Départ en Argentine : Penisula Valdés
Modérateur : drÖne
- drÖne
- Présidictateur
- Messages : 7766
- Enregistré le : 05 oct. 2002, 22:35
- Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
- Contact :
Oui, ça sera bien, mais à cette époque (décembre, janvier), si j'ai bien compris, c'est un peu la foire touristique avec les hippies bourrés sur la plage, ambiance Ibiza, station balnéaire, etc. Mais de toute manière, ça vaudra le coup pour les animaux (moins de baleines, mais plus de lions de mer, d'éléphants, de pingouins, etc.). Je ne connais pas encore cette période. En janvier, je ne sais pas trop où je serai car on n'aura plus la maison (la loc s'arrête à décembre, et après c'est trop la folie pour louer 2 mois, les prix grimpent et les locaux ne louent plus qu'à la journée, au mieux à la semaine).
Sinon, aujourd'hui, j'ai fait une ballade en mer par gros temps, ambiance montagnes russes et paquets de mer à bord (enfin, en mini, c'est pas le Cap Horn non plus, mais ça secoue avec les petits bateaux semi-rigides). Mais surtout, on a vu très près un accouplement de baleines : elles s'y prennent à plusieurs ma^les pour une femelle, et les mâles coopèrent car ils seraient liés génétiquement (parents, quoi : du coup, y'a pas concurrence, paraît-il). C'était assez impressionnant, ces masses énormes passant à 1 m de nous, ou sous le bateau : ça pèse 40 tonnes ces bestiaux...
Et pour pH, et sa copine qui se rappelle du gros barbu (le "roi des baleins"), je sors à peine de chez lui, il voulait que je lui traduise une émission de Thalassa en partie sur lui (c'est lui qui a "inventé" la visite de baleines pour les touristes ici). Il est assez malade le pauvre, très fatigué, mais toujours aussi bavard et grande gueule.
Sinon, aujourd'hui, j'ai fait une ballade en mer par gros temps, ambiance montagnes russes et paquets de mer à bord (enfin, en mini, c'est pas le Cap Horn non plus, mais ça secoue avec les petits bateaux semi-rigides). Mais surtout, on a vu très près un accouplement de baleines : elles s'y prennent à plusieurs ma^les pour une femelle, et les mâles coopèrent car ils seraient liés génétiquement (parents, quoi : du coup, y'a pas concurrence, paraît-il). C'était assez impressionnant, ces masses énormes passant à 1 m de nous, ou sous le bateau : ça pèse 40 tonnes ces bestiaux...
Et pour pH, et sa copine qui se rappelle du gros barbu (le "roi des baleins"), je sors à peine de chez lui, il voulait que je lui traduise une émission de Thalassa en partie sur lui (c'est lui qui a "inventé" la visite de baleines pour les touristes ici). Il est assez malade le pauvre, très fatigué, mais toujours aussi bavard et grande gueule.
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
- drÖne
- Présidictateur
- Messages : 7766
- Enregistré le : 05 oct. 2002, 22:35
- Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
- Contact :
Faut les chopper avec un filet, d'après ce que j'ai vu (il y a eu un Thalassa il y a quelques années sur le lieu et les gens, et on me l'a montré). Sinon, bien sur je fais des photos, mais finalement mon outil principal devient l'écriture et l'enregistrement audio des entretiens : un sacré bazar après pour retranscrire...
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
Votre prochaîne mission si vous l'acceptez… sera de revenir au plus vite merde quoi étudier des trucs proches de nous qui interessnt tout le monde comme la vie du plouc ornais depuis les premiers remembrements des années 50 jusqu'à nos jours. Déjà c'est inquiétant car on constate une diminution de la reproduction de l'espèce avec la suppression des haies… un lien direct ?drÖne a écrit :Ou mieux encore : tu es sociologue et tu débarques chez pH pour étudier la vie des paysans de son village...
Je transmets l'info sur l'état de santé du bonhomme… qui est une figure locale assez importante si j'ai bien compris cette amie qui a passé quelques années en argentine et qui en a gardé l'idée d'un des endroits les plus beaux et sauvage sur Terre. Et revenue elle constate comme toi que certains îlots sublimes (j'ai pas retenu les noms) ont été repérés, désormais, par des tour operator. Pas de panique pour leur état de santé - enfin dans certains cas -, souvent préservé grace à leur intérêt touristique (au prix d'un transport qui pollue beaucoup biensur), mais quelle foutue idée est venue aux hommes d'aller fourrer leurs gros culs partout comme ça, par plaisir de laisser une crotte au bout du monde… Et j'ai bien envie, moi aussi, d'aller chier au bout du monde…
Remarque le bout du monde où je suis, là, le finistère, souffre des mêmes symptômes que ta presqu'île sud-américaine. Tu ne manqueras pas, j'en suis sûr, cher Présid, de venir mettre tes pieds dans le plat de nouille de Crozon, terrain amical du touriste broutant les fragiles bruyères du littoral. Même combat ?
Plus personnellement the biz
- drÖne
- Présidictateur
- Messages : 7766
- Enregistré le : 05 oct. 2002, 22:35
- Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
- Contact :
D'après ce que je sais, c'est pas tellement le transport, ni même le tourisme de masse, qui pollue, contrairement à l'idée commune (c'est aussi ce que je pensais avant). L'impact environnemental sur les animaux, du moins à partir des indicateurs dont on dispose, serait pratiquement nul. Non, le problème serait plutôt les déchets de la surpêche, d'éventuelles contaminations locales dues à l'industrie de l'aluminium (difficile à vérifier because corruption), et la corruption endémique en Argentine. La corruption des ONG, celle des locaux, celle des instances internationale, l'indifférence des autorités locales, ces connards de l'UNESCO qui désignent des lieux comme "patrimoine de l'humanité" mais ne se donnent aucun moyen pour faire respecter des règles environnementales, etc. Mais pas vraiment les bus de tourisme, même s'ils sont des milliers : visibles, mais pas de gros impact. En ce qui concene les ONG écologistes, l'ambiance ici est à la théorie du complot, c'est pourquoi il est difficile de faire la part des choses. Mais je pense que ça doit être facile de se faire des couilles en or en montant une ONG écologiste en Argentine...
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
- drÖne
- Présidictateur
- Messages : 7766
- Enregistré le : 05 oct. 2002, 22:35
- Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
- Contact :
Hop, rapidos, un petit extrait de mon carnet de terrain, pas trop ethno pour le coup, c'est juste quelques annotations ironiques sur un événement local qui agite le village depuis deux jours :
Le vent est un peu tombé mais il fait encore froid, car le ciel est dégagé. Quand je m’engage vers la plage, vers 10h du matin, des rangées de gros bus de tourisme occupent l’espace devant le camping, en face de chez Schmid (agence de visite de baleines en bateau, on appele ça "avistaje" ici, équivalent de "whale watching"). Pas mal de gros 4x4, des pick ups de luxe, des hummers. Des flots de touristes, argentins ou chiliens pour la plupart, reviennent de la plage avec leur gros gilet de sauvetage orange : ils ont du courir aller voir la baleine morte avant leur avistaje, ou alors juste après. Engoncés dans leurs cirés, le cou enserré dans le gros gilet-bouée, appareils photos ou caméras attachées autour du cou, aussi lourdement harnaché que des GI’s américains attaquant Bagdad à la mitrailleuse et à l’arme lourde pour y faire régner la paix et la démocratie, ils composent un ensemble hétéroclite et un peu grotesque, vulgaire, de taches criardes qui tranche sur la grisaille sablonneuse des acantilados (des falaises de sable et de fossiles de coquillages). Chacun se prend en photo, grimpé sur un rocher (la falaise en fond, aucun recul, la photo ne pourra qu’être laide), le dos à la mer (mamie derrière le petit, le retenant fermement en dépit de l’énervement de la pause, car le sol, gluant d’eau de mer et de varech, est extrêmement glissant). La colonne des combattants du tourisme de masse s’engage courageusement vers la bête, qui repose ce matin sur les rastingas (une sructure rocheuse plate, glissante comme une patinoire par endroit), après avoir flotté la veille à quelques dizaines de mètres du rivage. Une odeur de mort est portée par le vent, quand quelques bourrasques paresseuses rabattent les effluves du cadavre vers la plage. Je croise la guide de chez Schmid : « ah, tu voulais des informations sur les touristes ? Tu vas en avoir ! ». La colonne bariolée s’écoule vers le monstre abattu : 30 tonnes de viande retournée sur le dos, viande enceinte, ventre gonflé, vulve à découvert, encadrée de deux espèces de mamelons, sans doute un petit mort à l’intérieur, on ne sait pas trop. Une grande coulée de graisse jaunâtre et gluante enduit les rochers près des 15 mètres de l’animal avachi. La voiture des guardafauna arrive, et les questions fusent, toujours les mêmes : « elle pèse combien ? Elle mesure combien ? Elle est morte de quoi ? ». 30 tonnes, 15 mètres, on ne sait pas. D’ailleurs, un pick up aux couleurs de la Fundacion Patagonia Natural arrive : les biologistes de l’ICB (Instituto de Conservacion de Ballenas) viennent faire l’autopsie. Je m’approche des deux jeunes filles qui en descendent, pour leur demander si elles vont bien faire des prélèvements (« oui, de peau »), et si ça ne les gène pas que je regarde leur travail. Elles sortent du matériel (on dirait du matériel de poissonnerie : sceau en plastique, grands couteaux, gants de cuisine, bottes de plastique montant jusqu’aux genoux). Elles glissent sur les rastingas : on ne peut que glisser sur les rasingas à cette heure, car il fait encore froid et le soleil n’a pas encore séché l’eau de mer stagnante. Je le sais bien pour m’être cassé la figure ici même il y a peu… Une biologiste s’affale dans une flaque d’eau de mer et d’algues : il y a de grands trous, marmites de quelques dizaines de centimètres de profondeur, parfois d’un mètre voire plus de largeur, où l’eau ne sèche jamais. La voilà trempée. J’avais tort de me préoccuper de ma présence et de penser que je risquais de gêner leur travail : les touristes volètent autour d’elles, s’approchent de la baleine, montent sur les rochers coupants qui on strié le ventre et le dos de l’animal de longues zébrures, ou ont arraché de larges plaques de peau, découvrant la chair blanche et nue. Il faut absolument que mamie ou papa se fassent prendre en photo devant le ventre, la main touchant le corps de la bête domptée. L’excitation des touristes est palpable, les places sont chères devant le cadavre. Le gardafauna s’énerve un peu : « mais sortez de là devant, ça pue vraiment ! ». Une touriste s’affale lourdement dans une grosse marmite d’eau de mer, entièrement trempée, et se relève, mi souriante, mi dégoutée : elle sentira l’algue toute la journée. Quelques autres sont également tentés par la glissade et valdinguent, faute de lenteur appliquée. Je marche comme un vieillard, en avançant mes pieds de quelques centimètres seulement : pas envie de bousiller mon appareil photo. Moi aussi je mitraille le géant mort, avec ses grappes de touristes devant, photographiant des photographes prenant fiston ou fifille posant devant 30 tonnes et 15 mètres de mort puante. L’odeur est parfois écœurante, même à travers mon écharpe. Brusquement, un cri, des appels, le guardafauna se précipite : la jeune biologiste trempée de tout à l’heure vient de s’évanouir… Derrière les rochers et les personnes venues la secourir, je ne vois que le dessous de ses semelles de plastique gluantes. J’apprendrai plus tard que lors des découpes, des jets de gaz pulsent du corps. L’autopsie se poursuit par des découpes au couteau, faites par une autre biologiste, visiblement plus habituée et plus âgée, et que ce travail ne semble pas rebuter. L’évanouie reparaît sur la plage, cette fois elle se charge de prendre des notes : longueur du corps, dessin des taches sur un schéma de baleine. On mesure la bête avec un long mètre ruban : longueur, largeur de la nageoire caudale. Une autre biologiste prend la tête de l’animal en photo, avec un petit appareil numérique. Photo-identification, donc. Les colonnes de touristes poursuivent leur progression, des hummers et des pick up nous rejoignent, le guardafauna s’énerve à nouveau et crie, en direction du haut des falaises : « écartez vous de là ! ». En haut des acantilados, à quelques centimètres du bord mais à 90 mètres du sol, là où la paroi sableuse s’effondre et laisse de gros rochers ou des tas de terre au sol, des grappes de jeunes ont pris position. Ils risquent leur vie pour voir le spectacle au balcon. Le guardafauna avec qui j’ai échangé quelques mots me demande de les prendre en photo avec mon zoom : réflexe policier, sans doute. Il engueulera gentiment les jeunes une fois qu’ils seront revenus sur la plage. La guide repart avec un groupe en me disant : « pauvre bête, quand même ». Elle est l’une des rares à ne pas s’esclaffer devant le cadavre : visiblement, une baleine morte c’est hilarant. Des groupes continuent à se former, à prendre des poses avantageuses devant le monstre, à venir près du ventre toucher la peau noire. Le guardafauna avec ses collègues entreprend, zigzagant entre les touristes, d’établir un périmètre de sécurité avec un ruban de plastique portant des inscriptions en rouge sur fond blanc, afin de marquer une zone tout autour de la bête où les touristes ne devront pas s’approcher : les gaz peuvent être dangereux, me dit-il. Peine perdue, à peine a-t-il tourné les talons que de nouvelles grappes se forment, enjambent le ruban de plastique : il faut être pris en photo la main droite posée sur le ventre mort. Au loin, le pick up des biologistes s’enlise dans le sable, rejoint par celui des guardafaunas venus les secourir… Ils n’ont pas de chance aujourd’hui, les gens de l’ICB… Ou alors, c’est que le chauffeur de la Fondation Patagonia Natural n’est pas doué pour la conduite sur sable. On ne sait pas ce qu’on va faire des 30 tonnes de viande pourrissantes : une demande a été envoyée au ministère pour que des moyens logistiques soient mis à la disposition du village. Il faudrait une grue, on parle de découper le corps en morceau car on ne pourra pas le tracter en mer. En attendant, il va continuer à se décomposer à 50 mètres de la prise d’eau (ici, les maisons sont alimentées par de l'eau de mer désalinisée pompée sur la plage). Des centaines de goélands, les pattes fermement plantées dans le sable à bonne distance, attendent patiemment que la foule se disperse pour faire leur travail de nettoyage : un touriste les remarque et s’amuse avec moi de cette attente. L’odeur me soulevant le cœur, je décide de rentrer en laissant les combattants de la photographie s’immortaliser devant le monument aux morts de la nature.
Le vent est un peu tombé mais il fait encore froid, car le ciel est dégagé. Quand je m’engage vers la plage, vers 10h du matin, des rangées de gros bus de tourisme occupent l’espace devant le camping, en face de chez Schmid (agence de visite de baleines en bateau, on appele ça "avistaje" ici, équivalent de "whale watching"). Pas mal de gros 4x4, des pick ups de luxe, des hummers. Des flots de touristes, argentins ou chiliens pour la plupart, reviennent de la plage avec leur gros gilet de sauvetage orange : ils ont du courir aller voir la baleine morte avant leur avistaje, ou alors juste après. Engoncés dans leurs cirés, le cou enserré dans le gros gilet-bouée, appareils photos ou caméras attachées autour du cou, aussi lourdement harnaché que des GI’s américains attaquant Bagdad à la mitrailleuse et à l’arme lourde pour y faire régner la paix et la démocratie, ils composent un ensemble hétéroclite et un peu grotesque, vulgaire, de taches criardes qui tranche sur la grisaille sablonneuse des acantilados (des falaises de sable et de fossiles de coquillages). Chacun se prend en photo, grimpé sur un rocher (la falaise en fond, aucun recul, la photo ne pourra qu’être laide), le dos à la mer (mamie derrière le petit, le retenant fermement en dépit de l’énervement de la pause, car le sol, gluant d’eau de mer et de varech, est extrêmement glissant). La colonne des combattants du tourisme de masse s’engage courageusement vers la bête, qui repose ce matin sur les rastingas (une sructure rocheuse plate, glissante comme une patinoire par endroit), après avoir flotté la veille à quelques dizaines de mètres du rivage. Une odeur de mort est portée par le vent, quand quelques bourrasques paresseuses rabattent les effluves du cadavre vers la plage. Je croise la guide de chez Schmid : « ah, tu voulais des informations sur les touristes ? Tu vas en avoir ! ». La colonne bariolée s’écoule vers le monstre abattu : 30 tonnes de viande retournée sur le dos, viande enceinte, ventre gonflé, vulve à découvert, encadrée de deux espèces de mamelons, sans doute un petit mort à l’intérieur, on ne sait pas trop. Une grande coulée de graisse jaunâtre et gluante enduit les rochers près des 15 mètres de l’animal avachi. La voiture des guardafauna arrive, et les questions fusent, toujours les mêmes : « elle pèse combien ? Elle mesure combien ? Elle est morte de quoi ? ». 30 tonnes, 15 mètres, on ne sait pas. D’ailleurs, un pick up aux couleurs de la Fundacion Patagonia Natural arrive : les biologistes de l’ICB (Instituto de Conservacion de Ballenas) viennent faire l’autopsie. Je m’approche des deux jeunes filles qui en descendent, pour leur demander si elles vont bien faire des prélèvements (« oui, de peau »), et si ça ne les gène pas que je regarde leur travail. Elles sortent du matériel (on dirait du matériel de poissonnerie : sceau en plastique, grands couteaux, gants de cuisine, bottes de plastique montant jusqu’aux genoux). Elles glissent sur les rastingas : on ne peut que glisser sur les rasingas à cette heure, car il fait encore froid et le soleil n’a pas encore séché l’eau de mer stagnante. Je le sais bien pour m’être cassé la figure ici même il y a peu… Une biologiste s’affale dans une flaque d’eau de mer et d’algues : il y a de grands trous, marmites de quelques dizaines de centimètres de profondeur, parfois d’un mètre voire plus de largeur, où l’eau ne sèche jamais. La voilà trempée. J’avais tort de me préoccuper de ma présence et de penser que je risquais de gêner leur travail : les touristes volètent autour d’elles, s’approchent de la baleine, montent sur les rochers coupants qui on strié le ventre et le dos de l’animal de longues zébrures, ou ont arraché de larges plaques de peau, découvrant la chair blanche et nue. Il faut absolument que mamie ou papa se fassent prendre en photo devant le ventre, la main touchant le corps de la bête domptée. L’excitation des touristes est palpable, les places sont chères devant le cadavre. Le gardafauna s’énerve un peu : « mais sortez de là devant, ça pue vraiment ! ». Une touriste s’affale lourdement dans une grosse marmite d’eau de mer, entièrement trempée, et se relève, mi souriante, mi dégoutée : elle sentira l’algue toute la journée. Quelques autres sont également tentés par la glissade et valdinguent, faute de lenteur appliquée. Je marche comme un vieillard, en avançant mes pieds de quelques centimètres seulement : pas envie de bousiller mon appareil photo. Moi aussi je mitraille le géant mort, avec ses grappes de touristes devant, photographiant des photographes prenant fiston ou fifille posant devant 30 tonnes et 15 mètres de mort puante. L’odeur est parfois écœurante, même à travers mon écharpe. Brusquement, un cri, des appels, le guardafauna se précipite : la jeune biologiste trempée de tout à l’heure vient de s’évanouir… Derrière les rochers et les personnes venues la secourir, je ne vois que le dessous de ses semelles de plastique gluantes. J’apprendrai plus tard que lors des découpes, des jets de gaz pulsent du corps. L’autopsie se poursuit par des découpes au couteau, faites par une autre biologiste, visiblement plus habituée et plus âgée, et que ce travail ne semble pas rebuter. L’évanouie reparaît sur la plage, cette fois elle se charge de prendre des notes : longueur du corps, dessin des taches sur un schéma de baleine. On mesure la bête avec un long mètre ruban : longueur, largeur de la nageoire caudale. Une autre biologiste prend la tête de l’animal en photo, avec un petit appareil numérique. Photo-identification, donc. Les colonnes de touristes poursuivent leur progression, des hummers et des pick up nous rejoignent, le guardafauna s’énerve à nouveau et crie, en direction du haut des falaises : « écartez vous de là ! ». En haut des acantilados, à quelques centimètres du bord mais à 90 mètres du sol, là où la paroi sableuse s’effondre et laisse de gros rochers ou des tas de terre au sol, des grappes de jeunes ont pris position. Ils risquent leur vie pour voir le spectacle au balcon. Le guardafauna avec qui j’ai échangé quelques mots me demande de les prendre en photo avec mon zoom : réflexe policier, sans doute. Il engueulera gentiment les jeunes une fois qu’ils seront revenus sur la plage. La guide repart avec un groupe en me disant : « pauvre bête, quand même ». Elle est l’une des rares à ne pas s’esclaffer devant le cadavre : visiblement, une baleine morte c’est hilarant. Des groupes continuent à se former, à prendre des poses avantageuses devant le monstre, à venir près du ventre toucher la peau noire. Le guardafauna avec ses collègues entreprend, zigzagant entre les touristes, d’établir un périmètre de sécurité avec un ruban de plastique portant des inscriptions en rouge sur fond blanc, afin de marquer une zone tout autour de la bête où les touristes ne devront pas s’approcher : les gaz peuvent être dangereux, me dit-il. Peine perdue, à peine a-t-il tourné les talons que de nouvelles grappes se forment, enjambent le ruban de plastique : il faut être pris en photo la main droite posée sur le ventre mort. Au loin, le pick up des biologistes s’enlise dans le sable, rejoint par celui des guardafaunas venus les secourir… Ils n’ont pas de chance aujourd’hui, les gens de l’ICB… Ou alors, c’est que le chauffeur de la Fondation Patagonia Natural n’est pas doué pour la conduite sur sable. On ne sait pas ce qu’on va faire des 30 tonnes de viande pourrissantes : une demande a été envoyée au ministère pour que des moyens logistiques soient mis à la disposition du village. Il faudrait une grue, on parle de découper le corps en morceau car on ne pourra pas le tracter en mer. En attendant, il va continuer à se décomposer à 50 mètres de la prise d’eau (ici, les maisons sont alimentées par de l'eau de mer désalinisée pompée sur la plage). Des centaines de goélands, les pattes fermement plantées dans le sable à bonne distance, attendent patiemment que la foule se disperse pour faire leur travail de nettoyage : un touriste les remarque et s’amuse avec moi de cette attente. L’odeur me soulevant le cœur, je décide de rentrer en laissant les combattants de la photographie s’immortaliser devant le monument aux morts de la nature.
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
- drÖne
- Présidictateur
- Messages : 7766
- Enregistré le : 05 oct. 2002, 22:35
- Localisation : Présidictature de Drönésie Orientale
- Contact :
Yep, thanx !
En même temps, ce qui me perturbe le plus en ce moment, c'est de me rendre compte, avec le biologiste environnementaliste avec qui je travaille, que ce n'est pas ce tourisme de masse là (qu'on a été éduqués à considérer comme vulgaire), qui a le plus d'impact sur l'environnement, mais le notre, celui que je pense pratiquer comme pas mal d'entre vous, à savoir le tourisme de découverte individuelle en autonomie.
Un bus de 100 personnes qu'on amène voir une colonnie de pingouins a moins d'impact sur l'environnement que 50 voitures dans lesquelles des couples amoureux de la nature iraient voir, chacun à son tour, en ayant l'impression d'une solitude virginale, cette même colonie de pingouins.
Enervant...
Enfin, je précise tout de même que cette remarque n'est valable que dans le cas du territoire protégé que j'étudie, où la nature est tellement hostile que la seule manière de l'approcher consiste à prendre des transports et des accès spécifiquement dédiés au tourisme. C'est différent dans le cas d'un voyage au Pérou, où là c'est bien le tourisme de masse qui est en train de faire s'écrouler le Machu Pichu sous le poids des visiteurs, mais où le fait de prendre les transports en commun locaux quand on visite le pays en couple ne rajoute sans doute pas de charge anthropique supplémentaire, alors que les bus de tourisme, si.
En même temps, ce qui me perturbe le plus en ce moment, c'est de me rendre compte, avec le biologiste environnementaliste avec qui je travaille, que ce n'est pas ce tourisme de masse là (qu'on a été éduqués à considérer comme vulgaire), qui a le plus d'impact sur l'environnement, mais le notre, celui que je pense pratiquer comme pas mal d'entre vous, à savoir le tourisme de découverte individuelle en autonomie.
Un bus de 100 personnes qu'on amène voir une colonnie de pingouins a moins d'impact sur l'environnement que 50 voitures dans lesquelles des couples amoureux de la nature iraient voir, chacun à son tour, en ayant l'impression d'une solitude virginale, cette même colonie de pingouins.
Enervant...
Enfin, je précise tout de même que cette remarque n'est valable que dans le cas du territoire protégé que j'étudie, où la nature est tellement hostile que la seule manière de l'approcher consiste à prendre des transports et des accès spécifiquement dédiés au tourisme. C'est différent dans le cas d'un voyage au Pérou, où là c'est bien le tourisme de masse qui est en train de faire s'écrouler le Machu Pichu sous le poids des visiteurs, mais où le fait de prendre les transports en commun locaux quand on visite le pays en couple ne rajoute sans doute pas de charge anthropique supplémentaire, alors que les bus de tourisme, si.
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...