AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

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mandragore27
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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

Message par mandragore27 »

Bon ben je ressort mes classiques ça fait trop plaisir un bon vieux Nietzsche ça fait toujours du bien... ça remet les pieds sur terre avec delicatesse et bienveillance quelle lucidité quelle clarté et tout ça sous forme de conte philosophique ce livre il convient de le lire au pied de l'arbre sur la montagne c'est limite sacré enfin ça envoie grave c'est un peu long mais allez jusqu'au bout c'est délicieux ... bonne lecture

DE L'ARBRE SUR LA MONTAGNE

Zarathoustra s'était aperçu qu'un jeune homme l'évitait. Et comme il allait un soir seul par la montagne qui
domine la ville appelée “la Vache multicolore", il trouva dans sa promenade ce jeune homme, appuyé contre
un arbre et jetant sur la vallée un regard fatigué. Zarathoustra mit son bras autour de l'arbre contre lequel le
jeune homme était assis et il parla ainsi:

“Si je voulais secouer cet arbre avec mes mains, je ne le pourrais pas.
Mais le vent que nous ne voyons pas l'agite et le courbe comme il veut. De même nous sommes courbés et
agités par des mains invisibles.

Alors le jeune homme se leva stupéfait et il dit: “J'entends Zarathoustra et justement je pensais à lui.”

Zarathoustra répondit:
“Pourquoi t'effrayes-tu?—Il est de l'homme comme de l'arbre.
Puis il veut s'élever vers les hauteurs et la clarté, plus profondément aussi ses racines s'enfoncent dans la
terre, dans les ténèbres et l'abîme,—dans le mal?”

“ Oui, dans le mal! s'écria le jeune homme. Comment est-il possible que tu aies découvert mon âme?”Zarathoustra se prit à sourire et dit: “Il y a des âmes qu'on ne découvrira jamais, à moins que l'on ne
commence par les inventer.”

“Oui, dans le mal! s'écria derechef le jeune homme.

Tu disais la vérité, Zarathoustra. Je n'ai plus confiance en moi-même, depuis que je veux monter dans les
hauteurs, et personne n'a plus confiance en moi,—d'où cela peut-il donc venir?
Je me transforme trop vite: mon présent réfute mon passé. Je saute souvent des marches quand je
monte,—c'est ce que les marches ne me pardonnent pas.

Quand je suis en haut je me trouve toujours seul. Personne ne me parle, le froid de la solitude me fait
trembler. Qu'est-ce que je veux donc dans les hauteurs?

Mon mépris et mon désir grandissent ensemble; plus je m'élève, plus je méprise celui qui s'élève. Que veut−il
donc dans les hauteurs?

Comme j'ai honte de ma montée et de mes faux pas! Comme je ris de mon souffle haletant! Comme je hais
celui qui prend son vol! Comme je suis fatigué lorsque je suis dans les hauteurs!”

Alors le jeune homme se tut. Et Zarathoustra regarda l'arbre près duquel ils étaient debout et il parla ainsi:
“Cet arbre s'élève seul sur la montagne; il a grandi bien au−dessus des hommes et des bêtes.
Et s'il voulait parler, personne ne pourrait le comprendre: tant il a grandi.
Dès lors il attend et il ne cesse d'attendre,—quoi donc? Il habite trop près du siège des nuages: il attend
peut−être le premier coup de foudre?”

Quand Zarathoustra eut dit cela, le jeune homme s'écria avec des gestes véhéments: “Oui, Zarathoustra , tu
dis la vérité. J'ai désiré ma chute en voulant atteindre les hauteurs, et tu es le coup de foudre que j'attendais!
Regarde−moi, que suis−je encore depuis que tu nous es apparu? C'est la jalousie qui m'a tué!”—Ainsi parlait
le jeune homme et il pleurait amèrement. Zarathoustra, cependant, mit son bras autour de sa taille et
l'emmena avec lui.

Et lorsqu'ils eurent marché côte à côte pendant quelques minutes, Zarathoustra commença à parler ainsi:

J'en ai le coeur déchiré. Mieux que ne le disent tes paroles, ton regard me dit tout le danger que tu cours.

Tu n'es pas libre encore, tu cherches encore la liberté. Tes recherches t'ont rendu noctambule et trop lucide.

Tu veux monter librement vers les hauteurs et ton âme a soif d'étoiles. Mais tes mauvais instincts, eux aussi,
ont soif de la liberté.

Tes chiens sauvages veulent être libres; ils aboient de joie dans leur cave, quand ton esprit tend à ouvrir
toutes les prisons.

Pour moi, tu es encore un prisonnier qui aspire à la liberté: hélas! l'âme de pareils prisonniers devient
prudente, mais elle devient aussi rusée et mauvaise.

Pour celui qui a délivré son esprit il reste encore à se purifier. Il demeure en lui beaucoup de contrainte et debourbe: il faut que son oeil se purifie.
Oui, je connais le danger que tu cours. Mais par mon amour et mon espoir, je t'en conjure: ne jette pas loin de
toi ton amour et on espoir!

Tu te sens encore noble, et les autres aussi te tiennent pour noble, ceux qui t'en veulent et qui te regardent
d'un mauvais oeil. Sache qu'ils ont tous quelqu'un de noble dans leur chemin.

Les bons, eux aussi, ont tous quelqu'un de noble dans leur chemin: et quand même ils l'appelleraient bon, ce
ne serait que pour le mettre de côté.

L'homme noble veut créer quelque chose de neuf et une nouvelle vertu. L'homme bon désire les choses
vieilles et que les choses vieilles soient conservées.

Mais le danger de l'homme noble n'est pas qu'il devienne bon, mais insolent, railleur et destructeur.

Hélas! j'ai connu des hommes nobles qui perdirent leur plus haut espoir. Et dès lors ils calomnièrent tous les
hauts espoirs.

Dès lors ils vécurent, effrontés, en de courts désirs, et à peine se sont−ils tracé un but d'un jour à l'autre.

“L'esprit aussi est une volupté”—ainsi disaient−ils. Alors leur esprit s'est brisé les ailes: maintenant il ne fait
plus que ramper et il souille tout ce qu'il dévore.

Jadis ils songeaient à devenir des héros: maintenant ils ne sont plus que des jouisseurs. L'image du héros leur
cause de l'affliction et de l'effroi.

Mais par mon amour et par mon espoir, je t'en conjure: ne jette pas loin de toi le héros qui est dans ton âme!
Sanctifie ton plus haut espoir!

—Ainsi parlait Zarathoustra. :sm6:
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