La politique et le bourgeois gentilhomme

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LLB
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La politique et le bourgeois gentilhomme

Message par LLB »

Oh là! Je reçois ce matin cette lecture désopilante et édifiante, la voici, lisez et savourez


Ce pastiche est de J.M. Harribey, membre de la direction d'Attac. ____________________

*Le bourgeois bonhomme*

*Acte II, scène IV*

*Par Jean-Marie Harribey*

*/(Parodie du /Bourgeois gentilhomme/, de Molière.)/*

/Maître de philosophie politique,/

/Monsieur Sarkodain/

*Maître de philosophie politique.* *­* Venons-en à notre leçon.

*Monsieur Sarkodain.* *­* Ah ! Mon Maître, que ne vous fussiez venu plus
tôt, afin que vous m’aidassiez à parer les coups qui plurent sur moi.

*­ *Ces coups ne sont rien pour un philosophe. Que voulez-vous apprendre
pour tremper votre caractère ?

*­* Tout ce que je pourrai, car j’ai toutes les envies du monde d’être
un grand président ; et j’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas
fait bien étudier la science politique quand j’étais jeune.

*­* Votre sentiment vous honore. /Nam sine potentia vita est quasi
mortis imago/. Vous entendez cela et vous savez le latin sans doute !

*­* Oui, mais faites comme si je ne le savais pas : expliquez-moi ce que
cela veut dire.

*­* Cela veut dire que /sans le pouvoir, la vie est presque une image de
la mort/.

*­* Ce latin-là a raison. Mais qu’avez-vous à me dire de plus ?

*­* Par où vous plaît-il que nous commencions ? Voulez-vous que je vous
apprenne la logique de la politique ?

*­ *J’ai hâte de connaître cet art, Maître.

*­* Il s’agit en effet d’un art, qui obéit à trois principes.

*­* Que sont-ils, ces trois principes ?

*­* Le premier, le deuxième et le troisième. Le premier est de bien
diviser. Le deuxième est d’additionner les avantages pour les puissants.
Le troisième est de soustraire l’information à la vue des manants. Ce
sont là les trois principes de l’art de bien gouverner qui permet de
multiplier honneurs et richesses.

*­ *Honneurs et richesses ! Pour les gouvernants ? En êtes-vous certain ?

*­ *Honneurs pour vous et richesses pour vos commanditaires, qui ne
manqueront pas, soyez-en sûr, de vous en faire profiter sur leurs yachts
et dans leurs châteaux.

*­ *Je vous entends, Maître, mais apprenez-moi la grammaire de cet art.

*­ *Très volontiers. Commençons par diviser.

*­* Allons vite au dénouement, car j’ai déjà procédé à des expériences,
il me semble.

*­* Vous ne devez rien laisser au hasard. D’abord, dresser le public
contre le privé, puis le privé contre le public. Quand ils sont
neutralisés, les dresser tous les deux contre les spéciaux. Ce n’est
qu’alors que vous aurez le champ libre pour les maintenir au travail /ad
vitam/.

*­* Cher Maître, vous me comblez de joie, car c’est presque fait.
Donnez-moi franchement votre sentiment : suis-je sur la voie de la
sagesse politique en ayant opposé ceux qui se lèvent tôt et ceux qui
paressent, ceux qui travaillent et ceux qui quémandent, ceux qui font
grève et leurs otages, ceux de souche et ceux dont l’ADN doit être vérifié ?

*­ *Je suis fier de vous compter parmi mes disciples. C’est un premier
pas. Cependant, il ne faut point vous en satisfaire. Vous devez
apprendre maintenant à additionner les avantages que pourront
collectionner les puissants.

*­ *Certes, mais ils ont déjà beaucoup.

*­* Le principe de l’addition, c’est accumuler. Donc, beaucoup n’est
jamais suffisant puisque beaucoup n’est pas tout. Nous entrons dans la
dialectique de l’accumulation : l’enrichissement doit toujours se
polariser davantage, sous peine de s’éteindre.

*­ *Maître, j’ai amenuisé les charges sociales, j’ai refusé tout net
l’augmentation du Smic et j’augmente la durée du travail en même temps
que j’invente le bouclier fiscal et l’impôt libératoire pour les
plus-values, et que je supprime l’impôt de bourse. Que puis-je faire de
plus ?

*­* Il convient dorénavant de vous attacher à légitimer, aux yeux de
tous, ces mesures propres à faire sortir la France du programme du
Conseil national de la Résistance et à la faire entrer résolument dans
le XXIe siècle.

*­* Maître, vous me parlez un langage qui est mien. J’excelle en
communication.

*­* Monsieur, je ne vous entretiens pas de communication mais de
légitimation.

*­* Qu’est-ce à dire, Maître ? Vous me surprenez.

*­* Nous pénétrons le troisième principe de l’art de gouverner :
soustraire l’information juste à la vue de vos sujets et lui substituer
une fabrication de l’opinion.

*­ *Oui, n’est-ce pas le travail que je confie à mes communicants et
auquel je m’astreins moi-même en allant jour et nuit sur le terrain ?

*­* Vous n’y êtes point, je veux dire sur le chemin de la compréhension.

­ Maître, vous me peinez, car je suis partout et je donne le ton.

*­* L’art de la soustraction en politique consiste à fabriquer une
opinion de telle sorte qu’elle croie qu’elle est la source d’elle-même.

*­* Maître, comme vous dites cela ! Concrètement ? J’ai déjà TF 1,
France Inter, France Info et toutes les radios. J’ai les sondeurs avec
Parisot à leur tête.

*­* Insuffisant.

*­* J’ai /le Figaro/, /le Monde/, /Libé/, toute la presse régionale. Il
ne me manque que /l’Huma/, et encore, elle accompagne les petits pas de
Thibault.

*­* Ce n’est pas assez.

*­* Je mange avec Bouygues, Lagardère, Arnault, et je me détends chez
Bolloré. Si je me montre davantage, je crains que le peuple ne finisse
par me jalouser.

*­ *Le peuple jalouse celui qui est immédiatement au-dessus de lui, pas
celui qui est cent coudées plus haut. Vous avez donc bien fait de
tripler votre revenu ; ainsi, le peuple ne pourra vous atteindre de son
regard envieux, dès lors que vous aurez multiplié les écarts. N’oubliez
jamais cette leçon : la multiplication des pains ou celle des inégalités
sont le début de l’ère des miracles.

*­* Fort bien, mon état de grâce durera autant que ma présidence.

*­* Ne vous y fiez pas ! La vérification de l’exécution des principes de
l’art de la politique est nécessaire à tout moment.

*­* Comment puis-je être certain que... ?

*­ *Passons aux leçons pratiques, voulez-vous ?

*­ *Je vous écoute, Maître.

*­* Vous projetez de faire travailler les salariés 40 ans, puis 41, 42.
Où vous arrêterez-vous ?

*­* Je ne m’arrêterai pas puisque l’espérance de vie s’allonge.

*­* Que répondrez-vous s’ils font valoir que la richesse augmente plus
vite que l’espérance de vie ?

*­* Ils ne poseront pas cette question car personne dans les médias ne
les aura mis sur la piste.

*­* Ils ont des syndicats qui le savent et certains économistes sont
passés à l’Attac. Vous justifiez la réforme des retraites par les
projections démographiques de votre Conseil d’orientation des retraites,
qui table sur un accroissement de 3/4 en 50 ans du ratio de dépendance
des retraités par rapport aux actifs d’ici 2050. Or, le même Conseil
établit que parallèlement la productivité augmenterait une fois et demie
plus vite. Que direz-vous quand on comparera ces deux prévisions
effectuées par le même organisme ?

*­ *Je dépêcherai Baverez, Marseille, Sylvestre, Le Boucher et bien
d’autres qui diront que c’est faux même si c’est vrai.

*­ *Cela ne suffira pas, malgré leur talent, car l’Insee et le Conseil
d’orientation des retraites ont déjà vendu la mèche.

*­* Alors, c’est fichu ?

*­* Non, à condition de pratiquer une dérivation.

*­* Dériver, est-ce une nouvelle opération comme diviser, additionner et
soustraire ?

*­* En quelque sorte. Vous soulevez un autre problème que vous amalgamez
au précédent, qui se trouve ainsi noyé. Vous n’en manquez pas, de
problèmes, pour réussir l’intégrale.

*­* J’ai l’assurance maladie en déficit depuis que nous avons diminué
les cotisations à la charge des entreprises ; j’ai la dette publique
parce que mes amis réclament autant d’intérêts que ne peut en couvrir
l’impôt sur le revenu que je suis bien obligé de lever encore un peu ;
et j’ai l’Université qui végète en attendant que la loi Pécresse ouvre
ses portes aux forces vives de la nation. J’ai ficelé le tout dans un
paquet et j’ai informé qu’il fallait réformer. J’ai même inventé un
Grenelle de l’environnement au terme duquel on troquera quelques taxes
écologiques contre des cotisations sociales en moins.

*­* Que rétorquez-vous aux rebelles qui vous disent que les privilèges
ne sont pas là où vous les signalez ?

*­ *Que le mérite a sa récompense et l’indolence sa sanction. Travaillez
plus pour gagner plus, tel est le secret de la réussite.

*­* Monsieur, gardez-vous d’une certaine rhétorique sur le travail ;
elle pourrait se retourner contre vous. Le hold-up sur Marx, Jaurès et
Blum pourrait vous coûter en lectures fastidieuses. Tout ne se lit pas
aussi facilement que la lettre de Guy Môquet.

*­* J’ai compris l’essentiel grâce à ce bon Guaino.

*­* Vérifions s’il vous plaît, pour vous éviter une mise à découvert.
Vous prétendez publiquement qu’il faut travailler pour produire de la
richesse. Voilà une idée que vos adversaires qui s’affublent de
l’étiquette socialiste n’osent plus revendiquer. Comment justifiez-vous
alors l’ouverture de la protection sociale aux compagnies d’assurances
et aux fonds de pension, lesquels ne produisent rien, sinon de la
spéculation ?

*­* Maître, vous m’embarrassez. J’ai trouvé cette idée au Medef et donc
elle doit être bonne. Elle est confortée par le Fonds monétaire
international, à la tête duquel j’ai placé quelqu’un de fiable, et par
la Commission européenne, sur laquelle je pourrai toujours repousser la
faute si ça ne marche pas.

*­ *Nous y voilà. Je reconnais en vous une potentialité très grande. Si
une mesure réussit, elle est portée à votre crédit ; si elle échoue,
elle émane de l’Europe. Cependant, vous devez être à même d’afficher à
tout moment votre résolution à respecter la démocratie, car c’est une
condition de la légitimité, notre troisième principe de l’art de
gouverner. Or, les Français ont repoussé par référendum le Traité
constitutionnel européen. Vous vous êtes engagé à honorer ce choix et
vous projetez de ne pas les consulter pour la ratification du nouveau
traité. Ou bien les deux traités sont à ce point différents qu’une
nouvelle méthode de ratification peut dans une certaine mesure se
justifier ; ou bien ils sont semblables et il faut soumettre le second
au même jugement que le premier. Dites-moi comment vous sortez de ce
dilemme et je vous dirai si vous êtes à la hauteur que vous ambitionnez
d’atteindre.

*­ *Maître, vous me mettez à l’épreuve. Les deux traités sont pareils,
mais je ne veux pas de référendum.

*­* Pourquoi ?

*­* Des référendums sur le nouveau traité européen seraient dangereux et
perdants en France, en Angleterre et dans d’autres pays. Il y a un
gouffre entre les peuples et les gouvernements.

*­ *Monsieur, je vous félicite, parce que vous venez d’ajouter la pièce
qui manquait à l’édifice de votre art en politique : le cynisme. Vous
irez loin.

*­* Maître, je vous en remercie. Au reste, il faut que je vous fasse une
confidence. Je veux léguer à la France une oeuvre littéraire, car je ne
veux pas que l’on dise plus tard que j’avais une plume à l’Élysée qui
écrivait tout pour moi. Je voudrais que vous m’aidassiez à rédiger le
prologue de cette oeuvre, que je souhaite grande, et dont le peuple
s’enivrera.

*­* Excellente idée. Est-ce de la philosophie politique que vous voulez
écrire ?

*­* Non, non, point de philosophie.

*­* Vous ne voulez qu’une oeuvre de vulgarisation ?

*­* Non, je ne veux ni philosophie ni vulgarité.

*­* Il faut bien que ce soit l’une ou l’autre.

*­* Pourquoi ?

*­* Pour la raison, Monsieur, qu’il n’y a d’oeuvre que philosophique ou
vulgaire.

*­ *Il n’y a que la philosophie ou la vulgarité ?

*­ *Monsieur, tout ce qui n’est point philosophique est vulgaire ; et
tout ce qui est vulgaire ne peut être philosophique.

*­* Et notre conversation, qu’était-elle ?

*­* De la philosophie.

*­ *Quoi ? Quand je dis : /« Guaino, écrivez-moi un discours qui dise le
contraire de ce qui est vrai »/, c’est de la philosophie ?

*­ *Oui, Monsieur. De la philosophie politique.

*­* Par ma foi, il y a plus de cinquante ans que je fais de la
philosophie, sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du
monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc mettre en prologue de mon
ouvrage dédié à la France : /Belle France, vos richesses me font mourir
de désir/.

*­* Il faut bien étendre un peu la chose.

*­ *Non, vous dis-je, je ne veux que ces paroles-là dans le prologue ;
mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de
me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on peut les mettre.

*­* On peut les mettre premièrement comme vous avez dit : /Belle France,
vos richesses me font mourir de désir/. Ou bien : /De désir mourir me
font, Belle France, vos richesses/. Ou bien : /Vos richesses de désir me
font, Belle France, mourir/. Ou bien : /Mourir vos richesses, Belle
France, de désir me font/. Ou bien : /Me font vos richesses mourir,
Belle France, de désir/.

*­* Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ?

*­* Celle que vous avez dite : /Belle France, vos richesses me font
mourir de désir/.

*­* Cependant, je n’ai point étudié, tellement ma haine des
intellectuels est grande, et j’ai fait cela du premier coup. Je vous
remercie de tout mon coeur, et vous prie de venir demain de bonne heure.

*­ *Je n’y manquerai pas, car je fonde de grands espoirs en vous : sous
une apparence bonhomme, vous cachez une main déterminée et ferme.
Surtout, gardez cette main invisible. Mais ce sera l’objet d’une autre
leçon.

*­...* ?

/En ce 20 novembre 2007, la clameur de la rue interrompit ce dialogue.../

Jean-Marie Harribey
Le Lion Bleuflorophage
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