Libéralisme, valeurs et pensée critique

Désobéissances et micro-résistances.

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Chaosmose
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Libéralisme, valeurs et pensée critique

Message par Chaosmose »

drÖne a écrit :C'est sur qu'on est dans l'apparent paradoxe qui a fait que plus les "intellectuels" se sont médiatisés, ouverts à la société civile, moins ils ont eu de légitimité à parler de la société. Et plus ils se sont ridiculisés. Y'a qu'à voir le trajet - pathétique - de cet abruti bien pensant d'Onfray, qui a parcouru presque tout l'échiquier idéologique de la gauche, à travers ses soutiens médiatisés, en une seule semaine d'avant élection. Je serais prêt à parier que dans un an au plus il sera aussi Sarkozyste qu'André Glucksmann...

Elle est là, la véritable victoire du libéralisme : pas dans la casse annoncée des services publics ni dans la mise en place de l'AGCS, mais dans le fait qu'aujourd'hui, toute idée peut être échangée contre son contraire comme sur un marché ouvert à la concurrence "libre et non faussée" par des idéologies... Le libéralisme, c'est la victoire totale du relativisme idéologique. Le libéralisme, fondamentalement, c'est la transformation des signes et des idées en simple valeur d'échange déconnectée de tout référent. C'est pour ça qu'on peut être de gauche ET libéral, ou anti-sarko ET libéral. La seule manière d'être radicalement anti-libéral, c'est d'être moraliste à l'ancienne : croire qu'une idée ne signbifie pas son contraire, et refuser tout pragmatisme.

+A+
Pour embrayer sur la question du "libéralisme", je pense que l'indexer au relativisme est tout à fait pertinent, mais suppose quelque explicitation du sens que l'on attribue à l'un et l'autre terme - ce qui éviterait notamment de mettre le pragmatisme, au moins dans sa version "scientifique", dans le même panier.

Le libéralisme dont on parle est avant tout un ultra-libéralisme de type économique, qui s'est peu à peu substitué à l'idée d'un libéralisme politique - celui des Lumières pour faire rapidement. Et effectivement, les nouvelles formes politiques nées de cet ultra-libéralisme participent de la suspension d'une interrogation sur les valeurs : tout se vaut dans l'échange (sous-entendu l'échange marchand), parce que cet échange dispose de son étalon universel : l'argent.
De là, oui, un relativisme idéologique dans son sens le plus premier : "toutes les idées se valent".

Cependant, la version "pragmatique" ne pose, je crois, pas le relativisme sous cette forme - et j'irais jusqu'à dire qu'elle le récuse pour remonter aux sources du libéralisme politique. Elle repose davantage, à mon sens, sur le fait que toutes les idées doivent être énonçables et mises en délibération. Il ne s'agit pas de suspendre les valeurs, ou toute vélléité de jugement : in fine, le pragmatisme ne suppose pas de rendre toutes les idées et les valeurs équi-valentes et commensurables, mais seulement la constitution de publics disposés à les interroger et à décider. C'est là aussi que pour moi le "devenir minoritaire" deleuzien prend tout son sens, en tant qu'il permet la constitution de ces publics qui réfutent "l'étalon majoritaire vide" (cf. deleuze http://multitudes.samizdat.net/article495.html ; voir également Q comme question et G comme gauche dans l'abécédaire, disponibles ici : http://www.agitkom.net/index.php?2005/1 ... e-question).

En cela dröne, je crois que tu as raison depuis des années : il est urgent de se remettre à PENSER. L'ennemi juré de cette droite omnipotente, c'est la pensée. Celle que l'on ostracise, que l'on ridiculise (ou qui se ridiculise d'elle même avec les sombres individus que tu as cités), dont on ne cesse de mettre en exergue la prétendue complexité, le caractère abscons, ou que l'on fustige en dénonçant l'intellectuel dans sa tour d'ivoire qui n'a jamais franchi le périph' pour rencontrer la vraie réalité. Et cet ostracisme ne concerne bien évidemment pas seulement la pensée politique, mais indissociablement la pensée artistique, esthétique, et plus profondément, celle de la liberté.

La France du foot et des quad tricolores sur fond de Gilbert Montagné et de Star academy, c'est désormais celle de Sarkozy, parce que le populisme a remplacé le populaire. Parce que l'"on" n'aspire plus à la pensée, aux idées, mais au fric - comme dirait le grand père de zink : "ils se croient tous milliardaires ces cons"... oui, ils votent pour un mec qui considère que gagner 4000 euros par mois, "ce n'est pas grand chose" (cf. débat TV du 2nd tour).

C'est une vraie lame de fond, parce que plus personne ne croit en l'humanisme; c'est le triomphe de l'individualisme, du repli sur soi et son petit pactole consumériste : l'ennemi demeure, indiscutablement, l'ultra-libéralisme économique tel qu'il s'est désormais infiltré et disséminé dans toutes les sphères d'existence (ou de non-existence) individuelle et collective.

C'est cette lame de fond de l'ultra-libéralisme liberticide qui est l'ennemi. Et face à elle, la première des choses - ou des causes - à mobiliser, c'est la restauration d'une pensée critique, d'une pensée de la LIBERTE. Cette même idée de liberté qui aux yeux de tous ou presque ne s'incarne plus que dans le libéralisme économique, celui de l'utra-individualisme.
Cette lame de fond ne peut désormais plus être destructurée par de simples slogans, par l'évidence de l'âme de gauche (ni par l'attentisme). Celle-ci n'est qu'une âme morte ; elle n'est plus évidente aux yeux de personne.

C'est une ambiance mentale collective qui est à reconstruire de A à Z. Celle d'une liberté impensable sans l'altérité, sans la pensée de l'Autre.
Il n'est désormais plus possible de se planquer derrière des mots comme l'humanisme, la solidarité - réaccaparés par la droite "libérale". Ces mots, il faut leur redonner sens, montrer qu'ils appartiennent au patrimoine de l'humanité et en même temps leur rendre toute leur concrétude.
L'urgence de la pensée critique est celle-là : réexpliquer et redonner sens aux mots qui sont des valeurs et des idéaux ; cesser de mobiliser des slogans sur l'autre monde possible, mais montrer, perpétuellement, pour-quoi il est possible.

drÖne a écrit :Je sais, c'est triste, mais l'Etat et la morale, c'est ça qui est révolutionnaire aujourd'hui, car c'est ça que le libéralisme de droite veut à tout prix détruire. Alors les anars et les gauchistes, coucouche panier hein ! Soyons fous, soyons moraux ! :D :D
Oups, promis, j'me tais !!! :roll: :oops: :P :P
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drÖne
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Message par drÖne »

Tu as raison de me reprendre sur le pragmatisme au sens scientifique. Je connais bien ce type de pensée, inaugurée par William James et Ch. S. Peirce aux USA au XIXème siècle. Et effectivement, cela n'a rien à voir avec le pragmatisme (au sens commun du terme). Fondamentalement, le pragmatisme de James et Peirce nous dit que pour avoir les idées claires, il faut les pousser à leurs conséquences pratiques (à la fois physiques et sociales). C'est en opposition à l'ontologie idéaliste (au sens de "penser la pensée comme se composant uniquement de faits mentaux") de Descartes que la philosophie pragmatiste a cherché un moyen de ré-enraciner le monde des idées à la fois dans le corps et dans le social. Rien à voir avec un relativisme, en effet, mais plus avec l'enjeu d'une définition empirique de la morale. Peirce, luttant contre l'amalgame avec le pragmatisme (au sens commun), préférait utiliser le terme volontairement abscons de "pragmaticisme", pour bien marquer la différence avec l'idée triviale de "composer", de s'adapter aux forces en présence, qui est ce qu'on qualifie de "pragmatisme" dans le sens commun.

Sur le libéralisme contemporain, il n'est pas inintéressant de (re)lire Max Weber, pour voir qu'historiquement, la pensée économique libérale a été très fortement indexée sur des valeurs morales. Le manifeste libéral de Benjamin Franklin, à partir duquel Weber développe son argumentation, est tout à fait étonnant de ce point de vue. Du moins, si on reste conscient que l'appel aux valeurs (honnêeté, ardeur et tempérance) relève d'un utilitarisme : les vertus ne sont des valeurs que parce qu'elles sont utiles à l'accroissement de la fortune. Quant à la valeur morale du travail, considérée comme une "vocation" par les sectes protestantes de l'époque (je passe sur l'incroyable diversité et les contradictions entre les courants protestants), elle est une valeur intangible car il faut rendre gloire à Dieu : le profit personnel n'est en jeu que dans cette mesure. On a donc affaire à un véritable corpus éthique : le libéralisme de cette époque est une morale, plus qu'une manière de gagner de l'argent. Est-on réellement sorti de cette éthique religieuse de l'argent et du travail ? C'est ce qu'il faudrait arriver à penser en même temps que le relativisme, pour bien cerner la force de l'idéologie libérale qui ne peut pas se penser à l'aide de critères aussi triviaux que celui de la "lutte des classes"...
Chaosmose a écrit :C'est une ambiance mentale collective qui est à reconstruire de A à Z. Celle d'une liberté impensable sans l'altérité, sans la pensée de l'Autre.
Il n'est désormais plus possible de se planquer derrière des mots comme l'humanisme, la solidarité - réaccaparés par la droite "libérale". Ces mots, il faut leur redonner sens, montrer qu'ils appartiennent au patrimoine de l'humanité et en même temps leur rendre toute leur concrétude.
L'urgence de la pensée critique est celle-là : réexpliquer et redonner sens aux mots qui sont des valeurs et des idéaux ; cesser de mobiliser des slogans sur l'autre monde possible, mais montrer, perpétuellement, pour-quoi il est possible.
Oui, c'est en effet urgent, mais encore faut il le faire avec les bonnes personnes et avec des collectifs qui n'auront pas plus urgent à faire que de reproduire ce qu'ils sont supposés combattre dès qu'ils en auront l'occasion. C'est là toute la difficulté : je pense par exemple qu'il n'y a rien à faire de cohérent avec l'actuelle extrême gauche et qu'il faut au contraire s'en méfier autant que de la droite libérale et / ou extrême. Pas pour des raisons triviales du type "les extrêmes se rejoignent", mais parce que les soubassements marxistes et post-marxistes de la pensée altermondialiste sont un véritable piège intellectuel. Ne serait-ce qu'à cause du réductionnisme économiste et de leur pensée radicalement naïve et obsolète du social (leur "impensé" serait plus juste... il n'y a qu'à voir ce qu'ils retiennent - en le carricaturant de manière grossière - de Bourdieu, par exemple, qui se retournerait dans sa tombe, je pense).

Autrement dit : nous sommes seuls. Et seuls face à la droite libérale ET face à la gauche post-marxiste, le moins qu'on puisse dire, c'est que le rapport de force est totalement en notre ("notre" ?) défaveur...

D'où mes envies d'exil : lutter, certes, mais pour quoi faire, et avec qui ? Là, je n'ai aucune réponse...

+A+
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Message par TouF »

Chaosmose a écrit :La première des choses - ou des causes - à mobiliser, c'est la restauration d'une pensée critique, d'une pensée de la LIBERTE. Cette même idée de liberté qui aux yeux de tous ou presque ne s'incarne plus que dans le libéralisme économique, celui de l'utra-individualisme.
Une chose que j’ai réalisé ces derniers mois voir années en discutant avec mes con-citoyens qui me sidère car moi-même je m’y suis conformé pendant mes 35 premieres années, c’est que le citoyen lambda a remplacé la Liberté/Lutte par la Sécurité/Confort comme aspiration premiere.
Cela me fait froid dans le dos… tellement moi-même, inconsciement j'ai tendance à m'y conformer…
Chaosmose a écrit :C'est une ambiance mentale collective qui est à reconstruire de A à Z. Celle d'une liberté impensable sans l'altérité, sans la pensée de l'Autre.
Il n'est désormais plus possible de se planquer derrière des mots comme l'humanisme, la solidarité - réaccaparés par la droite "libérale". Ces mots, il faut leur redonner sens, montrer qu'ils appartiennent au patrimoine de l'humanité et en même temps leur rendre toute leur concrétude.
L'urgence de la pensée critique est celle-là : réexpliquer et redonner sens aux mots qui sont des valeurs et des idéaux ; cesser de mobiliser des slogans sur l'autre monde possible, mais montrer, perpétuellement, pour-quoi il est possible.
Il y a quelques temps j’ai découvert sur wiki, des extraits commenté de « l’unique et sa propriété »de max stirner.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Extraits_c ... %A9t%C3%A9
Apres le premier choc passé (pour moi jusque là l’egoisme etait obligatoirement negatif) cet vision a justement produit une critique de ma vision puérile de ces mots (humanisme, solidarité…) qui m’ont été inculqués petit avec son éloge de l’égoisme….
A creuser pour ma part… pour redonner sens aux mots… (aidé par cet abécédaire)
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drÖne
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Message par drÖne »

A mon avis, si l'enjeu est réellement de se donner des bases pour tout à la fois lutter contre le libéralisme de droite et de gauche, qu'il soit économique ou idéologique, et d'imaginer les conditions de possibilité d'un monde moins merdique (pour un monde meilleur, on attendra encore un peu, hein ?), alors on ne peut pas se contenter de vouloir refonder nos bases conceptuelles. On ne peut pas non plus se contenter - ce qui serait déjà pas mal ceci dit ! - de repenser à la fois nos alliances et nos stratégies. Il faut AUSSI, et c'est une part importante du problème, repenser intégralement tous nos modes d'action.

Pourquoi ?

Parce que toutes nos alliances et nos modes d'actions ont échoué à construire un monde moins merdique. Pire : au sein des groupes qui affichaient l'ambition de la construction d'un autre monde possible, les mêmes rapports de force se sont mis en place conduisant au succès récurrent du libéralisme depuis de décennies, tant au plan économique qu'au plan idéologique, c'est à dire aussi bien à droite (ce qui est logique) qu'à gauche (ce qui est, du moins en apparence, plus surprenant). Soit les idées de gauche ne sont pas convaincantes pour les populations auxquelles elles sont destinées (les dominés, pour faire vite), et alors il faut penser que les dominés sont de sales cons masochistes : qu'ils crèvent, les pauvres ! :P Soit, y'a un problème plus grave. Evidemment, je penche pour l'idée que si la majorité des français (qui ne gagnent pas tous plus de 4000 euros/mois) a voté pour un nabot cocu totalitaire qui leur promet de vivre plus mal pour les dix prochaines années, c'est que le problème est extrêmement sérieux...

Restaurer un esprit critique dans la population ? Soit.

Mais pas seulement : si la critique ne devait déboucher que sur la routinisation habituelle des actions telle que la gauche plus ou moins radicale la pratique depuis 20 ou 30 ans, alors nous ne ferions qu'aller d'échec en échec. La rhétorique du "tous ensemble", de même que les modalités classiques de l'instauration de rapports de force (la manif, sous ses différentes déclinaisons, voire l'action insurrectionnelle, ou la lutte armée), ont toujours conduit, partout, à des échecs terribles. Mais, benoîtement, la gauche continue à nous resservir les mêmes sempiternels plats posts-marxistes : "pour lutter contre le libéralisme, il faut s'unir et lutter, car on n'a jamais rien obtenu sans lutes, et gnagnagna..." A vomir. L'histoire est la preuve objective de l'incohérence de ces arguments. Allez, on parie combien que le CPE repasse d'ici moins de 2 ans ? Que la France fera partie de L'Union Européenne ? Qu'on aura des OGM en plein champ ? Que l'université sera privatisée ? On a tous cru à des victoires, sans en percevoir l'éphémérité : aujourd'hui, la France a basculé à droite, mais les gauchistes et les anars nous resservent leurs anti-G8, leurs manifs "tous ensemble tous ensemble meuhhh !! meuhhh !!! meuhhh !!, leurs envies de coktails molotovs, leurs discours sur l'efficacité de la lutte, etc. Dans 50 ans, on en sera au même point, avec un PC à 0,005%, Besancenot petit-fils fera 0,5% et les altermondialistes seront présent dans 0,08% des communes de France...

Car le problème est là : si l'enjeu n'est que d'instaurer des rapports de force (y compris avec l'objectif de la lutte armée), alors c'est qu'on court finalement après le même lièvre que la droite : le pouvoir. Et ça, ça n'avancera jamais à rien, ou du moins, on ne fera qu'aller d'épiphénomènes révolutionnaires en épiphénomènes subversifs, ad nauseam. Car on n'aura rien de plus sexy à apporter que le "contre sarko" ou le "contre ceci cela de droite". Et surtout, on n'aura rien résolu ni conceptuellement, ni pragmatiquement (dans les modes d'action et les alliances).

Parce qu'une société, ce n'est pas uniquement des rapports de force qu'on peut retourner à son avantage. C'est bien plus compliqué.

Donc, moi, tant que la gauche n'aura, pour tout enjeu, que la lutte contre la droite, je pense qu'il faudra la fuir comme la peste, car cet objectif est nul, sans intérêt, et on sait d'avance où il nous mène. Rty tant pis si je me fais traiter de social-démocrate contre-révolutionnaire : je lui pisse à la raie, à la révolution !

Je n'ai aucune solution de rechange ceci dit. Juste que l'éternel retour des airs de printemps et du "demain on rase gratis paske c'est le grand soir", j'en peux plus ! C'est dans ce sens que j'ai compris la remarque que nous avait faite Gavriel Salinas, intellectuel chillien ami de LLB, incarcéré et torturé par la dictature en Argentine, qui nous expliquait : "il n'y a plus de bonne nouvelle, c'est ça la bonne nouvelle". Alors je ne suis pas sur que ce soit une si bonne nouvelle. Mais qu'on n'en soit plus à prôner la révolution, ça j'en suis sur, car la conception de la révolution reposait finalement sur la compréhension d'une société homogène où les classes étaient bien distinctes et opposées les unes aux autres. Or, aujourd'hui, nous faisons face à des ouvriers communistes actionnaires d'entreprises privatisées alors qu'ils ont lutté contre leur privatisation, à des cadres moyens ou supérieurs de gcauche mais dôtés de fonds de pension américains, à des universitaires qui bossent pour le privé, à des artistes "anarchistes" qui crachent sur les institutions sans se rendre compte que si les institutions ne jouent plus leur rôle de protection c'est parce qu'on a passé notre temps à leur cracher dessus, à des sociologues de gauche qui font des ménages au MEDEF, bref, à une interpénétration complexe et inextricable des acteurs, des valeurs, des actions, de l'économie, etc. : de cet entrelas, on ne peut pas extraire telle ou telle classe qui serait "l'ennemi à abattre", même si on peut bien évidemment se dire - ça rassure - que le MEDEF c'est que des méchants et que nous on serait l'Axe du Bien.

Nous faisons tous partie du "système", et c'est de ça qu'il faudrait ariver à sortir, et avant d'en sortir, il faudrait l'accepter et savoir le penser.

Bon, je vous laisse avec ce gros tas de conneries à penser, faut que je fasse mon ménage moi ! Mais pour les actions militantes, nada, peau d'balle, je n'y suis plus pour personne, surtout si il y a du gauchiste et de la manif à la clé ! :twisted: :twisted:
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Chaosmose
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Message par Chaosmose »

Oui, oups, le topic a rapidement dévié.

Merci pour le point sur Peirce et James; j'avoue t'avoir titillé un peu sur le sujet, sachant à quel point tu connais ces auteurs.
Il me semble que nous avons là un exemple particulièrement saisissant de l'infime et gigantesque espace encore disponible pour la pensée en général et celle des SHS en particulier, celui de la restauration et indissociablement de la (re)création du sens des mots.
Le "pragmatisme" tel qu'il est communément employé est tout à fait typique d'une forme de pensée désormais repoussante, d'un relativisme à tout crin qui fabrique en même temps sa négation instrumentale par le pouvoir politique (et Nicolas au premier chef). Que faire alors, si ce n'est oeuvrer à la dissémination mentale de sa version "scientifique", retravailler laborieusement les schèmes d'appréhension de la notion même de pragmatisme en lui restaurant sa dignité politique, celle d'un "pragmaticisme" ?

C'est, sans doute et de manière moins évidente, la même chose qui se noue autour de l'éthique du capitalisme... Quand tu poses la question : " Est-on réellement sorti de cette éthique religieuse de l'argent et du travail ?" A bien des égards, j'oserais dire que oui : le mérite et le labeur si souvent invoqués dans les discours publics ne sont à mon sens que des façades pour se donner bonne conscience et/ou légitimer l'affirmation de l'énuctable : le libéralisme économique actuel ne s'embarrasse pas d'une éthique des "moyens" ou des "bonnes façons d'agir" au regard d'une transcendance (divine), mais est toute entière tournée vers la fin - l'étalon universel de l'argent que j'évoquais précédemment (une transcendance ?). Et c'est peut-être aussi dans cette absence de transcendance morale, mais aussi d'éthique quotidienne que se noue, peut-être, pour partie, le relativisme comme horizon indépassable.
Partant, l'un des problèmes de la lutte des classes, c'est qu'elle nie toute possibilité éthique, puisqu'elle nie pour partie l'individu - et en retour, c'est là aussi ce qui fait la force de l'individualisme ultra-libéral comme forme unique de réalisation de soi.

Sur ce point, ton évocation de Stirner me semble particulièrement judicieuse Touf. Parce que tout comme l'idée de liberté que j'évoquais précédemment, elle met en lumière, je crois, la nécessité, pour contrer l'ultra-libéralisme, de suspendre la rupture radicale entre individu et collectif/classe. C'est pour moi (ego ;-)) tout l'enjeu d'une pensée de l'altérité - et là encore, je suis sans aucun doute influencée par ma lecture de Deleuze, qui est pour moi avant tout une philosphie centrée sur le désir et la création (et en aucun cas l'imagination...).

Je ne me fais en même temps pas plus d'illusions que toi drÖne sur les formes d'action ou de non-action possibles - tout en partageant, cela va sans dire, ta critique d'une l'extrême gauche braquée sur ses réductions hasardeuses et totalement autocentrée sur sa pensée par slogans désuets. Et pourtant, je connais tant de gens qui éprouvent de manière viscérale cette envie de refrabriquer une pensée de gauche, ou d'expliciter des mondes possibles... Bref, de délirer le monde.

edit : j'écrivais en même temps que toi... désolée pour le caractère décousu de ma réponse du coup !!! Je reprends plus tard aussi !!!
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Message par drÖne »

Chaosmose a écrit :Oui, oups, le topic a rapidement dévié.

Merci pour le point sur Peirce et James; j'avoue t'avoir titillé un peu sur le sujet, sachant à quel point tu connais ces auteurs.
Il me semble que nous avons là un exemple particulièrement saisissant de l'infime et gigantesque espace encore disponible pour la pensée en général et celle des SHS en particulier, celui de la restauration et indissociablement de la (re)création du sens des mots.
Le "pragmatisme" tel qu'il est communément employé est tout à fait typique d'une forme de pensée désormais repoussante, d'un relativisme à tout crin qui fabrique en même temps sa négation instrumentale par le pouvoir politique (et Nicolas au premier chef). Que faire alors, si ce n'est oeuvrer à la dissémination mentale de sa version "scientifique", retravailler laborieusement les schèmes d'appréhension de la notion même de pragmatisme en lui restaurant sa dignité politique, celle d'un "pragmaticisme" ?
Ca, c'est le travail de l'enseignement supérieur. Et il est en effet légitime et nécessaire. Mais comme tout le secteur de l'enseignement a été d'abord laminé par la suspicion des gauchistes anti-autoritaristes (c'est bien connu, l'école c'est un "moule pour la pensée", c'est "le lieu de la reproduction", etc.) puis par l'abandon de la gauche libérale (les années Mitterrand l'ont entraîné sur la voie de sa future "libéralisation", je pense en particulier à la signature du protocole de Bologne par Jack Lang, qui est allé au delà des requisits de l'OMC, en bon petit soldat libéral qu'il est, et a impulsé un mouvement d'ampleur européenne de privatisation de l'enseignement qui devrait, d'après les textes, se finaliser en 2010).

Aujourd'hui que le fruit est mur, il ne reste plus qu'à poursuivre le travail de désorganisation interne réalisé à l'université durant les années Chirac et on pourra constater que le service public étant totalement inefficace, le devoir de l'Etat est de le mettre dans les mains du privé qui lui saura le gérer rationnellement.

C'est cette stratégie que je vois à l'oeuvre depuis des années mais je t'assure que personne n'a envie d'en discuter à l'université, et c'est pas faute d'avoir tendu des perches... Donc, pour que le travail de reconstruction d'une pensée autonome et rationnelle puisse se faire, grace à l'enseignement, il faudrait déjà que l'enseignement tel que nous l'appelons de nos voeux puisse survivre, ne serait-ce qu'institutionnellement, à la casse systématique dont il est l'objet.

Et là encore, nul besoin de désigner le grand ennemi OMC ou AGCS comme coupable extérieur au système : ce qui est actuellement en train de tuer l'institution universitaire e l'intérieur, tel un cancer, c'est une bureaucratie tatillonne et mesquine composée non pas de hauts fonctionnaires de l'Etat vendus au MEDEF, ni de technocrates de Bruxelles, mais des gens comme toi et moi, de gentils petits soldats du libéralisme, qui crooient ne faire que leur job sans penser à mal. Encore une fois, pas le Pouvoir, mais les pouvoirs, voire même les dispositifs, les structures, les champs, etc.

On bosse sur des trucs très proches en rechcrche avec LLB, pour analyser, dans nos domaines, la manière dont ça agit de l'intérieur, dont ça mobilise des normes exogènes, dont ça engage des acteurs, pas de haut niveau, mais ici et là, au quotidien, dans chaque interstice.

La bonne métaphore du pouvoir du libéralisme, ce n'est surtout pas le chateau fort, et encore moins le gros banquier avec son cigare, mais c'est les métastases du cancer : quand le normal devient pathologique, quand la mort s'insinue partout, quand elle te ronge de l'intérieur, quand tes propres cellules se mettent à te tuer, quand c'est ton corps qui pourrit et que tu sais que tu pourris.

Or, face à ce danger, on a le choix entre les ventre-mous libéraux du PS, les "camarades" de la LCR et LO qui font comme si la société contemporaine était identique à celle décrite par Marx au XIXème et pensent tout en termes de rapports de production et de lutte des classes, les Verts qui ont finit par avoir hone de parler de la nature (c'est bien connu, c'est un thème de droite la nature, et de toute manière, c'est Nicolas Hulot qui donne le la sur TF1...), ou ce pauvre Bové accompagné de sa cohorte de philosophes de médias et d'aodrateurs de Nathalie Menigon... que veux-tu : la partie était perdue d'avance avec de tels stratèges. Et là, ça repart de nouveau comme au XIXème siècle : manifs anti-sarko, appels à la lutte des classes, à l'unité, etc. Si l'intelligence c'est la capacité à apprendre de l'expérience, alors on a la gauche la plus stupide de l'univers.
C'est, sans doute et de manière moins évidente, la même chose qui se noue autour de l'éthique du capitalisme... Quand tu poses la question : " Est-on réellement sorti de cette éthique religieuse de l'argent et du travail ?" A bien des égards, j'oserais dire que oui : le mérite et le labeur si souvent invoqués dans les discours publics ne sont à mon sens que des façades pour se donner bonne conscience et/ou légitimer l'affirmation de l'énuctable : le libéralisme économique actuel ne s'embarrasse pas d'une éthique des "moyens" ou des "bonnes façons d'agir" au regard d'une transcendance divine, mais est toute entière tournée vers la fin - l'étalon universel de l'argent que j'évoquais précédemment. Et c'est peut-être aussi dans cette absence de transcendance morale, mais aussi d'éthique quotidienne que se noue, peut-être, pour partie, le relativisme comme horizon indépassable.
Oui, sauf qu'il hérite d'une histoire, et c'est puissant, ça, l'histoire. Mais on a sans doute, peut-être, quitté les époques de transcendance religieuse, quoique : je pense sincèrement que les libéraux croient à ce qu'ils disent, et pas seulement en tant que discours de justification d'un simple rapport de domination. C'est justement ça qui est dangereux, et que la gauche ne sait sans doute pas appréhender. Derrière le libéralisme, il y a une vision très cohérente de la société et de l'homme. C'est une vision totalitaire, certes, mais loin d'être un simple discours de justification. De toute manière, on devrait avoir constamment en tête, y compris dans la critique radicale, le principe weberien selon lequel la seule bonne manière d'appréhender le social, c'est la multidimentionalité. Son caractère pluriel. là aussi, il faudrait redonner à la complexité un sens autre que celui de la rhétorique relativiste de la complexité : "c'est complexe, nous n'y pouvons rien, ne changeons donc rien".
Je ne me fais en même temps pas plus d'illusions que toi drÖne sur les formes d'action ou de non-action possibles - tout en partageant, cela va sans dire, ta critique d'une l'extrême gauche braquée sur ses réductions hasardeuses et totalement autocentrée sur sa pensée par slogans désuets. Et pourtant, je connais tant de gens qui éprouvent de manière viscérale cette envie de refrabriquer une pensée de gauche, ou d'expliciter des mondes possibles... Bref, de délirer le monde.
Ben oui, mais ils sont où et ils font quoi, ces gens ? Moi, je n'en vois guère...
edit : j'écrivais en même temps que toi... désolée pour le caractère décousu de ma réponse du coup !!!
T'inquiète ! Moi aussi, je suis assez confus ces temps-ci... mais tes remarques ne sont pas du tout décousues : on est en forum, pas dans une thèse, il faut s'y faire.

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Message par Zed »

Chaosmose a écrit : C'est, sans doute et de manière moins évidente, la même chose qui se noue autour de l'éthique du capitalisme... Quand tu poses la question : " Est-on réellement sorti de cette éthique religieuse de l'argent et du travail ?" [...]
Nietzsche disais que le christianisme est la religion du confort. Peut-on aller plus loin en disant que d'un côté le christianisme est la religion du confort spirituel tandis que le capitalisme est la religion du confort matériel ?

Un article long mais intéressant sur la gauche et ses erreurs fondatrices qui colle bien avec ce sujet : http://www.subversiv.com/doc/claudeberg ... berger.htm
c h a r l i e
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de la clarté

Message par c h a r l i e »

En effet, le relativisme véhiculé par le populisme populisme politique permet d'obtenir le confort de la recherche des petits pouvoirs confortables (les élections françaises nous en offrent un indicateur).

Tout remontant le cours de cette discussion, je suis tombé sur ce passage de la pensée et le mouvant d'Henri Bergson qui a trait à la clarté des idées. Je me permets de vous le rapporter ici :

Une idée neuve peut être claire parce qu'elle nous présente, simplement
arrangées dans un nouvel ordre, des idées élémentaires que nous possédions
déjà. Notre intelligence, ne trouvant alors dans le nouveau que de l'ancien, se
sent en pays de connaissance ; elle est à son aise ; elle « comprend ». Telle est
la clarté que nous désirons, que nous recherchons, et dont nous savons
toujours gré à celui qui nous l'apporte. Il en est une autre, que nous subissons,
et qui ne s'impose d'ailleurs qu'à la longue. C'est celle de l'idée radicalement
neuve et absolument simple, qui capte plus ou moins une intuition. Comme
nous ne pouvons la reconstituer avec des éléments préexistants, puisqu'elle n'a
pas d'éléments, et comme, d'autre part, comprendre sans effort consiste à
recomposer le nouveau avec de l'ancien, notre premier mouvement est de la
dire incompréhensible. Mais acceptons-la provisoirement, promenons-nous
avec elle dans les divers départements de notre connaissance : nous la verrons,
elle obscure, dissiper des obscurités. Par elle, des problèmes que nous jugions
insolubles vont se résoudre ou plutôt se dissoudre, soit pour disparaître
définitivement soit pour se poser autrement. De ce qu'elle aura fait pour ces
problèmes elle bénéficiera alors à son tour. Chacun d'eux, intellectuel, lui
communiquera quelque chose de son intellectualité. Ainsi intellectualisée, elle pourra être braquée à nouveau sur les problèmes qui l'auront servie après s'être
servis d'elle ; elle dissipera, encore mieux, l'obscurité qui les entourait, et elle
en deviendra elle-même plus claire. Il faut donc distinguer entre les idées qui
gardent pour elles leur lumière, la faisant d'ailleurs pénétrer tout de suite dans
leurs moindres recoins, et celles dont le rayonnement est extérieur, illuminant
toute une région de la pensée. Celles-ci peuvent commencer par être intérieurement obscures ; mais la lumière qu'elles projettent autour d'elles leur revient par réflexion, les pénètre de plus en plus profondément ; et elles ont alors le double pouvoir d'éclairer le reste et de s'éclairer elles-mêmes.


Henri Bergson, La pensée et le mouvant, Essais et conférences. - II. de la position des problèmes, p.22




PS : Ne vous en faites pas si vous vous sentez un peu confus ;)
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LLB
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Message par LLB »

Je viens de lire ces longs échanges et ça fait plaisir parce que parfois je ressens la paresse de discuter, de faire du bruit, d'encombrer, la paresse, comme celle des clochards de Beckett qui se laissent pourrir d'"'à quoi bon". Parfois l'horreur de tant de bruit. Mais je lis cet échange et j'ai envie de discuter, donc ça marche, donc ça peut lmarcher, donc il faut discutern donc c'est vrai que la parole est efficace, et sacrée, c'est une bonne nouvelle.
Je viens partager avec vous un éléments d'analyse de cette situation, analyse qui ne conclut nullement à des propositions d'action je préviens, mais à l'accroissement pour moi de la paralysie. Mais en discutant on peut déplacer les choses.
Un des éléments du problème de cet espèce d'effondrement incompréhensible de tout ce qui était qualifié il y a peu de résistances archaïques au changement, c'est le caractère à la fois très hétérogène et très ouverts des espaces qu'on traverse dans la vie au quotidien. On peut ressentir assez régulièrement, heureusement même si c'est de plus en plus rarement, le charme d'un accord de fond entre humains aspirant fraternellement à un monde plus fraternel, et parfois, il n'y a pas même besoin pour ça de performances argumentatives, de discussion, d'art : je reviens de deux jours pour l'anniversaire de la fille d'une grand tante en Espagne et le miracle s'est produit entre membres de la famille, tout ce qui de l'extérieur ferait ricaner, là le simple fait de dire quelques conneries en trinquant, de traverser le village en saluant des voisins, il y avait l'accord de fond qui était rendu possible par le fait que la Famille en Espagne c'est l'espace où le don joue à plein, où on est lié à des temporalités profondes, où on s'aime à la fois obligatoirement et involontairement parce qu'on incorporé ça si totalement que ça nous a constitués en sujet libres de ces attaches qu'on chérit.
Mais trêve de digressions : on est prof cooyant dans ce qu'on dit pendant un séminaire et cynique dans le bureau d'un financeur deux heures après, on attrape quelque chose ici dans un collectif particulier qu'on trahit immédiatement l'instant d'après, le tout sans même le réaliser je pense car on adopte les normes propres à chaque espace traversé. On entretient en permanence l'illusion que ce qui a été dit et vécu va "diffuser" ou "produire" au delà de son contexte d'énonciation, et parfois, pour aider à la réalisation de cet effet, on convoque la communication, des techniques diverses, qui non seulement tuent immédiatement ce qui était destiné à diffuser, mais le tuent en maintenant à la place un fantôme absurde qui fait bientôit haïr ce qu'il devait rendre vivant plus loin et plus longtemps.
Les espaces sont donc à la fois étrangement hétérogènes et ouverts, on les traverse vite, sans ressentir la résistance des frontières, on passe des "laboratoires" aux bureaux administratifs à la rue, aux manifs, aux réunions, aux fêtes, sans changer ni même de fringues, mais les normes changent à chaque fois, et les rapports de légitimité, le sens des mots, les croyances.
face à ça, l'illusion encore et encore d'élargir certains espaces, de "contaminer" ou d'absorber de préférence ceux qui sont les plus abstraits, les plus lointains, les plus englobants, d'où les éterbelles stratégies et plantages.
D'où la tentation de la clôture, mais avec qui, comment, et pourquoi est-ce que finalement je n' ai pas la force morale de démarrer l'expérience de cette clôture par exemple avec un institut de la rechreche aujtonome avec Dröne et ceux qui suivraient? Parce que je n'ai pas assez incorporé les convictions qui rendraient cette démarche indiscutable et nécessaire à la fois comme sujet et comme membre d'un collectif? Dans ce cas comment rattraper le déficit de foi? Parfois en regardant les films de Tarkovsky on voit cette foi à l'état pur et on croit à la foi sans pour autant la gagner pour soi-même, on fait comme ce discipline de Jean de la Croix qui croyait à la croyance sans arriver à croire, et qui a bu le bol d'humeurs du saint à l'agonie pour empêcher qu'il meure, ou mourir soi-même : le saint est mort et le jésuite est resté en vie indifférent au miracle que constituait le fait d'être parfaitement indemne après avoir bu.
D'où la nécéssité de continuer à se construire en discutant pour éprouver sa bonne foi au moins, et sa capacité à changer encore pour peut-être arriver à grandir suffisamment encore pour tenter de gagner la cohérence qui fera que la parole ou l'action ne sera plus forcément une grimace qui détruira ce pour quoi elle se développait.
Le Lion Bleuflorophage
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Chaosmose
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Message par Chaosmose »

Merci LLB, une fois encore et comme toujours, de savoir si bien décaler pour faire entrevoir un sentier dissimulé.

Je n'ai également, évidemment, aucune "proposition", mais avant tout l'envie d'essayer de continuer à oeuvrer à ce tissage collectif - sans doute vain, et alors ?

J'avoue avoir été quelque peu déboussolée par le post de dröne sur les modes d'action; un peu comme si l'appréhension du problème par un couple pensée critique-mode d'action n'avait plus de sens pour moi. Et c'est peut-être cette "ab-sens" que ton propos a mise au grand jour (mais sans doute suis-je encore très naïve). En fait, c'est un peu comme si je ne "croyais pas" aux modes d'action, à des répertoires ou des partitions bien huilées qui modaliseraient l'espace des actions possibles (voire même pensables).

C'est aussi sur ce point où votre évocation des normes, à LLB et à toi, a sans doute le plus fait écho, et ce d'autant plus que je viens de passer quelques années à réfléchir sur ce sujet, c'est à dire la normalisation et le gouvernement par les normes - et plus spécifiquement la manière dont le(s) marché(s) énoncent par ce biais ce qu'est l'environnement, en fixant les cadres et les formes de calcul qui le rendent tout à la fois saisissable et gérable - c'est à dire in fine en suspendant toute forme de contrainte, en condamnant "le" bien commun au mutisme.

dröne évoquais conjointement le(s) pouvoir(s) et la complexité du capitalisme libéral: en le résumant très brièvement, il me semble moi aussi que tous deux (pouvoir(s) et complexité) sont des clés indispensables pour éclairer un tant soit peu l'efficace propre au rouleau compresseur de l'ultra-libéralisme économique. Et je suis là encore parfaitement d'accord sur l'aberration que constitue la désignation d'institutions particulières comme "ennemies" : la question se noue bien davantage je crois, dans la capacité du capitalisme à normaliser les rapports aux choses et aux causes, à fabriquer des normes érigées en "universel", qui se diffusent et contaminent les moindres recoins spaciaux et mentaux, en même temps qu'elles sont (paradoxalement) suffisamment fluides et mouvantes pour être revendiquées et affichées par toutes les entités capitalistes/marchandes - processus qui leur permet aussi de réabsorber toute critique ou toute tentative de rapport de force.

Le rapport de force ou la logique du pouvoir - inhérents à la lutte des classes notamment - sont dès lors des instances de perpétuelle reconduction du même (raison pour laquelle je ne crois pas non plus à la révolution, lieu-moment de refabrication d'un même par d'autres...)

Or le couple critique/mode d'action a, je crois, partie liée avec cette logique du rapport de force et du pouvoir. D'où l'importance, d'abord pour nous même, d'essayer d'opérer des micro-déplacements: affirmer non pas la nécessité d'une critique, mais la pensée critique, ou les pensées critiques - celles du devenir minoritaire pour reprendre des concepts via lesquels je tente (avec toute l'ardeur du désespoir !) de débrouiller ces questions. Ne pas répondre aux sirènes du "pouvoir", mais re-déplier le monde, les choses et les causes à l'aune des "puissances" (les potentialités & les virtualités).

Dans la même veine (et sans doute complètement différemment aussi), si le pouvoir sarkozyste me semble tout à fait exemplaire, c'est comme entreprise de production d'une hégémonie culturelle, d'imposition de normalités/évidences qui est indissociablement orientation de la signification des mots : s'il n'en définit sans doute pas le "sens" (terme que j'ai quelque difficulté à employer, mais je n'en ai pas d'autre), il est parvenu à en circonscrire l'espace de signification possible - à l'image des dispositifs de normalisation que j'évoquais précédemment au sujet de l'environnement. Bref, une sorte de processus et d'agencement parfaitement gramscien, qui revendique son universalité et sa vérité (contre le pragmatisme et le relativisme).

A quoi croire alors ? (et non plus "que faire?")
Si j'ai autant aimé votre papier sur la co-errance, c'est aussi comme suspension de l'exigence paralysante de la cohérence "de soi", comme plaidoyer pour l'Un e(s)t le multiple. Si les normes changent dans chaque espace traversé, la présence de l'Un et du multiple dans cet espace reconfigure toujours, potentiellement, cet agencement normatif, ouvre potentiellement une faille, un interstice - voire une niche écologique. Il ne faut peut-être, sans doute, pas s'en satisfaire, mais pour moi, cette simple conversation "ici et maintenant" est une forme, aux clôtures invisibles et réelles, d'"oikos".




ps : J'ai sans doute été encore moins claire, mais peu importe "je", peut-être un autre "je" sera-t-il capable d'en extraire quelque chose...
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