L'APPEL

Désobéissances et micro-résistances.

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LLB
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Message par LLB »

Cette histoire du désert me rappelle un livre extraordinaire, les récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, qui a passé de nombreuses années de sa vie dans les camps de travail sibériens. "Les récits de la Kolyma" ne sont pas une description des horreurs des camps, pas un témoignage politique, non, c'est un ensemble de petits récits des moments qui ont marqué cette gigantesque traversée d'un désert de solitude, de fatigue, d'absurdité. Par exemple il décrit comme les premiers pins nains émergent de la neige au printemps. Il raconte comment il a trouvé un livre un jour. Comme la colonne fourbue des déportés de retour du chantier à la tombée du jour croise une jeune femme, comment elle les regarde et leur sourit en leur criant une parole d'encouragement et comment la colonne harassée et morose flamboie d'une joie collective lumineuse. Et notre Chalamov comme une plante du désert qui attend quelques jours de pluie par an pour germer fleurir et fructifier d'un coup, maintient intact son rapport à la vie, à la nature, à la poésie, pendant des décennies, en se nourrissant de moments de grâce infiniment honorés. Ce type est comme un idéal d' héroïsme discret et inflexible, et il est vrai qu'il n'avait rien fait pourtant pour lutter contre le régime stalinien, comme il n'a rien fait ensuite pour en parler, il s'est retrouvé au camp pour des broutilles. Et c'est sûr que ce n'est pas des gens comme lui qui pourraient être des porte-parole d'une critique, qui sont nécessaires aujourd'hui, maintenant, mais chacun son truc aussi.
Quant au fait que le capitalisme libéral soit si puissant, si incorporé par nous tous qui sommes pris dedans puisqu'il y n'y a pas d'interstices, et qu'il s'impose presque comme une nature de la société humaine aujourd'hui, c'est vrai Stairvair que ça reste un mystère pour moi, compte-tenu de tout ce qu'on se plaît à croire en sciences humaines et sociales, sur la richesse symboliques des faits sociaux, là franchement, on ne voit pas trop. D'ailleurs Godelier, anthropologue patriarche, le dit aussi : étrangement, les environnements techniques et organisationnels de nos sociétés se complexifient énormément, mais leur rapport au rituel s'assèche.
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TouF
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Message par TouF »

Pas facile à lire d'une traite, ce texte, tres interessant.
Pas le temps, hélas, pour faire mes commentaires. Mais il se rapprochent (encore une fois)de ceux de drÖne. (il y a matiere à reflexion et remise en question)
:wink:
J'en profite surtout pour vous faire une bise :D
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oliv
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Message par oliv »

5 millions de veaux ont souscrit des actions edf( Suis scandalisé par la pub pour la privatisation:"tu as vu, c'est beau, c'est à nous maintenant"...ben non, ducon, c'était à toi avant, pas qd c'est privatisé!!!), Sarko gagne 11 points dans les sondages...suis assez desepéré, mais c'est pas neuf, par nos con-patriotes...bon, ben moi, je vais aller m'occuper de mon microcosme africain ou il y a aussi un paquet de contradictions à résoudre...

Coucou, Touf...
dana
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Message par dana »

J'ai l'impression que ce n'est pas d'action collective dont nous avons besoin, c'est de cran et de foi pour dire non et prendre des positions là où nous sommes déjà, au quotidien, et ce n'est possible et supportable dans la durée que si nous avons des témoins et si notre non-action est reconnue par quelques personnes pour qui elle fait sens. Et si on était très nombreux à se reconnaître et faire alliance dans cette attitude, alors ce serait presque un plaisir que de passer pour des nuls et des décaléslà où nous sommes, dans des refus et des positions sans gloire, sans éclat révolutionnaire, sans vernis réthorique, sans esthétique politique.
merci de ces mots
c'est là où je me trouve en ce moment (je dirais pas comme ça mais j'y reconnais assz les lieux)
tu as raison : on doit admettre que nous ayons besoin de témoin (enfin, comme le dit ma psy(chanalyste), que vous vous adressiez tout de même à un autre ça dit bien que vous n'êtes pas tout à fait fou)
Alors après qu'on fasse tous ce constat du désert : ce qui est marant quand même quand on pense qu'au désert, c'est là qu'on fait retraite n'est-ce pas ? d'une certaine manière, j'y suis, au désert, et m'en suis jamais senti aussi bien. Mais ce n'est pas du même dont parle L'APPEL. Je reste un peu perplexe toutefois.
J'ai commencé par détester ce texte dröne, puis à l'apprécier vraiment. J'aime ces gens qui promettent des promesses qu'ils ne seront jamais en mesure de tenir (c'est le fondement de ma propre théorie du ratage (misfire) que je développerai peut-être peut-être pas peu importe, dont les concepts clés sont délicieusement et goulument empruntés à J.L. Austin, Lacan et Shoshana Felman)
Alors, à vous lire, le problème c'est jusqu'où renoncer ? Quand j'étais jeune (j'avais alors 16 ans) j'étais tombé amoureux d'un garçon (je suis moi-même un garçon mais à l'époque ma sexualité était encore très flottante), un garçon de mon age qui vivait dans la communauté de Lanza Del Vasto (près de Vence je crois). J'aurais plaqué les individus nommément ma "famille" pour l'y suivre chez le grand barbu poète : on y faisait surtout des travaux des champs, des trucs collectifs, je vous cause de ça c'était en 84, je sais pas ce que c'est devenu depuis la mort du gourou, mais j'y suis allé finalement, et pas resté longtemps.
De fait, je supporte pas assez les gens pour vivre en communauté et voyez vous quant au désir, je supporte pas qu'on prétende savoir à la place de l'autre ce qu'il désire.
C'est bien là le problème - que l'auteur de L'APPEL n'élude pas (et on doit l'admirer pour cette manière de ne justement rien éluder, quitte à ce que ça donne un peu de flou comme dit trsè justement notre majesté dictatoriale) :
J'ai eu la chance (je dis ça a posteriori) de vivre quelques temps en tant que patient dans un centre psychiatrique à la pointe du progrès - c'est-à-dire à l'anglo-saxonne d'aujourd'hui, dans une appréciation purement mécaniste du délire humain. Terrible : on y apprend en quelques semaines ce qui fait le nerf du monde que décrit la voix de L'APPEL : comment, au prétexte de vous aider à recouvrer la pleine mesure de vous-même, et soigner au passage votre "maladie", on vous met à genoux, on vous écrase sous le regard éteint mais vigilant du Grand Autre (comme disait l'autre). Bon. Rassurez vous je me suis fait virer au but de deux semaines parce que je devenais le psychanalyste de tout le monde, et qu'on me soupçonnait de fomenter une révolution autour du jaccuzzi (ce que je m'étais promis d'éviter pourtant).

Il est grand ce texte quand même. Je le suivrais pas dans sa révolution - j'ai d'autres trucs à faire, renoncer c'est un boulot à plein temps vous savez. Mais ça me paraît aussi bien vu que.. heu.. les bouquins de Houellebecq par exemple (je n'ai pas beaucoup d'autres exemples à vrai dire). Vous allez me tomber dessus ok. Mais c'est à lire comme de la SF et finalement il dit à peu près la même chose dans la possibilité d'une île (que ma psy m'a filé) : sauf qu'il y met un peu plus d'humour.
Je note au passage le petit paragraphe sur les sectes dans L'APPEL :
Pour un sectaire, avant tout, la vie est exactement ce qui peut se rendre adéquat à ce qu'une pensée reconnue comme vraie est à même d'exiger - à savoir, une certaine disposition à l'égard des choses et des événements du monde, une façon de ne pas perdre de vue ce qui importe.
Houellebecq dirait pas moins je crois.
Moi aussi mais je préfère fonder ma secte à moi seul et m'y tenir.
Après j'en reviens au point de départ, comme dit très honnêtement LLB : faut un témoin (et de préférence un qui puisse répondre, parce que le témoin tout à fait imaginaire ça ne suffit pas à vous garantir que vous n'avez pas sombré dans la paraphrénie)

Oui mais "se reconnaître", "porter témoignage" (ça sonne très "première communauté évangélique" ça), ça n'est pas la révolution.

C'est là que le texte de l'APPEL est à la fois insupportable et génial et raté : parce q'il est un appel justement.
Alors c'est très joli le partage, et aussi cette "grâce des lieux" et son appel récurrent à la "sensibilité" : et la preuve on pourrait s'entendre à peu près là dessus, mais ça n'empêcherait pas qu'il puisse se présenter quelqu'incompatibilité au niveau de nos désirs - et alors là, pour vivre ensemble vous comprenez.. il faudrait des règles pour assainir tout ça, un peu de sacrifice et à nouveau des jouissances sur lequelles il faudrait s'asseoir (l'auteur dit : "des joies (non-) différées"). Enfin je me fais pas d'illusion là dessus (suis moi-même une tête de noeud) : et de là à faire la révolution ensemble (ruiner l'empire, faire la guérilla - je reprends les mots de L'APPEL), ben il y aurait plus qu'un pas (et pour mi un abîme à franchir).

et là Dröne remet les choses à leur place :
Je veux dire que je me demande bien ce qu'il y a à faire en ce moment pour dénoncer l'état d'urgence en dehors de manifs bien classiques. Même chose si demain un fasciste comme Sarkozy arrivait au pouvoir, par exemple en faisant alliance avec le pen, ce qui n'est pas du tout improbable. Là, on devrait soit se taire et subir une dictature, soit fuir, soit entrer en visibilité et en action. Mais je vois mal comment réagir à ce type d'urgence dans le cadre d'une démarche "souterraine", même si celle ci me paraît nécessaire. Quoi qu'il en soit, vu que les actions liées au travail et à ses lieux sont encore structurées par les syndicats et par le centrage sur des corporations isolées les unes des autres, c'est bien d'une voie étroite et difficile qu'il s'agit quand on évoque la nécessité de ce travail de fond.
Une voie étroite, la petite voie des mystiques, des ste thérèse - laquelle fait moins de bruit que la grande voie de la théologie (ou de L'APPEL)

Comme quelqu'un (?) le note ici, Sarko a gagné onze points dans les sondages après le chaos des banlieues. Il est à 66% je crois.
Comme je vais boire mon café du matin au bar des sports, tous les matins, et comme j'y écoute ce qui se dit, ça me suprend pas du tout. Comme je suis pas arabe ou sénégalais, je peux boire mon café peinard (personne ne sait que je suis au rmi, les mecs me croient prof ou écrivain c'est une légende que j'ai fait circuler en arrivant ici - et pour séduire la fille de l'agence immobilière afin d'avoir le droit de louer un appartement).

je me dis comme ça que la précarité, c'est quand tu ne sais pas à quel moment les gens vont te jeter des pierres ou te lyncher (tu sais juste qu'il auraient toutes les raisons de le faire, d'où la stratégie : profil bas, l'air un peu psychotique rêveur, pas trop accessible, manquerait plus qu'on me paye un verre merde)

Au fait, certains ici ont lu du arno schmidt ? Notamment : Miroirs Noirs.
Lisez le : on dirait que ça a été écrit hier.

J'ai la flemme de me présenter et j'ai trop écrit bien sur.
Mais ça fait du bien de vous lire c'est ça que je voulais dire en fait.
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LLB
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Message par LLB »

Merci à toi, je peux pas rester face à mon écran aujourd'hui (flagrant délit d'occupation penante) mais avant d'y revenir, je voulais juste faire signe car ton post était un super cadeau, dès le matin. J'ai l'impression de reconnaître des choses dans ton parcours. Je vais pas évoquer le mien, juste une chose : Jean de la Croix et ses extraordinaires poëmes, ou les obscurs qui ont écrit dans leur cellule, parfois à peine chrétiens au fond, très loin de l'Eglise. Cervantes qui a déclaré en prison, enfin libre.
Par contre Houellebecq : non, je n'aime pas les cyniques du type "ayons le courage d'être des lâches".
Il y a 15 jours, j'ai proposé au Présidictateur d'aller voir la Chartreuse au Désert, dans les Alpes, on a regardé très longtemps, depuis un chemin en surplomb, les bâtiments où 40 hommes vivent dans la clôture avec une règle qui depuis 900 ans "n'a jamais été réformée puisqu'elle n'a jamais été déformée". La suite plus tard.
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drÖne
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Message par drÖne »

Hé, Dana ! Cool de nous rejoindre dans notre désert virtuel ! Et comme tu le vois, c'est vrai que le désert qui nous intéresse en ce moment, c'est celui des Chartreux, moins le mysticisme peut-être : une retraite laïque est elle possible ? Une retraite laïque qui tienne pour acquis les échecs (relatifs ?) de la période post-68 qui fut riche en "retours à la campagne" ? Vivre dans le monde, mais hors du monde à la fois, et sans devenir schyzo : ça fait beaucoup à inventer !

En ce qui concerne l'appel, je trouve que s'il résonne si fort, c'est aussi parce que plus aucune parole intelligente n'émerge dans l'espace public et politique depuis... pfiouuu ! Allez : depuis la mort de Bourdieu, au moins. Comment est-ce possible que, face à la gravité de notre situation, pas une parole intelligible ne soit audible à part celle de la connerie haineuse à la Finkelkraut, du cynisme médiatiquement géré à la Houellbecq, du sectarisme communautariste à la Ramadan, du retournement de veste à la Touraine, du ventre mou inutile et silencieux des universitaires, de l'agitation stérile des activistes, du consensus lobotomisé et conservateur des militants du PS, des rengaines apprises par coeur de la CNT et du PC, bref, tout cela qui constitue le désert dans un de ses sens...

Comme si on avait perdu la recette du rapport au monde et étions devenus étrangers à notre propre culture. Hier je suis sorti faire des courses, et je n'ai plus reconnu mon univers. Littéralement, je ne savais plus ce que je faisais en ville, encore moins dans ce pays : ça m'arrive parfois, ce genre de dérèglement de la signification, mais là, ça devient presque quotidien. Avoir la certitude que les gens avec qui tu peux partager quelque chose se compte sur les doigts d'une ou deux mains, et qu'avec les autres, c'est la plus absolue distance qui s'impose, la méfiance, l'étrangeté radicale, ça n'aide pas à passer d'une seconde d'ennui à la suivante, tout aussi ennuyeuse.

Il y a un autre livre qu'il faut lire ou relire : "L'homme sans qualité", de Musil. La période qu'il décrit, celle qui précède la guerre de 14, c'est celle qu'on vit aujourd'hui : une période où chacun sait que quelque chose de terrible se prépare, qu'il faut trouver une "grande idée" pour sauver nos peaux, mais où plus personne n'a la moindre idée de ce qu'est seulement une idée. Agitation brownienne stérile avant le grand clash... ou avant le grand Rien.

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Message par dana »

dröne :
Hier je suis sorti faire des courses, et je n'ai plus reconnu mon univers..
ça commence comme ça :)
l'inquiétante étrangeté (l'unheimlich de Freud). Oui étranger à sa propre culture... j'ai pensé à nietzsche aussi en lisant l'APPEL. Et peut-être qu'au fond, avant de faire quelque révolution que ce soit, on devrait au moins s'inventer une stratégie (comme dit l'APPEL) viable. Parce qu'à essayer de penser en dehors des discours des maîtres, j'en connais plusieurs qui s'y sont ruiné la santé (et vous en connaissez aussi)
Il y a un autre livre qu'il faut lire ou relire : "L'homme sans qualité", de Musil.
Tu es la quatrième personne en trois mois à me dire de lire musil. Je vais essayer de récupérer la dernière traduc par Cometi).

LLB
Par contre Houellebecq : non, je n'aime pas les cyniques du type "ayons le courage d'être des lâches".
o tu sais je ne m'intéresse pas beaucoup à Ouellebecq mais plutôt à ses bouquins, et à ce qu'il raconte, son délire (sans trop se fouler d'ailleurs au niveau du style). Le dernier truc là, sur la secte Raël, c'est quand même assez prophétique, avec son sytème organisé à la Zardoz (vous avez vu ce film dément et raté de Borman ? on y va tout droit à mon avis)
Il y a 15 jours, j'ai proposé au Présidictateur d'aller voir la Chartreuse au Désert, dans les Alpes, on a regardé très longtemps, depuis un chemin en surplomb, les bâtiments où 40 hommes vivent dans la clôture avec une règle qui depuis 900 ans "n'a jamais été réformée puisqu'elle n'a jamais été déformée". La suite plus tard.
IL y a toujours des moines là haut ?
Ainsi, pour en dire un mot, Isaac s'en va seul aux champs pour méditer ; et l'on doit croire que ce n'était pas chez lui hasard, mais coutume. Jacob envoie en avant tout son monde pour demeurer seul ; il voit Dieu face à face et reçoit l'heureux partage d'une bénédiction et d'un nom meilleur, obtenant plus en un moment de solitude que durant toute une vie parmi les hommes.
Ma psychanalyste me disait l'autre jour (parce que quand même elle s'inquiète un peu de mon renoncement) : pourquoi ne feriez vous pas comme un de mes patients qui s'est fait moine chez les cisterciens ?
Je lui réponds : mais parce que je ne crois rien de tout cela
Elle dit : lui non plus n'y croit pas. Il a juste trouvé son asile personnel.
Moi : Hé bien je l'ai déjà trouvé mon petit asile personnel, mon petit ermitage.
(sauf que - et ça m'emmerde - ma jouissance est conditionnée au versement d'un rmi.. )

Je ne sais plus qui a parlé ici d'un archipel (qui est un chapelet d'ïlots) : c'est tout à fait ça : magnifique. Faut commencer par là.
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Message par drÖne »

Ceci dit, je n'ai même pas besoin d'aller dans ces lieux de perdition que sont les centres commerciaux pour ne plus rien comprendre aux interactions entre êtres humains : au boulot, ou dans les milieux de l'activisme musical, je ne comprends plus personne non plus. On est peut-être les objets d'une expérience de mutation génétique à grande échelle, ou bien il s'agit d'une lobotomie globale de la population française ?

Pour Musil, je n'ai que l'ancienne traduction chez Seuil : elle va bien et tu la trouveras peut-être d'occase. C'est LLb qui m'a fait découvrir Musil, mais il paraît que c'était un écrivain déjà très lu dans les années 70, avec Gunter Grass et consort. J'aime bien le mélange entre roman et essai sociologique, voire phénoménologique.

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Message par dana »

au boulot, ou dans les milieux de l'activisme musical, je ne comprends plus personne non plus
alors qu'étrangement au contraire je comprends leurs raisons - donc je les comprends.
c'est-à-dire, tout le monde a ses raisons.
se trouver des raisons de vivre comme on vit, il suffit de se baisser pour en trouver, et de pas trop se poser de questions.
Vivre en paix, s'accrocher aux signifiants qui vous tiennent -tant que ça tient-, perpetuer son petit bricolage de névrosé.
je comprend.
J'aimerais adhérer, mais je peux point (pour reprendre le mor remarquable de l'APPEL, suis déjà désaffilié - mais de naissance)

tiens : un petit texte que j'ai écrit il y a deux ans :
"J'aimerais adhérer.. "(citation de M. Ouellebek)

On s'épuise à donner du sens (parce que tel est notre lot). Aujourd'hui plus qu'avant sans doute. J'aimerais adhérer, mais je n'y parviens plus. Vivre une vie sociale saine suppose l'adoption d'un ensemble complexe de croyances, une architecture de concepts, de principes, de règles, d'observances, de bienséances, de vertus (ensemble qui prend des formes différentes selon les cultures et la naissance). Mais je n'y tiens plus. Et pourtant j'ai fait l'école qui est une grosse machine dont le but ultime est de produire des individus susceptibles d'adopter un mode d'existence sain et régulier (au sens de «administré par des règles »). J'observe d'ailleurs que la plupart des gens tiennent mais sans enthousiasme : comme avec des bouts de ficelle, des propagandes auxquelles on s'offre non sans amertume, mais avec une relative bienveillance quand même, par paresse ou par désespoir. Le fatalisme (cette école de la pitié envers soi-même) est l'idéologie la plus populaire. Le processus d'asservissement des consciences, d'abêtissement et de dépoétisation radicale du monde atteint son but avec d'autant plus d'efficacité que les populations s'y soumettent avec jouissance. parce que tel est son plaisir. Mais c'est le tonneau sans fin du plaisir. Et sans les médicaments qui régulent nos humeurs, ce serait sans doute un chaos de douleurs.
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Message par LLB »

dröne :
Ceci dit, je n'ai même pas besoin d'aller dans ces lieux de perdition que sont les centres commerciaux pour ne plus rien comprendre aux interactions entre êtres humains : au boulot, ou dans les milieux de l'activisme musical, je ne comprends plus personne non plus. On est peut-être les objets d'une expérience de mutation génétique à grande échelle, ou bien il s'agit d'une lobotomie globale de la population française ?
Ca me rappelle une phrase de Blake (décidément, retour aux souvenirs) qui raconte qu'au plus fort d'une conversation très animée et très bruyante, en proie à une de ses visions coutumières, il ressent soudain que "nous étions là tous silencieux et tous damnés".

Je me suis demandée Dröne si ce que tu ressens là si fortement, et qu'on n'éprouve normalement que de temps en temps mais qui est troublant quand ça s'installe, ne serait pas lié partiellement à un phénomène que personnellement j'ai un mal croissant à supporter. On est dans les choses, dans le monde, dans la seconde, avec ceux avec qui on est, engagé ici et là. Mais on incorpore peu à peu les recadrages constamment opérés par les discours ambiants, médiatiques entre autres : ce qu'on vit ici et maintenant est entièrement pris dans ces recadrages, relativisé, absurdifié, nié comme étant insignifiant.
On n'arrive plus à être dans ce qu'on est ici et maintenant tant on nous enfonce dans le cerveau à chaque seconde que l'essentiel de ce qui se joue pour nous est ailleurs. C'est pour ça qu'on a tellement envie, en tout cas moi, d'espaces petits et cohérents et ça rejoint ce que disait Dröne à propos de la nécessité des frontières.
Dans 'Hommage à la Catalogne" de Georges Orwell, on suit Orwell sur le front d'Aragon pendant la guerre d'Espagne, tout à ce qu'il fait, il se bat, il vit avec ses compagnons de tranchée une sorte de micro-société utopique d'égalité et de fraternité. Un jour un avion leur balance des journaux, ils se rendent compte de ce qu'ils représentent dans l'ensemble du dispositif de guerre : pas grand chose, l'essentiel se passe à Malaga où les franquistes ont conquis la ville qui s'est rendue sans résistance. On sent que le sens de ce qui se passe entre Orwell et ses compagons commence à basculer, et ça changera complètement quand il se retrouvera en permission à Bercelone au moment des combats entre le POUM et la police.

Dana :

On s'épuise à donner du sens (parce que tel est notre lot). Aujourd'hui plus qu'avant sans doute. J'aimerais adhérer, mais je n'y parviens plus. Vivre une vie sociale saine suppose l'adoption d'un ensemble complexe de croyances, une architecture de concepts, de principes, de règles, d'observances, de bienséances, de vertus (ensemble qui prend des formes différentes selon les cultures et la naissance). Mais je n'y tiens plus. Et pourtant j'ai fait l'école qui est une grosse machine dont le but ultime est de produire des individus susceptibles d'adopter un mode d'existence sain et régulier (au sens de «administré par des règles »). J'observe d'ailleurs que la plupart des gens tiennent mais sans enthousiasme : comme avec des bouts de ficelle, des propagandes auxquelles on s'offre non sans amertume, mais avec une relative bienveillance quand même, par paresse ou par désespoir. Le fatalisme (cette école de la pitié envers soi-même) est l'idéologie la plus populaire.
Juste!

En même temps, je trouve que beaucoup de gens tiennent et font tenir les choses. Les institutions par exemple, beaucoup de gens, public ou agents, assument comme ils peuvent des missions institutionnelles héritées, pour les transmettre, souvent contre leur propre hiérarchie qui utilise l'institution comme un aqcuis à consommer, une entreprise à gérer. Mais ça tient un temps. Arrive le moment où on voit pas assez l'Institution Abstraite et trop la stupidité du management, de la compétitivité, de l'innovation, de la productivité, de l'excellence, des gands équilibres, des axes prioritaires.
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