Justice et juges
Posté : 16 oct. 2009, 19:33
Hier matin sur France inter il y avait une magnifique interview de deux magiistrats, Eric de Montgolfler et Marc Trevidic. La stupidité des questions et des réactions des journalistes ne parvenait pas à gâcher la lumière de leur discours. Et pourtant, Demorand y allait fort dans le genre "si je vous comprends bien il y a un malaire chez vous les gens de la justice" alors que les deux magistrats exprimaient quelque chose qui dépassait complètement le cadre étroit de ce qui aurait été un "malaise" d'une profession ou d'un secteur. Ils parlaient d'une menace sur la justice.
J'ai été scotchée par la manière dont les deux magistrats ont parlé : de la main mise du pouvoir bien sûr mais aussi plus gravement l'incompréhension de ce qu'est la justice : à un moment, c'est la situation d'interview elle-même qui est prise comme objet puisqu'on leur demande ce qu'ils pensent de l'affaire Polanski alors qui'ils viennent de dire que chacun s'exprime à tout bout de champ sur les affaires en cours sans attendre que les juges aient parlé. Ils réagissent sans se laisser piéger par la situation parce qu'ils sont dans ce qu'ils disent. Ils disent à la fin que le problème, c'est aussi que les politiques ne sont pas libres, car il y a des pouvoirs économiques. Si les politiques se sentaient libres disaient-ils juste avant, il laisserait cette liberté qu'ils entravent constamment.
J'ai admiré la cohérence de leur position qui se fondait non sur le recours au lexique classique des revendications professionnalisées ayant intégré le complexe du "refus du changement" (du genre "une autre réforme est possible et nécessaire" dans le cas de la recherche, berk) mais sur l'affirmation de valeurs et l'appel à la protection collective de ces valeurs.
Du coup je mets ci-dessous un autre texte trouvé sur le site du Monde (ça m'arrive encore) qui va dans le même sens.
Le ministre et la justice
par THIERRY JOUBIN
13.10.09
"J'espère que la justice sanctionnera, et durement" Ainsi s'est exprimé notre ministre de l'intérieur. Ce type de phrase est devenu banal. Il ne fait jamais l'objet d'une quelconque remarque. Comme je refuse que ce silence perdure, je m'y colle.
Samedi, un certain nombre de personnes, autre version de "groupe de jeunes d'ultra gauche", se livre à des dégradations dans le centre ville de Poitiers. Le dimanche, les représentants locaux de l'ordre expliquent qu'ils ont été pris de court, que les casseurs étaient très organisés et nombreux. Déjà M. Hortefeux annonce sa venue. Le lundi, faute d'avoir pu assurer la sécurité des personnes et des biens, mission principale pour laquelle il a été nommé, le ministre est sur zone. Après les phrases convenues sur le non respect des règles de la démocratie, notion que l'on adapte au gré des circonstances, notre ministre ne peut s'empêcher, après beaucoup d'autres en d'autres temps, d'en appeler à la justice, à sa sévérité. Il émet le souhait d'une condamnation.
L'Etat ayant failli, notre ministre procède à un glissement des responsabilités. La justice se trouve contrainte de sévir, de punir, de condamner. Dans l'esprit de notre ministre, si la justice ne condamne pas, elle n'aura pas assumé ses responsabilités."J'espère que la justice sanctionnera, et durement" Par ces propos, le ministre affirme, comme une évidence, la culpabilité des personnes interpelées. Elles ont été arrêtées, elles sont donc coupables. La présomption d'innocence, qui est une protection à laquelle chaque citoyen a droit, leur est refusée. Comme une évidence, il ne saurait y avoir d'alternative à la culpabilité. On dicerne un "si ce n'est toi c'est donc ton frère".
En utilisant cette méthode qui consiste à passer outre le questionnement pour imposer la certitude du bon sens, notre ministre ne respecte pas l'indépendance de la justice. M. Hortefeux exprime une conception de la justice qui repose sur l'apparence,l'immédiateté, l'émotion, l'évidence. Il ne semble pas mesurer sa responsabilité lorsqu'il suggère, par ses propos, que la justice est au service de l'exécutif. Nombreux sont nos représentants qui s'expriment ainsi et tentent d'utiliser le pouvoir judiciaire au mieux de leurs intérêts immédiats. Notre société est régie par des principes, des lois que nous nous devons de respecter et de défendre.
J'ai été scotchée par la manière dont les deux magistrats ont parlé : de la main mise du pouvoir bien sûr mais aussi plus gravement l'incompréhension de ce qu'est la justice : à un moment, c'est la situation d'interview elle-même qui est prise comme objet puisqu'on leur demande ce qu'ils pensent de l'affaire Polanski alors qui'ils viennent de dire que chacun s'exprime à tout bout de champ sur les affaires en cours sans attendre que les juges aient parlé. Ils réagissent sans se laisser piéger par la situation parce qu'ils sont dans ce qu'ils disent. Ils disent à la fin que le problème, c'est aussi que les politiques ne sont pas libres, car il y a des pouvoirs économiques. Si les politiques se sentaient libres disaient-ils juste avant, il laisserait cette liberté qu'ils entravent constamment.
J'ai admiré la cohérence de leur position qui se fondait non sur le recours au lexique classique des revendications professionnalisées ayant intégré le complexe du "refus du changement" (du genre "une autre réforme est possible et nécessaire" dans le cas de la recherche, berk) mais sur l'affirmation de valeurs et l'appel à la protection collective de ces valeurs.
Du coup je mets ci-dessous un autre texte trouvé sur le site du Monde (ça m'arrive encore) qui va dans le même sens.
Le ministre et la justice
par THIERRY JOUBIN
13.10.09
"J'espère que la justice sanctionnera, et durement" Ainsi s'est exprimé notre ministre de l'intérieur. Ce type de phrase est devenu banal. Il ne fait jamais l'objet d'une quelconque remarque. Comme je refuse que ce silence perdure, je m'y colle.
Samedi, un certain nombre de personnes, autre version de "groupe de jeunes d'ultra gauche", se livre à des dégradations dans le centre ville de Poitiers. Le dimanche, les représentants locaux de l'ordre expliquent qu'ils ont été pris de court, que les casseurs étaient très organisés et nombreux. Déjà M. Hortefeux annonce sa venue. Le lundi, faute d'avoir pu assurer la sécurité des personnes et des biens, mission principale pour laquelle il a été nommé, le ministre est sur zone. Après les phrases convenues sur le non respect des règles de la démocratie, notion que l'on adapte au gré des circonstances, notre ministre ne peut s'empêcher, après beaucoup d'autres en d'autres temps, d'en appeler à la justice, à sa sévérité. Il émet le souhait d'une condamnation.
L'Etat ayant failli, notre ministre procède à un glissement des responsabilités. La justice se trouve contrainte de sévir, de punir, de condamner. Dans l'esprit de notre ministre, si la justice ne condamne pas, elle n'aura pas assumé ses responsabilités."J'espère que la justice sanctionnera, et durement" Par ces propos, le ministre affirme, comme une évidence, la culpabilité des personnes interpelées. Elles ont été arrêtées, elles sont donc coupables. La présomption d'innocence, qui est une protection à laquelle chaque citoyen a droit, leur est refusée. Comme une évidence, il ne saurait y avoir d'alternative à la culpabilité. On dicerne un "si ce n'est toi c'est donc ton frère".
En utilisant cette méthode qui consiste à passer outre le questionnement pour imposer la certitude du bon sens, notre ministre ne respecte pas l'indépendance de la justice. M. Hortefeux exprime une conception de la justice qui repose sur l'apparence,l'immédiateté, l'émotion, l'évidence. Il ne semble pas mesurer sa responsabilité lorsqu'il suggère, par ses propos, que la justice est au service de l'exécutif. Nombreux sont nos représentants qui s'expriment ainsi et tentent d'utiliser le pouvoir judiciaire au mieux de leurs intérêts immédiats. Notre société est régie par des principes, des lois que nous nous devons de respecter et de défendre.