Que fait (mal) la police dans les banlieues?

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drÖne
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Que fait (mal) la police dans les banlieues?

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Par Joseph Confavreux et Louise Fessard

Article publié le jeudi 27 octobre 2011


Des brigades anti-criminalité (BAC) dont les insignes exhibent, au choix, les barres d’une cité prise dans la lunette de visée d’un fusil, des meutes de loup devant des tours d’habitation, une panthère déchirant de ses griffes un quartier plongé dans l’obscurité ou une araignée emprisonnant dans sa toile un ensemble d’immeubles. Des policiers qui, sous la pression du chiffre, n’exercent pas le métier auquel ils aspiraient. Des hommes en uniforme qui, au lieu d’attraper les «voyous» et les «voleurs», multiplient les petites interpellations sur des «shiteux» et des sans-papiers. Des agents en civil qui s’ennuient et ennuient, voire harcèlent, les habitants des quartiers, surtout lorsqu’ils sont jeunes et issus de l’immigration. Des unités souvent xénophobes, racistes et adeptes de pratiques discriminatoires. Des modes d’intervention, en patrouille motorisée, inefficaces, qui ne répondent ni aux attentes des habitants, ni à l’exigence de lutte contre la délinquance. Des pratiques qui relèvent souvent d’une logique «postcoloniale» où la référence à la guerre d’Algérie est rarement loin. Des comportements policiers dont les déviances individuelles et institutionnelles échappent au contrôle démocratique. Des forces de l’ordre qui constituent donc, dans les banlieues, un instrument du maintien de l’ordre social, plus que de l’ordre public… C’est un livre en forme de réquisitoire sur l’action des BAC dans les cités françaises que Didier Fassin, professeur de sciences sociales à Princeton, publie aujourd'hui. Dans La Force de l'ordre, une anthropologie de la police des quartiers, le constat est tellement sombre, à la fois sur les plans éthique, politique et sécuritaire, qu’on regrette que Didier Fassin n’ait pas eu l’autorisation de poursuivre, sur d’autres terrains et avec d’autres unités, une enquête inédite menée pendant 15 mois, entre 2005 et 2007, avec une BAC de la région parisienne.
Comment cette enquête sur les brigades anticriminalité a pu être menée ? Vous n’avez pas pu aller jusqu’au bout et vous allez jusqu’à parler de censure…

DIDIER FASSIN. Grâce à l’autorisation que m’a donnée un commissaire de circonscription de la région parisienne, de 2005 à 2007, j’ai eu la chance de pouvoir travailler sur la manière dont les policiers interviennent dans les quartiers, dans des conditions de grande indépendance et de réelle liberté. Mais c’est une opportunité que je n’ai jamais pu retrouver ailleurs et, lorsque j’ai voulu prolonger mon enquête, toutes les autorisations m’ont été refusées, jusqu’au niveau du ministre lui-même. On peut effectivement imaginer que ce livre ne plaira pas à l’institution policière… Pourtant, les politiques sécuritaires pèsent non seulement sur les populations qu’elles ciblent, mais aussi sur le travail des forces de l’ordre elles-mêmes. Mon livre peut donc rendre service aux policiers ou à leurs représentants, afin de faire entendre ce qu’eux-mêmes ne pourraient dire sans risque de sanctions très dures. J’espère donc qu’il sera lu comme une contribution à une meilleure inscription démocratique de l’activité des policiers.

Comment expliquer qu’en Grande-Bretagne, la police soit beaucoup plus sous la toise de la démocratie, alors qu’en France vous parlez d’un «petit Etat d’exception, jamais proclamé, qui a été instauré» ?

La police française est une relative exception dans les démocraties. Dans celles-ci les forces de l’ordre sont censées être au service de la population. Elles sont souvent recrutées localement et ont des comptes à rendre aux représentants des collectivités locales. En France, c’est l’exact inverse : la police est au service de l’Etat et non de la population, et même de plus en plus, depuis quelques années, au service du gouvernement. Son recrutement est national et les affectations sont souvent lointaines, comme pour les professeurs du secondaire. Ce qui crée un décalage profond entre la police et les communautés dans lesquelles elle intervient. Le déficit démocratique se manifeste également dans la difficulté à mettre en jeu le contrôle du travail policier. Pour l’essentiel, les forces de l’ordre françaises ne sont soumises qu’à leur propre regard, c’est-à-dire celui de l’encadrement, voire des commissions de discipline, rarement à la police des polices, exceptionnellement à la justice et jamais à la surveillance des parlementaires. Il n’y a, par exemple, eu aucune commission d’enquête indépendante sur les événements de Villiers-le-Bel ou de Clichy-sous-Bois, alors qu’aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, lorsque de semblables événements se sont produits, des commissions, ayant un très large écho public, ont conduit des investigations et des auditions, qui ont mis en cause la responsabilité de la police, en tant qu’institution, et non en ciblant les individus. Ces commissions ayant débouché sur d’importantes réformes.
Vous parlez de décalage, mais les gardiens de la paix sont généralement issus des milieux populaires ?
Ils sont en effet socialement peu différents des habitants des quartiers dans lesquels ils interviennent. Mais une partie importante de la population de ces quartiers est d’origine immigrée (maghrébine ou subsaharienne pour l’essentiel) alors qu’eux-mêmes viennent le plus souvent de petites villes ou de zones rurales, souvent du nord de la France: ils sont un peu les enfants de la désindustrialisation de cette région. Leur vécu ne les a donc pas du tout préparés à se trouver dans des cités, ce qui crée une discordance importante. D’ailleurs, les rares policiers, d’origine immigrée ou non, qui ont vécu eux-mêmes dans des quartiers populaires ont, souvent, une attitude très différente de leurs collègues et savent mieux que leurs collègues faire la part entre les «voyous» et les «honnêtes gens», comme ils le disent.

Y a-t-il un problème spécifique aux BAC, ou avez-vous observé les mêmes méthodes d’intervention et de rapports avec la population lors de patrouilles avec des policiers en tenue ?

Le schéma général d’intervention de la sécurité publique est celui de la patrouille en voiture, c’est à- dire de la circulation à petite vitesse dans les cités ou les centres villes, en véhicule sérigraphié ou banalisé, pour repérer d’éventuels délits en train de se commettre. Comme il ne s’en commet pas, en tout cas pas devant les policiers, cela se résume à une surveillance de ces territoires et des contrôles d’identité, dans l’attente d’appels d’habitants qui restent rares. Cette pratique est la même dans une unité de sécurité publique ordinaire, avec des fonctionnaires en tenue, ou dans une BAC, dont les membres sont en civil. La différence est que les BAC se revendiquent comme étant les «durs», ceux qui font peur. Sur des affaires délicates, les BAC renversent immédiatement le rapport de forces. Ce qui faisait dire à un commissaire de la région parisienne qu’elles étaient un «mal nécessaire».

La «peur du gendarme» n’est-elle pas une composante de l’activité policière ?

Toute la question est de savoir si la police doit être crainte ou respectée. Il est très difficile de concilier les deux. Une police qui ne fonctionne que dans l’intimidation ne fonctionne pas à l’autorité, mais à l’usage souvent excessif de la force, et donc dans une forme d’oppression sur les populations. Les habitants des quartiers populaires en sont eux-mêmes conscients, puisqu’on apprend aux enfants à ne jamais «répondre aux provocations de la police», selon leurs termes. Je donne plusieurs exemples de policiers circulant lentement dans les cités et insultant des jeunes par la vitre de leur véhicule. Il y a là un jeu dangereux, qui met en péril l’ordre public. En général, on dit que ce sont les jeunes qui provoquent les policiers. J’essaie de montrer que l’inverse est aussi vrai. Les provocations des jeunes ne peuvent se produire que de loin et en groupe, parce que cette situation leur permet de fuir. En revanche, les provocations des policiers sont principalement individuelles, dans des rapports de forces inégaux, puisque la moindre provocation serait requalifiée en outrage ou rébellion.

Comment expliquer que cette expérience «ordinaire» des rapports avec la police dans les quartiers populaires soit mal connue ?

Ce qui était au principe presque éthique de ce livre, c’est d’essayer de rendre visible ce qui se passait si près de chez nous et que nous méconnaissons totalement, pour deux raisons. D’une part, la ségrégation des territoires fait qu’il est tout à fait possible de ne pas voir ce qui se passe là. De l’autre, la seule voix qu’on peut entendre sur ses sujets, est celle des autorités publiques, et très rarement celle des habitants. Je rends donc compte de situations qui sont extrêmement familières à une minorité de la population, mais inconnues de la majorité. Il s’agit de corriger, en partie, cette double injustice qui consiste à être soumis à des injustices et, en plus, de ne pas pouvoir les faire connaître. Il s’agissait pour moi aussi de montrer qu’intervenir dans des cités, et notamment faire des contrôles sur l’apparence physique des personnes dans le RER ou des lieux publics ne se fait pas simplement à l’initiative des policiers. C’est d’abord le produit d’une ségrégation spatiale, de discriminations à l’égard des immigrés et, depuis deux décennies, de politiques sécuritaires dans lesquelles habitants et policiers se trouvent pris en otage. Vous racontez des scènes très choquantes comme ces écussons avec une toile d’araignée enserrant des tours, des échanges racistes, des pratiques discriminatoires, etc.

Dans quelle mesure les modes d’intervention catastrophiques de la BAC que vous avez observée, dont le chef était particulièrement xénophobe, peuvent-ils être représentatifs du travail de la police dans les quartiers ?

Les écussons que je décris, par exemple des mires de fusil sur des tours de cités, des loups ou des tigres bondissants sur des quartiers, concernent l’ensemble des BAC, avec probablement une sorte de concurrence à produire les iconographies les plus originales ou violentes. On ne peut pas en inférer des pratiques. De la même façon, ce n’est pas parce que des gens tiennent des propos racistes, avec des plaisanteries entre eux, qu’ils agiront de façon discriminatoire sur le terrain. Mais il se trouve que, dans le cas observé, les écussons et les propos racistes vont avec des pratiques agressives et discriminatoires. Comme il s’agit de la première étude ethnographique sur une BAC, je ne peux pas prétendre à la représentativité. Ce n’est d’ailleurs pas l’objet de l’anthropologie que de présenter des résultats statistiquement représentatifs : il s’agit plutôt d’approfondir des situations pour les comprendre. Néanmoins, un certain nombre d’indices montrent que ce que j’ai observé ne semble pas l’exception, mais plutôt la règle. Des représentants syndicaux, des commissaires de circonscription, des hauts fonctionnaires de la direction centrale de la sécurité publique m’ont spontanément fait part de types d’intervention très proches de ce que j’ai vu. Certaines BAC font d’ailleurs parfois l’objet d’efforts réels de réformes de la part de leurs supérieurs. Toutefois, la manière dont les BAC sont constituées, autour d’un chef qui a la main sur le recrutement, donne une importance particulière à la personnalité de ce chef. Il existe une logique structurelle propre aux BAC, notamment leur exceptionnelle autonomie vis à- vis de la hiérarchie. Bien sûr, il y a des policiers d’extrême droite, ce qui n’est évidemment pas spécifique à ce métier. Mais il se trouve que c’est plus ennuyeux lorsque ces fonctionnaires interviennent, de manière ostentatoire, avec des signes exhibant leur appartenance à des groupuscules ou leurs affinités avec des groupes d’extrême droite. Je ne parle pas seulement du Front National, mais de policiers portant des T-shirt avec des casques francs et les chiffres 732, date, nous apprennent les manuels scolaires, où Charles Martel «arrêta les Arabes à Poitiers».

Comment expliquer que les interventions des BAC soient non seulement discriminantes mais semblent, aussi, totalement inefficaces ?

Pas inefficaces sur tous les plans, puisqu’elles confirment la nécessité de politiques sécuritaires et répressives sur certains quartiers. Et, sur le plan communicationnel, elles permettent au gouvernement d’afficher de bons chiffres. Maintenant sont-elles efficaces par rapport aux attentes de la population et des policiers, à savoir réduire la criminalité ? De nombreuses études menées aux Etats-Unis sur les patrouilles proactives, c’est à- dire celles qui circulent de façon aléatoire et vont au devant de la population au lieu de se contenter de répondre aux appels, montrent que ces patrouilles ne réduisent ni la délinquance, ni le sentiment d’insécurité des habitants. Dans les banlieues françaises, la délinquance est en outre moindre que ce qu’on entend. Sur les cinquante dernières années, la criminalité a très nettement diminué. Et c’est vrai aussi de l’ensemble des atteintes aux biens et aux personnes, à part quelques délits particuliers, comme les vols de téléphone portable. De façon encore plus surprenante, les territoires ciblés par la police, notamment les zones urbaines sensibles (ZUS), n’ont pas des taux de criminalité et de délinquance supérieurs au reste de l’agglomération dans laquelle elles se situent. Le ciblage sur ces quartiers n’a pas de raison d’être du point de vue de la sécurité publique. En France, depuis le début des années 2000, on multiplie les dispositifs de type BAC, sans jamais les évaluer, ni faire la preuve de leur efficacité. C’est une situation étonnante, sauf à considérer que l’objectif n’est pas d’ordre public, mais d’ordre social.

Il y a pourtant, de la part de ces mêmes habitants des banlieues, une réelle demande de présence policière ?

Si les policiers avaient une autre connaissance de ces quartiers, ils découvriraient que les habitants ont des attentes fortes envers une police qui résoudrait les problèmes rencontrés au quotidien. En dépit de nombreux évènements qui se sont produits, la police est l’une des institutions françaises qui a l’image la plus positive dans la population, même en Seine- Saint-Denis où les résultats, certes moins bons, restent positifs. Mais les policiers ont beaucoup de mal à voir des alliés dans ces habitants, même quand ils se manifestent en leur indiquant des lieux «où il se passe des choses le soir».Globalement, ça ne change pas leur idée que les gens des quartiers sont leurs ennemis. Lors d’intervention de type punitif, en représailles de la provocation d’un jeune, par exemple, cette méconnaissance les conduit à ne plus effectuer aucune différence entre les personnes à poursuivre et les habitants. C’est donc tout le quartier «qui prend», alors que seuls quelques jeunes ont causé des troubles, pour lesquels les habitants ont peut-être même téléphoné au 17 ! Après des incidents, les gens me disaient souvent : «Si c’est pour que ce soit encore pire qu’avant, ce n’est pas la peine d’appeler la police». Et les associations d’habitants qui tentent de créer des liens avec ces jeunes, pour améliorer leur environnement, par exemple en tentant d’éviter les tags, se plaignent aussi d’une destruction de ce travail quotidien. C’est ainsi que les policiers peuvent même maltraiter les éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, souvent jeunes et d’origine immigrée, comme les autres adolescents dont ils ont la charge, alors que ces éducateurs sont du côté de la justice. C’est le tragique de la situation : il existe un besoin de sécurité de la part des habitants des quartiers, mais, au quotidien, les forces de l’ordre font un travail qui n’améliore pas, voire parfois dégrade, la situation sécuritaire.

Qu’apportent les termes de « situation postcoloniale » pour décrire l’interaction entre la police et les habitants dans les banlieues françaises ?

J’ai voulu, ainsi, souligner les conditions historiques et politiques qui déterminent la manière dont se fait aujourd’hui le travail de la police dans les quartiers sensibles. Du côté policier, on a une représentation caricaturale, utilisant un vocabulaire où les ZUS sont des «jungles» et les jeunes des «sauvages», s’agissant de populations principalement originaires d’anciennes colonies de la France. Par ailleurs la référence à la guerre d’Algérie se retrouve aussi bien sur le terrain dans certains dialogues que chez les conseillers des différents Ministres de l’intérieur qui se succèdent depuis vingt ans, avec un imaginaire martial, et un type d’intervention, qui se situe du côté de la militarisation de la force publique en lutte contre une guérilla. Le recours à l’état d’urgence pendant les émeutes de 2005 a du reste été le premier depuis la guerre d’Algérie… Je ne veux certes pas tomber dans la caricature. Mais on ne peut pas négliger, compte tenu de l’importance de la dimension à la fois raciale et, dans certains cas, raciste de l’intervention, cette dimension proprement postcoloniale. Elle est d’ailleurs revendiquée comme telle par les acteurs. Il ne s’agit pas d’une construction d’anthropologue. Ce sont les choses telles qu’elles sont vues dans le regard des policiers.

La police constitue-t-elle un monde particulièrement difficile à enquêter ?

C’est difficile du point de vue des autorisations. Cela explique la rareté des travaux d’observation, que le fondateur, en France, d’une sociologie de la police, Dominique Montjardet, avait déjà soulignée. Mais, ensuite, une fois autorisé par l’institution, je dois dire que les policiers ont toujours facilité mon travail. Je n’ai jamais senti de résistances, comme cela avait pu être le cas lorsque je travaillais avec des psychologues, par exemple. Les policiers avaient ordre de m’accepter dans leur brigade, et ils étaient extrêmement courtois. On sortait ensemble sur le terrain, ils ne cherchaient pas à me cacher des choses, même s’ils ne montraient pas forcément tout. La difficulté n’a donc pas été l’enquête, mais l’écriture. Comment, en effet, rendre compte de la violence de ces situations et de ce décalage entre la réalité telle qu’elle était présentée partout (dans les séries télévisées, dans les discours politiques, dans les statistiques) et ce que j’observais ? Et comment faire ce travail de façon critique sans que cela ne devienne une dénonciation ou une accusation directe des policiers, y compris de certains fonctionnaires d’extrême droite avec lesquels j’ai travaillé. J’ai eu la préoccupation de garder une loyauté à l’égard des gens qui m’ont laissé faire ce travail, quand bien même je faisais une analyse critique de leur travail. Cet ouvrage, dont vous écrivez que vous ne le destinez pas seulement à un public de sciences sociales, possède toutefois un ton singulier, à la fois grave, noir et sans concession, notamment à travers cette scène d’ouverture qui offre le spectacle de policiers aussi inefficaces que xénophobes.

Est-ce un effet des situations que vous avez pu observer ? Est-ce le fruit d’une inquiétude démocratique nouvelle ?

J’ai essayé de faire une «anthropologie publique», un terme qui n’existe pas en France, c’est-à-dire de combiner les deux sens du mot ethnographie. Le travail d’enquête, l’observation, d’une part. Et la graphie, l’écriture, d’autre part. Et de procéder, pour cela, sans faire de la vulgarisation, mais en trouvant une façon de raconter et d’expliquer qui soit accessible à un public plus large que celui des sciences sociales, parce que c’est un problème qui touche toute la société, même ceux qui ne vivent pas dans ces quartiers. J’espère, bien sûr, que les policiers aussi me liront. La perspective de ces lectorats multiples est la raison pour laquelle j’ai eu beaucoup de mal à écrire ce livre. J’ai longtemps pensé que je n’arriverais pas à trouver le ton juste. Mais je suis conscient d’avoir essayé de tenir quelque chose d’impossible à réaliser. D’une part une loyauté vis-à-vis de la société et du type de choses que j’avais vues, et qui me semble être, effectivement, de l’ordre d’un souci démocratique. Et d’autre part, une loyauté vis-à-vis des policiers. Mais l’enjeu me paraissait tellement important, que m’aliéner certains policiers, comme ce sera bien sûr le cas, m’apparaissait au fond de peu d’importance, par rapport au projet de restituer une réalité à laquelle j’ai eu le privilège d’accéder, et sur laquelle je me suis senti tenu à une forme de responsabilité.

Mais, du coup, vous décrivez votre posture d’anthropologue avec une formule, à la fois séduisante et en forme de pirouette, «d’observation non participante», différente de vos enquêtes précédentes…

Oui, car si j’ai partagé beaucoup de choses avec les enquêtés, c’était un partage avec une certaine distance et une certaine réserve, indépendamment même de toute forme de jugement ou de la fréquente désapprobation de ce qui se pouvait se passer. Quand je travaillais avec des populations indiennes en Equateur ou avec des malades du sida en Afrique du Sud, je pouvais avoir une relation directe avec eux, et je pouvais intervenir parfois dans leur vie, parce qu’on partageait beaucoup de choses. Dans le cas de la police, il aurait été déplacé, de mon point de vue, d’intervenir en quoi que ce soit, aussi bien pour dire quelque chose que j’aurais vu et qu’ils n’avaient pas vu, ou pour collaborer de quelque façon que ce soit, que pour commenter des scènes ou des propos qui m’auraient choqué. La discrétion de ma présence était d’ailleurs facilitée par le fait que j’ai surtout travaillé avec la BAC, donc avec des policiers en civil, ce qui permettait que je ne sois pas trop identifiable. C’était donc une observation stricte, qui n’était pas «participante». Même si je ne nie pas le fait que se trouver dans un véhicule modifie les pratiques. Plusieurs fois, les policiers m’ont dit : « si vous n’aviez pas été là, celui-là, il aurait passé un mauvais quart d’heure… »

Les émeutes qui se sont produites cet été en Grande-Bretagne, et la mise en cause de la réaction policière, ne remettent-elles pas en cause l’idée que la police britannique, plus représentative ethniquement de la population que la police française, serait mieux à même d’intervenir dans les banlieues ?

Je tiens d’abord à faire la part des choses entre le quotidien sur lequel j’ai travaillé et des situations d’émeutes qui sont des moments d’explosion particuliers, entraînant des interactions particulières entre les habitants et la police. Mais, effectivement, quand il y a eu des émeutes aux Etats-Unis, on a dit que c’était leur société et leur police qui étaient en cause. Puis il y a eu plusieurs émeutes en France et les Britanniques ont dit, «regardez, c’est leur police et son rapport à la population…» Et on se rend compte qu’il y a eu aussi des émeutes en Grande-Bretagne… Donc on voit que le rapport de la police avec des territoires particuliers, qui se caractérisent pas l’existence de milieux populaires appartenant à des minorités raciales, revêt une configuration structurelle dans de nombreux pays. Les modes d’intervention de la police dans ces territoires vont au-delà des différences nationales. Pour la Grande-Bretagne, le modèle ancien du «bobby» sans arme, circulant à pied dans les quartiers populaires, a vécu. On a assisté au cours des dernières décennies à une évolution internationale, le policier se rapprochant désormais plus du «cop» américain que du «bobby» britannique.

Qu’est-ce qui pourrait faire évoluer une situation d’interaction entre la police et les quartiers de banlieue que vous décrivez comme, à la fois, ennuyeuse pour les policiers, inefficace pour lutter contre la délinquance, injuste pour les habitants et dangereuse pour la démocratie ?

D’abord la volonté d’un personnel politique qui serait préoccupé par ce qui se joue aujourd’hui dans les banlieues, autrement qu’à travers le seul prisme de l’insécurité et de la répression qui en est la réponse. Cela suppose donc un changement de langage, et même d’idéologie, politique. Mais, deuxièmement, rien ne se fera sans les policiers, leurs syndicats, leurs représentants, leurs supérieurs. J’ai l’impression qu’il y a une attente de changement dans leurs rangs - et d’ailleurs les résultats aux élections professionnelles le montrent – pour qu’on cesse de faire faire aux policiers un métier qui n’est pas le leur. Aujourd’hui, l’action policière se consacre moins à la délinquance qui gêne les habitants que contre des délits mineurs provoquant peu de nuisances, comme l’usage de cannabis ou l’absence de titre de séjour pour les étrangers. Cela «fait du chiffre», puisque ce sont des infractions où l’interpellation du suspect implique, automatiquement, la résolution de l’affaire. Troisièmement, même si elles sont très modestes en France, les résistances ou les mobilisations de citoyens et d’habitants, parfois sur la base de communautés locales, peuvent jouer un rôle important.
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
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Zed
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Re: Que fait (mal) la police dans les banlieues?

Message par Zed »

Beuargh !!

Kes tu crois, à la Flic Company c'est comme dans toutes les boîtes, y'as que 2 lois :

- la loi de la gravité
- et la loi des 20 %

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