[docu] "Les lip, l'imagination au pouvoir"

Les films, skeuds, lives, teufs, expos, et autres événements culturels dont on a envie de parler, là, tout de suite, ça urge !

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Chaosmose
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[docu] "Les lip, l'imagination au pouvoir"

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"Les lip, l'imagination au pouvoir" de Christophe Rouaud.

Un documentaire édifiant sur une entreprise symbole devenue tabou, modèle à casser et à oublier impitoyablement.

SYNOPSIS

Les LIP, l’imagination au pouvoir, donne à voir et à entendre les hommes et les femmes qui ont mené la grève ouvrière la plus emblématique de l’après 68, celle des usines horlogères LIP à Besançon. Un mouvement de lutte incroyable qui a duré plusieurs années, mobilisé des foules entières en France et en Europe, multiplié les actions illégales sans céder à la tentation de la violence, porté la démocratie directe et l’imagination à incandescence.

Le film retrace cette épopée, à travers des récits entrecroisés, des portraits, des archives. Une histoire collective pour essayer de comprendre comment le combat des Lip porta l’espoir et les rêves de toute une génération. Pour ceux qui ont vécu les années LIP, ces retrouvailles éveillent des souvenirs chaleureux. Pour ceux qui n’étaient pas nés, c’est l’occasion de découvrir cette lutte, au travers de laquelle se posent bien des enjeux de notre avenir immédiat.

C’est possible, les Lip l’ont fait.


QUE RESTE-T-IL DE CES BEAUX JOURS ?

LIP est resté dans la mémoire de ceux qui ont milité dans l’après 68 comme un sommet, certes, mais surtout comme l’affaire de chacun. Qui, parmi ceux qui ont vécu cette période, ne porte pas en lui un petit bout de LIP, un lambeau de mémoire en éveil, sa façon à lui d’avoir vécu le conflit ? LIP, on y est tous un peu pour quelque chose. Qu’on soit d’ici ou de là, on a fait des grèves de soutien, collé des affiches, diffusé le journal Lip-Unité, participé à des galas, vendu des montres. On est allé à Besançon visiter l’usine, on a fait la manif monstre sous la pluie, tenté de boycotter la banque qui étranglait les Lip. On a diffusé des films, des cassettes, des chansons, fait des meetings, on est allé sur le Larzac, on a encouragé d’autres travailleurs à imiter les Lip... Cet enthousiasme collectif est la toile de fond de l’histoire, mais ce n’est pas mon sujet. Je ne veux, ni ne peux faire le tour de la question Lip, c’est une affaire de journalistes ou d’historiens, ce que je ne suis pas.

J’avais envie d’un film partiel, partial sans doute, un film qui assume un point de vue et un regard, certain que cette singularité-là dirait plus et mieux que toutes les analyses du monde. Ce qui m’intéresse, ce sont les hommes et les femmes qui ont permis que ce tremblement de terre se produise. Leur mémoire est vacillante, leurs souvenirs imparfaits, ça tombe bien, ce qui m’émeut c’est la façon dont ils en parlent aujourd’hui, les hiatus et les grincements de leurs récits. Trente ans se sont écoulés. Trente ans de silence, tant a pesé lourd dans leur vie ce conflit interminable et sa fin qui les a séparés. C’est dans les espaces de cette parole d’aujourd’hui que se glisse la matière proprement cinématographique de l’histoire, la part de l’imaginaire et du récit, l’émotion aussi, sans laquelle le cinéma n’est pas.

Ce sont de bons conteurs, parce qu’ils parlent d’eux et construisent leur personnage en même temps qu’ils racontent. Charles de sa voix posée, avec son inimitable accent du Jura, Roland, tout en saccades et en émotion, Raymond, synthétique et précis, Jean au verbe onctueux de dominicain, Fatima avec la justesse de ses synthèses, Michel avec son humour, Jeannine avec sa gouaille, Claude avec une solennité toujours prête à se briser, tous prennent un évident plaisir à ces récits qui font briller leur regard, parce que leur corps a encore en mémoire les actions qu’ils ont menées et que les images en sont encore présentes au fond de leurs yeux.

“De la réflexion naît l’action”, dit le proverbe. Chaque moment de la lutte des Lip est la démonstration que cette relation-là est plus dialectique qu’il n’y paraît, et qu’elle réserve de belles surprises à ceux qui osent prendre le risque de faire bouger les choses. Tracer ces portraits, c’est aussi essayer de comprendre ce qui a poussé ces gens comme vous et moi à se lancer dans une lutte collective radicale, et puis faire résonner les modes de réflexion, d’intervention, d’organisation d’il y a 30 ans aux oreilles d’aujourd’hui, car je suis convaincu que cette histoire, pour de nombreuses raisons, nous parle de nous, ici et maintenant.

J’ai toujours imaginé ce film projeté dans les cinémas. J’ai pensé qu’il avait besoin du coude à coude et des frissons d’une salle obscure pour trouver son espace. Cette histoire collective appelle une écoute et un regard partagés. Elle veut qu’on soit là, ensemble. A cette condition, elle pourra évoquer des questions qui n’en finissent pas de se poser à nous, qu’on le veuille ou non : la démocratie, la solidarité, la lutte pour la justice, la capacité de vivre ensemble. De grands mots, sans doute, mais dont on a sans cesse besoin de retrouver le sens, de se les réapproprier. Peut-on parler de rêverie politique ? J’aimerais que cette incongruité traverse le film. Lip c’est la poursuite d’un rêve collectif. Une histoire portée par un souffle épique, mais aussi par le désir de mettre en acte des idées, après les avoir malaxées ensemble, avec l’évident plaisir d’inventer.

Christian Rouaud


LES ACTEURS ...

CHARLES PIAGET

Lorsqu’il entre chez Lip en 1946, il pense, comme beaucoup, qu’il suffit d’être un ouvrier consciencieux pour mériter la reconnaissance de son travail et l’octroi d’un juste salaire. Il découvrira peu à peu l’arbitraire et l’injustice, mais il lui faudra prendre sur lui pour imaginer s’opposer au patron et se lever pour combattre. Piaget est un modeste. En rajoute-t-il ?
Il prétend qu’il a toujours tout fait contre son gré, poussé par l’amicale pression de ses amis, tiré et traîné vers ce rôle de leader qu’il assumera avec tant d’efficacité lorsque éclatera la grande bagarre. Sa réflexion est nourrie de lectures constantes, de la presse et des penseurs politiques.
Lorsque la cause est juste, rien ne l’empêche d’essayer de convaincre, inlassablement. Il est travaillé par l’idée du témoignage. On n’est que ce qu’on fait, à condition de faire ce qu’on dit et de dire ce qui a été décidé collectivement. Lorsque Piaget part négocier quelque chose, la confiance est absolue. Lorsqu’il vient rendre compte, ce ne sont pas des réponses qu’il donne, mais des éléments de réflexion nouvelle qu’il propose. Il milite aujourd’hui à AC ! contre le chômage.

ROLAND VITTOT

Entré chez Lip en 1952, volontaire et combatif, il s’est rapidement présenté à Piaget pour lui signifier son désir de militer avec lui. Formé par des militants de la gauche chrétienne et de l’éducation populaire, révolté par l’injustice, il date sa véritable prise de conscience politique de la guerre d’Algérie, qui précède son adhésion au PSU en 1965. Comme Charles, il appartient à l’Action Catholique Ouvrière (ACO) et la référence chrétienne est pour lui très importante. Pendant des années, ils vont s’atteler à la construction d’un véritable syndicat, compétent et combatif, au sein de l’usine Lip. Il forme avec Charles un tandem qui se complète à merveille. Quand l’un flanche, l’autre est là pour prendre le relais. Roland est un tribun populiste, un fonceur dont l’obstination est légendaire. Malgré son tempérament de harceleur et sa combativité, il est hostile à toute forme de violence, et son intervention sera décisive à plusieurs moments du conflit, pour éviter qu’il ne dégénère. Il habite aujourd’hui le village où il est né, loin de tout, et anime un groupe de patois local.

RAYMOND BURGY

Il a dix ans de moins que Vittot et Piaget, c’était le jeunot de l’équipe, arrivé chez Lip en 1965. Il a été sous-officier en Algérie et en a gardé un certain goût du commandement et des responsabilités. Il donne une incroyable impression de rigueur, à tous les sens du terme. Grand organisateur de la clandestinité, il sera le garant de la gestion des montres et de l’argent. Rigueur intellectuelle indéniablement, mais aussi rigueur psychologique, qui l’empêche de faire son deuil des affronts et des coups reçus. Il parle clair et franc, mais peut aussi se laisser gagner par la passion. Il a payé très cher son engagement dans la lutte : l’incompréhension de sa famille plutôt bourgeoise, un divorce, une hostilité que certains lui vouent encore aujourd’hui. Très intéressé par les problèmes d’organisation du travail, il acceptera, après la reprise, de seconder le nouveau patron de Lip, Claude Neuschwander, ce qui lui vaudra des accusations de traîtrise qui l’ont profondément marqué. Aujourd’hui, il aide des jeunes en très grande difficulté à s’insérer dans le monde du travail et s’occupe activement d’une association de handicapés.

JEAN RAGUENES

Il n’est entré chez Lip qu’en mai 1971, comme OS. Prêtre dominicain issu d’une famille bourgeoise de Bretagne, il a d’abord été éducateur pour l’enfance inadaptée, puis novice dans un ordre contemplatif, le Carmel, avant d’entrer chez les Dominicains. C’est donc avec un bac plus 10 qu’il se fait embaucher chez Lip au plus bas de l’échelle. En arrivant à Besançon, il considère son travail chez Lip comme alimentaire, et s’intéresse peu à la vie de l’entreprise. Il veut reprendre une action militante en direction des délinquants et installe dans sa maison une sorte de communauté ouverte pour les accueillir. Ses sympathies politiques sont plutôt "mao". Lorsque éclate le conflit en 1973, il s’engage et devient l’un des animateurs du Comité d’Action dont la réflexion et les actions, parfois provocatrices, seront souvent décisives pour l’avancée de la lutte. On le retrouve aujourd’hui au Brésil, où il est parti combattre aux côtés des paysans sans terre et des Indiens spoliés par les grands propriétaires terriens, ainsi que contre le travail esclave qui y sévit.

FATIMA DEMOUGEOT

Arrivée en France en 1962 à l’âge de 13 ans et demi, elle a déjà vécu la guerre d’Algérie. Après une installation et une expérience professionnelle difficiles en France, elle arrive à Besançon en 1967. Elle rencontre y des militants ouvriers qui lui transmettront le « sens du collectif » faisant écho à l’humanisme de sa propre culture familiale. Elle entre comme OS chez Lip, au vernissage des cadrans. Rapidement elle prend des cours du soir, passe sur les chaînes de montage, puis au contrôle qualité. _ En mai 68, elle se syndique à la CFDT, participe à l’occupation de l’usine et aux négociations. Elle ne cessera plus de militer. En 1974 elle sera élue en 4ème position sur la liste CFDT. A travers sa lutte pour l’emploi qui reste une valeur fondamentale, elle rencontre la réalité de la condition faite aux femmes et particulièrement à LIP, dont elle découvrira la surexploitation.
En 1987 Fatima fait face à une reconversion difficile. Elle s’oriente dans la formation professionnelle couplée d’une formation universitaire.
Aujourd’hui, ses engagements sont associatifs ou individuels. Dans les quartiers, elle aide femmes, hommes, jeunes à faire ressortir l’image positive d’eux-mêmes, travaillant sur les problèmes de laïcité, de mixité et d’égalité.

MICHEL JEANNINGROS

Entré chez Lip en janvier 60 comme cadre supérieur, il était un collaborateur direct de Fred Lip et peut témoigner du despotisme incroyable de Fred par rapport à son état-major rapproché. Il adhère clandestinement à la CFDT en 1968 et sera dès lors un soutien inconditionnel du mouvement. Lorsque Fred Lip apprendra que Jeanningros est syndiqué, il lui dira : “ T’es le moins con de ceux qui m’entourent ! ” Imprévisible Fred... Michel Jeanningros est entré à l’Action Catholique Ouvrière en 1973. Pendant le conflit, sa maison est ouverte à tous vents : s’y côtoient des journalistes, des étudiants, des militants du monde entier, venus essayer de comprendre ce qui se passe là de si important. Il est alors un membre actif du comité d’action, particulièrement chargé de la revue de presse quotidienne. Il sera l’instigateur de la jonction entre les LIP et les paysans du Larzac, alors en lutte pour sauvegarder leur outil de travail, leur terre que convoite l’armée.
Il est aujourd’hui « l’archiviste » de Lip. Il continue à recueillir et classer tout ce qui a trait au conflit. Grâce à lui, 9 mètres de rayonnages attendent les historiens aux archives départementales du Doubs.

JEANNINE PIERRE-EMILE

Fille de maçon immigré italien, née à Besançon, elle a vécu son enfance dans un petit village à 10 km de la ville. Traitée de “Macaroni”, elle a vécu la vie des petits "Ritals" dans les années 40. Elle se vengera en lisant beaucoup et en étant la meilleure en français. Après son divorce, elle se fait embaucher chez le fabricant de montres Yema, et là, en 68, elle voit arriver Charles Piaget, venu inciter les ouvrières à débrayer. Son admiration pour Charles date de ce jour, où en quelques mots, il a provoqué la grève de l’usine, pourtant hostile. Elle entre chez Lip en 1971 et rejoint la section syndicale CFDT.
Lorsque éclate le conflit en 73, elle est déléguée du personnel et membre du CE. Elle élève seule deux enfants, tout en s’investissant corps et âme dans la lutte des Lip, particulièrement dans les relations avec la presse.
Elle a servi de modèle au personnage d’Irène dans le roman que Maurice Clavel a consacré à la lutte des Lip : "Les paroissiens de Palente".

NOELLE DARTEVELLE

D’origine paysanne, formée par la Jeunesse Agricole Chrétienne, Noëlle Dartevelle fut, avec Claude Mercet, aujourd’hui décédé, la principale déléguée CGT de Lip. Avant le conflit de 73, elle s’était fait remarquer dans la dénonciation du droit de cuissage qui sévissait dans certains ateliers du temps de Fred Lip. Au moment du dépôt de bilan, Elle a été de ceux qui ont adhéré immédiatement à l’idée de fabriquer et de vendre les montres au profit du mouvement. Parfois tiraillée entre son désir de faire cause commune avec la CFDT et les consignes de sa Confédération, plutôt réticente face aux initiatives des LIP et à la place du Comité d’Action dans la lutte, elle maintiendra l’unité syndicale jusqu’au vote sur le plan Giraud, que la CGT propose d’accepter, malgré les quelques 180 licenciements qu’il implique. Après la grande marche sur Besançon, les tensions s’amplifient entre la CFDT et la CGT. Claude Mercet déclare : "Les choses se désagrègent, il faut les reprendre en main, terminer la lutte." A partir du refus du plan Giraud par les Lip, la CGT va peu à peu se retirer du conflit.

CLAUDE NEUSCHWANDER

Il est né en 1933. Etudiant, il a été vice-président de l’UNEF. Diplômé en 1959 de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures, il entre chez Publicis en 1962 et devient, 10 ans plus tard, le numéro deux du groupe. Il est administrateur de la fédération des cadres CFDT de 1962 à 1970.
Membre influent du PSU de 1967 à 1973, proche de Michel Rocard, il suivra ce dernier au Parti Socialiste. Il prend la direction de Lip en 1974, soutenu par les « modernistes » du CNPF, en particulier José Bidegain et Antoine Riboud. Jeune patron souriant et affable, à la Kennedy, il sait s’appuyer sur le potentiel que représentent pour l’entreprise les leaders du mouvement, pour lesquels il ne cache pas son admiration, même s’ils ne lui ont fait aucun cadeau. Il dit volontiers : « En tant que patron, je ne peux pas laisser dire que les syndicats de Lip avaient des exigences anormales. Il est sûr qu’ils négociaient durement, et ils ne m’ont pas épargné, mais ils ont toujours eu un sens de la responsabilité par rapport à la survie de l’entreprise auquel je rends hommage, car si les actionnaires avaient eu le même, l’entreprise vivrait encore. »
Détesté par le patronat bisontin qui ne supporte pas ce jeune Parisien venu remonter une entreprise dont ils souhaitent la mort, il va tenter de faire front, avant de capituler en 1976.

JEAN CHARBONNEL

Né en 1927, Jean Charbonnel est un des derniers gaullistes de gauche « historiques ». Normalien et énarque, il est agrégé d’Histoire. Ministre du Général de Gaulle, il sera, au parlement, au gouvernement, à la tête de l’UDR, un des « jeunes loups », dans la mouvance progressiste incarnée par René Capitant et Louis Vallon. Au moment où éclate le conflit LIP, il est Ministre du développement industriel et scientifique du gouvernement Messmer. Contre les libéraux du gouvernement, il défend l’idée que le pouvoir politique doit intervenir dans l’économie. et développe une grande politique industrielle. A ce titre, il a lancé le programme Ariane et prépare le plan électronucléaire français. Il envoie chez LIP Henri Giraud, pour négocier une solution industrielle et proposer un plan, qui sera refusé par les LIP en octobre 1973, car il entérine le démantèlement de l’entreprise et prévoit des licenciements. Accusé de vouloir sauver LIP à tout prix, Jean Charbonnel sera débarqué du gouvernement lors d’un remaniement ministériel en février 1974.


AVOIR CONFIANCE EN SA FORCE, VAINCRE LA PEUR

"Fred Lip, après 68, a cherché à nous contrer. Il a dit : "Il y a beaucoup de jeunes dans notre usine, et au comité d’entreprise, il n’y a que des vieux. Vous êtes tous des vieux. Même si vous avez 40 ans, vous êtes des vieux. Et moi je trouve qu’il devrait y avoir des jeunes dans le comité d’entreprise. J’ai fait un concours qui a été gagné par plusieurs jeunes, on les a emmenés à New York, vous voyez, moi j’ai de l’ouverture et vous, vous êtes engoncés dans votre truc, là."

Alors le Roland, il se dit : "Ah ben, ça y est, toi, t’es en train de nous musiquer."
Moi j’ai dit : "Oui, il est en train de nous musiquer, mais prenons-le au mot."
Et j’ai réussi à convaincre la section de dire oui. On augmente le comité d’entreprise, bien que ce ne soit pas la loi, et on y met des jeunes. On y va. Les jeunes étaient proposés par le Fred, c’était un pari.
On m’a dit : "Tu te rends pas compte, là ! Tu marches dans ses plates-bandes."
Alors j’ai dit : "Maintenant on est quand même devenus costauds. Ces jeunes-là, ils ont été un peu embobinés par le Fred, mais on va voir avec eux. On va discuter avec eux."
Alors ça a été Marc Géhin, qui avait gagné le concours, puis qui est devenu un vrai syndicaliste, ça a été Potez, qui est devenu aussi un vrai syndicaliste et qui continue d’ailleurs, et d’autres. On avait gagné notre pari. On avait gagné tous les jeunes du comité d’entreprise. Tous les jeunes.
Le principe, c’est de discuter réellement. Si jamais on s’aperçoit que c’est vraiment un truc pour nous déglinguer, alors à ce moment-là on entrera en lutte, mais pas avant d’avoir dialogué. Le Fred en a été pour ses frais, il lui a fallu chercher d’autres méthodes."

Charles Piaget


LES SAGES FOUS ET LES FOUS SAGES

"Je ne connais pas d’autre exemple, au niveau des luttes ouvrières ou même des luttes tout court, où l’on ait fait preuve d’autant d’imagination. On a toujours su trouver le truc, non seulement qui fait rire, mais qui permet aussi de « défataliser » l’évènement, s’il est un peu trop lourd.

Lip, par exemple n’a jamais sombré dans la violence. Et ce n’est pas à cause de moi, tu pourras en parler à Charles Piaget, j’avais quelques tentations de ce côté-là. Mais Charles et Roland étaient pleins d’une sagesse paysanne quasi-ancestrale, et en même temps d’une sagesse syndicale acquise au fil des années. Ils étaient représentatifs de la grande majorité des Lip parce que la grande majorité des Lip se reconnaissait en eux. Mais ils n’étaient pas bêtement syndicaux. J’ai connu des gens qui sont bêtement syndicaux ou bêtement politiques, ça peut arriver à tout le monde, il faut se méfier. Eux, ils avaient en plus un brin de folie dans la tête. Ils étaient ouverts à quelque chose d’autre.

De l’autre côté, il y avait le Comité d’Action, avec principalement des gens plus jeunes, que peut-être je représentais d’une certaine façon, qui n’avaient pas de formation syndicale et politique pour la plupart, qui voulaient jouer peut-être aux révolutionnaires, mais, et c’est là tout l’intérêt, qui avaient quand même les pieds sur terre. C’étaient des contestataires ouverts, et mûrs, avec un sens du réalisme très fort.

C’est le choc entre ces deux tendances qui a permis l’étincelle Lip et qui a été extrêmement créatif. Parce que si Lip avait été seulement syndical, il n’en serait pas sorti grand-chose, ça aurait été un conflit classique ;, mais si Lip avait été seulement révolutionnaire au sens où j’ai essayé de le dire, il n’en serait pas non plus sorti grand-chose, si ce n’est des idées fumeuses. Or il en est sorti des choses, grâce à la rencontre de sages fous et de fous sages. "

Jean Raguenès


LIP, UNE CHRONOLOGIE

PREMIER ACTE, EXPOSITION

Dans les années 50, les militants CFTC de Lip, regroupés autour de Charles Piaget et Roland Vittot, cherchent à créer une force syndicale capable de tenir tête au patron. Ils s’attaquent au secret des rémunérations et publient les fiches de paie. Tollé général. Lors d’une grève un peu dure, les ouvriers bloquent le stock de montres et l’utilisent comme monnaie d’échange dans la négociation.

Dans les années 60, la situation financière de l’entreprise se dégrade.
Fred Lip cherche à ouvrir son capital et se tourne vers une société suisse, Ebauches SA à qui, en janvier 1967, il cède 33% de ses parts.

En mai 68, la grève chez Lip est particulièrement active.

La situation de l’entreprise se détériore toujours.
Ebauches SA devient actionnaire principal avec 43% du capital en avril 1970.
Le 5 juin 1970, les ouvriers de l’atelier mécanique débrayent 1/4h par heure après diminution de leurs salaires. Lors de l’AG du 16 juin, les ouvriers décident l’occupation de l’usine et le blocage des expéditions.
Après 8 jours de grève, la direction cède et revalorise les salaires.

Le 5 février 1971, à 65 ans, Fred Lip est débarqué par le conseil d’administration. Il laisse sa place à Jacques Saint-Esprit, ancien secrétaire général renvoyé par Fred Lip. La situation de l’entreprise est très inquiétante.

Le 17 avril 1973, Jacques Saint-Esprit démissionne, Lip dépose le bilan.


DEUXIEME ACTE : LE GRAND CONFLIT DE 1973

Le 20 avril 1973, création du Comité d’Action, animé par Jean Raguenès et Marc Géhin.

Le 26 avril 1973, les administrateurs déclarent : "Tout peut arriver." Les Lip organisent la baisse des cadences.

Le 18 mai, ils manifestent devant le siège d’Ebauches SA à Neufchâtel.

Le 24 mai, manifestation à Besançon.

Le 28 mai, 534 Lip montent à Paris, en délégation à Matignon et au ministère de l’équipement.

Le 10 juin, l’usine est totalement occupée "pour la sauvegarde de l’outil de travail".

Le 12 juin, lors d’une réunion du comité d’entreprise, le syndic et les administrateurs provisoires sont séquestrés. _ On découvre une sacoche contenant les plans de licenciement. Dans la nuit, le stock de montres, environ 500 MF, est mis à l’abri dans des caches disséminées dans la région.

Le 15 juin, une manifestation de 12.000 personnes sillonne Besançon. Les magasins sont fermés, le glas sonne. L’évêque, Mgr Lallier, prend la parole devant les manifestants. Les CRS répriment sévèrement.

Le 18 juin, une assemblée générale historique décide la remise en route de la chaîne horlogère pour assurer "un salaire de survie". Pendant l’été, la lutte des Lip est popularisée avec le slogan : "C’est possible : on fabrique, on vend, on se paie". Les visiteurs affluent à Palente.

Le 22 juin, l’assemblée générale met sur pied 6 commissions de travail : production, vente des montres, gestion du stock, accueil, popularisation, entretien et sécurité. Très rapidement, 3 autres commissions voient le jour, restaurant, animation, courrier.

Le 2 Août, Jean Charbonnel, Ministre du Développement industriel présente un plan de sauvetage de Lip, qui n’est autre que celui d’Ebauches SA. Il nomme Henri Giraud comme médiateur.

Le 3 août, les grévistes refusent le plan Charbonnel et distribuent la première "paie sauvage".

Le 11 août, début des négociations entre les représentants des syndicats, du Comité d’action et Henri Giraud.

Le 15 août, à 5h30 du matin, les gardes mobiles investissent l’usine et chassent les travailleurs. A l’annonce de la nouvelle, de nombreuses entreprises se mettent en grève et les ouvriers viennent en découdre avec les forces de l’ordre. Installation de la nouvelle "usine" Lip dans un gymnase prêté par la mairie, à condition qu’on n’y reprenne pas la production.

Le 31 août, distribution sans témoins de la 2ème paie sauvage.

Le 29 septembre, grande marche nationale sur Besançon. 100.000 personnes manifestent sous une pluie battante. Les tensions s’amplifient entre la CFDT et la CGT.

Le 12 octobre, les Lip doivent se prononcer sur les conclusions des négociations avec Henri Giraud, Un vote à bulletin secret donne une large majorité à la poursuite de la lutte,

Le 15 octobre, Pierre Messmer, Premier Ministre, prononce son fameux : "Lip, c’est fini !"

Début janvier 1974, Jean Charbonnel charge Claude Neuschwander d’une mission sur la possibilité d’une relance de Lip.

Les 26, 27 et 28 janvier, à Dôle : négociations entre José Bidegain, mandataire d’un trio de repreneurs, et les Lip. "L’entreprise procédera aux embauches du personnel à la mesure des besoins créés par son développement." 850 Lip doivent être réembauchés.

Le 29 janvier 1974, la délégation de Lip signe les accords de Dôle.

Dans la nuit du 29 au 30 janvier, les Lip restituent leur trésor de guerre : 10 tonnes de matériel et un chèque de 2MF, reliquat de la vente des montres.

Le 11 mars, après 329 jours de lutte, face à de nombreux Lip et sympathisants, Roland Vittot déclare : "Camarades, Lip vit ! Nous lutterons tous ensemble jusqu’à ce que le dernier d’entre nous ait franchi cette grille !" Raymond Burgy rentre le premier dans l’usine. Les 135 premiers réembauchés reprennent le travail.


TROISIEME ACTE : APRES LA VICTOIRE

Le 15 décembre 1974, les derniers Lip reçoivent leur lettre de réembauche.

Le 31 mars 1975, ils reprendront tous effectivement le travail. Les commandes affluent et l’année 75 s’annonce prometteuse. Mais l’équipe de direction doit faire face à des difficultés imprévues.

En avril 1974, des fournisseurs décident de ne pas honorer les commandes passées. Contrairement à ce que stipulent les accords de Dôle, le tribunal de commerce de Besançon demande à Claude Neuschwander d’honorer ses 6MF de dettes. Il doit les payer du jour au lendemain.

Mai 1974, Valéry Giscard d’Estaing, est élu Président de la République et nomme Jacques Chirac Premier Ministre. Renault, entreprise nationalisée, retire ses commandes. Les industriels horlogers du Doubs, soutenus par Edgar Faure, s’opposent à une aide de l’Etat. Les banques refusent d’apporter les 4MF réclamés. Claude Neuschwander se tourne vers son conseil d’administration et se heurte à un refus. C’est la fin de Lip.

Claude Neuschwander démissionne le 8 février 1976. Jean Charbonnel est débarqué à l’occasion d’un remaniement ministériel.


QUATRIEME ACTE : LE DENOUEMENT, LES COOPERATIVES.

Le 5 mai 1976, les Lip entament une nouvelle occupation de l’usine et reprennent à leur compte la fabrication des montres. Finalement, le 28 novembre 1977, à l’issue de longs débats, et face à l’absence de repreneurs, les Lip créent "Les Industries de Palente" (LIP), six coopératives : mécanique, horlogerie, restauration, bois et tissus, imprimerie, loisirs....
CHRISTIAN ROUAUD

Né en 1948 à Paris, Christian ROUAUD a d’abord été professeur de Lettres, puis responsable de formation audiovisuelle dans l’Education Nationale. Durant cette période, il a réalisé des films pour le système éducatif et participé à différents projets sociaux et culturels, notamment un circuit interne de télévision à la prison de Fresnes et la création de l’Association "Audiovisuel Pour Tous dans l’Education" (APTE), qu’il a présidée pendant 5 ans. Il est également l’auteur d’un roman, "La saldéprof" (Editions Syros, 1983).


Filmographie

2006 L’EAU, LA TERRE ET LE PAYSAN
2005 L’HOMME DEVISAGE
2004 DANS LA MAISON RADIEUSE
2003 BRETAÑA
2002

* LA BONNE LONGUEUR POUR LES JAMBES
* HISTOIRE DE PAYSANS
* PAYSAN & REBELLE, un portrait de Bernard LAMBERT
1999 LES SONNEURS DE LA ROYALE
1998 LA CORNEMUSE (Série documentaire "Allo la terre")
1997
* QUEL CHANTIER !
* L’ILE (Série documentaire "Allô, la terre")
1996 LE SUJET (Court-métrage de fiction)
1995
* LE FLEUVE (Série documentaire "Allô, la terre")
* LA VISION (Série documentaire "Allô, la terre")
1994 L’ECRITURE (Série documentaire "Allô, la terre" BAGAD
1992 RETOUR AU QUARTIER NORD
1991 ALLEZ LES PETITS
1989 UNE SAISON EN MATERNELLE
1988 AUTOUR DE DON JUAN
1985 PLUS POETE QUE MOI



FICHE TECHNIQUE

Réalisateur Christian Rouaud

Auteur Christian Rouaud

Image Jean Michel Humeau ;Alexis Kavyrchine

Son Claude Val

Assistant-réalisateur Florent Verdet

Montage Fabrice Rouaud

Montage Son / Mixage Dominique Vieillard

Direction de Production Françoise Buraux ;Nelly Mabilat

Producteur Les Films d’Ici - Richard Copans

Avec le soutien de La Région Ile de France ; La Région Franche-Comté ; Le Centre National de la Cinématographie ; Le SICOM ;

France - 2006 - 118 mn - couleur

http://www.millebabords.org/article.php ... ticle=5872



Voir aussi l'étonnant portrait de Neuschwander dans Libé
http://www.liberation.fr/transversales/ ... 301.FR.php
Claude Neuschwander, 73 ans. Il y a trente ans, il dirigea Lip, fleuron de l'horlogerie française devenu symbole ouvrier. Un rêve d'autogestion qui fut l'histoire de sa vie.
Montre sacrée
Par LANÇON Philippe
QUOTIDIEN : jeudi 3 mai 2007
La vie d'un homme est le récit qu'il finit par s'en faire. Parfois, elle se résume à un instant, le plus beau risque qu'il a pris. Ce qui précède semble annoncer son destin, ce qui suit en est l'ombre. Pour Claude Neuschwander, le destin, ce fut Lip. De 1974 à 1976, le jeune publicitaire à gueule d'avenir et de médiation, membre de la CFDT et du PSU, dirigea l'usine horlogère de Besançon avant d'être révoqué par celui qui l'avait mis en poste : Antoine Riboud, patron de Danone-BSN. Un documentaire de Christian Rouaud, les Lip, l'imagination au pouvoir, a fait remonter la madeleine. On y voit une épopée sociale prise en main par quelques hommes d'exception. Neuschwander, 73 ans aujourd'hui, y fait un bras d'honneur à Riboud, mort : Lip est son honneur et son amertume. «L'avoir dirigée, dit-il, ça donne sens à une vie définitivement. C'était une occasion fabuleuse pour un homme de montrer ce qu'il a dans le ventre.» Une aventure ? «Non. Une mission.»
Choisi par quelques patrons modernisateurs et le PSU de Michel Rocard, «Neusch», comme beaucoup l'appellent, devait redresser l'usine que ses ouvriers avaient occupée et sauvée. Il échoua, ou on le fit échouer : avis partagés. Pour les uns, il a «planté» l'entreprise en réembauchant trop de salariés, en commettant des erreurs de stratégie industrielle. Pour d'autres, sa tentative fut tuée par la droite giscardienne, les horlogers réactionnaires et un patronat soumis au gouvernement. La réalité paraît plus grise : sans doute échoua-t-il dans un cadre où il ne pouvait plus réussir, mais où il n'avait pas le droit de rater. Un membre de son équipe d'alors pense qu'à Lip «Claude réalisait un rêve intellectuel : être admis par les syndicats tout en étant patron. Il pensait qu'il pouvait être en symbiose avec le monde ouvrier. Naturellement, il se leurrait. Cette recherche de symbiose a causé sa chute.»
L'expérience de Lip, débutée en 1973, devint un symbole immédiat. Que représentait-elle ? Un mélange possible de patronat social et de syndicalisme intelligent au service de la firme et des hommes. L'idée, aussi, que l'entreprise appartenait d'abord à ceux qui y travaillaient. Neusch a brièvement incarné ce ballet de générosité et d'intérêts ­ et sa fin. Celui qui fut à l'époque chargé du plan de trésorerie, Michel Garcin, résume ainsi l'histoire : «Neusch était un commercial et un manager, ce n'était ni un financier ni un industriel. Il avait un projet grandiose, mais c'était trop tard. Les Trente Glorieuses s'achevaient. C'est l'histoire d'un homme qui a commis des erreurs dans un environnement hostile.» Martine Bidegain, ancienne présidente de la Mnef, l'avait présenté à Riboud. Elle se souvient du dîner où celui-ci, après une conversation légère, se tourna soudain vers elle et lui dit : «Dis donc, ton Neuschwander, il ne sait pas lire un bilan.» Elle comprit que pour Neusch, c'était fini.
Trente ans après, le vieux patron de gauche s'agite dans la passion selon Lip. Long, fin, hâbleur, un peu brusque, le visage lisse, ému par son émotion, lançant des vannes à voix forte, se déplaçant avec une impatiente élégance, c'est un homme échappant à son âge et retrouvé par son destin. Ces temps-ci, il débat du film d'un bout à l'autre de la France. Il frémit dans la geste qu'il répète. Le documentaire de Christian Rouaud, dit-il, «brise la chape de reproches qui, depuis trente ans, [lui] sont adressés. Pour [lui], c'est une réhabilitation». Il semble exalté à la fois par son malheur et par ce dernier bonheur. Au poignet, il porte la montre en or que le personnel lui offrit le jour de son départ : du matériel solide et d'éternelle structure, dont la beauté vous accompagnait pour la vie. Neusch est de nouveau en mission.
Enfant de la bourgeoisie, c'est un catholique élevé chez les Oratoriens. Il a six enfants et va toujours à la première messe du dimanche. Lip fut pour beaucoup une affaire de conscience liée à la religion, et il ne fait pas exception : Il s'engage à 20 ans, en 1954, au temps du gouvernement Mendès France ; d'abord à l'Unef, tandis qu'il prépare l'Ecole centrale. Il rencontre Rocard à cette époque. En ce temps-là, les étudiants lisent les journaux. Neusch lit avec passion France Observateur. Trois ans plus tard, il est pigiste à l'Express. Françoise Giroud corrige ses articles. «Elle me disait : "Supprimez le premier paragraphe, commencez au deuxième." J'ai gardé ce réflexe.» Il admire Albert Camus.
Il est sous-lieutenant en Algérie, radariste sur la frontière tunisienne. Une infection amibienne le fait rapatrier après six mois. Il ne connaîtra pas le merdier. Plus tard, il fonde à Sarcelles, où il vit, un syndicalisme de résidents. La vie de Neusch, qui dort cinq heures par nuit, est un mouvement social perpétuel. Militant au PSU, il entre chez Publicis un peu par hasard. L'ingénieur devient concepteur de campagnes publicitaires. L'un de ses premiers budgets est celui de Lip.
Il rejoint l'usine de Besançon avec quelques hommes enthousiastes et inquiets : le pari est risqué. «Pendant six mois, se souvient l'un des membres de l'équipe, il n'a pas dormi.» Parfois, son ami Toscan du Plantier les rejoint et les fait rire en leur contant ses aventures. Les ouvriers apprécient Neusch, les femmes le trouvent beau. Le petit Kennedy du social communique sa grâce d'escogriffe au pas de charge : «C'était un grand manager doublé d'un formidable activiste, résume Michel Rocard. Nous n'avons pas la même vision de la fin, mais, notez-le, je conserve la plus grande estime pour lui.» Rocard votera la révocation, estimant comme Riboud que Neusch a alourdi le déficit. Ils ne se verront quasiment plus.
La limite du personnage est sans doute qu'il croit trop en ses vertus de missionnaire pour faire véritablement attention aux autres ­ et d'abord aux fauves qui l'ont nommé. Le 24 novembre 1975, il apparaît sur le plateau d' Apostrophes pour un livre écrit avec le journaliste Bernard Guetta : Patron, mais... Cette exposition, en pleine tentative de redressement de Lip, est mal prise par le patronat : Neusch se vante un peu trop, un peu tôt.
La fin est sans pitié. Il est encore en poste lorsqu'il apprend par une petite annonce dans le Figaro que Riboud lui cherche un successeur. On ne l'a prévenu de rien. Il est révoqué le 21 février 1976. «Le lendemain, précise-t-il, je me suis inscrit au PS.» Il y est toujours, distribue des tracts, a soutenu Ségolène Royal pendant la campagne. Il ajoute : «Je n'ai jamais rencontré François Mitterrand.» Et cela sonne comme une humiliation de plus. Certains membres de son équipe d'alors pensent qu'il voulait faire une carrière politique, ce qu'il nie : «Je vais trop droit. Je dis trop les choses comme je les pense. Je suis au bord de la politique, pas dedans.»
Débarqué, Neusch se sent abandonné. La carrière qui s'annonçait est derrière lui : «C'est l'unique fois où j'ai réellement songé à me suicider.» On lui propose implicitement de revenir chez Publicis. Il refuse : «Je ne voulais pas qu'on dise que Lip avait été une parenthèse dans la carrière d'un publicitaire.» Ainsi vit-il l'orgueil de son destin. La suite est une vie plutôt réussie comme consultant reconnu auprès des collectivités locales. Le documentaire a réveillé un feu mal éteint : comment oublier ce qui vous a fait vivre au-dessus de vous-même ? Il a rencontré sa seconde femme chez Lip, où elle était employée. Ils vivent toujours ensemble, à Montpellier.
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drÖne
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Message par drÖne »

On m'a aussi signalé ce docu comme étant très intéressant. Faudrait que j'aille le voir rapidement, avant qu'il quitte les écrans... Ca me rappelle des souvenirs d'enfance, ça, LIP : mes parents, plus ou moins trotskystes (à l'époque), avaient acheté des montres LIP.

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drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
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Chaosmose
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Message par Chaosmose »

drÖne a écrit :On m'a aussi signalé ce docu comme étant très intéressant. Faudrait que j'aille le voir rapidement, avant qu'il quitte les écrans... Ca me rappelle des souvenirs d'enfance, ça, LIP : mes parents, plus ou moins trotskystes (à l'époque), avaient acheté des montres LIP.

+A+
Zink et moi l'avons vu le dimanche du second tour... une manière d'en rendre le résultat plus vivable, ou d'autant plus invivable...
Non seulement il défend avec vigueur une thèse, celle de l'expérience unique d'un autre monde possible que le pouvoir a délibérément cassé parce que trop dangereux; mais il est d'une qualité cinématographique rare pour un documentaire - notamment dans le montage des images d'archives.
Intéressant aussi de (re)prendre conscience de l'ampleur de ce qui s'est passé à lip, comme si cet épisode historique était quasi-tabou.

Un moment cinématographique d'une rare intensité (surtout pour quelqu'un originaire Besançon, qui rencontre à deux reprises dans le film son grand père décédé il y a 20 ans - deux de mes grands parents bossaient chez lip... Je dois encore avoir quelques montres aussi ;-))

http://www.liplefilm.com/
(une bonne revue de presse exhaustive)
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