Et si Facebook était pire que Monsanto ?

Ici on discute de thèmes environnementaux : écologie scientifique et/ou écologie politique, décroissance, etc.

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drÖne
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Et si Facebook était pire que Monsanto ?

Message par drÖne »

https://www.liberation.fr/debats/2019/0 ... to_1731384
Tribune. On imagine difficilement Yannick Jadot ou Nicolas Hulot arborer un tee-shirt aux couleurs de Monsanto. Pourtant, l’un comme l’autre n’hésitent pas à s’afficher régulièrement sur Facebook, où leurs profils respectifs annoncent plusieurs dizaines de milliers d’amis virtuels. Pour de tels connaisseurs de l’écologie politique, cela peut paraître étonnant. Car les deux entreprises symbolisent à merveille deux aspects tout à fait complémentaires de la mécanique aujourd’hui à l’œuvre dans la destruction de la planète.

La dévastation massive de la nature à laquelle nous assistons depuis plusieurs décennies trouve en effet ses racines dans un régime économique auquel les écologistes politiques ont donné un nom : le productivisme. Même si le terme est régulièrement utilisé dans les médias, il n’est pas inutile d’en rappeler les principaux mécanismes, qui trouvent leurs origines dans la révolution industrielle. A cette époque, la mise en concurrence des entreprises par le biais du marché a eu pour effet de générer une course à la productivité du travail : il s’agissait pour les entreprises d’utiliser plus efficacement la main-d’œuvre afin de réduire leurs coûts de production, et donc de gagner en compétitivité. Mécanisation, intensification, organisation rationnelle des tâches de production… déjà stigmatisées dans le chef-d’œuvre de Charlie Chaplin les Temps modernes, les recettes du productivisme n’ont eu de cesse de s’affiner tout au long du XXe siècle.
Monsanto est un symbole de la «mal-production»…

Appliquées dans le domaine de l’agriculture, les techniques productivistes ont permis d’accroître considérablement la production alimentaire, et ce malgré l’effondrement du nombre d’agriculteurs dans la population active. Mais cette intensification s’est faite au prix d’une atteinte considérable à l’environnement : pollution des nappes phréatiques, eutrophisation des milieux aquatiques, épuisement biologique des sols, uniformisation des paysages et des milieux agricoles et, bien entendu, pollution chimique généralisée. La firme Monsanto, créatrice du tristement célèbre Roundup, est devenue bien malgré elle le symbole des effets les plus dévastateurs du productivisme. On comprend dans ce contexte pourquoi les écologistes ont consacré tant d’énergie au cours des dernières années à dénoncer cette multinationale. Pourtant, cette «mal-production» dont Monsanto est si caractéristique n’est pas la seule à poser des problèmes en matière d’écologie.

Car les gains de productivité ont un autre effet majeur sur la société : ils détruisent l’emploi. C’est vrai dans l’agriculture, mais ça l’est également dans l’industrie et les services. Or il existe deux manières de compenser cette destruction : soit en réduisant le temps de travail, soit… en produisant davantage ! Et c’est bien entendu cette seconde option qui a été privilégiée au XXe siècle, aboutissant à partir des années 60 à l’avènement de ce que Jean Baudrillard a appelé la société de consommation : une société centrée sur l’économie dont l’objectif n’est plus de produire des biens et des services pour satisfaire la demande mais, au contraire, de stimuler la demande afin d’écouler la surproduction. Depuis cinquante ans, la publicité et le marketing ont ainsi développé des trésors d’inventivité pour parvenir à leurs fins, notamment en ciblant de plus en plus finement les consommateurs afin de leur adresser le message le mieux à même de provoquer un acte d’achat.
…là où Facebook représente la pointe avancée de la surconsommation

Il se trouve que l’avènement d’Internet a permis de franchir un palier supplémentaire en matière de ciblage publicitaire. Facebook en est l’exemple le plus symptomatique, puisque la valeur monétaire de l’entreprise californienne repose sur la connaissance très intime qu’elle a de ses supposés «membres» – dont la vie privée est un gisement que Facebook met à la disposition de ses vrais clients, à savoir les annonceurs. Dit autrement, derrière leur apparence très dématérialisée, des entreprises comme Facebook ou Google représentent la pointe la plus avancée du productivisme. Il s’agit probablement des outils les plus sophistiqués et les plus intrusifs que l’humanité n’ait jamais conçus afin d’encourager la surconsommation. Et tant que leur modèle économique sera centré sur la publicité, leur survie dépendra de leur réussite à nous faire consommer toujours plus.

Or produire mieux ne suffira malheureusement pas à «sauver la planète» : il nous faudra également consommer et gaspiller moins (en particulier dans les pays riches). Alors qu’elle connaît un regain d’intérêt dans l’opinion publique, l’écologie politique ne peut plus se contenter aujourd’hui de dénoncer la mal-production symbolisée par Monsanto. Elle doit également s’attaquer aux vecteurs de la surconsommation que sont devenus les monstres du productivisme 2.0 tels Facebook ou Google. Pour un écologiste cohérent, ne plus utiliser de telles plateformes devrait être aussi évident que de boycotter Monsanto, de ne plus prendre l’avion, d’éviter les supermarchés ou encore de réduire drastiquement sa consommation de produits issus des animaux. D’autant que, dans ce domaine comme dans les autres, des modèles économiques alternatifs existent d’ores et déjà.

Alors, Nicolas, Yannick et tous les autres : chiches ?

Aurélien Boutaud est coauteur de l’Empreinte écologique (La Découverte, 2018) et les Limites planétaires (La Découverte, à paraître).
Aurélien Boutaud chercheur associé à l’UMR Environnement Ville Société du CNRS
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
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