cpe
Modérateur : drÖne
ya pas de mal ! LLB ....juste une conclusion perso : j'ai vraiment beaucoup de mal à m'exprimer par le biais du net : je transcrit par écrit une oralisation ...et ce qui "passe" à l'oral ,à savoir une courte phrase dans un contexte d'énervement peut être interprétée une fois écrite par un dédain massif et final .... je sais.
- drÖne
- Présidictateur
- Messages : 7789
- Inscription : 05 oct. 2002, 22:35
- Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
- Contact :
Bon, je viens d'avoir une longue discussion téléphonique avec Chris qui a très mal vécu mon dernier post. Je suis sincèrement désolé que tu aies pris ça comme une accusation personnelle, mais c'est vrai que de mon côté, j'ai également vécu toute cette discussion comme une série très pénible que j'ai aussi mal vécu. Je te fais donc mes excuses, et je te demande en parallèle de ne pas attacher non plus trop d'importance à la manière dont je l'ai formulé qui était sans doute maladroite.
Je pense que le problème vient d'une difficulté qu'on a sans doute tous à expliciter clairement le lien entre les positions qu'on peut prendre dans une discussion en forum, et ce qui les justifie ou au contraire les relativise dans la vie perso. Quoi qu'il en soit, c'est bien sur des posts, à savoir des TEXTES, qu'on est un peu obligé de discuter en forum, si on accepte cet espace de discussion pour ce qu'il est, ce qui gomme bien souvent les engagements personnels.
Même chose pour Raph, à qui j'ai répondu sur un registre personnel (j'espère que tu ne m'en voudras pas), car j'essaie de comprendre dans quelle mesure ta position peut-être tenue en prenant en compte toutes les dimensions qui lui permettent d'être tenue. A savoir qu'être salarié, comme Milie, toi à une époque, moi depuis des années, ou pas mal de monde ici, ce n'est tout de même pas une honte, et que ce n'est pas parce qu'on ne peut pas revendiquer immédiatement la décroissance ou le Grand Soir, qu'il n'y a rien à dire contre le CPE.
Mais en fin de compte, bien sûr que tu as raisons de préférer ton mode de vie plutôt qu'une vie omnubilée par le travail ! Mais là où je ne comprends plus, c'est que tu ne voies pas qu'il se passe peut-être autre chose autour du CPE que les revendications salariales et sydicales qui sont, on est bien d'accord, insuffisantes. Encore que refuser la précarité, ce n'est tout de même pas rien. Car c'est aussi ça que porte la remise en cause du CPE, et qu'on ne devrait pas confondre avec du conformisme : le refus de la précarité, la réaffirmation des liens sociaux contre leur destruction par le libéralisme, et même la remise en cause de la consommation qui pointe maintenant son nez dans certains tracts ou sur des listes de diffusion : il y a des invitations à bloquer des lieux de consommation qui circulent dans le mouvement anti-CPE.
+A+
Je pense que le problème vient d'une difficulté qu'on a sans doute tous à expliciter clairement le lien entre les positions qu'on peut prendre dans une discussion en forum, et ce qui les justifie ou au contraire les relativise dans la vie perso. Quoi qu'il en soit, c'est bien sur des posts, à savoir des TEXTES, qu'on est un peu obligé de discuter en forum, si on accepte cet espace de discussion pour ce qu'il est, ce qui gomme bien souvent les engagements personnels.
Même chose pour Raph, à qui j'ai répondu sur un registre personnel (j'espère que tu ne m'en voudras pas), car j'essaie de comprendre dans quelle mesure ta position peut-être tenue en prenant en compte toutes les dimensions qui lui permettent d'être tenue. A savoir qu'être salarié, comme Milie, toi à une époque, moi depuis des années, ou pas mal de monde ici, ce n'est tout de même pas une honte, et que ce n'est pas parce qu'on ne peut pas revendiquer immédiatement la décroissance ou le Grand Soir, qu'il n'y a rien à dire contre le CPE.
Mais en fin de compte, bien sûr que tu as raisons de préférer ton mode de vie plutôt qu'une vie omnubilée par le travail ! Mais là où je ne comprends plus, c'est que tu ne voies pas qu'il se passe peut-être autre chose autour du CPE que les revendications salariales et sydicales qui sont, on est bien d'accord, insuffisantes. Encore que refuser la précarité, ce n'est tout de même pas rien. Car c'est aussi ça que porte la remise en cause du CPE, et qu'on ne devrait pas confondre avec du conformisme : le refus de la précarité, la réaffirmation des liens sociaux contre leur destruction par le libéralisme, et même la remise en cause de la consommation qui pointe maintenant son nez dans certains tracts ou sur des listes de diffusion : il y a des invitations à bloquer des lieux de consommation qui circulent dans le mouvement anti-CPE.
+A+
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
Yep ,Drone idem que pour LLB : ya pas trop de mal ....tu m'étonnes que j'ai pris ce que tu disais pour des acusations perso : c'était des acus perso ....qui m'ont foutu les boules enraison entre autre que je ne pensais pas nécéssaire d'expliciter mon implication dans le mouvement avant de le critiquer et que NON ,définitivement non la critique ou les regrets sur une modalité d'expression que je juge assez "soft" pour la majorité des participants (je sais je sais ...y en a qui sont montés "au front" trés courageusement et trés physiquement ,notemment des lycéens et bravo àeux) n'induisent pas le cynisme !
Bon un peu prise de tête tous ces échanges surtout pour en conclure qu'on pense à peu prés tous parreil et si Raph ne se sent pas "impliqué" dans ce mouvement il n'en est pas pour autant critiquable ,il surfe sur l'utopie ce qui est admirable et son action est quotidienne :il fait peut être plus que nous de part les échanges qu'il a à coeur de'avoir avec le+ de gens possible. Il fait à son niveau avancer des choses fondamentales et je ne vois pas de réel cynisme dans sa position.
Bon un peu prise de tête tous ces échanges surtout pour en conclure qu'on pense à peu prés tous parreil et si Raph ne se sent pas "impliqué" dans ce mouvement il n'en est pas pour autant critiquable ,il surfe sur l'utopie ce qui est admirable et son action est quotidienne :il fait peut être plus que nous de part les échanges qu'il a à coeur de'avoir avec le+ de gens possible. Il fait à son niveau avancer des choses fondamentales et je ne vois pas de réel cynisme dans sa position.
Tiens ? le "cake-en-chef" qui conclue...décontracté ...Elle est bonne ? et n'en abuse pas ! non mais ...m'en fout moi vais me décontracter avec un p'tit verre de Fino ,tiens allez , encore un que ces petits cons de lycéens de mes 2 n'auront pas .....quoi de l'huile ..sur quoi ? du feu ? meu noooon..
- drÖne
- Présidictateur
- Messages : 7789
- Inscription : 05 oct. 2002, 22:35
- Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
- Contact :
Les mines c'est démodé : vous serez tous enfermés dans un centre de développement informatique lié à la Bourse de Drön_City.
Ceci pour introduire une question essentielle : avez vous remarqué à quel point la bourse (et le CAC 40) ne sont absolument pas touchés par les manifs anti-CPE, et qu'aucune baisse n'a été enregistrée suite aux violences ? Même chose durant la crise des banlieues. Il me semble que c'est la meilleure contre-justification des arguments disant que la violence serait une arme contre le libéralisme. A mon avis, la violence, dont il faudrait cependant préciser la nature et les objectifs, n'est une arme que par rapport à une vision de la société et des rapports de production héritée du 19ème siècle ou du début du 20ème, et qui ne prend plus en compte les évolutions structurelles du capitalisme.
En gros, de quoi on parle quand on parle de "violence" en contexte pré-insurrectionnel ?
- des agitations de fin de manif : elles n'existent que parce que la préfecture et les CRS les laissent perdurer, sciemment, car ça discréditer le mouvement et que ça favorise un vote pour la droite dure en 2007. C'est donc une arme qui favorise le libéralisme.
- l'agitation des banlieues : c'est plus un symptôme d'un mal de vivre et de l'échec de 20 ans d'une politique éducative et d'intégration ratée et sans ambition. Mais ça n'a jamais inquiété les entreprises.
- les fouteurs de merde anarcho-punks bourrés à la bière : leur action d'éclat a été de saccager l'EHESS qui avait pourtant soutenu le mouvement anti-CPE depuis le début, l'appuyant de toute sa légitimité, et qui avait accueilli ce dernier librement dans ses locaux. L'argument de ces cons d'anars était "il faut détruire l'Etat" : pathétique. Saccager un symbôle aussi évident de la répression qu'une grande école qui a hébergé Bourdieu était sans doute vital à la cause... et plus facile que de s'attaquer à un commissariat ou à une caserne... Du coup, je comprends et j'approuve les syndicats et étudiants qui refusent de se voir confondre avec les casseurs : ils ont stratégiquement et politiquement raison.
- une lutte révolutionnaire organisée avec des cibles précises et un fonctionnement paramilitaire. Là, on rentre dans quelque chose de sérieux. Il y a eu des quasi-réussites dans les années 60 (Che Guevara) et de véritables échecs : la bande à Baader, Prima Linea, les Brigades Rouges, etc. Echecs aussi radicaux que la démarche : l'extrême gauche militarisée italienne ou allemande n'a pas fait changer d'un poil les rapports de force dans les années 70 où elle était active. Ils ont tué quelques grands patrons d'industrie, en ont séquestré d'autres, les ont torturés, and so what ? Ca a mené à quoi ? Qui a bénéficié de ça ? Qui peut prétendre que ça aurait été positif ? Que le processus paramilitaire serait, de plus, intéressant à vivre et conceptuellement ou politiquement novateur aujourd'hui ? Qui a envie d'enfiler une cagoule, de prendre des cours de tir à la mitraillette, et de butter le PDG de Vivendi ? Bof bof... D'autant qu'une violence révolutionnaire seule n'a jamais, historiquement, fait bouger une société : elle a toujours été précédée par une révolution idéologique (les Lumières pour la Révolution française, le marxisme pour la Révolution Russe).
- la violence simulée, ou plutôt l'usage de la force, dans le cas des bloquages d'universités par exemple. Là, on nage en pleine métaphore des bloquages de l'appareil de production. Mais une fac n'est pas une usine : bloquer une fac, ça apparaît peut-être radical, mais ça ne sert à rien si l'enjeu est de lutter contre le libéralisme. J'ai voté le bloquage de notre vénérable institution, mais juste pour faire chier son directeur : ça n'a bien entendu eu aucun impact, à part un vague entrefilet dans Libé et une photo des baderolles. Et alors ? C'est la société du spectacle qui en bénéficie, mais ça change quoi finalement ? Ca montre simplement que "l'élite de la nation" n'a pas d'idées plus novatrices que la base.
Pour autant, je pense qu'il faudrait en effet que les mouvements sociaux modifient leur mode d'intervention dans le débat public s'ils veulent sortir de la routinisation et des récupérations politiciennes. Je ne suis pas sûr, cependant, que radicalisme rime avec imagination ni avec violence. On pourrait imaginer des tas d'actions radicalement symboliques, fortes, qui ne feraient pas appel à la violence mais qui seraient plutôt de l'ordre soit de la désobéissance civile ou de la résistance passive ou active, soit du théâtre et de l'agit-prop.
En termes d'actions radicales, je suis aujourd'hui persuadé que seule une attaque informatique ou physique de la bourse aurait une vague chance d'avoir un effet contre le fonctionnement du libéralisme. Quand on voit ce qu'une simple micro-coupure de courant peut faire comme dégats sur le web, on imagine bien ce que ça ferait si on coupait les alimentations électriques des places boursières et si on les coupait du monde durant quelques jours. là, on mettrait réeellement en péril le fonctionnement du marché en appuyant là où ça lui ferait réellement mal. Mais c'est pas d'une violence physique qu'il s'agirait là, mais bien plus d'une action technico-politique. Et elle serait bien entendu totalement insuffisante tant qu'on ne démontera pas point par point l'ensemble du discours de justification du libéralisme tel qu'il apparait non seulement dans la bouche des politiques, des industriels, mais également dans les médias.
Bref...
Ceci pour introduire une question essentielle : avez vous remarqué à quel point la bourse (et le CAC 40) ne sont absolument pas touchés par les manifs anti-CPE, et qu'aucune baisse n'a été enregistrée suite aux violences ? Même chose durant la crise des banlieues. Il me semble que c'est la meilleure contre-justification des arguments disant que la violence serait une arme contre le libéralisme. A mon avis, la violence, dont il faudrait cependant préciser la nature et les objectifs, n'est une arme que par rapport à une vision de la société et des rapports de production héritée du 19ème siècle ou du début du 20ème, et qui ne prend plus en compte les évolutions structurelles du capitalisme.
En gros, de quoi on parle quand on parle de "violence" en contexte pré-insurrectionnel ?
- des agitations de fin de manif : elles n'existent que parce que la préfecture et les CRS les laissent perdurer, sciemment, car ça discréditer le mouvement et que ça favorise un vote pour la droite dure en 2007. C'est donc une arme qui favorise le libéralisme.
- l'agitation des banlieues : c'est plus un symptôme d'un mal de vivre et de l'échec de 20 ans d'une politique éducative et d'intégration ratée et sans ambition. Mais ça n'a jamais inquiété les entreprises.
- les fouteurs de merde anarcho-punks bourrés à la bière : leur action d'éclat a été de saccager l'EHESS qui avait pourtant soutenu le mouvement anti-CPE depuis le début, l'appuyant de toute sa légitimité, et qui avait accueilli ce dernier librement dans ses locaux. L'argument de ces cons d'anars était "il faut détruire l'Etat" : pathétique. Saccager un symbôle aussi évident de la répression qu'une grande école qui a hébergé Bourdieu était sans doute vital à la cause... et plus facile que de s'attaquer à un commissariat ou à une caserne... Du coup, je comprends et j'approuve les syndicats et étudiants qui refusent de se voir confondre avec les casseurs : ils ont stratégiquement et politiquement raison.
- une lutte révolutionnaire organisée avec des cibles précises et un fonctionnement paramilitaire. Là, on rentre dans quelque chose de sérieux. Il y a eu des quasi-réussites dans les années 60 (Che Guevara) et de véritables échecs : la bande à Baader, Prima Linea, les Brigades Rouges, etc. Echecs aussi radicaux que la démarche : l'extrême gauche militarisée italienne ou allemande n'a pas fait changer d'un poil les rapports de force dans les années 70 où elle était active. Ils ont tué quelques grands patrons d'industrie, en ont séquestré d'autres, les ont torturés, and so what ? Ca a mené à quoi ? Qui a bénéficié de ça ? Qui peut prétendre que ça aurait été positif ? Que le processus paramilitaire serait, de plus, intéressant à vivre et conceptuellement ou politiquement novateur aujourd'hui ? Qui a envie d'enfiler une cagoule, de prendre des cours de tir à la mitraillette, et de butter le PDG de Vivendi ? Bof bof... D'autant qu'une violence révolutionnaire seule n'a jamais, historiquement, fait bouger une société : elle a toujours été précédée par une révolution idéologique (les Lumières pour la Révolution française, le marxisme pour la Révolution Russe).
- la violence simulée, ou plutôt l'usage de la force, dans le cas des bloquages d'universités par exemple. Là, on nage en pleine métaphore des bloquages de l'appareil de production. Mais une fac n'est pas une usine : bloquer une fac, ça apparaît peut-être radical, mais ça ne sert à rien si l'enjeu est de lutter contre le libéralisme. J'ai voté le bloquage de notre vénérable institution, mais juste pour faire chier son directeur : ça n'a bien entendu eu aucun impact, à part un vague entrefilet dans Libé et une photo des baderolles. Et alors ? C'est la société du spectacle qui en bénéficie, mais ça change quoi finalement ? Ca montre simplement que "l'élite de la nation" n'a pas d'idées plus novatrices que la base.
Pour autant, je pense qu'il faudrait en effet que les mouvements sociaux modifient leur mode d'intervention dans le débat public s'ils veulent sortir de la routinisation et des récupérations politiciennes. Je ne suis pas sûr, cependant, que radicalisme rime avec imagination ni avec violence. On pourrait imaginer des tas d'actions radicalement symboliques, fortes, qui ne feraient pas appel à la violence mais qui seraient plutôt de l'ordre soit de la désobéissance civile ou de la résistance passive ou active, soit du théâtre et de l'agit-prop.
En termes d'actions radicales, je suis aujourd'hui persuadé que seule une attaque informatique ou physique de la bourse aurait une vague chance d'avoir un effet contre le fonctionnement du libéralisme. Quand on voit ce qu'une simple micro-coupure de courant peut faire comme dégats sur le web, on imagine bien ce que ça ferait si on coupait les alimentations électriques des places boursières et si on les coupait du monde durant quelques jours. là, on mettrait réeellement en péril le fonctionnement du marché en appuyant là où ça lui ferait réellement mal. Mais c'est pas d'une violence physique qu'il s'agirait là, mais bien plus d'une action technico-politique. Et elle serait bien entendu totalement insuffisante tant qu'on ne démontera pas point par point l'ensemble du discours de justification du libéralisme tel qu'il apparait non seulement dans la bouche des politiques, des industriels, mais également dans les médias.
Bref...
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
Je transmets une analyse du mouvement français parue dans" l'International Herald Tribune", qui rompt avec l'inanité des revues de presse internationale sur ce qui se passe en France.
International Herald Tribune, Paris, 30 mars 2006.
Les manifestations d’étudiants, de salariés et d’aspirants-salariés, suivis par la Gauche française et les syndicats qui ont pris le train en marche, constituent une forme de révolte spontanée contre quelque chose dont je soupçonne que peu de ceux qui y participent ont pris la pleine mesure.
Le but du mouvement est, ostensiblement, l’obtention du retrait d’un détail secondaire de la politique de l’emploi du gouvernement français, mais il a acquis une signification radicalement différente.
Les foules qui descendent dans la rue remettent en question un certain type d’économie capitaliste qu’une grande partie, voire une majorité de la société française considère comme une menace pour la norme nationale en matière de justice et par-dessus tout pour l’« égalité » - ce concept radical que la France est pratiquement le seul pays à ériger en cause nationale, la valeur centrale de sa devise républicaine « liberté, égalité, fraternité ».
Il est certain que le Premier ministre Dominique de Villepin était loin de se douter des conséquences lorsqu’il a introduit ce qui lui apparaissait comme une initiative pour l’emploi, modeste mais constructive, dont le but était d’alléger les difficultés structurelles qui pesaient sur la création d’emplois.
Il a soulevé par inadvertance ce que de nombreux Français perçoivent comme une question fondamentale concernant l’avenir de leur nation, tout comme il y a deux ans ils ont perçu, au delà du référendum sur la constitution européenne, des questions dérangeantes sur la nature de l’Union Européenne de demain et le type de capitalisme qui prévaudra à l’avenir en Europe.
Ils ne sont pas les seuls à s’en inquiéter. Un débat similaire, concernant les « modèles » de capitalisme se poursuit de façon persistante en Allemagne, qui est désormais le théâtre de troubles sociaux ainsi qu’au sein même de la Commission Européenne, qui depuis l’élargissement de l’Union à 25 s’est éloignée du traditionnel modèle « social » européen. Même l’Angleterre, mardi dernier, a vu se dérouler la plus importante grève depuis les années 1920 - pour défendre les retraites.
Les Français, bien entendu, sont opposés au « capitalisme sauvage » [1] depuis le jour où cette bête brute a commencé à hanter la Grande-Bretagne et ses fabriques diaboliques au XIXe siècle avant de traverser l’Atlantique pour se trouver une nouvelle tanière.
Un récent sondage d’opinion sur le système de libre entreprise et de libre concurrence montre que 74% des Chinois déclarent penser que c’est le meilleur de tous les systèmes économiques, contre seulement 36% des Français, suivis de près par les Allemands.
La question essentielle est celle-ci : de quel capitalisme s’agit-il ? Depuis les années 1970, deux changements radicaux ont affecté le modèle dominant (américain) de capitalisme :
Premièrement, la version du capitalisme d’actionnaires, revue et corrigée par le New Deal (aux États-Unis), qui avait cours en Occident depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale a été remplacé par un nouveau type d’entreprises, dont le but et la responsabilités ont changé.
D’après l’ancien modèle, les entreprises avaient le devoir de garantir le bien-être de leurs employés, de même qu’elles avaient des devoirs vis-à-vis de la société (dont elles s’acquittaient principalement, mais pas exclusivement ; sous forme de charges et d’ impôts).
Ce modèle a été remplacé par un autre, selon lequel les chefs d’entreprise doivent créer de la « valeur » à court terme pour les actionnaires, ce que mesurent les cotations en bourses et les dividendes.
Cette politique a eu comme résultat concret une pression constante visant à réduire les salaires et les avantages sociaux des travailleurs (ce qui a conduit parfois à des vols de retraite et autres délits graves), et l’émergence d’un lobbying politique et de campagnes en faveur de l’allègement des charges des entreprises et de leurs contributions aux finances nationales et à l’intérêt public.
En résumé, le système des pays développés a été remanié depuis les années 1960, enlevant aux travailleurs et au financement de l’État des ressources qui vont maintenant aux actionnaires et aux dirigeants des entreprises.
Bien que cette réflexion puisse être perçue comme incendiaire, elle m’apparaît comme une simple constatation. On reproche aujourd’hui aux Européens qui résistent aux « réformes » d’empêcher, par leurs choix politiques, les chefs d’entreprise de délocaliser les emplois et d’en réduire le nombre, afin de « valoriser » l’entreprise. (Récemment, l’International Herald Tribune titrait : « Wall Street applaudit la fusion annoncée d’AT&T et de Bellsouth. 10 000 emplois seront supprimés »).
J’ai baptisé ce phénomène « capitalisme de PDG. » puisque les chefs d’entreprise exercent un contrôle effectif sur leurs directoires et sont également les principaux bénéficiaires du système, soumis à la seule critique des conseillers en investissements financiers, qui s’intéressent aux moyens d’augmenter les dividendes et non à la défense des travailleurs ou à celle de l’intérêt public. (John Bogle, le conseiller en investissements bien connu désormais à la retraite a récemment repris mon argument à son compte dans son livre, The Battle for the Soul of Capitalism (« La lutte pour l’âme du capitalisme »)
Deuxièmement, la mondialisation, dont une des conséquences primordiales a été de faire entrer les travailleurs des sociétés développées en compétition avec ceux des pays les plus pauvres du monde, a amené des changements radicaux.
Je ne vais pas m’avancer plus loin sur ce terrain, qui est, je m’en rends bien compte, extrêmement complexe ; je me contenterai de citer l’économiste classique David Ricardo et sa « loi d’airain des salaires », qui veut que lorsqu’il existe une compétition salariale et que les ressources humaines sont illimitées, les salaires baissent à un niveau situé juste au dessus de la simple survie.
Jamais auparavant les ressources humaines n’avaient été en quantité illimitée. Elles le sont désormais grâce à la mondialisation - et ce n’est qu’un début.
Il me semble que ces troubles sociaux en Europe soulignent l’incompréhension dont font preuve les politiques et les chefs d’entreprise face aux conséquences humaines d’un capitalisme qui considère les travailleurs comme une matière première et qui élargit au monde entier la concurrence des prix de cette matière première.
Dans une perspective à plus long terme, les conséquences politiques de cet état de faits iront peut-être plus loin que ne le soupçonnent les étudiants français, pourtant politisés. Leur prise de position qui peut sembler rétrograde ou même luddite [2] pourrait s’avérer prophétique.
William Pfaff
International Herald Tribune, Paris, 30 mars 2006.
Les manifestations d’étudiants, de salariés et d’aspirants-salariés, suivis par la Gauche française et les syndicats qui ont pris le train en marche, constituent une forme de révolte spontanée contre quelque chose dont je soupçonne que peu de ceux qui y participent ont pris la pleine mesure.
Le but du mouvement est, ostensiblement, l’obtention du retrait d’un détail secondaire de la politique de l’emploi du gouvernement français, mais il a acquis une signification radicalement différente.
Les foules qui descendent dans la rue remettent en question un certain type d’économie capitaliste qu’une grande partie, voire une majorité de la société française considère comme une menace pour la norme nationale en matière de justice et par-dessus tout pour l’« égalité » - ce concept radical que la France est pratiquement le seul pays à ériger en cause nationale, la valeur centrale de sa devise républicaine « liberté, égalité, fraternité ».
Il est certain que le Premier ministre Dominique de Villepin était loin de se douter des conséquences lorsqu’il a introduit ce qui lui apparaissait comme une initiative pour l’emploi, modeste mais constructive, dont le but était d’alléger les difficultés structurelles qui pesaient sur la création d’emplois.
Il a soulevé par inadvertance ce que de nombreux Français perçoivent comme une question fondamentale concernant l’avenir de leur nation, tout comme il y a deux ans ils ont perçu, au delà du référendum sur la constitution européenne, des questions dérangeantes sur la nature de l’Union Européenne de demain et le type de capitalisme qui prévaudra à l’avenir en Europe.
Ils ne sont pas les seuls à s’en inquiéter. Un débat similaire, concernant les « modèles » de capitalisme se poursuit de façon persistante en Allemagne, qui est désormais le théâtre de troubles sociaux ainsi qu’au sein même de la Commission Européenne, qui depuis l’élargissement de l’Union à 25 s’est éloignée du traditionnel modèle « social » européen. Même l’Angleterre, mardi dernier, a vu se dérouler la plus importante grève depuis les années 1920 - pour défendre les retraites.
Les Français, bien entendu, sont opposés au « capitalisme sauvage » [1] depuis le jour où cette bête brute a commencé à hanter la Grande-Bretagne et ses fabriques diaboliques au XIXe siècle avant de traverser l’Atlantique pour se trouver une nouvelle tanière.
Un récent sondage d’opinion sur le système de libre entreprise et de libre concurrence montre que 74% des Chinois déclarent penser que c’est le meilleur de tous les systèmes économiques, contre seulement 36% des Français, suivis de près par les Allemands.
La question essentielle est celle-ci : de quel capitalisme s’agit-il ? Depuis les années 1970, deux changements radicaux ont affecté le modèle dominant (américain) de capitalisme :
Premièrement, la version du capitalisme d’actionnaires, revue et corrigée par le New Deal (aux États-Unis), qui avait cours en Occident depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale a été remplacé par un nouveau type d’entreprises, dont le but et la responsabilités ont changé.
D’après l’ancien modèle, les entreprises avaient le devoir de garantir le bien-être de leurs employés, de même qu’elles avaient des devoirs vis-à-vis de la société (dont elles s’acquittaient principalement, mais pas exclusivement ; sous forme de charges et d’ impôts).
Ce modèle a été remplacé par un autre, selon lequel les chefs d’entreprise doivent créer de la « valeur » à court terme pour les actionnaires, ce que mesurent les cotations en bourses et les dividendes.
Cette politique a eu comme résultat concret une pression constante visant à réduire les salaires et les avantages sociaux des travailleurs (ce qui a conduit parfois à des vols de retraite et autres délits graves), et l’émergence d’un lobbying politique et de campagnes en faveur de l’allègement des charges des entreprises et de leurs contributions aux finances nationales et à l’intérêt public.
En résumé, le système des pays développés a été remanié depuis les années 1960, enlevant aux travailleurs et au financement de l’État des ressources qui vont maintenant aux actionnaires et aux dirigeants des entreprises.
Bien que cette réflexion puisse être perçue comme incendiaire, elle m’apparaît comme une simple constatation. On reproche aujourd’hui aux Européens qui résistent aux « réformes » d’empêcher, par leurs choix politiques, les chefs d’entreprise de délocaliser les emplois et d’en réduire le nombre, afin de « valoriser » l’entreprise. (Récemment, l’International Herald Tribune titrait : « Wall Street applaudit la fusion annoncée d’AT&T et de Bellsouth. 10 000 emplois seront supprimés »).
J’ai baptisé ce phénomène « capitalisme de PDG. » puisque les chefs d’entreprise exercent un contrôle effectif sur leurs directoires et sont également les principaux bénéficiaires du système, soumis à la seule critique des conseillers en investissements financiers, qui s’intéressent aux moyens d’augmenter les dividendes et non à la défense des travailleurs ou à celle de l’intérêt public. (John Bogle, le conseiller en investissements bien connu désormais à la retraite a récemment repris mon argument à son compte dans son livre, The Battle for the Soul of Capitalism (« La lutte pour l’âme du capitalisme »)
Deuxièmement, la mondialisation, dont une des conséquences primordiales a été de faire entrer les travailleurs des sociétés développées en compétition avec ceux des pays les plus pauvres du monde, a amené des changements radicaux.
Je ne vais pas m’avancer plus loin sur ce terrain, qui est, je m’en rends bien compte, extrêmement complexe ; je me contenterai de citer l’économiste classique David Ricardo et sa « loi d’airain des salaires », qui veut que lorsqu’il existe une compétition salariale et que les ressources humaines sont illimitées, les salaires baissent à un niveau situé juste au dessus de la simple survie.
Jamais auparavant les ressources humaines n’avaient été en quantité illimitée. Elles le sont désormais grâce à la mondialisation - et ce n’est qu’un début.
Il me semble que ces troubles sociaux en Europe soulignent l’incompréhension dont font preuve les politiques et les chefs d’entreprise face aux conséquences humaines d’un capitalisme qui considère les travailleurs comme une matière première et qui élargit au monde entier la concurrence des prix de cette matière première.
Dans une perspective à plus long terme, les conséquences politiques de cet état de faits iront peut-être plus loin que ne le soupçonnent les étudiants français, pourtant politisés. Leur prise de position qui peut sembler rétrograde ou même luddite [2] pourrait s’avérer prophétique.
William Pfaff
Le Lion Bleuflorophage