une raison tout à fait sérieuse de devenir fou

[dana]

pourquoi j’ai peur de mon facteur


Il est adorable ce facteur avec sa casquette et son air affable, qu’il neige ou qu’il vente.
Toujours un petit mot gentil.
Mais voilà c’est bientôt Noël.
Et j’ai peur.
L’autre matin, il me salue dans la rue et me dit :
“Monsieur S., il va falloir que je passe vous voir, vous savez, pour le calendrier.”
Moi, stupide comme les vagabonds de Knut Hamsun :
“Mais bien entendu. N’hésitez pas à passer un de ces soirs.”

Mais
merde
Je n’ai plus un thune
je n’ai pas assez pour finir le mois
je me prive déjà de tout
si je fais semblant d’avoir oublié de payer la facture d’electricité ce mois-ci
(c’est-à-dire : si je ne la paye pas)
me restera juste assez pour me payer le tabac et le manger
et encore
et combien devrais-je lui donner pour ce calendrier (qui m’est parfaitement inutile) ?
5 euros ? plus ? Moins serait une insulte…

Tout à l’heure j’étais allongé dans la banquette en train de lire.
Et : j’entends sonner.
Personne ne sonne jamais chez moi, sauf le facteur au mois de décembre pour son histoire de calendrier.
Pétrifié d’angoisse je me cache sous mes couvertures (en plus il y a des dizines de bouteilles de vins vides disséminées à l’entrée, je voudrais pas qu’il voit ça)

je n’ouvre pas
Je reste là, caché, silencieux, retenant ma respiration, en priant qu’il n’entende rien : mais la lumière du salon est allumée, et il n’a pas manqué de l’apercevoir de la rue - les facteurs qui ont un calendrier à vendre sont particulièrement observateurs quand il s’agit de deviner si le lcient est là ou pas.

Mon dieu.
Au bout de quelques minutes (ressenties subectivement comme des heures), j’entends enfin ses pas dans l’escalier. J’attends encore un peu, environ dix minutes, pour être certain qu’il n’est pas là à guetter derrière la porte, ayant fait semblant de partir pour me coincer.
Plus rien, plus un bruit.

Je respire enfin.
mais je sais qu’il reviendra.
Demin il reviendra, et après-demain. Et je le croiserais encore dans la rue et que lui dire alors ? Lui dire que je suis au rmi ? Que je n’ai pas les moyens d’acheter son putain de calendrier ?

Croyez-vous qu’il est possible de devenir complètement fou à cause d’une histoire de calendrier ?
(sans compter que ce n’est pas rien symboliquement, un calendrier : ça vous replace dans le temps commun, le temps des gens qui travaillent, qui fêtent des choses, comme Noël - que je ne fêterai pas, pas plus qu’un autre jour, n’en ayant pas les moyens.)

Je le crois, j’en ai peur.

[LLB]

Dana ton histoire a fait surgir des mes cellules nerveuses mises à mal par la crainte d'un autre type de folie - comment ne pas devenir fou quand vous cherchez à tout prix à ne faire aucun mal à personne, et que vous voyez affluer incompréhensiblement les insultes et la méchanceté au point de vous demander si vous ne portez pas la faute de rendre les gens si méchants précisément - une idée donc dans les cellules nerveuses en folie d'inquiétude.
Il y a longtemps j'avais participé à la création d'une association dont le principe était : détournons quelques moyens de nos institutions pour faire des choses qui relèvent des missions desdites institutions mais qu'elles n'assument pas , de la perruque intellectualisée.
Or donc, pour répondre au détournement honteux des moyens institutionnels par les professionnels et managers desdites institutions qui les emploient (ces moyens) pour les détruire (les institutions) je décide ici et maintenant une micro-résistance. Employer une partie des fonds que nous avons conquis de haute lutte sur concours, à alimenter la réflexion qui est conduite par des gens qui sont malheureusement privés de moyens, et qui pourtant aident à ce que les valeurs de liberté, de raisonnement, de bonne foi, soient défendues. Il faut cependant une prestation car sinon, impossible de justifier de l'acte comptable.
Nous allons donc prévoir une prestation, une table ronde, pour laquelle les participants ici présents non salariés seront défrayés.
Cette table ronde portera sur le thème '"communication, institution, marginalité" ou quelque chose comme ça, à travailler.
Nous produirons ensemble un document qui aura de la valeur!
Il y a déjà deux contributions préparées à l'occsion de la Nuit des Meutes (Dröne, Bituur). Tout cela sera mis en place en janvier, à préparer ensemble.

[drÖne]

Cool ! J'adhère à cette idée ! Bravo. On va faire dans la perruque avant que le bateau coule, je trouve que c'est une idée géniale.

+A+

[LLB]

Dana, si tu disais à ton facteur que tu es au RMI et que tu n'as pas le rond pour acheter son calendrier peut-être que ce serait une info essentielle pour lui de savoir que certains de ceux qu'ils côtoient n'ont rien, au lieu de se dire les gens sont de sales égoïstes.

[dana]

j'en ai discuté avec ma chérie au tel
elle m'a dit la même chose que toi LLB (ha le transfert, ça marche même par internet)
je crois que je vais faire comme tu dis
mais c'est vraiment très difficile pour moi
(j'imaginais que je pourrais me trimballer dans les rues du village avec une pancarte : "je suis au rmi", voilà comme ça ce serait plus clair. )
Est-ce que vous avez lu les histoires de vagabonds de knut hamsun
la faim par exemple (c'est le plus connu)
[ha oui : qu'on me gonfle pas avec la bio de hamsun comme quoi il admirat hitler etc.. je m'en branle et c'est pas le sujet]
donc
je suis comme ces héros de Knut Hamsun voilà
(style à donner un sou à un pauvre qui fait la manche alors que lui-même est à la rue, et a trop d'honneur pour faire la manche etc..)

[LLB]

Un jour un camarade d'amphi que je connaissais à peine me dit qu'il faut que je lise deux livres absolument, il me fait promettre de les lire, avec tant de sérieux, comme si mon salut en dépendait, que je promets et je lis aussitôt Au dessous du volcan de Lowry et La Faim, le choc, grâce à ça je me souviendrai toute ma vie de mon conseiller avec qui j'ai échangé trois mots.
Et Beckett?

[LLB]

Cool ! J'adhère à cette idée ! Bravo. On va faire dans la perruque avant que le bateau coule, je trouve que c'est une idée géniale.

Ah! je me disais bien que ça te plairais!

[drÖne]

Rhâââ ! Beckett... grâce à toi j'ai lu "Molloy" et "textes pour rien", que je considère comme parmis les plus grands livres de tous les temps (bon, avec Joyce et mon nouveau chouchou : Ernesto Sabato). Bon, faudra que je me culturise un peu car je connais ni Lowri ni hamsun. honte à moi !

+A+

[dana]

Un jour un camarade d'amphi que je connaissais à peine me dit qu'il faut que je lise deux livres absolument, il me fait promettre de les lire, avec tant de sérieux, comme si mon salut en dépendait, que je promets et je lis aussitôt Au dessous du volcan de Lowry et La Faim

ça aurait pu être moi
(dana hilliot tu sais d'où ça vient ??)

beckett
jamais accroché

[drÖne]

Ah! je me disais bien que ça te plairais!

Tu m'étonnes que ça me plait ! Rien que l'idée d'organiser un séminaire ou une journée d'étude et de faire venir des potes aux frais de l'Etat pour foutre un peu le bordel dans notre institution moribonde qui se vautre dans l'herméneutique de l'âââârt avec des spasmes de jeune fille de bonne famille lisant un missel, ça me fait saliver... un séminaire pour dire "merde" aux belles âmes qui se pâment à l'idée de l'art numérique en faisant venir Malbreil sans même imaginer qu'on a fait une free dans son jardin et qu'on a fumé le pécos avec lui... mouarf !!

Faut quand même que nos amis Bituur et Dana s'attendent à un public pour qui le comble de la provocation artistique c'est Wim Delvoye qui "interroge" le rapport à l'art à l'aide d'une exposition de... caca d'artistes. Ou pire, une institution dont les étudiants responsables d'une asso d'action culturelle affichent pour premier objectif : "valoriser les nouveaux équipements" (qui ont coûté près d'un milliard de francs lourds à l'Etat, faut dire si c'est classe !). Ca c'est de l'enjeu artistique à la hauteur de la modernité, et d'une des plus prestigieuses institutions de l'élite française... Avoir 20 ans et chercher à "valoriser les nouveaux équipements"...

Bon, mais on sera là, nous, avec nos étudiants qui sont bien moins cons que ceux des autres disciplines, hé hé... Nous, les "bougnoules" de l'institution...

+A+