez déjà ; il ne s’agit pas de l’utiliser et de le diriger ; il ne s’agit que de bien cultiver le sol.

L’époque où vous êtes est une époque riche et féconde ; ce ne sont pas les intelligences qui manquent, ce ne sont pas les talents, ce ne sont pas les grandes aptitudes ; ce qui manque, c’est l’impulsion sympathique, c’est l’encouragement enthousiaste d’un grand gouvernement.

Je voterai contre toutes les réductions que je viens de vous signaler et qui amoindriraient l’éclat utile des lettres, des arts et des sciences.

Je ne dirai plus qu’un mot aux honorables auteurs du rapport. Vous êtes tombés dans une méprise regrettable ; vous avez cru faire une économie d’argent, c’est une économie de gloire que vous faites. Je la repousse pour la dignité de la France, et je la repousse pour l’honneur de la République.
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
Avatar du membre
qweestion_taag
djeunz of ze room
Messages : 29
Enregistré le : 11 oct. 2002, 23:16
Localisation : Paris
Contact :

Basquiat

Message par qweestion_taag »

Hmm Hmm... :|
J'ai eu un texte à contracter sur le même sujet. Il était de JM Basquiat il me semble. Il parlait de l'intervention de l'Etat dans la culture artistique.
J'ai cru comprendre qu'il défendait la thèse que l'art pouvait exister sans aide pécuniaire, et que de toute manière, l'argent n'achetait pas le talent, l'originalité et l'imagination.
Faudrait que je le retrouve ce passage, c'était assez intéressant (et passionné dans l'écriture).

?Qwees?
Qwees & Acouphenes
Avatar du membre
drÖne
Présidictateur
Messages : 7766
Enregistré le : 05 oct. 2002, 22:35
Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
Contact :

Message par drÖne »

C'est facile à dire pour Basquiat qui a bien profité de la notoriété de son illustre parrain (Warhol) et du soutient institutions muséales ainsi que du marché de l'art. En même temps, je ne pense pas que Hugo, ni quiconque d'un peu sensé, puisse promouvoir l'idée d'un art fonctionnarisé. Mais entre deux positions extrèmes, l'une consistant à livrer l'art et la culture (ce qui n'est pas la même chose) uniquement au marché et l'autre consistant à imaginer des artistes fonctionnaires au service de l'Etat, il y a une marge de manoeuvre. C'est cette marge de manoeuvre qui justifiait, il me semble, le terme d'exception culturelle française. C'est cette marge de manoeuvre, cet entre deux fragile mais raisonnable, que le Medef a décidé de supprimer, de son propre chef, par pure idéologie. Par haine, tout simplement, de ce qui ne relève pas de la sacro-sainte idéologie de la compétitivité et du libre échange : pour ces gens-là, tout ce qui ne rentre pas dans les moules idéologiques de l'économisme, cette non-science, cet abandon de la pensée, ce nouveau totalitarisme, doit être détruit. Le truc, c'est qu'en face, y'a des gens prêts à se battre. Tant mieux !
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
Avatar du membre
bituur esztreym
commando coin coin
Messages : 355
Enregistré le : 20 janv. 2003, 17:47
Localisation : Bordeaux
Contact :

Message par bituur esztreym »

D'autant que, pour ce qui est de l'argument de la compétitivité, y aurait beaucoup à dire,
c'est bien exprimé là notamment : http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=892 : "pour dégonfler la baudruche de la compétitivité" : juste un paragraphe ci-dessous pour mettre en bouche :
Or, la recherche de la compétitivité par baisse des salaires déprime la demande. Et cet effet est démultiplié quand tous les pays d'une zone économique intégrée, comme l'Europe, mènent de manière coordonnée ce type de politique.

Le meilleur exemple - il s'agit plutôt d'un contre-exemple - de cette assertion est la période d'« embellie » 1997-2000, avec 10 millions d' emplois créés dans l'Union européenne. Ces créations d'emplois (qui rompaient avec une longue période de stagnation de l'emploi et de montée du chômage) ne sont pas le résultat d'une compétitivité accrue mais au contraire d'un certain relâchement des préceptes néo-libéraux.

Certes, il y a eu des gains de compétitivité mais qui résultaient exclusivement du renchérissement du dollar par rapport aux monnaies européennes. Jusque là, tout se passait au contraire comme si le blocage salarial devait compenser des politiques de surévaluation monétaire peu favorable à la compétitivité mais très efficace en tant que discipline salariale.

En réalité, la reprise a été soutenue par une progression enfin à peu près parallèle des salaires et du PIB. Les créations d 'emplois ont entretenu ce dynamisme, et résorbé au passage une bonne partie du déficit de la Sécu et du budget (ce qu'on a appelé « effet-cagnotte »). Cet enchaînement vertueux a été également sous-tendu par la réduction du temps de travail en France, où l'on a enregistré le chiffre record de deux millions d'emplois créés en 4 ou 5 ans.

Les politiques néolibérales, de plus en plus étroitement coordonnées au niveau européen, ont conduit à un retournement de conjoncture et à un nouveau blocage salarial de fait. La quête sans fin de la compétitivité sécrète les récessions périodiques car les salaires bloqués des uns sont les carnets de commande des autres. Tout le monde est compétitif mais ... en récession.

Enfin, la recherche effrénée d'une compétitivité fondée sur les bas salaires est une illusion : sur ce terrain, effectivement, on ne concurrencera jamais les pays à bas salaires. En revanche une telle orientation est contradictoire avec une compétitivité fondée sur d' autres facteurs que le prix, à savoir la qualification du travail, la qualité, et l'incorporation des nouvelles technologies. Il faut choisir entre le discours sur l'économie de la connaissance et celui de la compétitivité.

On ne doit surtout pas se laisser impressionner par l'invocation de prétendues lois de l'économie. Si les néo-libéraux les maîtrisaient vraiment, cela finirait par se savoir. Après deux décennies de « modération salariale » très vigoureuse, on aurait dû voir se multiplier les créations d'emplois et s'amorcer le retour au plein-emploi. Mais on aurait tort de penser que tel est vraiment l' objectif poursuivi. Il s'agit tout simplement de conserver les avantages d'un partage du revenu extraordinairement favorable aux rentiers.

Il y a aurait un moyen très simple de renforcer la fameuse compétitivité, c'est de réduire les profits financiers et de les réaffecter aux salaires et aux retraites. C'est non seulement plus juste socialement, mais ce serait aussi plus efficace économiquement (soutien à la demande), à condition toutefois de prendre l'emploi comme critère d'efficacité.

Et puis, quant à Basquiat, de fait il avait d'autres soutiens,
ensuite, l'alternative n'est pas entre "argent de l'Etat & fonctionnarisation" et "démerde-toi",
mais le système notamment français de politique culturelle, permet de reconnaître une place aux activités non-marchandes, il ne s'agit pas là que de l'art, d'ailleurs.
l'erreur tragique des néo-libéraux, tenants et suppôts du tout marchandise, sectateurs et instruments en fait, de la marchandise, du marché, est de tout soumettre à un seul critère, une seule mesure, l'argent, la rentabilité, ce qui de soi, "forcément", entraîne au court terme, à l'oubli de toutes autres dimensions ; mais, et l'article mentionné le rappelle par exemple, cela repose sur une conception pseudo scientifique de l'économie, une idéologie dogmatique en fait, qui érigée en tant que telle, est fausse, et meurtrière, comme toute pensée ou conception érigée en idéologie dogmatique.
et voilà.
dans le système de marché tel qu'il existait jusqu'à présent, c'est-à-dire régulé, organisé, avec encore une place pour les états, etc.. comportait encore cette dimension qu'on pourrait appeler de "contrat", entre toutes les parties de la société (beaucoup a dû être acquis ou conquis de haute lutte, évidemment), et tenant compte de différentes échelles de valeurs, différents modèles et systèmes de références.
maintenant, le système qui se construit depuis déjà 40 ans en fait, mais ça s'accélère depuis 10 ans, il n'y a plus de "contrat", il n'y a plus de régulation, plus d'arbitrage, plus de loi, ce qui en reste sont des fictions mourantes, maintenues par ceux qui les détruisent, pour "faire illusion", ne pas susciter trop de révoltes.. OMC, AGCS, transnationales...

bon, je me suis un peu emporté, je parlerai de l'art un autre fois.
pour l'instant , un plagiat planifiant :
Discours du 2 juillet 2003 de Polly Formail, secrétaire générale à vie de v.n.a.t.r.c.?,
en charge des grandes réformes, devant l'Assemblée concaténante.
http://vnatrc.net/BigFruit/03_plagiat
vous savez de qui était le discours de base !
promeneur - finno-magyar filolog - perplex propaganda expert
http://seenthis.net/people/bituur - Ur· http://dogmazic.net/ - ::gniark:: http://vnatrc.net/YAST/YARVBT/
W;7[)
Avatar du membre
drÖne
Présidictateur
Messages : 7766
Enregistré le : 05 oct. 2002, 22:35
Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
Contact :

Message par drÖne »

Hé, hé, hé ! J'adore les privates clins d'yeux... Je ne sais pas qui pourra capter quoi que ce soit à ce texte, tant il repose sur certaines références à des discussions entre quelques petits groupes de personnes sur des listes pour le moins ésotériques, mais c'est bien justement qu'un texte ne soit compréhensible, dans le détail, que par un tout petit nombre ! Oui, il faut contribuer aux processus de contemplation durable, et en ce qui concerne le Copyleft et sa rhizomisation joyeuse et perplexe à la fois, j'ai mis mon tableau en ligne et un liens vers par chez vous dans ma page "musique".

+A+
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
Répondre