Esprit sécuritaire (Coup de gueule)

Posté sur le forum Usenet fr.rec.arts.musique.electronique avant que ce forum ne devienne l’ombre de lui-même. Certains des intervenants de ce fil de discussion ont d’ailleurs largement contribué à ce que l’ombre et la bêtise s’étende sur ce forum autrefois intéressant.

Me revoilà, avec mon mauvais esprit.

J’ai envie de vomir sur l’esprit sécuritaire qui nous encercle, jour après jour, qui s’instille insidieusement dans nos pensées, dans nos attitudes, avant de coloniser nos actes.

Etre en sécurité. Quelle merde ! Il faudrait que tout soit sous contrôle : le social, la rue, les dispositifs festifs, le corps, la culture et l’art. Un jour on aura un art sécuritaire, expurgé de toute notion de risque. On la voit à l’oeuvre partout, cette peur du risque, qui est en fait la peur de l’Autre : elle ne se cache même plus, elle crie sa terreur de toute différence jusque dans ce forum.

Cette peur du risque conduit à souhaiter des zônes d’autonomie temporaires, mais où ne transgresserait plus aucune norme surtout ! Un teknival sans exta. Un teknival propre. Un teknival qui accueillerait 40000 personnes, mais si possible toutes propres sur elles, toutes comme “moi”, toutes à l’unisson. Ca me fait penser à ces gens qui louent une caravane pendant un mois, au cap d’Agde, et qui y transportent la totalité de leur univers habituel : téléphone, TV, radio, internet, enfants, femme, chien, chats et leurs putains de poissons rouge qui font “blouc ! blouc !” comme des cons dans l’aquarium.

L’esprit sécuritaire, qui à n’en pas douter nous apportera un art sécuritaire, est contre toutes les expériences. Il refuse l’idée même de dépassement de soi, ou de dérèglement par rapport aux normes établies. Il dit : “Ne te drogue pas ! Tu ne sais pas ce que tu risques ! Ne fréquentes pas la racaille ! Ils ne sont pas comme toi !”.

L’esprit sécuritaire voudrait faire du corps un bunker, du social une tombe, de l’art une tabula rasa. L’esprit sécuritaire a un tempérament exclusif et jaloux : il n’admet pas la différence. Comme si on pouvait vivre et créer de l’identité sans différence ! Comme si on pouvait créer de l’art sans aller chercher, justement, la différence ! Comme si on pouvait vivre sans risque de tomber malade, de devenir fou, ou de mourir ! Comme si on pouvait penser sans se risquer dans des zônes peu fréquentées, donc essentiellement soumises au risque !

La vie est un risque, ou alors c’est que nous ne sommes que des moules accrochées à un poteau, attendant la récolte. Une pierre : voilà l’idéal sécuritaire réalisé sur terre. Nous devrions vivre comme vivent les pierres : sans danger. Berk ! Qui ne s’affronte à rien ne connaît rien. Qui ne risque rien n’existe pas. Qui ne dérègle pas son corps ne dépasse pas le stade des préjugés. Qui ne va pas vers les autres, au risque de la différence, est un lâche. La pierre, qui ne tente rien, est bien l’idéal sécuritaire. Elle pourrait en être son emblème.

L’esprit sécuritaire a de beaux jours devant lui. On ne compte plus les indices de sa pénétration sournoise. Je lis ce forum et j’y trouve de plus en plus souvent la dénonciation de la “racaille” (l’Autre absolu, puisqu’on nomme ainsi la diversité d’une population hétérogène par un qualificatif au singulier, qui gomme toute différence : comme dans “LE juif”. Quand on substantivise le divers, on le naturalise. Quand on le naturalise, c’est qu’on refuse sa culture. Je lis régulièrement dans ma bal les appels à “être bien”, les slogans jansénistes et moralisateurs d’une certaine mailing list tek du sud de la France, qui a oublié que sa culture est née dans la rue, dans le hors-norme, dans le danger. Son auteur, que je ne nommerai pas par charité, voudrait maintenant que le mouvement tek soit “propre”. Il a fait publiquement son mea culpa : “Oui, je sais, j’ai pêché ! J’ai laissé traîner des papiers gras à la fin d’une teuf, en 99, et je le regrette. Mais je l’f’rai plus m’sieur l’agent !”. Dorénavant, les parties technos seront propres, et elles seront fréquentées par des gens biens !

Je vous assure : on va créer des zônes d’autonomie temporaires mais maintenant on y respectera les normes sociales les plus établies : pas de drogue, pas de racaille, et bientôt, si tout va bien, plus de noirs, de jaunes, de petits, plus de gros non plus, et pas de gens malades. On abattra les drogués dans une zône de sécurité maximale, et on mettra les déviants dans des camions en partance vers ailleurs. Ainsi, tout ira bien, nous serons “des gens biens”, comme tout le monde.

J’exagère ? Attendez de voir où nous en serons dans quelques années…

(NB : ce post a été écrit le 21.08.2001. Il me semble aujourd’hui que c’était largement prémonitoire…)

Dröne
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