C'est courageux de leur part, même si ça ne changera rien. Le crédit des sciences humaines et sociales dans ce pays étant au plus bas, on n'est plus au temps où quand un Foucault ou un Bourdieu éternuaient, ça faisait trembler la France. Aujourd'hui, c'est quand un trader ou un présentateur de télé éternue que les ministères tombent. Quel pays de cons franchement !Immigration et identité nationale: une «confusion» et une «régression»
Par Camille DIDELON
LIBERATION.FR : vendredi 18 mai 2007
Patrick Weil et sept autres universitaires ont démissionné ce vendredi des instances publiques de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) pour protester contre la création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du co-développement. La Cité, «chargée de rassembler, sauvegarder, mettre en valeur et rendre accessibles les éléments relatifs à l’histoire de l’immigration en France», est née en 2003. Patrick Weil, historien, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’immigration, explique sa démarche à Liberation.fr.
Pourquoi avez-vous démissionné de la CNHI?
Il s’agit pour moi d’un acte éthique. On ne peut pas accepter la création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du co-développement et faire comme s’il ne se passait rien. Vu notre métier, vu les manipulations politiques qui existent contre l’immigration et vu le développement du nationalisme xénophobe, c’est notre travail qui est en jeu même si la CNHI elle-même n’est pas entachée par la création de ce ministère.
Nous participerons à titre privé aux activités de la CNHI, aux conférences, mais nous ne siégerons plus dans les instances publiques afin de garder notre indépendance et notre sens critique.
En quoi la création de ce ministère peut-elle peser sur le fonctionnement de la CNHI?
La CNHI a un sens: elle vise à permettre à tous les Français, à tous les jeunes, de comprendre l’apport et la part des étrangers depuis deux siècles dans le développement de la société française. L’idée est de combattre les préjugés et toutes les images falsifiées. Or associer «identité nationale» et «immigration», ce qui est unique dans un pays démocratique, signifie que la France et les Français ont un problème avec la question même de l’immigration.
Mon rôle est d’expliquer que cette confusion est une régression historique. Il ne faut pas schématiser et faire de l’immigration un «problème». Selon moi, il n’y a pas de raisons d’associer la naturalisation au contrôle des frontières dans un même ministère, de regrouper des domaines distincts. On sent d’ailleurs dans la politique menée un ciblage vers certaines origines par rapport à d’autres. On veut empêcher certaines nationalités d’entrer en France, restreindre certains visas.
Pourquoi pensez-vous que ce ministère ne va pas fonctionner?
Parce que les ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Emploi vont se contenter de se décharger des tâches peu nobles en matière d’immigration sur ce nouveau ministère. Il n’est pas cohérent historiquement d’associer le droit d’asile au regroupement familial. Ce nouveau ministère risque d’être débordé et de ne pouvoir remplir ces fonctions.
+A+