"Quoique profondément différent, Appel illustre aussi une situation de crise en s’efforçant à sa façon de la dépasser.
Réagir devant Appel en sortant notre balance théorique pour y peser le pour et le contre n’aurait aucun sens, ou témoignerait d’une triste indifférence à la subversion sociale qui naît, agit, se cherche et se formalise. Quelles que soient les réserves qu’il peut susciter, ce livre manifeste une existence, une expérience, en particulier dans les actions anti-mondialisation des dernières années, et fait à sa manière le point sur l’époque. Exprimé dans une langue que l’on a envie de lire, l’acquis théorique en inclut des éléments de compréhension essentiels empruntés notamment à Marx, à la gauche communiste, à l’ IS, à l’anarchie, sans revendiquer aucune filiation, sans directement citer aucun classique : intégrées au texte, les citations sont souvent attribuées à " un ami " ou " un vieil ami ".
" C’est à force de voir l’ennemi comme un sujet qui nous fait face – au lieu de l’éprouver comme un rapport qui nous tient – que l’on s’enferme dans la lutte contre l’enfermement. " ( p.
" La pratique du communisme, telle que nous la vivons, nous l’appelons le Parti. Lorsque nous atteignons un niveau supérieur de partage, nous nous disons que nous construisons le Parti. Certainement d’autres, que nous ne connaissons pas encore, construisent aussi le Parti, ailleurs. Cet appel leur est adressé. " (p.63)
" (..) la construction du Parti, dans son aspect le plus visible, consiste pour nous dans la mise en commun, la communisation de ce dont nous disposons. Communiser un bien veut dire : en libérer l’usage et, sur la base de cette libération, expérimenter des rapports affinés, intensifiés, complexifiés. " (p.66)
" Il est des circonstances, comme dans une émeute, où le fait de pouvoir se soigner entre camarades augmente considérablement notre capacité de ravage. Qui peut dire que s’armer ne participe pas de la constitution matérielle d’une collectivité ? " (p.67)
Communisation est ici définie comme antagonique à ce monde, en conflit irréconciliable et violent (jusqu’à l’illégalité) avec lui. Elle diffère donc de l’alternative qui cherche (et souvent réussit) à se faire accepter à la marge, et à coexister durablement avec l’Etat et le salariat, dans l’espoir que le rapport de forces s’inverse un jour tout seul, et que les zones et activités " libérées " deviennent majoritaires puis finissent par tout emporter, sans révolution, grâce à la supériorité naturelle de rapports humains et fraternels sur les relations mercantiles et de domination. Non seulement Appel ne partage pas cette vision, mais il la combat.
Cependant, comment " rendre habitable la situation d’exception " (p.78), par exemple comment vivre en dehors du travail, sans un mouvement de grande ampleur en rupture avec l’ordre établi ?
Appel suppose ceux à qui il s’adresse déjà organisés (ou en voie de l’être) et déjà relativement nombreux. Il est permis de douter qu’il en soit ainsi. Le livre reconnaît que l’expérience des Black Blocs a montré les limites de la résistance sociale : si se défendre est difficile, comment passer à l’offensive ?
A ne pas se le demander, on risque de théoriser une communisation limitée à un pas de côté, sans aucun doute nécessaire à une révolution, mais non suffisant. Communiser, c’est expérimenter d’autres rapports, d’autres façons de vivre, sur tous les plans. Mais c’est aussi obligatoirement plus et autre chose qu’étendre au maximum les marges d’autonomie que concède cette société. Nous faisons nôtre la définition du communisme comme partage, comme être et faire ensemble, comme processus, et comme conflit. Mais comment pratiquer maintenant, dans la réalité sociale qui prévaut en 2004, des liens, des lieux, des sécessions, qui ne soient pas une alternative plus radicale que d’autres, sans aucun doute plus violente et plus réprimée parce que souvent hors-la-loi, mais également intégrée au fonctionnement du capitalisme moderne ?
Désormais chaque ville d’Europe et d’Amérique du Nord (et bientôt de plus en plus en Asie) a son groupe écolo radical, sa communauté anar, son squat. Vivre en dehors du salariat est possible (sinon obligatoire) pour des millions d’Européens. L’hédonisme contemporain renverse la formule de V.Serge citée au début de cet essai : il nous invite à ne pas sacrifier le présent à l’avenir, à construire intensément des situations, à vivre maintenant autrement les mêmes rapports sociaux. Cet hédonisme converge avec l’alter-mondialisme dans un même refus de la globalité, et de toute destruction du pouvoir politique central: il serait possible de prendre le pouvoir sur soi et localement, et de remplacer une révolution sociale future par des millions de révolutions personnelles et micro-collectives.
L’Appel décrit un anti-mondialisme initialement subversif, puis réabsorbé par diverses bureaucraties, sans s’interroger assez sur la réalité d’un tel mouvement, sur sa naissance une quinzaine d’années après la retombée des secousses révolutionnaires des années 60-70, dont la compréhension est indispensable pour comprendre où nous en sommes.
Si, comme l’affirme le livre, les anti-mondialisateurs radicaux avaient vaincu la gauche mondiale dans la rue, la forçant à se replier sur ses forums sociaux, nous (les auteurs d’Appel, nous-mêmes, et une foule d’autres) aurions une existence, une action régulière dans la rue, ce qui est rarement le cas, admettons-le. Il manque à cet Appel une analyse du mouvement social présent, des luttes, des reculs et des résistances dans le monde du travail, des grèves, de leur surgissement, de leur défaite souvent, de leur absence parfois, en un mot de tout ce que recouvre l’alter-mondialisme et dont il exprime les limites.
Malgré la " désertification " des rapports humains, le vieux monde n’est pas à l’agonie, et tient aussi par la crise où tout s’épuise pour durer, bourgeois et prolétaires.
Un " Appel " ne se réfute pas. On l’entend, ou l’on n’en tient aucun compte. Le lecteur aura compris notre choix. Appel reflète les dilemmes de l’époque, et ses aspirations. Si ambiguïté il y a, elle ne sera résolue que par la pratique de ceux qui ont lancé un tel appel, mais surtout par tous ceux qu’il concerne. Par exemple, un signe d’évolution positive vers un début de mûrissement social serait un lien entre les participants à Meeting et les initiateurs de l’Appel, une capacité à comprendre ce qu’il y a de commun et de différent entre ces deux voies, quitte à conclure peut-être qu’elles sont incompatibles. Si la situation est telle que la décrivent ceux qui préparent Meeting et ceux qui ont publié Appel, la simple concomitance des projets devrait susciter au minimum un intérêt réciproque chez leurs animateurs respectifs. A notre connaissance, tel n’est pas le cas."
Voir le site de Trop loin à
http://troploin0.free.fr
J'ai bientôt fini pour mes petits lépreux de Jakarta. C'est tout la Croix Rouge ! Ils me demandent de faire des gants à trois doigts. Vous croyez que j'aurai pas plus vite fait de faire des moufles
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