La conjuration des imbéciles

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drÖne
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La conjuration des imbéciles

Message par drÖne »

J'ai lu ça il y a quelques années, mais comme on en a rediscuté avec LLb ce soir, j'avais envie de signaler ce chef d'oeuvre loufoque à ceux qui ne l'auraient pas encore lu. Comme je suis une grosse faignasse, je me conten,terai de copier-coller un commentaire avec lequel je suis en accord, pris sur un blog littéraire :

http://www.fredericgrolleau.com/article-3572690.html
La conjuration des imbéciles

De l’art de libérer le monde des quasi mongoliens et des dégénérés qui le peuplent

Ignatius J. Reilly : le Bibendum qui pensait

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Un titre phare, un personnage fort : il n’en faut pas moins à John Kennedy Toole pour composer l’un des romans cultes du XXe siècle qui obtint en 1981 le prix Pulitzer après que son malheureux auteur se fut suicidé, à peine trentenaire, convaincu qu’il ne savait pas écrire...
Il suffit pourtant de lire les trois premiers chapitres de La conjuration des imbéciles, critique au vitriol de la décadence de l’Amérique des sixties, pour être persuadé du contraire. Au coeur de ce complot, pointé en exergue par la formule de Jonathan Swift : " Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ", l’hénaurme Ignatius J. Reilly.
Ce Bibendum à casquette de chasse verte et portant des vêtements tous plus improbables les uns que les autres ressort de fait du schizophrène absolu, qui passe son temps à rêver d’agitations révolutionnaires Son maître projet consiste à remplir ses cahiers " Big Chief " d’un projet littéraire abscons qui vise à établir la dégénérescence de la société et prône, appuyé sur La consolation de la philosophie de Boëce, un retour à des mœurs plus saines. Un idéal quasi moyenâgeux qui amène Ignatius le géant à une sombre détestation des autocars panoramiques Greyhound et à une adoration fort suspecte de la géométrie dont il cherche partout le nombre d’or, le tout en prétendant " libérer le monde des quasi mongoliens et des dégénérés qui le peuplent " !

Las, le gros trentenaire qui croupit chez sa mère un tant soit peu alcoolique, ne daignant en sortir que pour aller au cinéma du quartier voir tous les films atroces qui y sont projetés, doit bientôt travailler afin d’aider sa mère à honorer une dette importante. Cette sortie hors de chez soi - qui équivaut au sens propre à une ex-sistence - est à la fois le début du roman et le début de afin de la vie ordinaire du protagoniste. Dont la folie de sujet ne peut que percuter de plein fouet le réel.
Incapable de s’intégrer dans la société qu’il critique, l’auteur frustré (certainement miroir de John Kennedy Toole même) en reste au drolatique constat de la dégénérescence ambiante, par ailleurs servi par l’érudite expression (orale comme écrite) d’Ignatius, en perpétuel contraste avec le vocabulaire des habitants de la Nouvelle-Orléans qui l’entourent. L’on croise ainsi en ces pages un paria absolu, un policier hors norme, un patron d’entreprise désabusé, un directeur de vente de saucisses exécrable, une compagne d’université experte en l’animation d’un "groupe de thérapie de groupe"... la spirale ne cesse d’enfler autour du sieur Reilly, imbécile parmi les imbéciles qui ne sait plus où donner de la tête (nantie de ses fameux yeux bleus et jaunes) tandis que tout son corps adipeux est secoué par de terribles rots dûs à un anneau pylorique récalcitrant et tourmenté.

Alimentée par de très précis descriptifs des objets et marques (on songe à la patte de Breat Easton Ellis aujourd’hui) et par un sens aigu de la peinture sociale d’une Amérique en proie au chaos (à la façon d’un Chuck Palahniuk), la geste d’Ignatius atteint un tel degré d’hypocondrie et de paranoïa que sa propre mère doit se résoudre à l’interner. Mais, qu’on se rassure, notre génie incompris ne parvenant jamais à faire aboutir ni les mouvements sociaux ou politiques qu’il projette ni ses ambitieux écrits, sait comme Boëce se jouer des revers de fortune et n’en a pas fini d’exposer à qui veut (ou non) l’entendre ses thèses absurdes et utopistes.
Quoi d’étonnant pour celui qui, en pleine méditation sur le ramassage du coton par les Noirs, se laisse aller, dénonçant l’imposture de Mark Twain à propos du "Mississipi Père- Dieu- Moïse- Papa- Phallus- Bon Vieux", à dire : Cette complète absence de contact avec la réalité est d’ailleurs, soyons juste, caractéristique de la quasi totalité de " l’art " d’Amérique. Toute ressemblance entre l’art américain et la nature américaine serait purement fortuite et relèverait de la coïncidence, mais c’est seulement parce que le pays dans son ensemble n’a pas de contact avec la réalité. On tient là une seulement des raisons pour lesquelles j’ai toujours été contraint d’exister à la lisière de sa société, consigné dans le limbe réservé à ceux qui savent reconnaître la réalité quand ils la rencontrent (...).

frederic grolleau

John Kennedy Toole, La Conjuration des imbéciles, trad. J.-P. Carasso, 10/18 - Domaine étranger 1998, 478 pages - 9,30 €

copyrights : www.lelitteraire.com & www.fredericgrolleau.com
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
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Message par Virtual pugilat »

mmh... Grosse mélancolie en perspective. Un pote me l'a offert en disant que ma misanthropie s'y retrouverai, évidemment je l'ai pris pour un con mais expliqué comme çà, ça fait envie Image
La techno est un pur produit de l'intelligence extra-terrestre.
Diffusée sur terre elle nous familiarise avec l'inéluctable...
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drÖne
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Message par drÖne »

Et en plus, tu vas te marrer en le lisant : c'est pas du tout ennyeux.
drÖne
d'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit...
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