L'espace urbain sous contrôle

Désobéissances et micro-résistances.

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drÖne
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Message par drÖne »

Pour revenir à l'aménagement urbain, il existe même une catégorie qui définit toutes ces mesures ressemblant férocement à la mise en place d'un "panoptique" : on appelle ça "la prévention situationnelle".

Un article de wikipedia à ce sujet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9ve ... ationnelle

La ville conçue comme un panoptique, y'a pas à dire, on prend vraiment les problèmes par le bon bout...

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drÖne
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mouss
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Message par mouss »

il faut fuir les centres urbains et laisser les bureaucrates mennemisés, et pouffiasses l'oréalisé, se pavanner dans ces lieux acceptiser, surveiller, depourvu d'ames. Moi ce qui m'inquiète un peu plus que le mobilier urbain, parce que le sdf il trouvera tjs autre chose qu'un bancs, c'est le sdf en lui même. Ma femme qui bosse en psychatrie à l'aphm (hôpitaux marseillais) remarque que les skyzophrènes sont de plus en plus facilement lachés sans soins dans la nature. (traitement à vie, et disons presque incurable donc trop cher pour le systeme). Et de plus en plus de mec parle à dieux dans la rue.
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TouF
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Message par TouF »

mouss a écrit :Et de plus en plus de mec parle à dieux dans la rue.
J'en parlerai avec lui justement hier, et il me disait qu'il en avait marre de se faire interpellé à tout bout de champs... :wink:
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Message par TouF »

drÖne a écrit :Pour revenir à l'aménagement urbain, il existe même une catégorie qui définit toutes ces mesures ressemblant férocement à la mise en place d'un "panoptique" : on appelle ça "la prévention situationnelle".
Putain, c'est vrai que c'est carrement flippant! ...surtout quand tu bosses dedans, c'est tellement devant tes yeux que tu vois rien (surtout quand inconsciemment tu ne veuts pas) :oops:
Avec le recul le milieu du BTP est vraiment puant.
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drÖne
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Message par drÖne »

Je vais peut être avoir un point d'entrée dans le binz : un pote qui bosse dans une boîte d'urbanisme. Lui non plus, ça ne lui plaît pas la "prévention situationnelle".
drÖne
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mouss
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Message par mouss »

Y a eu aussi la politique de juliani ex maire de newyork qui était de chasser les sdf par la force de manhattan, (encore un bel exemble de democratie americaine) qui à eu pour effet de créer des villes de sdf ds les sous sols new yorkais.
Un véritable scénario de science fiction: y a un vieux film qui s'appel: C.H.U.D ("Cannibalistic Humanoid Underground Dweller"), où des sdf vivant dans les catacombes consommaient de la nourriture souillée par des déchets radioactifs, et se transformaient en monstres sanguinaires canibales: un pur film des années 80 ( bande sonore terrible aussi)
Natasha Saulnier

Dans le ventre de New York

L'Humanité 27 Février 2002 -



Etats-Unis. Plongée dans les entrailles de New York, où apparaît une cité tentaculaire dans laquelle se terrent des milliers de SDF.



Une vraie ville souterraine vibre sous les gigantesques stalagmites de béton. Mais dans la métropole de l'excès, il ne fait pas bon dire que certains vivent en bas, terrés parmi les rats. Alors, tout le monde se tait. Rencontre avec les " hommes taupes " de New York City.



L'homme en fauteuil roulant se déplace à grande vitesse dans le parc mal entretenu. Soudainement, dans un crissement, il interrompt sa course folle devant un espace vide le long d'un parterre de fleurs agonisantes et de frondaisons en fouillis. De son doigt, il désigne, sur le goudron, quatre bases métalliques autrefois soudées aux pieds d'un banc. D'un regard d'acier, il fixe l'horizon puis, haussant les épaules, demande tout à coup : " Ils ont enlevé les bancs publics pour qu'on ne dorme pas dessus. Où voulez-vous qu'ils dorment, les sans-abri, s'ils descendent pas dans les tunnels ? "



Eddy, lui, ne peut plus " descendre " et rejoindre les myriades de pauvres hères qui ont trouvé asile dans les étages inférieurs de la cité ou dans les boyaux du métro et du système ferroviaire new-yorkais. Amputé d'une jambe après avoir été poussé sous le métro lorsqu'il vivait dans les entrailles de New York, il a, en signe de rébellion silencieuse, installé son matelas poisseux sur l'un des espaces autrefois réservés aux bancs dans le parc de Tompkins Square, dans le Bowery. Ancien phalanstère de la misère, le quartier du Bowery est actuellement en phase de " gentrification ", comme la majorité des quartiers de Manhattan. " Je l'ai mis là temporairement, jusqu'à ce que les flics l'enlèvent, marmonne-t-il en grimaçant un sourire édenté. Pas question d'aller dans les centres, qui sont trop dangereux. " Et, comme des milliers de SDF new-yorkais, il dit chérir cette liberté au goût amer : " Ces centres imposent des couvre-feux insensés et demandent aux sans-abri d'être totalement clean ! "



Pendant l'âge d'or du Bowery, c'est-à-dire avant la Seconde Guerre mondiale, environ 75 000 indigents trouvaient refuge dans cette cour des miracles, souvent dans les petits hôtels et garnis. De nos jours, seulement une poignée d'asiles nocturnes subsistent. Plus que jamais menacés de fermeture, ils hébergent environ un millier de résidents. Ultime étape de ces sinistrés de la fortune, qui ont perdu foi dans le " monde d'en haut " et à qui il ne reste souvent que la drogue : le tunnel. Il procure aux " hommes taupes " un refuge loin des regards indiscrets et de la répression policière. En effet, le " système nerveux de New York ", avec son vaste réseau de tunnels de toutes sortes, celui du métro mais aussi les conduits des câbles, les voies hydrauliques, les égouts qui plonge sur sept étages, en s'entrecroisant, s'enchevêtrant, procure d'innombrables niches et cavités qui peuvent rendre invisibles les SDF new-yorkais.



En 1993, un ouvrage écrit par Jennifer Toth et intitulé " les Taupes " (The Mole People), a provoqué une onde de choc dans la société bien-pensante new-yorkaise. Toth y décrivait les diverses communautés de déshérités qui résidaient sous la métropole. Selon elle, le nombre de " taupes " s'élevait à plusieurs milliers. Pour la première fois, les habitants d'en haut prenaient conscience de l'existence de ceux d'en bas : ces témoins à charge de l'absence de pacte social, tapis silencieusement dans un New York méphitique, ténébreux et profondément menaçant. Selon les travailleurs souterrains, ces salariés (réparateurs, électriciens, etc.) qui travaillent en sous-sol, c'est aujourd'hui une véritable " cité " qui vibre sous les gigantesques stalagmites de béton : un New York de bivouacs et d'épaves humaines. " Avec toutes les habitations du bas, on a une vraie cité. Mais vous pensez que dans une ville où certains gagnent un million de dollars par an, il ne fait pas bon dire que d'autres végètent en bas terrés comme des animaux ", explique un employé du métro.



Personne ne sait exactement combien de taupes peuplent les entrailles new-yorkaises car ces chiffres, particulièrement controversés, pourraient affoler les passagers du métro. En outre, rares sont ceux qui osent s'aventurer dans les tunnels crasseux, ténébreux et réputés particulièrement dangereux. Selon une étude réalisée par le ministère de la Santé de New York, 6 031 SDF vivaient sous les seules gares de Grand Central et de Penn en 1991. Les autorités new-yorkaises affirment que ce chiffre a largement baissé après la mise en ouvre d'un programme de " nettoyage " par Amtrak sous la gare de Grand Central en 1995 et suite au bouclage de ses entrées. Mais selon les SDF et les organisations charitables, la nébuleuse des réseaux de tunnels demeure fréquentée par des milliers d'indésirables laissés sur le pavé.



Les centres pour sans-abri accueillent environ 27 000 SDF par nuit à New York. Un chiffre bien inférieur au nombre total des sans-abri de la ville, évalués annuellement à environ 75 000 par l'association Coalition for the Homeless (100 000 à 200 000 selon Partnership for the Homeless). En 1996, dans le cadre d'un programme visant à endiguer le flot montant des sans-abri et intitulé " Priority Home " (1), l'administration Clinton a estimé qu'entre 5 et 9,32 millions d'Américains ont été sans-abri durant la seconde moitié des années quatre-vingt. Le bureau de recensement de la population a refusé de rendre publics les chiffres concernant les SDF en l'an 2000.



¶gé de quarante-trois ans, James " habite " dans le tunnel du métro du Bowery depuis sept ans pour des raisons de sécurité. Contrairement à certains résidents du tunnel qui passent des périodes prolongées sans voir la lumière diurne, James sort fréquemment pour faire la manche. Et dans une société qui criminalise de plus en plus la pauvreté et compte dans son vocable l'expression " démolir du clochard " (bum bashing), le choix de James prend tout son sens. " Je vis en bas pour ne pas me mêler au reste de la société mais aussi parce que je m'y sens plus en sécurité. Une fois, je me suis fait tabasser par une douzaine d'adolescents pendant que je dormais, puis ils ont mis le feu à mes vêtements ", explique-t-il d'un ton amer en se trémoussant comme s'il avait la bougeotte. Brooklyn, une séduisante jeune femme de quarante ans, vit depuis dix ans avec ses " babies " (ses chats) dans le tunnel ferroviaire situé au-dessous du parc huppé de Riverside. " Depuis la mort de mes parents et l'incendie de notre maison, c'est mon refuge contre la méchanceté humaine. Je dormais sur des bancs publics puis, un jour, j'ai suivi les chats du parc. Ils m'ont montré ma nouvelle maison ", explique-t-elle assise sur son lit, entourée de ses dix chats dont un chat noir et blanc qu'elle a baptisé Donald Trump. " Parce qu'on dirait qu'il porte un smoking ", déclare-t-elle en guise d'explication.



James et Brooklyn se font l'écho de nombreux SDF et d'organisations charitables, qui se plaignent d'une augmentation des attaques brutales contre les sans-abri aux Etats-Unis. Pour enrayer ce phénomène, la National Coalition for the Homeless a demandé au Congrès de mettre en chantier une législation prévoyant des sanctions spécifiques pour ce type de " crimes haineux ".



En dépit du sentiment de sécurité des " taupes ", il est évidemment impossible de minimiser les dangers d'une existence passée le long de rails électrifiés à 600 volts, comme l'attestent les nombreux décès par électrocution dans les tunnels. En 1999, un couple en train de faire l'amour sur un matelas a, par inadvertance et dans la passion du moment, été électrocuté. Mâchoires métalliques impitoyables, les rails mobiles piègent les pieds des explorateurs non initiés et la vitesse des trains conjuguée à l'effet désorientant de leurs phares représentent d'autres menaces importantes. Les rats, les excréments et déchets humains ainsi que l'amiante constituent également des sources de maladies. " L'amiante recouvre les conduits et si tu restes plus d'une semaine sous terre, quand tu te mouches, il y a un machin noir qui sort de ton nez ", explique James.



En hiver, la température est plus élevée de quelques degrés dans les tunnels grâce aux conduits de vapeur qui relient l'Etat du New Jersey aux générateurs électriques de Manhattan. Les bouches d'incendie offrent un accès à l'eau de ville. Les " bunkers ", espaces cimentés conçus spécialement pour abriter les travailleurs souterrains durant leurs pauses, servent de " chambres " aux " taupes " qui y apportent souvent les résidus de la rue : matelas, chaises, tables. Certaines " chambres " comprennent même des postes de télévision reliés aux générateurs d'électricité de la ville. Espèce gigantesque et quasi domestique, les rats sont baptisés " lapins de voie ferrée " (track rabbits) par les résidents des tunnels. " Ils te fichent la paix si tu leur fiches la paix, mais faut pas laisser traîner de bouffe quand tu dors ", explique Richard, qui réside dans le tunnel depuis dix ans mais " remonte " fréquemment pour faire la manche, ou pour " travailler ", c'est à dire ramasser des canettes consignées et prendre des douches au centre. · l'instar de Richard, James dit suivre une hygiène rigoureuse difficile à concilier avec son environnement : " J'utilise les bouches d'incendies. Il y a plein d'eau disponible en bas. Je me lave des pieds à la tête. L'hygiène personnelle, c'est très important pour conserver ta dignité. Sinon tu deviens fou. "



Les organisations charitables qui s'occupent de la réinsertion sociale de ces SDF sont unanimes : après avoir passé plusieurs années en bas, les " taupes " éprouvent les plus grandes difficultés à refaire surface, car, victimes d'une illusion de sécurité, elles se détachent graduellement de la réalité. Outre cette illusion, le sentiment d'appartenance est peut-être le facteur qui explique le mieux l'étrange attirance et l'emprise indéniable des tunnels sur les sans-abri. " En haut, c'est chacun pour soi. Le tunnel, c'est une grande famille : tous s'entraident ", explique Puggy, trente-sept ans, ex-habitant du tunnel ferroviaire situé sous le parc de Riverside, dans l'Upper West Side new-yorkais. Ancien trafiquant de drogue, Puggy se targue d'avoir vendu la " meilleure dope d'Harlem " avant de " prendre sa retraite " après le décès de son frère en 1992 et de passer quatre ans dans le tunnel entre 1992 et 1996. Actuellement en liberté conditionnelle, Puggy travaille sur des chantiers de construction et s'occupe de ses six enfants. " Nous étions heureux dans le tunnel. C'est pour ça que je reviens encore aujourd'hui voir mes potes Bertram et Tony ", explique-t-il, un éclat dans les yeux. Puggy se fait l'écho d'Harry, ancien trafiquant de drogue haïtien, qui a vécu neuf ans, de 1987 à 1996, dans le tunnel du métro du Bowery, avant de suivre un programme de réinsertion sociale mis en place par la Mission du Bowery. " Je n'arrive pas à oublier le tunnel. Je ne l'oublierai jamais. Pour moi, c'était comme un havre de sécurité ", affirme-t-il. Depuis notre entretien, il a " replongé " dans la drogue et réintégré le monde insalubre des " taupes ". Les paroles qu'il prononçait, il y quelques semaines seulement, prennent maintenant une terrible dimension ironique : " J'ai descendu la pente pendant trop longtemps, maintenant j'ai décidé de la remonter. "



· l'exception de Puggy, tous les habitants du tunnel interviewés disent avoir été " piégés " par la drogue. Selon Patrick Markey, analyste à l'association Coalition for the Homeless, 60 % des SDF souffrent d'un désordre mental et, parce que ce désordre n'est pas traité médicalement, la majorité d'entre eux se tourne vers l'alcool ou les stupéfiants.



James, façonné par une histoire tranchante, fustige cette société qui s'échine à le déposséder de toute dignité : " J'ai purgé dix-sept années de prison pour un cambriolage à main armée. J'ai fait toutes les prisons de New York. Avant, on pouvait étudier et passer des diplômes en prison. Maintenant ce n'est plus possible. Je voulais vraiment m'en sortir. J'ai fait une demande de logement social mais c'est interdit aux SDF qui ont un casier judiciaire. C'est là que j'ai compris que la société ferait tout pour m'enfoncer. "



Si les " taupes " se sentent plus en sécurité sous terre, enveloppées dans l'obscurité ambiante, les New-Yorkais sont littéralement pétrifiés par ce monde souterrain qu'ils perçoivent comme un univers irrationnel et maléfique, peuplé de fous furieux qui se nourrissent de rats. Pas question, donc, de descendre désarmé. " Les travailleurs souterrains sont tous munis d'une arme. On appelle ça un "égalisateur" ", explique un employé du métro new-yorkais qui descend fréquemment dans ses entrailles. Car les tunnels représentent plus qu'une existence aux confins de la société. Ils forment un autre monde directement en opposition à celui d'en haut. Ce monde, qui glace d'effroi les New-Yorkais, rappelle étrangement l'univers obscur que Victor Hugo opposait à celui des nantis de la planète. " Parfois, je ne sortais pas du tunnel pendant un mois entier. Je demandais à des amis de m'apporter ce dont j'avais besoin. Je ne voulais pas affronter le monde extérieur. En haut, c'était la guerre, j'étais en danger. Le quai du métro était un territoire neutre et, en bas, j'étais en sécurité ", explique Harry qui ajoute que la majorité des habitants du tunnel adoptent cette logique.



Pour Puggy, le tunnel représente plus encore : c'est un sanctuaire, un havre spirituel. " Lorsque j'y étais, j'avais une impression de liberté, de spiritualité. C'est pour ça que j'y reviens toujours et que je communique avec Dieu. " Ses propos trouvent un écho dans ceux de Bertram, qui vit sous terre depuis quinze ans et déclare y avoir " trouvé la paix ". La grandeur du tunnel ferroviaire, indéniable, permet de comprendre pourquoi ses habitants l'appellent le " tunnel de la liberté " : certaines arches soutenant le parc de Riverside atteignent 24 mètres de haut et, en quelques endroits, la voûte est plus étendue qu'un terrain de football. Une lumière tamisée filtre à travers les grilles des ouvertures pour révéler les nombreuses fresques peintes par les taggers, ce qui n'est pas sans rappeler la sensation apaisante ressentie dans une cathédrale. Certaines ouvres démontrent en outre une rare maîtrise et habileté, comme cet immense graffiti d'un " artiste " qui a adopté comme signature... Freedom.







(1) The federal plan to break the cycle of homelessness.
Editorial

Par Jean-Emmanuel Ducoin







Comme des rats...









(Des milliers de homeless se terrent dans les sous-sols de New York. Les pauvres sont " camouflés " ou " éloignés ", mais ils sont toujours là.)





Aussi surprenant que cela puisse paraître, il est devenu possible de marcher des heures dans les centres-villes américains, notamment New York, sans y voir le moindre homeless ou clochard. Mais où sont passés les pauvres ? Ils ne peuvent tous avoir disparu, constate, incrédule, le visiteur européen. Il n'a pas tort, évidemment.



Il faut avoir parcouru le métro new-yorkais au moins une fois pour comprendre cet amoncellement de boyaux et de rails, capharnaüm de tunnels aux recoins multiples et crasseux. Il faut avoir entraperçu cette ville de l'intérieur pour ressentir au plus profond de son être cette fascination-répulsion qu'entretiennent si bien ces sentiments d'opulence et de pauvreté réunies. Il faut avoir arpenté les rues taillées au double-décimètre dans ce continuel bouillonnement et d'enchevêtrement architectural pour savoir quelle vie se cache à l'intérieur de cette vie, là, pas loin, dans les intestins de ce corps en bonne santé apparente. Rongé de l'intérieur.



Non, la " ville debout ", ne se singularise pas que par ses sommets, fussent-ils à jamais meurtris dans les ruines du World Trade Center. Quand on sait voir hors les apparences, l'île de Manhattan (on pourrait citer Las Vegas comme caricature suprême) est aussi belle qu'elle est laide ; pour ce qu'elle montre et pour ce qu'elle ne montre pas.



Mais combien sont-ils donc, ces SDF, plongés dans les entrailles de la ville, comme engloutis, survivant dans cette cité souterraine sous les gigantesques stalagmites de béton ? Des milliers ? Des dizaines de milliers ? Personne ne le sait vraiment. Seule indication " fiable ", celle avancée en novembre dernier (soit deux mois après les attentats) par la Coalition pour les sans-abri, une ONG fournissant aide et assistance aux personnes sans logement : au moins 29 500 personnes, dont quelque 13 000 enfants, soit, selon l'organisation, une augmentation de près de 60 % par rapport à la même période il y a trois ans. Et encore, convient-il de lire ce chiffre avec grande prudence. Ne sont en effet " recensés " que les homeless passant régulièrement leurs nuits dans les abris municipaux et les chambres d'hôtel fournies par la mairie. Or des milliers et des milliers d'entre eux n'y sont jamais accueillis, livrés à eux-mêmes.



Dans le ventre de New York, nous les appelons aujourd'hui dans nos colonnes les " hommes taupes ". Nous les considérons comme des hommes, mais là-bas, que voulez-vous, ils ne sont déjà plus rien, ou si peu.



On leur a promis un job, un logement, mais les mirages se dissipent vite. Ils échoueront au mieux dans un foyer pour sans-abri, écumeront les couloirs bondés de la gare centrale. Au pire, ils s'enterreront. Comme des rats. Transformés en " invisibles parasites ", ignorés de la plupart, loin " du haut ", proche de rien. Ils n'y sont pas en y étant. Ou plutôt ils y sont sans vraiment y être. Il n'est pas nécessaire de croire qu'ils en sont les principaux responsables, comme ces 32 millions d'Américains vivant sous le seuil de pauvreté, soit plus de 13 % de la population. Précision : 43 millions d'Américains n'ont aucune assurance maladie.



" Près de 80 000 New-Yorkais, pour la plupart des travailleurs avec de bas salaires, ont perdu leur emploi en octobre ", s'alarme par exemple Patrick Markee, l'un des dirigeants de l'ONG, qui accuse les services municipaux d'avoir, depuis des années, " excessivement réduit les budgets consacrés au logement des plus pauvres ". Et l'homme d'ajouter, crûment : " L'augmentation dramatique du nombre de sans-abri avant même le 11 septembre démontre clairement le coût élevé des politiques d'échec et des coupes dans les budgets ! "



De fait, Etat fédéral et collectivités locales, à l'image de Manhattan, ont récemment multiplié les efforts (sic) pour camoufler les pauvres, à défaut de les faire disparaître. Pour quel résultat ? La société américaine reste de loin la plus inégalitaire de tous les pays industriels. Le rapport même que la puissance américaine entretient avec le monde, via l'ineffable George W. Bush, la conception qu'elle a de son rôle parmi les autres nations, sa responsabilité politique et historique devraient plus que jamais être soumis au feu de la réflexion dans ses propres frontières. Souhaitons-le.

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