Brave Patrie : le vrai journal des vraies valeurs

Désobéissances et micro-résistances.

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drÖne
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Message par drÖne »

LLB a écrit :D'accord, je vais exposer les choses carrément comme je les ressens en ce moment, l'époque n'appelle pas aux nuances subtiles :
- je pense que la religion est à l'aise avec les sentiments psycho-sociaux et qu'elle les reconnaît et les mobilise pleinement : je ne vais pas revenir sur la valeur d'amour pour le christianisme. Pour cette raison même, la religion peut aussi activer, et donner sens à l'expression de la haine, quand il y a conflit.
- la Raison (et la science) ont été invoqués comme un moyen de sortir des affects, transports etc. pour réguler le rapport au monde et à l'autre : c'est ce contre quoi s'est construit le mouvement Romantique, qui a été un mouvement dur, parfois désespéré, pour défendre une modalité culturellement et politiquement légitime de relation au monde qui disparaissait
De même que sous les sentiments religieux se cachent des langages, sous les principes de la raison se cachent des sentiments, parce qu'on ne peut pas les évacuer ni les uns ni les autres.
Je suis bien d'accord. Il y a d'ailleurs plusieurs manière de le prouver. D'une part, la phénoménologie peircienne, que tu connais, fait reposer la raison (argumentation, tiercéité) sur tous les autres registres, dont celui de la potentialité (priméité) qu'on peut penser comme le registre où s'expriment les sentiments psychosociaux. D'autre partn si l'oin quitte la sémio pour s'intéresser à la psycho-cognitive (oui, je sais, on n'aime pas trop ça, mais là c'est justifié), alors il y a les célèbres expériences de Johnson Laird (à base de cartes à jouer), puis le travail du couple Damasio sur l'histoire de cet ingénieur qui s'est pris une barre à minde dans le cerveau mais n'en est pas mort, qui ont démontré que le raisonnement était sous-tendu par des émotions. A priori, on peut considérer ça comme un fait établi aujourd'hui, contre le dualisme cartésien qui refusait cette hypothèse.

En parallèlle, on peut prétendre qu'au plan historique la religion a également pu servir de base à l'exercice de la rationalité : les premiers doctorats universitaires étaient des doctorats de théologie, et la structure des cycles d'apprentissages universitaires que nous connaissons aujourd'hui dans le monde chrétien comme dans le monde musulman (durée de 10 ans, avec des stades progressifs, et des étapes d'argumentation à franchir, unité de lieu, étudiants isolés du reste du monde mais formant un collectif, etc.) ont été inventés dans le cadre des formations religieuses dès le moyen âge, en Europe comme en Afrique. Certes, le chemin vers la rationalité philosophique publique des Lumières, et la rationalité expérimentale des sciences contemporaines a été long et peut se décrire comme une laïcisation de la pensée, mais alors que faire de la disputacio théologique ? A mon avis, il ne faut pas opposer radicalement Raison et Religion, mais voir que l'une prend naissance contre l'autre, donc, nécessairement, grâce à l'autre... Au plan historique, bien entendu : il est évident que Giordano Bruno ou Galilée ont fait les frais, à leur niveau individuel, des tensions entre ce passé encore vif et un futur de la Raison pas encore advenu à leur époque. Il y a également une interprétation intéressante de De Certeau qui va dans mon sens : il dit, en gros, que c'est quand on n'entendis plus la voix de Dieu dans le livre sacré qu'on a cherché à entendre la voix de la nature, et qu'on a commencé à penser la nature comme un texte (une combinatoire ? A vérifier : ça me paraît important, vu que la combinatoire est un élément sans doute fondateur de l'idée de Raison, en lien avec l'évolution de la linguistique et les conceptions du signe, et donc avec la rationalisation des futures SHS). Bref, tout ça pour dire que si la Raison est le chemin parcouru par l'Occident pour laïciser la pensée, les fondements (cognitifs, ou les épistémès, ou les structures de pensée) ont d'étroits airs de parenté. C'est peut-être à cause de cette impossibilité de se séparer en totalité de la pensée religieuse que la Raison a pu donner dans l'anticléricalisme primaire : histoire de faire comme si les deux pôles historiques étaient plus opposés et irréconciliables qu'ils ne le sont en réalité. Sinon, comment expliquer, justement, la haine anticléricale ? Trop proches, dans leurs fondements, sans doute, pour se supporter...
La manière qu'a eu la Raison de se débarasser des sentiments comme modalités légitime, c'est peut-être à mon avis de promouvoir soit la bienveillance, soit le mépris, qui sont une manière de prendre de la distance avec les engagements par les sentiments : un peu comme on guérirait un fou qui se prend pour un chien en lui apprenant à marcher sur les pattes arrière, on apprendrait aux fous qui se croient délivrés des sentiments psychospociaux grâce à la Raison, à mobiliser la bienveillance, mais du coup son corrollaire possible le mépris.
La figure du bon savant barbu, genre Pasteur, par exemple ? En effet, très juste : cette image de bienveillance du scientifique, bonhomme et dans la lune, Pr. Nimbus ou Tournesol, a été LE cliché de la représentation du scientifique. Le mépris : c'est ce qu'on voit tous les jours à l'oeuvre dans les espaces de la science comme travail, comme profession, en effet. Et là, on est bien loin de l'image du philosophe sympa à la Bachelard, ou du sicentifique ouvert à tout et à tous. De vraies bêtes de guerre, ouais... Cyniques et implacables envers les plus faibles qu'eux... Méprisant le public : tiens, il faudrait parler du public comme figure laïcisée du croyant qu'on peut mépriser quand on le qualifie de "profane" (il ne croit pas en la science, donc il ne sais pas penser). Enfin, tu connais tout ça bien mieux que moi.
Je sais que ce genre de fresque est fausse et caricaturale mais j'essaie de l'exprimer pour comprendre d'où elle me vient : pour moi, à certains moments, il y a inversion des choses, et en ce moment, la haine et le mépris marchent la main dans la main sur des rives opposées en ce sens qu'ils sont véritablement les moteurs politiques et économiques, alors qu'on pourrait espérer que dans d'autres moments, ce soit des sentiments d'amour ou de bienveillance qui soient moteurs. Je suis désolée de sortir tous ces gros mots mais il me semble qu'on y est conduits par nécessité aujourd'hui, pour savoir donner un sens à ce qu'on ressent.
Je ne vois pas où il y airait des gros mots. Quand j'allume mon poste de TV ou de radio, j'entends tous ces gens avec leurs mlessages de pure haine : Sarkozy parlant des racailles ou de Karsher, les israéliens haissant les palestiniens et ne supportant même pas de comprendre que l'élection du hammas est juste une réponse désespérée aux humiliations, l'autre con de Finkelkraut et ses délires islamophobes, et en face les fous d'Allah qui tueraient pêre et mère pour des dessins dans un journal ! Et nos cons de politiques qui attisent les haines en prenant parti ! Et même chose pour les autres églises qui y voient une manière de dire "hé les gars, nous aussi on existe et on hait la liberté de la presse"... Ca, oui, c'est des gros mots ! Et il faut bien constater qu'on ne nage pas dans la compléxité là, mais bien dans la pure bêtise, et que cet océan de bêtise, si jamais il nous recouvre de sa vague, pourrait faire prendre la Shoa et Hirochima pour d'aimables plaisanteries d'adolescents...

Il est temps de regarder tout cela en face, tu as raison.

Bon, je vais déplacer ce sujet vers une rubrique plus adaptée, car c'est plus intéressantqu'in simple "lien" vers Brave Patrie.

+A+
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
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LLB
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Message par LLB »

J'entends bien ce que tu exposes, mais ce que je cherchais à exprimer, c'est le problème suivant :
- je ne fais que répéter ce qui a été mille fois dit quand on met en avant le faite que la science s'est largement imposée comme une manière de s'affranchir de la croyance, de la supertition, des affects, etc. pour faire advenir le règle de la Raison comme modalité partagée d'être au Monde, universelle et universellement accessible à quiconque s'en donne les moyens
- quand j'entends une critique de la science comme un mode de domination, et de destruction, comme celle que tu développes quand tu t'intéresses à Horkeimer et Adorno, j'ai tendance à me dire zut, certes on est bien placés pour supporter une critique radicale des sciences et éventuellement admettre qu'elles cachent des rapports de domination et de destruction (éventuellement) mais je ne peux m'empêcher de penser que ça fait le lit d'un retour à cette bêtise inouïe galopante que je ne prenais pas au sérieux jusqu'ici, la haine de l'homme pour raisons religieuses. Je sais que ça n'a rien à faire dans une argumentation, mais ce que je veux dire, c'est aujourd'hui tu ne peux plus te permetre la critique de telle ou telle position sans prendre en charge la critique de ce que cette position essayait de critiquer elle-même. Non pas renvoyer tout le monde dos à dos, l'inverse, prendre en charge du surcroît, pour éviter les effets de dénonciation d'un phénomène qui par ailleurs a pu inspirer des conduites et des positions qui ont valu la mort à leurs défenseurs. Je prends un exemple : Tomaso Campanella qui a croupi toute sa vie dans un cachot et tenu sous la torture pour avoir défendu les implications de la découverte de Galilée alors même que celui-ci n'en demandait pas tant! Campanella donc écrit la Cité du soleil, utopie communiste dont on voit bien qu'elle aurait été atroce et qui a d'ailleurs été revendiquée par les staliniens. Et pourtant, même si cette cité du Soleil était une apologie d'un monde odieusement rationnel il était une manière de se libérer de l'inquisition. C'est quand la science est prise dans le système qu'elle a matériellement organisé qu'elle institue des rapports de destruction et de domination, mais dans ce cas ce n'est pas seulement le problème de la science, mais de toute incarnation d'une utopie.
Le Lion Bleuflorophage
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