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Pièces et main d'oeuvre (résister à la surveillance)
Publié : 05 févr. 2006, 23:00
par drÖne
Pièce et main d'oeuvre est un collectif grenoblois de résistance radicale à la surveillance technologisée. Un collectif de plus, me direz-vous ! Certes, mais il se trouve que Grenoble est la ville pilote, au plan national, pour l'implantation des nanotechnologies et pour l'élaboration de stratégies "d'acceptabilité" par le citoyen de son propre fichage généralisé.
http://www.piecesetmaindoeuvre.com/
Quelques extraits des textes qu'on peut trouver sur leur site :
Pièce et main d'oeuvre a écrit :
Contre l’inauguration de Minatec
Rendez-vous à Grenoble le 1er juin 2006
Dans quatre mois, le 1er juin 2006, le Commissariat à l’Energie Atomique
et l’Institut National Polytechnique de Grenoble (INPG) inaugurent Minatec, “le premier pôle européen pour les nanotechnologies”. D’ores et déjà le techno-gratin a décidé de faire de cette inauguration un événement
national. Il y aura les média, du ministre, peut-être Jacques Chirac déjà
venu inaugurer “Alliance”, le complexe électronique de Crolles 2, à 20 kilomètres de Grenoble.
Des scientifiques du monde entier sont invités par le CEA Grenoble qui célèbre son cinquantenaire du 15 au 20 mai par “une semaine d’événements”, et la publication d’un livre en commun avec Le Daubé.
D’autres manifestations encadreront cette inauguration, destinées à promouvoir les nanos, “leur ville”, et leur monde : ouverture de Biopolis
(l’incubateur de start-up), Forum 4I, Revue annuelle du Léti, Congrès
international des nanobiotechnologies etc. Qu’on se le dise, 2006 sera
“l’année des nanos”.
Déjà, en sus de son exposition sur la biométrie, la Cité des Sciences et de l’Industrie, à Paris, organise conférences et exposition sur le sujet. On
voit fleurir les cycles de “débats” et les émissions. Bref, les technarques veulent réussir ce qu’ils ont raté avec les chimères génétiques : marquer les esprits d’une première impression favorable aux “technologies convergentes”.
On ne ressassera pas ici le catalogue de nos griefs formulés dans 12
numéros de Aujourd’hui Le Nanomonde. Pour n’en retenir qu’un, ce qui exige l’urgence de notre opposition, ce sont les applications militaro-
policières, “intelligentes”, des nanobiotechnologies. Non seulement
les nuages de bio-capteurs (“smart dust”), mais la combinaison des puces,
micro, nano, injectables, équipées de logiciels de biométrie par exemple,
de RFID (les “mouchards” électroniques) qui entrent cette année massivement en service pour instaurer une traçabilité universelle, garantie à terme par GPS. Avec une législation ad hoc, et chacun sait comme les lois sécuritaires renchérissent les unes sur les autres depuis dix ans, nous ne mourrons pas, sans avoir, implantée sous la peau, notre puce d’identité
obligatoire, contrôlable de n’importe quel scanner policier.
Nous ne laisserons pas, autant qu’il est en notre pouvoir, l’inauguration de
Minatec passer sous les seules acclamations de la Communication ; et naturellement, nous invitons tous et chacun à Grenoble, le 1er juin, pour manifester notre opposition.
Nous vous appelons à en parler dans vos différents collectifs,groupes, associations, à former pour l’occasion des comités de lutte contre les technologies convergentes, à vous informer, pour ceux qui ne s’estiment pas au fait, à alerter tous ceux qui ne le sont pas ; et qui souvent ne veulent pas l’être. Tracts, affiches, journaux, radios, courriers électroniques, réunions publiques.[...]
Pièce et main d'oeuvre a écrit :
Il y a cinq ans aujourd’hui, les “poussières de surveillance” appartenaient à la science-fiction et Michel Ida, patron de l’Ideas Lab de Minatec, les qualifiait de “sujet fumeux”.
Les recherches vont vite – et on ne nous dit pas tout. Partenariats public-privé, financements, programmes européens – le 6e PCRD de l’Union européenne et son volet “Future Emerging Technologies” par exemple - nationaux et régionaux – comme ceux que pilote C’Nano, le
Centre de Compétence Nanoscience Rhône-Alpes : les moyens consacrés à la R&D finissent par rendre visibles même les poussières.
Pièces et main d'oeuvre a écrit :
“Nom du laboratoire : IMEP – Grenoble
Type de proposition : thèse, financement
Région : Rhône-Alpes
Durée : 3 ans
Domaine de compétence : microélectronique, système de
radiocommunications, radiofréquences, électromagnétisme et propagation.
Sujet de la thèse :
étude de l’architecture et intégration d’un module pour Smart Dust
Cette thèse est la première du projet “SOC – Smart Dust” du cluster financé par la Région Rhône-Alpes. L’objectif du projet est l’étude de faisabilité d’un “Réseau de capteurs embarqués sur des personnes (ou autres êtres vivants)”.
Ce réseau de capteurs sans fils composé d’éléments de la taille du millimètre (poussière communicante) utilise les avancées de la micro et nanotechnologie.
(La thèse) comporte différentes parties étudiées en liaison étroite avec les
laboratoires suivants participant au projet LCIS-Valence ; LHAC-Chambéry ; IMEPGrenoble ; CITI-Lyon.
Contact : Fabien Ndagijimana, Professeur
à l’Université Joseph-Fourier. IMEPENSERG.
Tél. : 04 76 85 60 23,
Mél :
fabien@enserg.fr”
Spécial clin d'oeil final à LLb qui comprendra...
+A+
Publié : 05 févr. 2006, 23:15
par drÖne
Toujours sur le même site, une dénonciation des collusions entre la sociologie universitaire (PB Joly), les acteurs du marché, de la politique et de l'industrie des nanotechnologies, à grand renforts de "conférences de citoyens".
Texte long, qu'on peut trouver en pdf sur le site de PMO (je ne le remet pas ici , ça prendrait trop de temps, mais le pdf est là :
http://pmo.erreur404.org/La%20part%20du%20feu-1.pdf
+A+
Publié : 06 févr. 2006, 22:24
par Zed
Problème technique là : c'est bien beau dire qu'il faut résister mais tu fais comment face à un truc invisible à l'oeil nu ?
Publié : 06 févr. 2006, 23:01
par drÖne
Comme il s'agit de recherches menées en amont de la fabrication de ces dispositifs, l'action de PMO consiste à porter à la connaissance du public le fait que ces recherches ne s'inscrivent pas du tout dans une "éthique" de la recherche et que les fonds publics sont mis au service de trucs pas très ragoutants. Ensuite, on peut espérer que la connaissance des mécanismes et enjeux véritables de ces recherches est une forme de résistance en soi. Dénoncer les modes de financement, les pratiques de la recherche, au nom de principes moraux (à savoir que la recherche devrait servir au bien commun et à la production de connaissances désintéressées et non à la production de dispositifs de coercision) c'est de la résistance. Après, une fois fabriqués, c'est sûr que ça va être plus difficile de résister au flicage généralisé de la société... Mais là encore, avec la connaissance, on peut lutter.
Enfin, je ne suis pour autant pas d'un optimisme fou : le simple fait de rappeler des évidences triviales comme "la recherche devrait plutôt servir au bien commun qu'à des dispositifs dignes de régimes totalitaires" peut aujourd'hui nuire à ta carrière quand tu es universitaire, ou du moins te faire passer pour un dangeureux gauchiste pétri d'utopies naïves. Donc, je m'attends à un chaos totalitaire d'ici peu, chaos qui aura sans doute lieu dans l'indifférence générale et avec la contribution active des scientifiques (pourvu qu'ils aient du fric pour leurs labos, ils sont prêts à vendre leurs enfants ces cons...). Après tout, les démocraties occidentales ont toutes démlissionné devant Hitler avant même qu'il ne deviennent puissant, donc on va sans doute tous, collectivement, démissionner devant la barbarie technologique qui se prépare.
Sinon, sur le site de PMO il y a des propositions d'action : à suivre, donc, avant la légalisation de l'implantation de puces biométriques sous la peau de chaque citoyen...
+A+
Publié : 07 févr. 2006, 22:44
par Zed
drÖne a écrit : Après tout, les démocraties occidentales ont toutes démlissionné devant Hitler avant même qu'il ne deviennent puissant, donc on va sans doute tous, collectivement, démissionner devant la barbarie technologique qui se prépare.
Ce paralèle n'est pas un hasard tellement le système actuel est un dérivé du nazisme. Un nazisme caché pire que le nazisme originel car bien plus difficile à voir et donc à combattre.
Publié : 07 févr. 2006, 23:04
par drÖne
Zed a écrit :
Ce paralèle n'est pas un hasard tellement le système actuel est un dérivé du nazisme. Un nazisme caché pire que le nazisme originel car bien plus difficile à voir et donc à combattre.
Je ne dirais pas que notre système social dérive du nazisme (ne serait-ce que parce que le nazisme y a aussi été combattu), mais que les sociétés industrialisées contemporaines partagent avec les idéologies totalitaires (nazisme et stalinisme, par exemple) la même fascination pour le "faire", pour la rationalité instrumentale, rationalité de plus en plus dégagée de tout objectif éthique. La question de la rationalité m'interesse au plus haut point depuis longtemps et ses diverses défiitions et l'évolution des pratiques qui s'y rattachent me paraissent constituer une clé de lecture essentielle du monde contemporain, de la bureaucratie, de la techno-science, etc. Bref, tous les thèmes habermassiens, marcusiens, de l'Ecole de Francfort dont on ne dira jamais assez qu'elle ne se résume pas à une vulgate marxiste.
+A+
Publié : 08 févr. 2006, 02:56
par bituur esztreym
ah ben tiens, ça tombe bien ici aussi :
http://www.monde-diplomatique.fr/2005/12/TESTART/13039
Jacques Testart :
Une foi aveugle dans le progrès scientifique
la technoscience. voilà le sujet.[/i]
Publié : 09 févr. 2006, 15:39
par LLB
Ca fait du bien de voir quelques prises de position publiques de chercheurs de renom comme Testart qui a fait un si long chemin dans cette voie. En fait, les exemples de démission pullulent. Lundi même, dans une réunion d'organisation de la recherche régionale, j'ai réussi à formuler plus nettement que d'habitude qu'on était en train d'organiser nous-mêmes les conditions de destruction des valeurs au nom desquelles nous avions adhéré à ce métier de chercheur, et les profs de rang A retraités qui ne craignent plus rien ont rétorqué qu'on ne pouvait pas faire autrement et que c'était '"le réel". Et il y a toutes ces recherches branchées sur la e-democratie, la créativité alternative, financées par FranceTelecom RetD ou autres institutions neutres. Combien de collègues avec qui on partage les mêmes constats et qui vont aussitôt chercher les sous et les appuis là où ils situent les problèmes. Comme ces premiers de classe qui décrètent qu'ils ne foutent rien pour appuyer la rébellion contre l'ordre établi et qui révisentà fond le soir, pour se conserver à la fois l'estime des originaux et les bénéfices des intégrés.
Publié : 09 févr. 2006, 20:37
par drÖne
Dans le même,esprit, toujours de J. Testart, ce texte sur la lâcheté intellectuelle des... intellectuels face aux technosciences :
http://sciencescitoyennes.org/article.p ... article=19
Libération
Technoscience cherche intellos
18 novembre 2002
par Jacques Testart
OGM, biomédecine, nucléaire : l'intellectuel ne doit pas renoncer à mettre en cause les excès du bras armé de la mondialisation.
Fort heureusement, ceux qu'il est convenu de nommer "intellectuels" se mobilisent, s'insurgent ou pétitionnent depuis toujours contre des idées ou des actions qu'ils jugent inacceptables, dans les domaines de la littérature, de l'art, de la sociologie, de l'économie ou de la politique.
Si la science, source de concepts et de connaissance, séduit depuis toujours les intellectuels, ils demeurent bien frileux dès qu'il s'agit d'évaluer la technoscience, cet appareil industriel pour la maîtrise et l'efficacité économique.
Comme s'ils éprouvaient un complexe d'incompétence pour intervenir dans l'univers des techniques, ou comme s'ils estimaient que cet univers ne concerne que les spécialistes.
De leur côté, beaucoup de travailleurs et d'industriels de la technoscience s'indignent du fait que la culture les ignore.
Ils souhaiteraient plus de considération, ce qui signifie aussi davantage de crédit (s), d'incitations pour éveiller des vocations, pour informer sur leurs missions, leurs succès, leur philosophie.
C'est vrai, la culture ne s'est pas emparée des productions de la technoscience mais le plus grave n'est pas l'injustice ainsi faite à une activité qui est une composante légitime de la société.
Puisque cette activité mène le monde bien plus que "la culture", on ne peut plus comprendre, analyser, prévoir, sans prendre en compte sa production.
Ainsi les intellectuels qui snobent le développement technologique ne peuvent plus vraiment se revendiquer comme tels.
Ne nions pas que la technoscience est susceptible, et que ceux qui se sont essayés à l'analyser sans lésiner sur la critique, comme ils font pour un objet social ordinaire, ont été balayés par le souffle hégémonique du progrès annoncé, ou se sont finalement rangés parmi les contemplateurs, voire les admirateurs souvent fascinés.
La technoscience ne reconnaît que les vérités qu'on peut démontrer ; il n'y a donc plus place pour les prurits de la subjectivité, ces vestiges du passéisme et de l'obscurantisme, que le "progrès" inéluctable écrase sans vergogne.
Si bien que les Lumières ont cédé devant l'électricité.
Quand l'électricité devient la fille du nucléaire, c'est-à-dire la soeur des déchets mortels qui dureront des milliers d'années, l'intellectuel, héritier des Lumières, peut-il encore se protéger des accusations délétères d'obscurantisme en fuyant l'arène ? Peut-il, sans perdre son statut, se consacrer essentiellement à des futilités à la mode, à des débats "très tendance" ? En classant l'objet "nucléaire" au rang des choses étrangères à son cerveau, l'intellectuel abandonne lâchement le terrain de l'intelligence et de la survie à de misérables militants qui se castagnent avec les miliciens de l'appareil économique.
Parfois, l'intellectuel se régale d'un objet de substitution : quand la biomédecine construit un appareil technique et idéologique qui va permettre de trier les enfants dans l'oeuf ("diagnostic préimplantatoire"), selon leur conformité aux préjugés des généticiens, ou aux images publicitaires, l'intellectuel ne regarde que les chiffons rouges qu'on agite sous son nez, des mères porteuses au clonage.
"On ne peut pas arrêter le progrès des connaissances", scande-t-il, cautionnant ainsi la confusion opportuniste entre faire et connaître, comme si aucune intelligence ne devait s'immiscer quand la volonté de puissance trouve la caution de fantasmes majoritaires.
Voici venu le temps des OGM et surtout des PGM (plantes génétiquement modifiées).
Non seulement c'est technique mais, en plus, c'est agricole ! Peut-on s'impliquer dans pareilles disputes quand on a lu tout Platon ? Dans l'affrontement désordonné autour des PGM, il y a deux entrées.
La première, "classique", ressortit de la politique (hégémonie des multinationales, survie de l'agriculture paysanne, etc.) et de l'écologie (environnement, risques alimentaires, etc.) : comme pour l'énergie nucléaire et la procréation médicalisée, les arguments ou les invectives recouvrent en ces domaines des façons diverses de penser le monde, ou de s'en servir, qui confirment que les humains ne sont pas tous pareils.
L'autre entrée du thème PGM est exceptionnelle et atteint l'ineptie puisque cette technologie est toujours incapable de démontrer ses avantages prétendus après six années de diffusion massive sur la planète (52 millions d'hectares cultivés !).
Même les opposants les plus bornés reconnaissent que les centrales nucléaires produisent de l'électricité ou que le tri des embryons permet d'éviter des avortements.
Côté PGM, aucun résultat reproductible n'est venu alimenter la balance de précaution en faisant peser l'intérêt public face à des menaces irréversibles ! On voit là poindre un chemin de combat pour des intellectuels soucieux de défendre un monde durable, ou de revendiquer l'honnêteté des arguments, ou seulement d'exiger que la logique et la réalité l'emportent sur la croyance technicienne que "ça va finir par marcher"...
Mais ce chemin devient un boulevard quand les opposants aux PGM se trouvent privés de parole comme il arrive de plus en plus souvent : campagnes de calomnies contre les leaders, faux "débats" télévisés où l'opposition est annulée, plaidoyers pro -OGM dans les médias sans que les réactions ne soient publiées, condamnation et emprisonnement de militants syndicaux, etc.
On comprend que le lobby des PGM ait eu besoin de changer les règles du jeu démocratique : aucun débat n'est plus tenable si les opposants révèlent l'inanité du projet, car le public en viendrait de plus en plus à conclure que ces végétaux doivent encore rester dans les laboratoires...
Cette situation absurde et la censure qui l'accompagne n'ont pas entraîné la mobilisation des intellectuels, alors qu'il ne s'agit plus ici de technologies mais de pratiques sociales censées être soumises à la pensée critique.
Fort heureusement pour contrer les excès de la technoscience, bras armé de la mondialisation libérale, le mouvement associatif et syndical sécrète actuellement des acteurs courageux qui sont aussi des penseurs de la complexité.
Ils défendent les intérêts de l'humanité et des générations futures plutôt que des intérêts de boutique.
Ceux-là sont les figures essentielles de l'intellectuel postmoderne.
Jacques Testart est biologiste et directeur de recherche à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale).
Publié : 09 févr. 2006, 22:50
par LLB
On continue avec un texte de Jean-Pierre Berlan paru dans Le Monde :
Ogm ou CCB ?
Les mots contribuent à définir la réalité. Lorsque des intérêts considérables sont en jeu, ils sont rarement neutres et objectifs. Ils créent plutôt la confusion, égarent la réflexion, empêchent de penser la réalité. Les utiliser sans les passer au feu de la critique, c’est faire preuve du même discernement que les lévriers lancés à la poursuite d’un leurre en peau de lapin.
Les Organismes Génétiquement Modifiés ou Ogm illustrent cette corruption du langage : ce sont, en réalité, des Clones Chimériques Brevetés (CCB). Un clone – à distinguer d’un individu ou d’une plante clonée - est une population d’organismes génétiquement identiques. Les « variétés » modernes de blé, d’orge, de colza, de maïs, de tomates, etc. sont constituées de plantes (ou de génotypes) identiques ou presque. Ce sont des clones.
Rien de nouveau : depuis deux siècles, le sélectionneur s’efforce de remplacer des variétés – selon tout dictionnaire, le caractère de ce qui est varié, une diversité etc. – par un modèle (un génotype) unique. Pour faire cette opération, il doit produire ce génotype unique en autant d’exemplaires que nécessaire. Il doit le cloner.
En 1836, John Le Couteur codifie la pratique de ses collègues gentilshommes agriculteurs qui avaient observé que les plantes de blé, d'orge, d'avoine conservent leurs caractères individuels d'une génération à la suivante. D'où l'idée « d'isoler » les plantes les plus prometteuses au sein des variétés cultivées, de les cultiver individuellement pour les reproduire et les multiplier (les cloner) et remplacer la variété par le meilleur clone que l’on en a extrait. Depuis deux siècles, la sélection cherche à : extraire des clones des variétés ; remplacer la variété par le meilleur clone extrait. Le Couteur, esprit précis, avait utilisé un terme distinguant ses « pure sorts » obtenus, écrit-il, à « à partir d’un seul grain ou d’un seul épi » des variétés cultivées jusque là. Mais nous appelons, nous, "variétés" ces clones - l’exact opposé ! Ce qui crée une immense confusion.
Dolly – l’extension du clonage aux mammifères - montre que l’uniformité est un idéal implicite auquel les biologistes doivent soumettre la diversité du vivant. C’est la négation de la biologie. La photographie d'un troupeau de vaches clonées fournie par l'Inra illustrant l’article consacré à « La recherche agronomique et ses avenirs » (Le Monde 12/11/03) est à la fois révélatrice et consternante.
Trois raisons expliquent cette dévotion au clonage. Les gentilshommes agriculteurs anglais - les fermiers ricardiens – appliquent au vivant les principes d’homogénéité et de stabilité des produits de la Révolution industrielle. Logiquement, leur méthode est irréfutable. Bio-logiquement, c’est une autre affaire, mais ce n’est que récemment que les biologistes ont pris à nouveau conscience du caractère mortifère de la monoculture et de l’uniformité industrielles et du rôle vital de la biodiversité. Enfin, à la différence d’une variété, un clone se prête au droit de propriété.
Une variété parce qu’elle est hétérogène et en constante évolution ne peut faire l’objet d’un droit de propriété. Un clone est homogène et stable. Cette sorte de mort-vivant peut donc être décrit minutieusement pour le distinguer des autres clones. La Distinction, l’Homogénéité, la Stabilité (DHS) fondent la protection du sélectionneur par le certificat d’obtention variétale qui le protège du « piratage » de ses « variétés » par ses concurrents. Mais la pratique fondatrice de l’agriculture, semer le grain récolté, va de soi et une ‘variété’ protégée est disponible pour poursuivre la sélection.
Au début du XXè siècle, la redécouverte des lois de Mendel permet d’appliquer aussitôt au maïs la méthode de clonage de Le Couteur. Tout l’intérêt en est pour le sélectionneur : le maïs est une plante qui ne conserve pas ses caractères individuels d'une génération à la suivante. Un clone perd donc dans le champ du paysan les caractères qui avaient incité à en acheter les semences. C’est le premier Terminator, ce terme désignant les multiples méthodes, biologiques, règlementaires, légales, qui visent, en quelque sorte, à stériliser le grain récolté. Ce qu’il fallait mystifier. Les généticiens ont appelé ces clones captifs « variétés hybrides ». Double tromperie : il s'agit de clones ; les plantes de ces clones sont extraites au hasard des variétés et, par conséquent, ne sont ni plus ni moins hybrides que n’importe quelle plante de la variété. L’adjectif « hybride » détourne l’attention de la réalité de l'expropriation vers les mystères scientifiques, toujours aussi insondables, de l'hybridité.
On le comprend : les semences de variétés libres coûteraient l'équivalent de 15 kilogrammes de maïs par hectare plus quelques frais de préparation. Celles de clones captifs coûtent l’équivalent de 15-18 quintaux par ha, cent fois plus, pour rien qui n'aurait pu être obtenu plus rapidement. Rapporté aux 3,5 millions d'ha de maïs cultivés en France, ce surcoût représente le budget de l'Inra.
Ainsi améliorer le maïs exigerait qu’il ne puisse se reproduire dans le champ du paysan. Qui peut croire en une théorie aussi Panglossienne, sinon des généticiens sous influence, coupés de l’agronomie et de la vie, prisonniers de leur langage et de leur ésotérisme disciplinaire ?
Le clonage des mammifères a pourtant un intérêt, celui de rendre évident la destruction brutale et irréversible de la biodiversité. Quand prendrons-nous conscience qu’il en est de même pour les plantes ?
Ainsi les Ogm cultivés sont-ils des clones. Les deux adjectifs suivants exigent peu de commentaires.
Chimérique : ces clones sont des chimères génétiques, des assemblages de gènes en provenance d'ordre, de règnes, d'espèces différents. C'est le terme scientifique utilisé au début des premières manipulations. Mais ces chimères génétiques étant peu appétissantes, les scientifiques ont sacrifié la précision du vocabulaire à la promotion. Ces chimères sont devenus des Ogm : un saut technique dans l’inconnu a été ainsi transformée, miracle sémantique aidant, en une continuité rassurante : « l’humanité » - en réalité, les fabricants d’agrotoxiques et leurs biotechniciens - poursuivrait par des méthodes plus précises et fiables ce qu’elle fait depuis les débuts de la domestication !
Ces clones chimériques sont brevetés. Le brevet permet de séparer légalement la production qui reste entre les mains des agriculteurs de la reproduction qui devient le privilège d’un cartel de fabricants d’agrotoxiques. Les êtres vivants doivent cesser de faire une concurrence déloyale aux semenciers sélectionneurs agrotoxiques. Ainsi, au nom du libéralisme, la Directive européenne 98/44 de « brevetabilité des inventions biotechnologiques » nous ramène-t-elle aux XVII et XVIIIè siècles lorsque les rois accordaient des privilèges à des groupes de marchands. Mais jamais les rois n’auraient osé accorder un privilège sur la reproduction des êtres vivants. C’est pourtant ce que fait l’Union européenne qui singe en cela les Etats-Unis, mais sans franchir le pas logique suivant : à quand la directive de la « police génétique pour faire respecter le privilège sur la reproduction des êtres vivants » ?
Tout esprit raisonnable refuserait de confier son avenir biologique aux fabricants d'agrotoxiques même lorsqu’ils se déguisent en « industriels des sciences de la vie ».
Ces chimères génétiques brevetées ferment ainsi de façon irréversible le mouvement historique désastreux d’industrialisation et de privatisation du vivant.
Jean-Pierre Berlan
Directeur de Recherche INRA
Richard Lewontin
Professeur de Génétique des Populations
Université Harvard