les mouches mortes, roman à suivre, un épisode chaque jour

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konsstrukt
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Je marche dans la rue L’hiver me pèse J’ai des envies de meurtres mais je suis trop déprimé Mon travail à la DRAC m’ennuie Ca fait un an aujourd’hui que j’y travaille Dans vingt ans ça fera vingt ans Ca me déprime encore plus de songer à ça Le vent très froid glisse sur mes habits coûteux des habits que je n’aurais jamais voulu porter quand j’étais à la fac même si on me les avait donnés Il faut que j’aille voir mes parents Maintenant qu’ils sont divorcés c’est compliqué Ca demande plus de temps C’est un investissement trop pénible souvent Je croise deux types L’un raconte à l’autre une baston Il mime un coup de tête Il crie paaaaa pour donner de la force à son récit Son ami paraît captivé Je les regarde à la dérobée Je suis lâche Je veux graver ses traits durs crétins dans ma mémoire Ses cheveux sont courts Ses yeux petits colériques Il dégage plus de vitalité que moi Il décrit maintenant un coup de poing Il crie encore paaaaa L’autre fait un commentaire que je n’entends pas Je passe devant le Virgin Mégastore J’entre dedans j’oublie cette rencontre Un vigile me regarde ricane Je me demande si je suis la cible de ce ricanement C’est vrai que je viens souvent Peut-être me prend-il pour un SDF bien que je n’en ai pas l’aspect Peut-être se moque-t-il de moi parce qu’il s’imagine que ma vie est vide au point que venir traîner ici constitue mon unique loisir Peut-être rit-il simplement pour une autre raison ne me reconnaît-il pas Je chasse cette question dépourvue d’intérêt Je me demande pourquoi j’ai parfois ces réactions paranoïaques Je suppose que m’imaginer la cible de malveillance prouve l’attrait que j’exerce sur les autres Mais il n’y a pas de malveillance jamais jamais d’attrait non plus Je viens tous les jours à Virgin Avant d’aller travailler Aujourd’hui cette régularité me rend honteux Je ne comprends pas pourquoi Je regarde autour de moi Un vigile m’observe en parlant à voix basse avec un responsable de rayon Ils ricanent J’ai l’impression qu’ils sont au courant de ma honte, qu’ils en profitent Ils me voient honteux ils en concluent que je suis méprisable Je sens venir un moment d’angoisse Je l’attends je l’accepte je ne peux rien faire d’autre L’angoisse me saisit Je deviens vulnérable trop conscient de mon corps Chaque fonction banale devient consciente Je sens mon coeur battre j’en perturbe la marche par cette conscience aiguë C’est pareil pour ma respiration ma démarche Je ne marche pas normalement Je m’arrête à un rayon je feins de m’intéresser à un disque en attendant que ça passe Puis je pense à la fille A l’époque je me disais voila la solution mais il s’est avéré que c’était trop difficile à organiser sans parler des risques J’ai eu peur pendant des mois de me faire arrêter maintenant encore quand je vois des policiers j’ai des coulées de sueur une boule au ventre Je ressors du Virgin toujours déformé par l’angoisse Je marche bizarrement Je regarde bizarrement les gens J’ai l’impression d’être le centre de leur attention malveillante Je sais en même temps que c’est un pur délire mais ça ne change rien à la violence de la sensation Je marche dans la rue L’enchaînement immuable des micro événements m’entraîne Aucune bifurcation aucun changement un pas puis l’autre les mêmes rues les mêmes gestes les mêmes gens les mêmes répliques la fille au moins ça avait brusqué modifié dégénéré le courant mou mais maintenant il me porte plus que jamais il me faut quelque chose une autre tempête mais quoi je ne sais pas pas quelque chose d’aussi dangereux mais il faut quelque chose je n’en peux plus c’est horrible
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Je suis assis dans mon canapé Devant moi la télévision est allumée Mes yeux sont dirigés vers mes jambes Mes jambes s’agitent nerveusement Je ne les vois pas Je ne vois rien en particulier Je ne fais pas le point J’ai l’estomac lourd Je suis renfrogné Résigné Passif J’ai envie de partir loin de tout changer de changer toute ma vie de trouver de l’intérêt à quelque chose de me mettre en danger de réveiller mes instincts de survie Mais je sais qu’à Paris ou Londres ou New York je serais toujours assis sur un canapé miteux avec une télé merdique en face de moi mes jambes qui s’agitent nerveusement Je soupire je suis découragé accablé pas seulement mon ventre mais aussi mes bras tout mon corps est lourd Je n’ai rien à faire Je n’ai rien à faire alors je m’ennuie J’ai envie de dormir de pleurer Mais je ne suis pas fatigué ni triste Je me lève J’arpente la pièce silencieuse Je pose mon regard jamais longtemps çà là Je fais ça de plus en plus souvent Je croise mon reflet dans la vitre Je traîne des pieds Ca paraît assourdissant dans le silence de dimanche Je retourne m’asseoir Je soupire Je pense au travail A mes collègues Je ne leur parle presque jamais Sauf pour échanger des phrases nécessaires On ne sort plus ensemble Je les évite Je vois encore Eric régulièrement C’est le seul de la fac que je voie encore Il m’a présenté des copains à lui Je perds toutes mes envies une à une le peu que j’avais c’est comme un arbre je vais devenir gris sec Je soupire Je me lève Je balaie la pièce d’un regard circulaire Je soupire Je m’assieds Personne ne peut survivre à l’ennui je me dis J’imagine tous ces gens dans cette rue ce quartier qui s’emmerdent travaillent baisent obéissent aux tyrannies de leurs corps Ils vivent comme moi Ils pensent comme moi j’en suis sur je le sais Mais ils n’en ont pas conscience Même moi je n’en ai pas conscience souvent Sinon y’a longtemps que je me serais tué ou que je serais devenu fou Les autres c’est pareil J’imagine regarder toutes ces vies d’en haut ce qu’on verrait c’est pas des vies c’est pas des gens c’est juste des petits points plein de petits programmes en boucle toute la journée toute la nuit d’années en années avec des micro variations mais rien qui change quoi que se soit c’est ça qu’on verrait d’en haut Je soupire La pénombre envahit la pièce J’ai pas envie d’allumer la lumière électrique La lumière électrique est encore plus triste que la pénombre de la fin du jour Je m’allonge sur le canapé Je ne ferme pas les yeux Je gamberge Des scènes naissent meurent derrière mes yeux Des rêves avortés des ébauches de fantasmes des riens tristes
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Je circule dans les rayonnages d’auchan Je pousse consciencieusement mon chariot Comme tous les autres On est très nombreux à faire ça Ca rend difficile la circulation Je remplis mon chariot avec régularité J’achète les mêmes choses que la semaine dernière Sans doute les mêmes que la semaine prochaine Je veux changer mais réfléchir à ça m’exaspère Je me cache dans l’habitude Je me demande combien se cachent avec moi Je me demande s’il existe des statistiques des cases pour chaque consommateur en fonction des combinaisons d’achat qu’il effectue je me demande alors dans laquelle je suis quel est son intitulé quelle est sa description psychologique je me demande s’il y a un moyen d’y échapper oui bien sûr il y a un moyen il faut changer d’habitude ne plus avoir d’habitude aucune plus aucune effectuer ses achats au hasard j’imagine quelqu’un qui décide brusquement de ne plus être répertorié par les grands magasins qui entre se bande les yeux prends des objets au hasard dans les rayons on ne le connaît pas personne ne le connaît ne le catalogue ne le prévoit Je ne suis pas cet homme Je range docilement les objets habituels dans mon chariot sous le regard des caméras de surveillance Les caméras de surveillance je me suis toujours demandé à quoi elles servent elles ne servent pas à repérer les voleurs ça c’est sûr puisque le vol est comptabilisé le vol est statistiquement identifié son coût est répercuté dans le prix des marchandises donc si les caméras repèrent des voleurs c’est un pur hasard un effet secondaire qui n’a rien à voir avec leur véritable mission leur véritable mission c’est d’espionner les clients noter leurs achats repérer leurs choix leurs préférences dans les locaux de soi-disant sécurité on ne trouve pas de vigiles qu’est-ce qu’ils foutraient là eux non on trouve des comptables des statisticiens il y a des armoires pleines de dossiers avec nos noms nos photos en fait des photogrammes de mauvaise qualité mais reconnaissables quand même dans les pages du dossier tout notre passé dans le magasin mais la question la vraie question c’est à quoi ça leur sert il doit y avoir un projet secret quelque chose qui à un rapport avec la domination l’embrigadement mais je crois que je délire quelque peu je continue à remplir docilement mon chariot quand mon chariot est plein je me rends docilement aux caisses J’attends Je ne pense à rien en particulier Je regarde comme tout le monde les magazines télé les confiseries aux couleurs bizarres je lève la tête pour regarder le numéro de ma caisse le petit néon vert qui veut dire qu’elle est ouverte Ca avance lentement Je lis les titres sur la couverture du magazine télé J’écoute distraitement la musique diffusée à bas volume J’écoute le brouhaha indistinct de tous les gens ou émergent quelquefois un cri de bébé un rire hystérique ou quelque chose d’autre plus difficile à reconnaître Ca avance Mon tour de déposer le contenu de mon chariot arrive Je regarde mes achats bouger sur le tapis roulant Moi je dois me déplacer par mes propres moyens Je franchis l’antivol j’ai toujours peur de faire sonner les bornes alors que je ne vole jamais rien peur de me faire insulter humilier ensuite l’erreur constatée devoir subir les excuses des vigiles leur regard lourd de rancune à chaque fois que je reviens faire mes courses leurs filatures leur désir secret de me prendre en défaut cette fois d’en finir avec moi me livrer à la police me confondre enfin La caissière m’indique le prix à payer elle me tire de ma rêverie Je lui donne ma carte bleue Elle me dit tapez votre code monsieur je tape mon code il faut attendre l’autorisation bancaire puis on entend le petit grésillement de la machine qui accepte mon paiement imprime le reçu Je prends le reçu le ticket de caisse les sacs que la caissière a rempli Je range les sacs dans mon chariot La caissière me dit au revoir Elle a une jolie voix J’aimerais qu’elle me suce qu’une pute me suce me branler en imaginant qu’elle me suce je ne peux pas avoir de contact trop réels c’est trop désagréable humiliant bizarre je ne sais pas c’est impossible en tout cas Je quitte la caisse Une voix féminine interrompt la musique pour annoncer une promotion L’air est lourd mes poumons sont fatigués Je pompe beaucoup d’air pour pas grand chose Je m’essouffle un peu Je ralentis Je traverse toute la galerie marchande très lentement Ca fait plusieurs jours que je n’ai pas vu eric ni jf J’ai envie de les inviter mais à quoi faire Je prends conscience en cet instant que la tristesse est mon état normal que la joie est une anomalie C’est si brutal que tout devient précis dans le décor tous les détails se fixent avec douleur Je m’arrête un instant je souris je repars Peut-être que j’aimerais refuser ça Peut-être en parlant à un inconnu Non en fait je sais comment faire Je sors du magasin Je range tout dans ma voiture Je retourne au magasin Je suis excité rapide efficace Je prends un marteau au rayon bricolage Je me rends à la caisse rapide La caissière s’appelle nadia je la paie en liquide Je parcours rapidement la galerie marchande Je trouve l’animalerie Je veux tuer un animal Je ne sais pas encore lequel J’entre dans l’animalerie Ca pue Je vois des bêtes horribles des lézards des trucs à l’aspect préhistorique ridicule aussi animés que les cailloux qui décorent leur cage en verre je vois des poissons des oiseaux braillards des petits chats des petits chiens Les chiots me plaisent immédiatement J’en choisit un marron à poils ras Il est très exubérant Il me coûte 320 euros Je paie avec ma carte bleue
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Je suis exalté Je suis excité comme jamais auparavant J’ai trop chaud Je ne tiens pas en place Je respire trop fort trop vite Je suis haletant Mes poumons mon coeur ont du mal à faire face Je me lève marche à travers la maison Je souris sans parvenir à m’en empêcher je ne veux pas m’en empêcher Je fais souvent ha je ris Tous mes muscles veulent s’y mettre Je remue les bras je fais tressaillir les muscles de mes cuisses Je déborde de vitalité Je déborde de joie que j’ignore comment exprimer autrement qu’en marchant vite en respirant fort Je tourne je marche je regarde tout comme si la tension devait retomber d’un instant à l’autre mais l’exaltation se maintient à pic je suis à un kilomètre de haut tous mes muscles sont de la fête Je sais que tout ça retombera bientôt mais maintenant je m’en fous Maintenant c’est éternel ça n’a pas de durée pas de fin De toute façon j’ai ma mémoire J’ai envie d’acheter une caméra Je suis un surhomme Je suis un fou Je suis bien comme jamais auparavant J’ai trouvé j’ai compris Enfin Je suis dans un état de bonheur incommunicable D’ailleurs je ne veux communiquer avec personne Je suis bien Avec mon corps qui n’en peut plus Avec tous les boutons bloqués au maximum Je me demande combien de temps ça va durer Je suis à bloc Je marche dans l’appartement sans pouvoir me poser sans pouvoir m’arrêter tous les muscles qui veulent participer J’expire bruyamment ce que contient mes poumons J’inspire à grosses goulées Le sang me monte à la tête Je transpire Je suis vivant Je suis un monstre de vie Je balance les bras Je sens mon coeur pomper le sang comme un dingue tout balancer à travers mon corps jusqu’à mon cerveau jamais autant irrigué qu’aujourd’hui qui en redemande C’est plus puissant que n’importe quel orgasme là tout le corps jouit tout le corps est de la fête pas seulement la bite quinze neurones là c’est tous le corps le moindre organe le moindre muscle existe existe prend son pied Je suis à fond Je lève les bras je bouge comme si de la musique m’accompagnait je serre les poings je saute sur place sur place sur place sur place sur place fort haut je ramène mes pieds le plus haut possible je saute je saute je saute je suis essoufflé je respire plus d’air je souffle plus d’air je donne un coup de poing dans un mur ma peau s’écorche une petite douleur à la main je refrappe refrappe refrappe refrappe en criant en criant je saute je saute je saute je me cogne sur la cuisse à deux mains je cogne un rythme binaire babam babam babam babam hhha hhha hhha hhaaa
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Je suis assis dans le canapé Eric jf marc sont assis eux aussi J’appuie sur play Le DVD commence Moi je connais les images par coeur Alors je regarde surtout quelle tête ils font De temps en temps je jette un oeil aux images Je compte silencieusement les chiens Je n’ai pas enregistré le son Je regrette maintenant cette musique niaise de bertrand burgalat que j’ai choisie pour accompagner ça Au début ça me paraissait marrant genre second degré mais c’est juste ridicule Je coupe le son Les autres sont tellement subjugués par les images qu’ils n’y font pas attention Cinquième chien Cent vingt secondes s’écoulent Sixième chien Je regarde les autres Marc est fasciné horrifié Son attitude suggère qu’il est sur le point de fuir Il est immobile comme une pierre Jf sourit Il lutte contre un fou rire Si je regarde uniquement son regard pas le reste de son visage j’ai l’impression qu’il va se mettre à pleurer Eric est perplexe Il tourne la tête vers moi Il m’adresse un signe interrogateur Je souris d’un air gêné Il retourne à l’image Du sang asperge la caméra Fondu au noir Septième chien Marc commence à rentrer dans ce qu’il voit La fascination prend le pas sur l’écoeurement Cela fait quinze minutes qu’ils sont devant mon DVD Jf laisse sortir des petits rires Il se comporte comme devant un film gore Il se cache que tout ce qu’il voit est réel Un enregistrement pas une fiction pas de l’art pas une blague aucune intention aucun message aucune volonté de provocation de répulsion de séduction juste un simple bête enregistrement Eric semble mieux comprendre le truc Son visage reste neutre Il semble réfléchir Je me lève Je vais pisser Je reviens Neuvième chien Je me dis encore onze Je me demande s’ils vont tenir jusqu’au bout

Je retire le DVD du lecteur Je dis alors vous en pensez quoi Eric dit tu y vas fort Les autres se taisent ils sont encore sous le choc des images Ils ont l’air tous pas mal retournés Le plus dur c’est pas de rentrer dans ces images le plus dur c’est d’en sortir c’est ça qui doit leur faire drôle ils doivent se dire qu’ils sont à tout jamais dans le film à tout jamais en compagnie des images en tout cas moi c’est que je me suis dit quand je l’ai fait que c’était imprimé réel plus réel que le reste du monde que mon regard ni mes mains ne pourraient l’oublier que ça rendait dérisoire tout le reste j’essaie de leur expliquer ça ils m’écoutent en silence entre la compréhension la consternation éric me dis t’es taré mec je dis ça vous dit d’essayer vous devriez essayer éric répète t’es taré mec je me rends compte que les mots sont pas assez costauds pour expliquer tout ce que je ressens cette joie cette certitude d’exister pleinement réellement d’être enfoncé dans le présent un vrai présent pas cette espèce de mélasse quotidienne dans laquelle je vis dans laquelle on vit tous Vous devriez essayer je dis encore à la fin de mes explications Ils paraissent perplexes Après tout c’est que des chiens

Le lendemain je ne me rappelle pas qui a prononcé cette phrase Je sais juste que ne n’est pas moi
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Déjà dans le studio la musique Tout l’espace est rempli Je regarde les vêtements étalés sur mon lit je me dis c’est débile J’imagine que dehors tous les autres c’est pareil bien apprêtés tout ça Vaste opération de drague sur fond de mauvaise musique qui pète les oreilles Je regarde ces fringues elles ne sont pas élégantes elles ne vont pas avec moi La musique me force à bouger des parties de mon corps suivent le rythme Techno basique les basses font vibrer les fenêtres Bon je me décide à m’habiller normalement enfin comme d’habitude quoi Je me sens mal à l’aise Je sors dans le couloir la musique est moins forte En fait ça ne m’intéresse pas J’avais rendez-vous avec des collègues j’irais pas avec eux pour quoi foutre on va traînasser boire des bières tièdes dire c’est bien c’est pas bien tourner confronter nos goûts qui sont les mêmes J’arrive en bas de l’escalier j’ai déjà déroulé tout le film de cette soirée merdique avec mes collègues merdiques heureusement je les verrai pas Juste au pied de l’immeuble il y a un truc comment on dit un genre de sound system enfin un type avec ses platines de dj une paire d’enceintes aussi hautes que lui deux platines on se demande à quoi elles lui servent vu que ce con enfile les disques foireux sans queue ni tête même pas un mix basique juste du pousse disque comme la pire des boites merdiques tout ça devant quatre crétins qui dansent je me dis tu filmes ça tu passes la séquence sans le son tu poses la question en regardant les danseurs à votre avis quel style de musique est joué y’a pas deux réponses pareilles tu m’étonnes cette odeur de merguez de kebab ça je sens que ça va me suivre dans toute la soirée remarque c’est bien le seul truc positif de cette soirée merdique

Je regarde l’heure Il est plus de minuit Je suis pas fatigué Je suis accoudé à un pont Des gens passent en grappe Des bandes des familles Personne n’est tout seul J’entends les échos des musiques Rien n’est près de moi Je peux sélectionner me brancher sur un truc ou un autre Tout est mauvais de toute façon Je regarde mieux autour de moi L’eau Une canette sabrée dans le caniveau L’odeur de tabac alors qu’on est dehors La chaleur qui colle mon tee-shirt Je me sens seul Rien n’est bien J’ai le goût de la bière tiède à la bouche Je tiens encore la boite à la main J’ai soif Je regarde la boite de bière Des gens passent Je me dis tiens j’ai pas vu un seul SDF Je me demande où ils sont passés Ils se sont mêlés à la foule ou alors les flics les ont planqués pour la nuit pas de scandale pas de fausse note ha ha Mouais en tout cas pas de SDF Je me demande ce qu’il se passe côté lascars Hip-hop raï baston ce genre-là j’imagine C’est pas la peine de se demander Moi je suis là je suis tout seul Les gens se raréfient Il y a un groupe qui s’est arrêté Je n’entends plus qu’un truc rock une pulsation techno un rythme disco des villages Les gens ont l’air fatigué Je me demande moi de quoi j’ai l’air putain de dieu Je n’ai pas envie de rentrer Tu parles pour retrouver l’autre débile en bas la chaleur en haut Merci bien Alors quoi Je vais pas rester ici à attendre Je pourrais me remettre à tourner à me convaincre que c’est chouette une vraie fête tout mais non Je jette ma bière dans la rivière Oh bien sûr je sais ce qu’il faudrait je le sais mais hein merde pas tout le temps Y’a aussi des bandes de collégiens quatre cinq pas plus treize ans qui traînent Je me dis je pourrais les suivre en suivre une bande de toute façon ils vont bien toujours s’isoler fumer leur premier pétard ou une connerie là je pourrais les rejoindre on verrait bien c’est sûr on verrait bien Mais en fait non je fais rien en plus y’a des flics partout alors tu parles de moins en moins de monde Je vais rentrer c’est tout ce qu’il y a à faire C’est ce que font les autres gens de toute façon
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Message par konsstrukt »

Je marche Silence C’est fini Je croise des gens qui cherchent encore un endroit où s’amuser Ils me demandent Je réponds je ne sais pas Je me demande s’ils cherchent depuis le début de la soirée Je me demande ce qu’ils cherchent exactement Je ne leur pose aucune question Je continue à marcher Je n’ai pas envie de rentrer Je traverse une rue pleine de noirs Je ne sais pas où je suis dans quel quartier c’est près des quais peut-être près de la gare je ne sais pas vraiment Je pense juste comme ça les noirs faudrait tous qu’ils crament faudrait tous les abattre ces fils de putes ils ne sont pas humains mais en fait je m’en fous je ne suis pas raciste enfin je pense pas pas antiraciste non plus je m’en bats les couilles quoi juste des noirs des blancs de ces conneries c’est pas intéressant mais je pense ça juste pour me provoquer puis je me dis je me demande quelle serait leur réaction à tous à tous les noirs si ils lisaient dans mes pensées si là tout de suite ils comprenaient ce que je pense Je me demande oui est-ce qu’ils pleureraient est-ce qu’ils seraient en colère chercheraient à me casser la gueule à me tuer qui sait Je quitte cette rue pleine de noirs je cesse d’y penser

Je tourne la clé dans ma serrure Je verrouille

Je m’endors

Ca suffit les chiens les chiens y’en a marre Je suis à la FNAC je pense ça C’est tout d’un coup évident Je vois tous ces gens là autour de moi ils choisissent des disques ils lisent des trucs ils déambulent moi je pense à une explosion une pas bien grande juste pour en tuer un ou deux créer un mouvement de panique Pas difficile d’introduire une bombe dans la FNAC j’y ai souvent pensé Non le problème c’est que je serai pas là pour voir le truc ou alors plus tard à la télé ou sur Internet y’aura bien quelqu’un pour diffuser les bandes de sécurité mais c’est indirect c’est juste une trace un souvenir objectif c’est comme nos DVD mais les DVD on y était c’est des photos de vacances alors que là ce serait juste un reportage ça n’évoquerait rien aucun affect aucune passion juste des morts que j’en sois responsable n’y changerait rien
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Message par drÖne »

Tiens, je me suis demandé en te lisant, si le fait de dépeindre des personnages pour qui toutes les idées, des plus morbides aux plus élevées, semblent se valoir, était pour toi une manière de dénoncer l'époque contemporaine (qui me semble marquée par une réelle indécision idéologique, avec des valeurs qui se reconfigurent sur des bases vagues), ou si c'était plus une manière d'y adhérer en disant : "si nos idées conduisent à ce monde merdique, c'est qu'elles ne valent rien ou qu'elles se valent toutes, donc n'ayons aucune honte à être des brutes".

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Message par konsstrukt »

il se peut que tu prennes ma réponse comme un tentative de ne pas répondre, justement, mais c'est la seule qui soit sincère.

je ne traduis que ce que j'observe. une absence de valeur hiérarchique. nous sommes dans un monde tellement stupidement démocratique que le racisme ou le néonazisme est intégré à la société comme un débat d'idée. on considère généralement qu'il s'agit d'une idéologie nauséabonde, mais qu'il est possible de réfuter.

c'est ce que je montre dans ce livre. l'idée qui peut s'en dégager, c'est que si toute les idées de valent alors les idées sont mortes.

maintenant, ce que j'en retire comme conséquence dans ma vie réelle, j'en sais trop rien. tout ce que je sais, c'est que je ne veux pas discuter de racisme, parce que le racisme ne se discute pas. il a beau se déguiser en idéologie avec un suffixe à la con, ça n'est pas une idéologie. ou alors, admettons que le pédophilisme est une idéologie et invitons dutroux à c'est mon choix j'encule des petits enfants.

bref.

je voulais dire quoi ?

que mes personnages sont des zombis sans aucun recul sur le monde ni sur eux-même, et qu'ils correspondent à ce que je vois tous les jours chez les autres. c'est l'éternelle arrogance de l'écrivain qui parle des défauts de l'homme de la rue, quoi.

amicalement !

(mais en tout cas, je ne suis pas systématique d'accord avec mes personnages, surtout s'il s'agit de taper sur des chiens dans des baignoires)
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Message par drÖne »

konsstrukt a écrit :je ne traduis que ce que j'observe. une absence de valeur hiérarchique. nous sommes dans un monde tellement stupidement démocratique que le racisme ou le néonazisme est intégré à la société comme un débat d'idée. on considère généralement qu'il s'agit d'une idéologie nauséabonde, mais qu'il est possible de réfuter.

c'est ce que je montre dans ce livre. l'idée qui peut s'en dégager, c'est que si toute les idées de valent alors les idées sont mortes.
C'est un point de vue sur les idées qui peut se discuter. Tu imagines bien que si j'extrais cet aspect des idées sur les idées qui émergent de ton texte, c'est que j'ai moi aussi ma petite... idée. Car c'est une vieille question : comment distinguer entre deux idées ? Entre une bonne et une mauvaise ? Elle ne se pose plus, me semble-t-il, depuis le XIXème siècle, en termes de logique : les idées que l'on pourrait réfuter, et les autres. J'adhère à la conception du philosophe Ch. S. Peirce qui propose une vision "pragmatique". A savoir que pour raisonner sur les idées, il ne faut pas les voir comme des composés de propositions logiques plus ou moins vérifiables, mais comme des signes articulant des réalités du monde à des pratiques sociales. De ce point de vue, le nazisme ce n'est pas seulement une idéologie : c'est les idées de gens comme Hitler qui ont circulé à travers des textes rédigés et imprimés puis distribués, et qui ont eu des conséquences concrètes : des milions de morts. Or, si on ne peut pas dire grand chose en termes de logique formelle sur aucun texte, donc sur aucune idéologie, on peut juger moralement des actes. C'est pour ça que les idéologies qui conduisent au massacre, quelles qu'elles soient, doivent être jugées. C'est pour ça que, même si j'adore le Celine écrivain, je me permets de dire que Celine était une ordure politique, ou du moins un imbécile. Car il n'a pas fait "que" manipuler des idées : en les faisant circuler, il les a fait agir, et il me paraît coupable de ce point de vue.

Si on laisse de côté le cas Celine, trop compliqué pour être traité en quelques lignes ici (c'est pas seulement un facho/collabo de base : son itinéraire intellectuel est plutôt complexe), pour revenir aux idées et à la Pragmatique, alors je pense qu'on ne peut pas dire que les idées sont mortes : elles continuent toutes, bonnes ou mauvaises (idéologies, religions, utopies, concepts scientifiques, préjugés, stéréotypes, etc.) à circuler, à être reproduites (livres, films, tableaux, etc.) et à orienter plus ou moins certains aspects des conduites humaines, ou à accompagner certains changements sociaux. Les idées, les signes, c'est toujours plus que de la logique : c'est une matérialité (qui a son "poids" de réalité empirique), un certain type de construction de la réalité, des usages (des actes qu'elles encouragent, défendent, prescrivent, etc.) et des langages (des formes spécifiques, instituées historiquement). Et ce que veut dire Peirce, c'est qu'on n'arrive pas à distinguer clairement entre deux idées par le miracle du cogito cartésien, mais par une analyse de ce que font les idées à la fois au monde, et aux gens. Mais c'est sûr qu'avec la logique et certaines formes de philosophies nihilistes, le relativisme pointe son nez, et avec lui l'abandon du jugement. Mais si on abandonne son pouvoir de juger, d'évaluer entre deux idées, on n'existe même plus intellectuellement ! Il faut sauvegarder cette possibilité qui reste au fondement de notre liberté intellectuelle : le relativisme est tout autant idéologique que l'idéalisme ou le pragmatisme. Mais ne penses-tu pas que notre siècle en a soupé des relativismes, quand ceux-ci font des morts par milions et qu'ils produisent des totalitarismes absurdes ?

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