LA MAISON DES MORTS - roman à suivre - diffusion hebdomadaire

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konsstrukt
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LA MAISON DES MORTS - roman à suivre - diffusion hebdomadaire

Message par konsstrukt »

premier épisode.

Je ne me souviens plus à quel moment Céline m’a raconté pour Antoine et ma mère. Ce qu’ils faisaient ensemble, leurs délires de secte, leurs fantasmes débiles d’apocalypse. Je ne me souviens plus à quel moment Céline m’a expliqué comment Antoine a tué ma mère et comment tout ça a été filmé. Je buvais trop. Je me droguais trop.

Il est vingt heures trente. Je me mets en route.
Je laisse le fric dans la chambre – à part cinquante euros en pièces et en billets – que je conserve dans une poche. Je ferme la porte. Je descends l’escalier. Je pose la clé sur le comptoir. Je sors de l’hôtel. Je traverse la ruelle jusqu’à une rue piétonne. La lumière du jour décline – devient orangée. La rue est large et le sol dallé. La foule est dense. Flane. S’entasse dans les magasins. Des magasins de fringues. J’essaie de saisir des conversations mais j’en suis incapable. Le trac me comprime la poitrine et le cerveau. Toutes mes pensées tournent autour de ce qui va se passer dans une heure – autour de ma capacité ou de mon incapacité à le faire.
J’ai encore la gueule de bois.
Je n’arrive pas à imaginer que mes actes débordent du présent sur le futur. A me dire que si je fais quelque chose – les conséquences vont se prolonger au-delà de l’instant. Si je casse un truc – je sais pas – si je tire dans la vitrine de cette boutique de lingerie – il y aura du verre partout – la panique – il faudra subir les conséquences – la routine sera modifiée – une autre se mettra en place – ce serait comme modifier un aiguillage – je trouve ma métaphore banale mais j’en suis content. Si je cogne quelqu’un. Il y aura des traces. Qui dureront. Qui seront réelles – observables. Si je me fais mal. Si – par exemple – je me frappe très fort la tête contre ce mur. Tous les jours pendant des semaines je me souviendrai. La douleur me le rappellera. J’aurais en mémoire la couleur blanc cassé du mur. Sa lisseur. Le graffiti à demi effacé proche de l’endroit où mon crane a percuté la pierre. La poubelle pas loin avec une affiche pour un concert collée dessus. J’aurai un pansement. Peut-être des séquelles. J’ai du mal. A accepter ça. Le débordement du présent dans le futur. Si je tue quelqu’un. Il est mort pour toujours. Pour toujours cet acte sera posé. Il n’aura pas de fin. Si je tue quelqu’un. Alors durant toute ma vie je le tue. Et même après que je sois mort. Je continue de le tuer.
C’est quelque chose que je ne peux pas comprendre. Ca.
Les gens me regardent en coin. Je ne veux pas que mon déguisement m’attire d’ennuis.
J’ai le crâne rasé. J’ai un pantalon de cuir noir et des rangers. J’ai un tee-shirt orné d’un symbole du chaos – c'est-à-dire une croix à huit branches toutes terminées en flèches. Une gabardine noire. Le visage maquillé. Pas très bien mais je vais faire avec – du fond de teint blanc et du barbouillage noir autour des yeux et la bouche. J’ai mon arme. J’ai bu pour me donner du courage. Je n’aurais pas du. Je n’ai pas plus de courage et je sens que mes réflexes sont émoussés. Je me trouve ridicule. On dirait The crow après une chimiothérarie.
Le bar s’appelle Barad-Dur. C’est un lieu de rassemblement de tous les mouvements black metal. Il est à l’écart des rues fréquentées. Il se trouve dans un quartier en rénovation. Des maisons sont vides. Des immeubles sont en travaux. Quelques rues où je ne croise personne. Et puis des gens habillées comme moi et qui vont dans la même direction que moi. La plupart semble se connaître. Quelques-uns me regardent de travers. Il y a ceux qui ont les cheveux très longs et ceux qui ont le crâne rasé. Ceux-là ne sont pas maquillés et portent des tee-shirts à croix celtique et des jeans retroussés et des rangers. Je me demande si je suis crédible. Je mélange plusieurs choses. Les autres se classent aisément à leur façon de s’habiller – leur coiffure – les symboles qui ornent leurs tee-shirts. Les païens. Les fachos. Etc. Moi je fais mariole. Je fais déguisé – et c’est ce que je suis – déguisé.
J’espère qu’il n’y aura pas de bagarre. Ces connards ne me font pas peur – j’ai mon arme – mais je préfère rester discret.
Le bar est ouvert. L’emplacement de la vitrine est muré. Le mur est couvert d’affiches pour des concerts de black metal et pour des rassemblement nationalistes. On discerne tout de même les parpaings. Il y a un néon qui diffuse de la lumière mauve au-dessus de l’entrée. Le nom du bar – Barad-Dur – est peint au pochoir au dessus du néon. La typographie est militaire. Une cinquantaine de personne discute sur le trottoir et dans la rue. Par petits groupes mais tout le monde semble se connaître – au moins de vue. Personne n’est habillé normalement. Les fachos semblent majoritaires. Deux types s’écartent de la porte pour me laisser entrer. Ils me regardent de travers. J’entre. Une musique aggressive et lancinante sort des hauts-parleurs. La lumière est rouge sombre. C’est petit. C’était peut-être une épicerie avant. Il y a une dizaine de personnes presque toutes au comptoir. Du sol au plafond tout est peint en noir – il y a des haches et des épées accrochées au mur – il y a des casques médiévaux et d’autres de la seconde guerre mondiale posés sur une étagère – il y a des posters de groupes sur les murs. Il y a des skins accoudés au comptoir. La scène est vide. Plusieurs groupes jouent ce soir. Ca commence à vingt-et-une heures. Les skins me regardent de travers. L’un deux m’apostrophe :
– Hé la tapette ! C’est pas ce soir Depeche mode !
– T’as oublié ton triangle rose ?
Je ne réponds pas. Je m’accoude – à l’autre bout du bar.
Modifié en dernier par konsstrukt le 11 déc. 2009, 13:53, modifié 1 fois.
konsstrukt
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Message par konsstrukt »

Je ne sais pas quoi faire. Mon estomac se noue et mon cœur accélère. Va y avoir de la baston si je reste – c’est obligé. Je ne peux pas m’enfuir. Je serre la crosse de mon arme. Le barman s’approche. Je commande un demi. Il me sert. Je bois une gorgée.
Les gens entrent. La petite foule prend place. Je n’ai plus de vision directe sur les skins qui m’avaient pris à partie. Ca n’est pas plus mal.
La majorité de la clientelle a le crâne rasé et un look général de skinhead. Pas de maquillage. Pas de piercing. Pas de fille. D’autres types qui me regardent de travers. Des airs renfrognés et bagarreurs. Un mec en tee-shirt a une croix gammée tatouée sur le biceps. Je ne me sens pas à l’aise. Je reste près du bar quand les lumières s’éteignent et que le concert commence.
Sur scène ils sont quatre. Grimés. Vêtements noirs. Croix celtiques. Musique rapide et sourde. Je ne comprends pas ce qu’ils disent. Aux premiers rangs ça pogote. Quelques saluts Nazis. Quelques doigts d’honneur.
Il ne doit pas y avoir de loge mais une arrière-salle qui en fait office. La seule porte que je vois est derrière le comptoir. Pas loin de moi. J’appelle le barman. Nous crions pour nous faire comprendre – bouche collée à l’oreille de l’autre – mains en porte-voix.
– Tu sais où je peux trouver Antoine ?
– Quel Antoine ?
– Du groupe ! De Honneur de la police !
– Tu lui veux quoi ?
– J’ai un truc à lui dire ! Un message de la part de Céline !
– Une seconde !
Le barman passe derrière. Il revient avec un type qui est Antoine Garriga. Une trentaine d’années. Pareil que sur la photo que j’ai vue. Un air rogue. Le type est grand. Et costaud.
– Qu’est-ce tu veux ? il me demande
– Viens ! On va aller dehors ! On s’entend pas ici !
– OK !
Mon cœur accélère. Il contourne le comptoir. Serre des mains au passage. Me montre du doigt. On me regarde d’un air mauvais. Il passe devant moi. Je le suis. Mon ventre est noué. J’ai les mains dans les poches. La crosse. Nous sommes dehors. Il y a des gens.
Il se retourne. Il a une tête de gros con.
Je me vois sortir mon flingue. Tout se passe – comme malgré moi.
– Tu as tué ma mère connard.
Il me regarde sans comprendre.
– Tu as tué ma mère !
– Quoi ?
– Céline ! C’est Céline qui m’a tout raconté !
– Qu’est-ce que tu racontes ?
Des gens entrent dans le bar. D’autres regardent. Je tire. C’est assourdissant. Je ferme les yeux un instant. Je grimace. Antoine se la prend dans le ventre. Il tombe.
Il y a une clameur. Tout le monde se réfugie à l’intérieur. Je regarde Antoine. Il n’est pas mort. Il essaie de se relever. Il y a du sang plein sa poitrine et sur le sol. Je pointe l’arme sur son visage. Il continue à gueuler.
– Quoi ? Quoi ?
Je ressens un choc à l’arrière de la tête et je perds l’équilibre. Par réflexe je serre les doigts autour de mon arme. Je ne tombe pas et je me retourne. Il y a des types avec des battes de base-ball. J’ai le temps de reconnaître d’autres membres du groupe Honneur de la police. J’en menace un avec mon arme. Et puis les autres. Je bouge mon bras n’importe comment.
– Enculé !
– Sale pédé !
– Putain !
Je tire.
Je ne touche personne. Ils reculent. Des gens sont ressortis. Ils forment un demi-cercle. Ils regardent. Je me sens bizarre – tout ma vie qui mène ici – voilà. Comme une succession de rêves et de réveils et je me réveille ici pour la dernière fois et je sais qu’il n’y a pas de suite. Après ce moment de violence inutile il n’y a rien.
Non. Mais non. Il ne faut pas que je pense à ça. J’ai Antoine à achever. Il n’est pas mort ce con. Je l’entends derrière moi. Il n’est pas mort. Et il faut encore que j’aille à Toulouse. Il faut que je tue David Il faut que je trouve la maison des morts. Non. Tout ça n’est pas inutile.
Ca coule à l’arrière de ma tête. Ca coule jusque dans mon dos. Combien de temps s’est écoulé ? Cinq secondes ? Dix ? Trois ?
– Reculez !
C’est moi qui parle.
– Enculé !
– Va te faire enculer !
– Merde !
– Il est armé faites gaffe !
– C’est qui ce connard ?
A l’intérieur il n’y a plus de musique. Je l’entends d’un coup. Tout le monde regarde le fait-divers et le groupe qui était sur scène regarde aussi.
J’entends la sirène des flics. Je reçois un coup dans les reins. Je tire en tombant. Je suis sur les genoux. Je reçois un coup de batte de base-ball qui me vient de plein face et m’envoie en arrière. J’entends la sirène des flics. Je vois le ciel. J’essaie de bouger mais je ne peux pas. Je vomis. Je ne vois plus rien que des choses floues. Je n’arrive pas à entendre ce qu’on me dit. Je reçois des coups. J’entends la sirène des flics. Est-ce que c’est dans ma tête ? J’ai du sang plein la gorge. J’ai envie de tousser.
La situation est figée. C’est un présent éternel. Je pense à Céline. Je pense à ma mère. Je ne pense à rien. J’entends la sirène des flics. Je vois le ciel.
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Message par konsstrukt »

J’aimais la façon qu’avait Céline de baiser.
Je suis rue Saint-Denis. Je regarde les putes par en dessous. Je me demande si elles m’ont remarqué. Ca fait trois jours que je viens là. Que je les mate – une heure ou deux avant de retourner à la chambre d’hôtel. J’ai envie d’aller avec elles – je ne peux pas – je ne peux pas encore – c’est trop difficile. Je me branle le soir en pensant à Céline. A la première fois que nous avons baisé – quelques heures à peine après qu’elle a débarqué dans la maison.
Dans son sac il y avait une bouteille de vodka. De la vodka merdique – la marque premier prix de Monoprix – je ne me souviens plus du nom – elle l’avait acheté à l’épicerie du dernier village avant la maison – elle comptait se la taper tranquille dans la chambre de ma mère – se bourrer la gueule en sa mémoire.
Quelques heures après on baisait.
Je regarde les putes. Je regarde celles qui lui ressemblent.
– Tu es puceau ? elle m’avait demandé.
Je n’avais pas su quoi répondre et elle m’avait souri.
J’étais allongé sur le dos – on parlait – je sais plus trop de quoi on parlait.
Je m’arrête de marcher. Je m’adosse à côté d’un porche qui mène à une cour. Céline est venue s’allonger près de moi. J’ai pris son visage dans mes mains – elle s’est laissée faire. Je l’ai embrassée. Son haleine était bien chargée d’alcool – la mienne devait pas être mieux.
On s’est embrassé comme ça en se caressant le visage – ça a duré plusieurs minutes. Ses mains étaient douces et moites. Elle salivait beaucoup. Elle gardait les yeux fermés. Moi j’ouvrais les miens pour voir son visage. Pour voir les émotions sur son visage.
Je bandais. Elle se pressait contre moi.
Ses mains sont passées sous mon tee-shirt – les miennes ont fait pareil. Elle avait des seins lourds et sensibles. On s’est peloté. Ca a duré longtemps. Et puis elle a glissé une main dans mon pantalon. J’ai été surpris par son geste. Elle s’est d’abord un peu écarté et puis sa main est entrée sans même qu’elle ait besoin de défaire un seul bouton. Sa paume s’est collée contre ma bite.
Je bande simplement à repenser à ce moment. Sa main était moite de sueur. Elle ne pouvait pas me branler – pas assez de place – elle faisait glisser sa main de bas en haut – ça suffisait. J’ai essayé de faire pareil – d’enfoncer ma main dans son jean – elle s’est écarté – elle a dit : « non c’est ton tour ». Elle a souri. Ses yeux brillaient. Sa main n’allait pas vite. Je sentais le plaisir monter doucement. Elle pressait un peu plus fort au fur et à mesure que je gonflais.
Je regarde les putes. Je regarde celles qui lui ressemblent.
Elle me souriait. Elle était attentive aux mouvements du plaisir qui altéraient mon visage – comme moi lorsque nous nous embrassions. Je souriais involontairement. Je me crispais. Quand je me suis senti jouir je l’ai prévenue.
Il fait soleil. Ca donne une lumière jaune et chaude qui me donne envie de pleurer.
Une fille noire m’aborde. Elle des cheveux longs et légèrement bouclés – du rouge à lèvre – un body violet et une mini jupe en cuir rouge – sa main est douce et sa voix est gaie.
– Viens je t’emmène quelque part.
Je suis surpris. Je me laisse faire. Nous traversons la rue. Elle me tient toujours par la main. Nous entrons dans un immeuble délabré. L’escalier est en bois. Le bruit de nos pas est très mat. Elle a des talons hauts. Elle passe devant moi. Elle roule du cul. Au deuxième étage elle sort une clé et ouvre une porte. On entre dans un studio miteux. Parquet terne et tapisserie des années soixante-dix. Un lit – une penderie – une vieille commode.
– Tu veux prendre une douche d’abord ?
– Non merci.
– C’est cent euros le rapport complet.
– Et pour une fellation ?
– Quatre-vingt.
– D’accord.
Je sors de mon portefeuille quatre billets de vingt. Je me déshabille. Je suis encore en érection – Céline – et la pute regarde ma bite avec amusement.
Je m’allonge sur le dos. Elle se déshabille à son tour – sauf ses bas noirs. Elle vient entre mes cuisses et me branle. Quand je suis suffisamment dur elle déchire l’enveloppe d’un préservatif et me l’enfile sur le gland. Elle le déroule. Je mollis un peu. Elle me prend dans sa bouche. Elle suce de bas en haut en maintenant ses doigts en anneau à la base de mon gland. Ca dure quatre ou cinq minutes. Je caresse ses fesses et l’entrée de sa chatte. Elle a une fente très charnue et lisse. Ses fesses sont très douces. Quand elle me sent prêt à jouir elle relève un peu la tête et ne m’aspire que le gland en serrant fort les lèvres. D’une main elle me branle et de l’autre elle me caresse le ventre. Je jouis. Mon cœur accélère. Mon souffle devient court ma bouche sèche. Elle se relève et elle me sourit. Elle me montre la poubelle où je peux jeter mon préservatif et me tend un rouleau de papier toilette blanc et rêche du genre qu’on trouve au lycée ou dans les cinémas. Pendant que je me nettoie elle se rhabille. Je me rhabille aussi tandis qu’elle allume une cigarette. Elle ne dit pas un mot. Je me sens gêné.
– C’était bien – je dis.
Elle me sourit. Elle ouvre la porte – je constate qu’elle était fermée à clef. Nous descendons – elle passe toujours en premier.
– A bientôt.
– Salut.
Je m’éloigne. Elle retourne à son poste.
Je marche lentement en direction de mon hôtel. Durant le court moment passé dans le studio avec la pute la lumière a baissé. De jaune elle est devenue grise – c’est encore plus triste.
Je trouve tout triste en ce moment.
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Message par konsstrukt »

J’arrive à l’hôtel. Un hôtel pourri. Une chambre minuscule.
Je vais au lavabo. Ma bite est plutôt molle. Elle sent la sueur et le latex. Elle est encore un peu poisseuse de lubrifiant. Je pense à la chatte de Céline. Je n’ai presque rien senti – ma salive plus sa mouille – elle mouillait beaucoup – du coup elle a eu un orgasme au bout d’un moment – quand elle a joui elle a eu des spasmes à l’intérieur – elle donnait des coups de ventre – je sentais quelque chose palpiter autour de ma bite – la serrer – elle a crié plus fort – de plus en plus fort jusqu’à la fin de l’orgasme – son visage détendu et elle a souri comme si elle souriait pendant son sommeil – les yeux fermés – une expression totalement involontaire – incontrôlée – qu’elle ne se connaissait sans doute pas. Ses mains agrippées à mes fesses – ses mains chaudes – collantes de sueur.
J’éjacule dans le lavabo – quelques petits jets blancs – je me rince la bite – je nettoie le lavabo – je vais m’allonger sur le lit – c’est un lit à une place – le sommier grince. J’ai le cafard.
Je me relève. Le lit grince. Je me dirige jusqu’à l’armoire qui occupe le mur d’en face. L’armoire n’a pas de porte. En bas de l’armoire il y a mon sac. Je l’ouvre. Je prends le revolver. Je me demande pourquoi je le garde.
Je sors le barillet – il est vide. Je le renifle. L’odeur de métal. Le colt Taurus. Et Céline qui est morte avec cette arme. Je remets en place le barillet. Je place le canon contre ma tempe.
Je me rends compte que j’oublie un truc.
Je fais tourner le barillet d’un coup sec de la paume donné de bas en haut.
Voilà. Le canon contre la tempe. Un peu appuyé. Je sens le froid du métal. La pression du canon – presque douloureuse. Mon doigt sur la détente. J’appuie. Clic. Je pense : zéro chance de mourir sur six. Je me trouve ridicule. J’ai envie de pleurer. Zéro sur six ou une sur six ça fait pas une grande différence. Quand on y réfléchit bien. Mais ça a suffi. Une sur six.
J’appuie cinq autres fois sur la détente. A chaque fois ça fait clic. L’impact résonne contre ma tempe – se propage à travers l’os et me colle la pétoche.
Quand mes pitreries sont terminées mes mains tremblent. Je pose l’arme sur le lit.
Je la regarde – sans pourvoir en détacher mes yeux.

Ouais. On se défonçait et on picolait beaucoup trop. Avec Céline.
On a joué à Guillaume Tell.
On est sorti de la maison. On a fait un feu. Ca nous a pris un moment. Ramasser des branches – tout ça. Bourré comme on l’était. Ca n’était pas facile. On a baisé dans la forêt. J’étais allongé par terre – tout un mélange de feuilles mortes de cailloux et de trucs pointus me lacérait le dos. Elle était assise sur moi – jupe relevée – elle n’avait pas de culotte – pull et tee-shirt relevés au-dessus des seins. Elle se penchait – tombait à moitié – sur moi – on baisait violemment – moi si bourré que je n’étais pas près de jouir – ses seins venaient sur mon visage. Je mordais les tétons – fort – mes mains sur son dos – à chaque morsure je sentais sa chair de poule – elle prenait son pied – elle a joui – ça faisait un sacré boucan au milieu des arbres – je me suis branlé pour me finir – elle a voulu que je jouisse sur son cou – ça dégoulinait – je me vidais.
Notre dernière baise.
Au bout d’un moment – je me souviens pas de tout – le feu était prêt. Il flambait bien – des flammes – des putain de nom de Dieu de flammes – plus haute que nous – on pouvait pas rester à deux mètres – on cuisait – et la lumière – et le bruit des branches qui craquaient. C’était magnifique.
Je ne me souviens plus qui a eu l’idée de jouer à Guillaume Tell. Ces jours-ci je gardais le révolver tout le temps avec moi. Je tirais sur les arbres – ou au ciel. J’aimais bien tirer quand j’étais saoul – et j’aimais bien tirer quand j’étais défoncé. J’étais tout le temps saoul ou défoncé ou les deux.

Je m’allonge sur le lit. Je prends l’arme. Elle pèse sept cent grammes quand elle n’est pas chargée. Je la tiens à bout de bras pointée vers le plafond. J’ai le bras qui tient l’arme tendu au-dessus de ma tête et l’autre bras replié sous ma nuque. Le poids de l’arme grandit et grandit – une tension envahit mon bras – du poignet jusqu’à l’épaule – la nuque raide et tout devient douloureux – mes muscles sont tétanisés. Je plie le bras et je lâche l’arme sur le lit – le revolver creuse le matelas en y rebondissant.

Elle s’est déshabillée. Elle tournait le dos au feu et elle m’a fait un strip-tease. Elle était près des flammes – moi à quelques mètres. Même raide bourrée – même défoncée à mort – elle bougeait bien et ne tombait pas. Elle était en contre-jour. Son corps apparaissait sombre et nimbé de rouge sang. Elle était superbe. Les flammes volaient derrière elle. Elle était une apparition. Un démon. La suite est arrivée toute seule. Elle a pris une canette de bière encore pleine. Elle l’a posée sur la tête. Ca tenait pas bien – la cannette est tombée sans se casser. Elle a recommencé – je me souviens de la concentration qui figeait son visage – je me souviens aussi de l’alcool qui affaissait ses traits.
La bouteille a fini par tenir. Céline ne bougeait plus. J’ai pris le flingue. J’ai visé. J’ai tiré.
La première balle s’est perdue je ne sais pas où.
J’ai ri. Elle a lutté contre le rire. La bouteille n’est pas tombée. Tout son corps était immobile – comme une statue. Je voyais ses tétons dressés. Je devinais la chair de poule sur sa peau. J’ai visé à nouveau – plus soigneusement – en tout cas j’ai essayé – j’ai raté la bouteille – une vitre de la maison a éclaté sous l’impact.
Nous avons ri tous les deux. Un fou-rire – à s’en faire mal aux côtes. On n’en pouvait plus. Ca a duré – je ne sais pas – peut-être dix minutes. Dix minutes quand même je ne sais pas. C’est très long dix minutes.
Dix minutes. C’est le temps qu’il m’a fallu pour déposer son corps au fond de la fosse et de la reboucher. Dix minutes. Ca je le sais parce que j’ai vérifié. Ca m’a pris aussi dix minutes pour me débarrasser du sang. Dix minutes de douche.

Je pleure.
Je repousse le revolver. Il tombe sur le sol en faisant un important bruit mat et bref. Il n’est plus dans mon champ de vision. Non – on n’a pas pu se bidonner pendant dix minutes. Une ou deux. Grand maximum.
konsstrukt
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Re: RIEN - roman à suivre - diffusion hebdomadaire

Message par konsstrukt »

konsstrukt en live le 17 septembre à la librairie Le bal des ardents à lyon.

à l'occasion du vernissage de la nouvelle exposition d'anne vanderlinden, je lirai les premiers chapitres de mon roman RIEN, accompagné à la basse et à la game boy par gredin et à la flute et au clavier par je serai pas maton.

pour tous renseignements concernant horaires, adresse, etc. : scribelius@gmail.com

***

Et puis on s’est repris. Elle s’est relevée. Elle a remis la cannette. Elle l’a stabilisé. J’ai visé – un peu – pas trop. J’ai tiré. La cannette a éclaté – je n’en croyais pas mes yeux. J’ai crié de joie. Elle avait de la bière partout sur la tête et les épaules et des débris de verre dans les cheveux. Elle a crié elle aussi. Elle a secoué la tête pour faire tomber le verre. Elle riait aux éclats. Je l’ai rejointe près du feu. J’étais en sueur. Je sentais la chaleur des flammes cuire la sueur qui séchait sur mon visage. Nous nous sommes embrassés. Nous avons bu d’autres bières.
Elle m’a déshabillé. Je l’ai aidée. Nous nous sommes retrouvés à poil devant le feu – entre l’alcool et les flammes nous n’avions pas froid – nous avons à baiser – à cause de l’alcool j’ai débandé. J’ai voulu la lécher mais je léchais mal – trop pété – alors on a juste fait un câlin. Je ne sais pas combien de temps ce moment a duré. Elle m’a branlé et elle a pris le revolver dans son autre main. Je rebandais – à moitié. Nous étions de profil par rapport au feu. Les flammes dansaient dans ses yeux. Les reflets changeaient sur son visage. Elle avait l’air d’une sorcière – elle avait souvent l’air d’une sorcière – c’était – plus ou moins – une sorcière – mais jamais à ce point-là.
Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ce que j’ai fait. Ca n’est pas une question d’alcool – ça. Ca n’est pas une question de drogue non plus. Je l’ai fait en conscience – en sachant ce qui allait se passer.
Je lui ai pris le revolver. Elle m’a branlé à deux mains – une sur ma bite et l’autre sur mes couilles – elle ondulait du bassin – ses yeux flamboyaient – son sourire était celui d’une folle – je l’aimais. J’ai ouvert le barillet. J’ai enlevé toutes les balles sauf une. Je les ai jetées à l’écart du feu. J’ai refermé le barillet. J’ai posé le revolver. J’ai avancé la main vers sa chatte – elle mouillait.
Nous avons continué à nous branler mutuellement pendant deux ou trois minutes. Nous ne jouissions pas – ça ne risquait pas vu ce qui circulait dans notre sang – mais c’était bon. C’était doux – et en même temps il y avait quelque chose de sournois. Tous les deux on pensait à autre chose. A qui ferait – le geste – en premier.
Ca a été elle.
Elle a enlevé la main qui me pelotait les couilles – elle a pris l’arme. Son sourire s’est élargi. Elle a continué à me branler – mais plus lentement – elle pensait à autre chose. Je continuais à la doigter. Elle a fait tourner le barillet avec son pouce. Elle a du s y’reprendre à plusieurs reprises. Elle était trop bourrée – son doigt glissait sur les échancrures du barillet sans parvenir à le faire tourner. Elle a posé le canon contre sa tempe. Elle voulait me regarder dans les yeux – son corps oscillait – tanguait lentement. Moi je me sentais blanc. Je savais que j’allais vomir. L’ambiance devenait oppressante pour moi même si je sentais les ondes agréables de sa branlette. Ses pupilles étaient dilatées. Elle a pressé la détente. Ca a fait clic. Au moment du clic sa main s’est crispée sur ma queue et j’ai senti un tremblement parcourir son corps – ça a duré une seconde – j’ai eu la chair de poule et mon sang est devenu froid. Ses pupilles se sont encore dilatées – comme celles d’un chat – et puis sont revenues à leur dilatation – déjà exagérée – alcool et drogue – antérieure. Mon malaise – c’était comme un voile noir – comme quand on se relève d’un coup – et que le sang quitte le cerveau – sauf que je n’avais pas fait un seul mouvement – est passé.
– A toi mon chéri.
Elle m’a tendu l’arme. Elle me branlait toujours. Je me sentais monter. Mes doigts dans sa chatte – je ne lui faisais plus rien – je n’y pensais pas.
– Tu veux jouir d’abord ?
– Je ne sais pas.
Elle m’a branlé plus vite. Sa coordination était mauvaise. J’ai soupiré plus fort. J’ai hoqueté. J’ai tout lâché en petits jets qui giclaient en cloche et retombaient sur sa main. Mon cœur cognait trop fort. J’avais une attaque de tachycardie. Je sentais que j’allais gerber. Je me suis dit il faut que je le fasse avant de gerber alors j’ai pris l’arme – les doigts de mon autre main toujours dans sa chatte – j’ai collé le canon contre ma tempe – j’ai senti le métal écraser l’artère – j’ai pressé la détente – sans réfléchir.
Ca a fait clic. J’ai eu une drôle d’impression. C’était la première fois. Que je faisais ça. J’ai senti. La mort. Vraiment. Je me suis imaginé la balle entrer et puis plus rien. J’ai pali – je me suis senti pâlir. J’ai éprouvé un sentiment d’horreur accompagné d’une puissante euphorie. Je me sentais bizarre. J’avais la chair de poule. Les mâchoires serrées. Tout ça n’a duré qu’une minuscule seconde. Le temps qui sépare le déclic très sonore de la prise de conscience que ça y’est – je n’ai pas perdu – je suis vivant. Ensuite – j’ai senti la gerbe arriver en même temps qu’un flot de mouille envahir mes doigts. Sa chatte s’ouvrait. Je me suis retiré d’elle. Je me suis levé.
Elle a ri.
– T’es tout blanc mon chéri.
J’ai été gerber. Ca n’a pas pris très longtemps. Enorme quantité de liquide. Aigre – ça me ravageait la bouche et la gorge. Ca m’a dégrisé. Je suis revenu – j’allais lui dire d’arrêter mais elle a appuyé dès que j’ai croisé son regard. Clic.
Elle m’a tendu l’arme. Je ne pouvais pas me dérober. J’ai dit après on arrête d’accord ?
– D’accord.
Je n’y suis pas arrivé. J’ai calculé – il ne faut pas. Trois tirs. Une chance sur six. Et puis une chance sur cinq. Et puis une chance sur quatre. Et puis maintenant une chance sur trois. J’ai eu peur. Elle s’est penchée vers moi. Elle m’a embrassé.
– T’es pas obligé – elle a dit. Donne.
J’ai donné l’arme. Elle a souri – les yeux froids. Elle a mis l’arme. Je n’ai pas fait de geste pour l’arrêter – j’aurais pu – j’avais le temps – mais son mépris m’avait blessé.
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Je pleure. Je pleure sans pouvoir m’arrêter. J’aimerais cesser de penser à cette soirée. Quand elle est morte j’avais encore de sa mouille sur mes doigts. Le bruit de la détonation m’a fait bondir de peur. C’était un bruit énorme. Elle est tombée vers la gauche – dans le feu. Mon premier réflexe – la prendre par les pieds et la tirer hors du feu. Et puis éteindre les flammes dans ses cheveux avec mon pied. Des fragments de cheveux qui volent comme des cendres. L’odeur de viande cramée. Comme un insecte sur une ampoule. Vingt fois plus fort.
La balle était ressortie par l’avant. Elle avait emporté l’œil et le nez et sous la force de l’impact des dents avaient volé. Tout le côté droit du visage était détruit. Le côté gauche – celui par lequel était entrée la balle – était intact. A part un trou sous la tempe – à côté de l’oreille – vers la joue – le sang s’en écoulait lentement – noir – s’amassait sur l’oreille et sur l’herbe au sol. Il y avait une trace – au sol – ça correspondait au moment où je l’avais trainée.
J’étais effaré. Je la regardais – hébété – je regardais le sang couler lentement – comme une boite qui se vide – et s’amasser sur l’herbe – j’entendais le feu – c’était un cauchemar – comme un présent perpétuel – comme si je n’allais jamais quitter cette scène – la nuit et ce feu pour toujours – et pour toujours Céline qui se vide de son sang.
L’œil qui lui restait. Etait fixe.

Je me redresse. Je m’assieds sur le bord du lit. Il est quelle heure ? – je regarde l’heure. Il est vingt et une heures. Il faudrait que je sorte manger. Il faut que je me change les idées. Je ne peux pas rester comme ça. Je ne peux pas rester à me morfondre comme ça. Il faut que je cesse de pleurer. Il faut que je cesse de penser continuellement à Céline. Ca fait une semaine. Une semaine qu’elle est morte. C’est mon deuxième jour sans finir ivre mort. C’est pas mal. Il faut que je continue comme ça. Je me lève du lit. Je fais quelques pas dans ma chambre. Onze mètres carrés. Un lit à une place. Un lavabo. Pas de miroir. Il y a encore les supports – quatre ronds chromés enfoncés dans le mur – mais plus le miroir. Le sol – du parquet à l’ancienne. Pas entretenu. Terne. Les murs : de la tapisserie beige avec des fleurs de lys bleues en alignement vertical – je fais les cent pas. Je regarde à la fenêtre. Je m’éloigne de la fenêtre. Je vais sortir. Je vais me tirer. Trouver un meilleur hôtel. Trouver un bon restaurant. Il faut que je me ressaisisse. Je vais au lavabo. Par réflexe je regarde là où devrait se trouver le miroir. Il y a un rectangle plus clair. Je fais couler de l’eau chaude. L’eau est difficile à régler. Elle arrive brûlante. Je m’en passe sur le visage. Je m’essuie à la serviette. Je me frotte les yeux. J’espère qu’ils ne sont pas trop rouges. Je rassemble mes affaires. Je remplis mon sac. Je quitte la chambre. Je quitte l’hôtel.

J’ai enterré Céline dans le jardin. Devant la maison. Ca m’a pris trois ou quatre heures de creuser la tombe. Jusqu’au matin – j’ai terminé à l’aube. Je l’ai transportée nue – elle a fini nue dans la fosse. J’ai rebouché la fosse. Ca m’a pris dix minutes. Je le sais – j’ai vérifié. Ses habits : je les ai mis au feu. Je me suis douché. Dix minutes. J’ai foutu le camp de la maison. Avec la voiture de Céline. Ensuite j’ai pris le train pour Paris. Je n’ai pas dessaoulé pendant cinq ou six jours. Il fallait ça. Il fallait bien ça. Je me suis branlé – je ne sais pas – peut-être une cinquantaine de fois – si c’est possible. Jusqu’à avoir mal à la bite – mal à la main. Jusqu’à plus pouvoir ni éjaculer ni bander ni débander – ma bite coincée dans un no man’s land. Un entre-deux bizarre et douloureux.

Maintenant je ne sais pas. Ca va mieux peut-être.
Je suis dans la rue. Mon revolver est dans la poche de mon manteau. Je n’ai plus peur. Je ne ressens plus l’angoisse. Plus depuis ce soir-là. J’ai du nettoyer le sang et chercher les douilles et les balles et m’enfuir. J’ai du chercher la balle qui avait traversé sa tête. Je l’ai retrouvée. Chercher les balles – ça m’a pris toute la journée. Je devais m’interrompre pour pleurer – en pleurant je ne voyais plus rien. Je suis parti le soir.

Je ne sais pas pourquoi je suis revenu à Paris. Je ne savais pas où aller. Arrivé à Paris je me suis rapidement retrouvé à Saint-Denis. A contempler les putes. Sans oser en suivre une. Jusqu’à aujourd’hui. Est-ce que ça veut dire quelque chose ? Je ne sais pas trop.
Quand je l’ai enterrée – Céline – ça me fait bizarre – à chaque fois – de penser à elle en l’appelant Céline – mais je ne peux pas faire autrement – je n’arrive pas à l’appeler : elle – c’est trop – je ne sais pas – trop impersonnel – trop moche – je trouve ça trop moche. Quand j’étais avec elle – avec Céline – je ne l’appelais jamais par mon prénom – d’abord il n’y avait que nous deux – il n’y avait personne d’autre – aucun étranger – quand je parlais – je ne parlais qu’à elle – quand je l’apostrophais – je l’appelais mon amour – ou ma sorcière – elle m’appelait mon chat – elle était fascinée par les chats.
Je ne ressens plus d’angoisse. Je suis rempli de tristesse – je me sens comme une outre pleine de larmes – un tonneau – quelque chose de rempli à ras-bord et que le moindre mouvement fait dégueuler – le moindre mouvement émotionnel et les larmes coulent automatiquement – je me sens rempli – ça me fait mal – je ressens physiquement la tristesse – comme une fièvre – ou une maladie – j’ai les poils qui se hérissent en permanence – la peau irritée – les reins douloureux – je suis rempli de tristesse – je suis enflé – mais il n’y a plus de peur – plus d’angoisse – même quand je me sens oppressé – ça n’est pas de la peur mais une sensation physique – d’étouffement – de resserrement des choses et d’éloignement des gens – comme si l’air devenait plus dense – trop chaud – la lumière trop vive – les murs plus épais – les gens plus petits et plus loin – mais pas de peur là-dedans.
Je n’ai plus peur. Plus depuis que j’ai creusé une tombe pour Céline. Plus depuis que je l’ai mise là-dedans – mes mains et mes vêtements plein de sang – et que j’ai rebouché.
Je n’ai pas fait de cérémonie. Céline aimait les cérémonies. C’était une mystique. Elle a essayé de m’initier à des trucs. Mais c’était ses trucs. Si c’était moi – qui avait perdu – elle aurait fait – sans doute – une cérémonie. Mais ça n’était pas moi. Dans le trou. C’était elle. Avec la moitié de son visage détruit.

***

konsstrukt en live le 17 septembre à la librairie Le bal des ardents à lyon.

à l'occasion du vernissage de la nouvelle exposition d'anne vanderlinden, je lirai les premiers chapitres de mon roman RIEN, accompagné à la basse et à la game boy par gredin et à la flute et au clavier par je serai pas maton.

pour tous renseignements concernant horaires, adresse, etc. : scribelius@gmail.com
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Je regarde les arbres – le ciel – je respire l’air pur qui a quelque chose d’irréel. De toute façon c’est toute ma vie – depuis quelque temps – qui a quelque chose d’irréel. Antoine ne mourra pas. Je ne tuerai personne d’autre. Je ne visiterai pas la maison des morts. Je ne vengerai pas ma mère. Je ne verrai pas son corps. Toutes ces choses. Je ne suis pas compétent pour les accomplir. Je ne sais pas comment on fait. Je voulais. J’ai essayé. Mais je ne peux pas. Il n’y aura pas de vengeance. Il n’y aura pas d’assassinat. Il n’y aura rien.

***

Antoine. Gendarme. Raciste. Chanteur dans un groupe de black métal. Impliqué dans les activités du label Death factory – lui-même relié à Underground pornography. Sûrement membre d’un groupuscule d’extrême-droite et maqué avec les néonazis locaux. C’est suffisant ? Je suis assis à la terrasse d’un café sur une place qui s’appelle la place Jean-Jaurès. Je ne sais pas – moi. Je suis protégé du soleil par un parasol. En face de moi dans une rue piétonne qui longe la place il y a un marchand de crêpes et de glaces voisin d’un distributeur automatique de billets. Au pied du distributeur il y a un homme affalé qui fait la manche. Lui et son chien dorment. Le chien de temps en temps se réveille et baille. Les gens s’agglutinent au comptoir extérieur du marchand de glaces et de crêpes. Ils attendent sous un auvent. Ils me font penser à des poissons. Certains regardent le type qui fait la manche en attendant leur glace ou leur crêpe mais personne ne lui donne rien. Les gens qui l’enjambent pour retirer des billets au distributeur ne lui donnent rien non plus. Il y a des bars sur toute la place. Toutes les terrasses sont remplies de clients. Des passants circulent en se faufilant entre les tables. J’entends brailler un bébé quelque part. Je ne tourne pas la tête pour chercher le bébé du regard. Je bois un demi.
Ca m’obsède. Coller une balle dans la tête de cet homme. Le tuer avec cette arme. Voir son cadavre. Le poids du revolver dans ma poche. Je n’ai pas de sac. Je n’ai plus de vêtement de rechange. Faudrait que j’en rachète. Je n’ai plus rien. Que cette arme. Et du fric. L’arme de ma mère. Son fric. Antoine je le flingue. A Strasbourg je flingue Philippe. Le chef. Plus ou moins – je crois.
Et après ? Je fais quoi après ?
Je l’ignore. La maison des morts. Une dernière visite à ma mère. Et puis plus rien. Je retourne dans le monde ? Pas possible. Pas après avoir tué trois personnes. Je ne veux pas aller en prison.
Je me rends compte d’à quel point je suis – de façon absolue – responsable de mes actes. La plupart des gens – quand ils font une connerie – quand ils perdent leur fric ou leur nana – même s’ils commettent un crime – ils ont une famille – ou des amis – à qui demander de l’aide – au moins des gens – avec qui discuter de tout ça. Moi non. Tout ce que je fais n’implique que moi – moi seul – sans aucune possibilité de m’en remettre à qui que se soit – personne pour me conseiller – m’aider – m’offrir d’affronter les conséquences avec moi. Je suis seul et peu de gens sont seuls à ce point. Même les SDF ne sont pas aussi seuls que moi. Ils sont entre eux. Moi mes semblables – il n’y en a aucun. La seule solitude comparable c’est celle des mystiques – ceux qui croient en Dieu et attendent un jugement dernier – la solitude du croyant face à Dieu mais moi je ne suis face à rien – je crois pas à ça – aucune trace de Dieu dans ce qui arrive – pas plus que dans ce qui arrivera. Pourtant c’est pour venger une morte et un enfant qui n’a pas eu le temps de naître – que je fais ça. Je me demande comment je vais m’en sortir après Antoine. Est-ce que j’aurais le temps de m’occuper de Philippe – et de ma mère – avant que les flics me chopent ?
Je termine mon demi. La dernière gorgée est tiède et sans mousse. J’en commande un autre. Il est quatorze heures trente. J’ai le ventre plein. Faut que je fasse gaffe à ne pas me bourrer la gueule. Je picole un moment. Mes pensées deviennent confuses mais j’ai l’habitude maintenant. Céline. Ma mère. Après sept demis je quitte le bar. Je me promène dans le quartier. Du soleil. Des magasins. La foule des piétons. Des scooters qui slaloment parmi les gens. J’ai chaud. La bière tape – de la sueur s’amasse sur mon front et coule sur mon visage quand il y en a trop qui s’est accumulée.
Ce monde n’est pas pour moi. Des trucs à bouffer en vente tous les cinq mètres. Les bornes pour retirer du fric. Les librairies. Les magasins de fringues. Les affiches de concerts. Les affiches de film. Les affiches de crédit bancaire qui imitent l’une ou l’autre. Tous ces gens qui marchent autour de moi – je les regarde – en couple ou en bande ou les deux. Ils ont tous un sac au bout du bras – avec le logo d’un magasin de vêtements ou de chaussures ou de la Fnac ou de Virgin. Ils sont tous là pour acheter et pour passer leur temps – activités qui ont à voir avec la joie de vivre et de consommer – je me sens ivre et hargneux. Ce monde n’est plus pour moi. Je sens le poids du flingue dans la poche de mon manteau. Côté gauche. Le côté gauche est plus lourd d’un bon kilo. Ca tire l’ensemble du vêtement. L’épaule est plus basse. Les cols ne sont pas symétriques. Ca n’est pas un manteau adapté à l’été. J’ai trop chaud. Cette arme c’est mon unique possession – à part mes vêtements. Je n’ai rien d’autre. Plus de maison. Plus de livre. Plus de clé d’aucune sorte. Plus de portefeuille. Plus d’amis – de famille – de copine – de copains de cours.
Je suis mort et je me promène chez les vivants. Je les comprends sur les forums de suicidaires. Je comprends le complot imbécile fomenté par Céline et ma mère – par Philippe surtout. Transformer ces pauvres types en terroristes. Les attentats-suicide je comprends. Je joue avec cette idée. Dans mon flingue il y a six balles. En abattre cinq et me supprimer. C’est séduisant. Je plonge la main dans mon manteau. Je touche l’arme. Elle est chaude. Comme tout le reste.
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Je frissonne. Je m’éloigne de la place du Chatelet. Je ne fais pas attention au nom de la rue. La nuit tombe. Je regarde les tarifs de plusieurs hôtels. J’en choisis un qui est un peu bourge – d’allure dix-neuvième siècle. Tapis rouge dans le hall. Lumière tamisée. Le réceptionniste est en costume bleu sombre. Je prends une chambre simple – lit à deux places – télé – douche – WC. Ca coûte quatre-vingt dix euros. Je ne reste qu’une seule nuit. Demain Montpellier. J’en mets une dans la tête d’Antoine. Je prends l’ascenseur jusqu’au deuxième étage – j’ouvre la porte et je jette mon sac à l’intérieur sans allumer ni regarder – j’en ai déjà marre des hôtels – je ferme la porte – je descends par les escaliers – tapis marron râpé – je sors de l’hôtel.
J’ai envie d’aller au restaurant. Ca fait longtemps. Trois mois avec Céline en autarcie. Avant – deux semaines tout seul. Avec Céline on ne voyait personne. On ne quittait la maison de ma mère que deux fois par mois pour aller faire les courses. On prenait sa voiture tôt le matin – on se réveillait et on baisait et on partait. On se réveillait toujours à l’aube. On baisait tout le temps. Il fallait partir tôt pour se ravitailler parce qu’on commençait à boire et à se défoncer aussitôt après le réveil et très vite on n’était plus en état de conduire ou de faire les courses. A Carrefour on arrivait avant l’ouverture. Tous les vieux étaient massés devant les grilles. On se foutait d’eux. On achetait des conserves. Des plats surgelés. Des pâtes. Du riz. Des fruits. Beaucoup d’alcool. Après c’était la drogue. Céline avait ses plans. Elle me laissait à la Fnac – au milieu de la rue Sainte-Catherine – je repensais au meurtre commis par ma mère quelques centaines de mètres plus bas – ce meurtre que Céline m’avait raconté et expliqué – plus de nouvelle de ma mère dans le journal mais maintenant je savais pourquoi. Pendant que Céline nous approvisionnait pour quinze jours j’allais à la Fnac et j’achetais des DVD pour nous distraire dans les descentes. On n’avait pas de téléphone – en fait j’ai découvert plus tard en fouillant ses affaires qu’elle en avait un – j’ai exploré son répertoire et j’ai noté des tas de numéros – il faudra que je les exploite un de ces jours – est-ce que Antoine est là-dedans ? – en tout cas il y a celui de ma mère mais il ne sert plus à rien – je ne sais pas pourquoi elle m’avait caché son téléphone – pas demandé – de toute façon on ne risquait pas de se téléphoner – on ne se séparait jamais de plus de quelques mètres sauf quand elle allait chez son dealer. On se retrouvait devant la Fnac deux heures plus tard – j’aimais bien l’attendre et regarder les gens – comme un retour à la normalité – je pensais encore à la vengeance mais je m’en éloignais – j’y pensais quand les mélanges – drogues et alcools – me rendaient insomniaques et que mon corps n’aurait pas supporté une substance de plus et que le film tournait en boucle – et des fois ça n’était pas un film mais juste le menu principal – je pensais à prendre mon revolver pour descendre Antoine et les autres – venger ma mère – mais je jouais – je n’y croyais plus – je me dirigeais vers autre chose – j’aimais cette vie simple et inconsciente avec Céline – hors du temps et du monde – maintenant je me rends compte que ce désir de vengeance ne m’avait pas quitté – je l’avais tenu à distance en baisant et en me défonçant – je m’anesthésiais – on vivait dans un présent perpétuel – chaque jour et chaque heure se ressemblaient. La vengeance n’est possible que si le passé existe et qu’il y a un futur.
J’entre dans un restaurant chinois. Tout est dans des tons rouge et or. Il y a de la musique classique chinoise à bas volume et une fontaine qui glougloute. Le serveur est en habits folkloriques et il me sourit. Son sourire me fait penser à P’tit Louis. Ce nom tout droit sorti d’une bande dessinée ou d’un film. N’importe quoi. C’est quand Céline allait au lycée. Elle avait mon âge. Dix-sept ans. Elle baisait avec tous les mecs. Elle me racontait ça et moi ça m’excitait. Ca aurait été bien si Céline avait eu mon âge. Si elle avait été au lycée. Mais elle avait l’âge de ma mère et le lycée elle y avait été quinze ans auparavant. Dans un petit village. Elle était connue pour être la salope et la dingue du coin. Louis avait un an de moins qu’elle. Il était fils de cultivateur. C’était leur souffre-douleur. La petite bande dont Céline avait la tête. Ils faisaient des conneries – retourner des tombes au cimetière local et tagguer des phrases de Lautréamont. Prendre du LSD dans la forêt et tripper sur les anciens dieux en lisant Georges Bataille. Fantasmer sur des sacrifices humains. Ils s’intéressaient à la Gestapo. A l’inquisition. A la torture en général. Au sadisme. Ils lisaient des bouquins sur la CIA et sur le terrorisme. Céline s’intéressait à la psychologie et à l’hypnose. Docteur Mabuse de Fritz Lang. Les runes. Les tarots. Satan parce que Satan n’est que le nom moderne du Grand Dieu Pan. Cthulhu. Ils sont venus à tout ça par le jeu de rôle et puis par la musique et enfin par les livres – les nouvelles de Lovecraft d’abord et puis les nouvelles de ceux qui avaient lu Lovecraft et pour finir les textes ésotériques et philosophiques de ceux qui avaient pris Lovecraft au sérieux. Et tout le reste. Ils s’intéressaient aux philosophes qui avaient intéressé les nazis. Heidegger. Ils s’habillaient comme des dandies décadents. Ils se vouvoyaient entre eux. Ils partouzaient dans une chapelle abandonnée en bordure du village. Leur QG – bibliothèque temple et baisodrome. Je reviens au réel quand le serveur veut prendre ma commande. Je sors du restaurant à vingt-trois heures. Sur la place du Chatelet les gens sont attroupés devant le Théâtre. Je franchis la Seine par le Pont Notre-Dame sans regarder l’eau. Je déambule dans les rues qui entourent la cathédrale.
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A l’époque Céline était plus mince que quand je l’ai rencontrée. Elle avait un regard perdu – un regard de folle – en tout cas sur les photos qu’elle m’a montrées – et un sourire provoquant et méprisant. Elle était à la fois tête à claque et hautaine. Un jour ils ont invité P’tit Louis à venir boire des coups avec eux. Il ne voulait pas venir mais en utilisant un mélange de douceur – Céline l’allumait et lui laissait entendre des faveurs sexuelles – et d’intimidation – les autres menaçaient de lui péter la gueule s’il ne les suivait pas – il les a accompagnés jusqu’à l’église où tout le monde a bu. Il y avait une ambiance agressive et électrique. Il avait peur mais essayait de ne pas le montrer. Il prenait des coups. On l’insultait. On se moquait de lui. A un moment ils l’ont saisi pour le déshabiller. Lui il ne tenait pas aussi bien l’alcool qu’eux. Il était déjà bourré. Il s’est retrouvé allongé et attaché sur l’autel. Là ils l’ont forcé à boire à la régalade. Il ne vomissait pas. Le plus costaud de la bande – le plus barré – arts martiaux – Mishima – ratonnades – lui avait promis une raclée s’il vomissait. Les autres étaient torchés. Céline roulait des pelles à tout le monde – même à P’tit Louis. Elle lui disait que ça n’était qu’un jeu. Elle lui faisait croire qu’il s’amusait lui aussi. Elle lui touchait la bite. Elle essayait de le faire bander et quand il bandait les autres l’humiliaient. L’un d’eux s’est masturbé près de son visage. Ca a duré des heures. Ils ont écrit des trucs sur lui au marqueur indélébile. Ils ont fait couler de la cire de bougie sur son visage. Il y en a un qui avait un pistolet à grenailles et l’a menacé de lui tirer dans la bouche ou dans les yeux. A force de boire P’tit Louis s’est pissé dessus. Les autres l’ont détaché et passé à tabac. Ils ont essayé sur lui des techniques de lavage de cerveau qu’ils avaient lu dans des manuels de la CIA prêtés par des types d’extrême-droite. Ca a duré toute la nuit – toute une nuit de torture physique et mentale pour P’tit Louis. A la fin il était lessivé. Céline l’a détaché et emmené dehors juste avant le matin pour qu’il pisse. Il est allé pisser contre un arbre et elle s’est allongée à quelques mètres pour sentir la rosée dans son dos et voir les premières lueurs du jour dans le ciel. Il est revenu après avoir pissé. Il n’a pas essayé de fuir elle n’a pas compris pourquoi. Céline restait évasive quand elle me racontait. Elle n’entrait pas les détails. Elle parlait de syndrome de Stockholm. Elle ne semblait pas regretter. Elle racontait ça comme un événement pittoresque de son adolescence – qui n’en manquait pas. J’avais le même âge qu’elle quand elle a torturé P’tit Louis. J’avais un an de plus que P’tit Louis quand il a été torturé. Il est resté quinze heures avec eux. Il portait des zébrures de fouet sur le dos. Des brûlures de bougie et de cigarette sur tout le corps et notamment le visage. Il était lacéré aux bras et aux cuisses. Il avait des inscriptions obscènes – sataniques – antisémites – racistes – un peu partout. Il avait frôlé le coma éthylique. Quand ils l’ont déposé en ville il s’est traîné jusque chez ses parents – qui étaient morts d’inquiétude – ils l’ont emmené à l’hôpital. Il a subi un lavage d’estomac. Il est resté plusieurs jours en observation. Toute la bande a été arrêtée. Un seul était majeur – le fan de Mishima. Le père de Céline a payé l’avocat. Il avait les moyens. Le majeur a été en prison pendant un an. Les autres ont eu du sursis. La famille de P’tit Louis était atterrée. De temps en temps Céline allait s’asseoir à côté de lui dans un bar ou alors elle allait faire la queue derrière lui si elle le voyait dans un magasin ou bien elle lui parlait au lycée. Elle était gentille. Elle lui souriait. Elle voulait qu’il croie qu’elle le drague. Plusieurs fois elle lui a fait des avances. Il pleurait quand il la voyait. Il tremblait. A la fin de l’année scolaire la famille de P’tit Louis a déménagé et Céline a perdu sa trace. Avec l’autre type en prison la bande s’est disloquée. De toute façon ils n’avaient plus le droit d’aller dans l’église abandonnée ni de trainer ensemble et tout le monde les tenait à l’œil. Céline me racontait dans quel climat de détestation générale elle avait passé l’année suivante et comme il lui tardait d’être à la fac. Ca la faisait rire. Elle ne baissait jamais les yeux quand les profs ou les commerçants la toisaient. J’ai écouté cette histoire vingt ou trente fois. A chaque fois qu’elle était très saoule. Les détails variaient. Je ne sais pas si P’tit Louis était amoureux d’elle. Je ne sais pas si elle l’a branlé ou pas. Ca dépendait des versions. J’étais fasciné. C’était surtout le ton. Pas de gêne ni de culpabilité. Aucune honte. Elle haïssait les humains qui pour elle étaient presque exclusivement des proies. Elle respectait les prédateurs et s’efforçait d’en être un. Elle méprisait P’tit Louis – comme elle méprisait toute victime désignée ou autoproclamée. Je ne sais pas ce qu’elle me trouvait. On aurait dit qu’elle me classait à part. Je crois. Elle me parlait aussi beaucoup de suicide. Un jour un amant lui avait offert un fusil à pompe. Il était chez ses parents avec le reste de ses affaires. Un jour elle irait dans une ville – n’importe laquelle – ou dans un centre commercial – ou à la sortie d’un collège ou d’un lycée – et boum. Elle ferait feu sur tout le monde – sur tout ce qui bouge. Et la dernière serait pour elle. Le soir de la roulette russe – le soir de sa mort – je crois qu’elle m’a enfin vu sous mon vrai jour. Elle m’a enfin classé. J’étais une victime. Pour elle. J’étais faible. Elle avait toléré ma faiblesse – tomber amoureux d’elle et devenir son objet sexuel et accepter ses vices – comme on le tolère d’un enfant. Je n’éveillais pas ses envies prédatrices. Elle me parlait parfois de tout le mal qu’elle pourrait me faire. Elle me parlait de toutes les tortures qu’elle imaginait pour moi – mais elle ne faisait jamais rien. Ce n’était pas de l’amour. Non – pas de la pitié non plus mais une forme de condescendance – celle qu’on accorde à ceux qui ne sont responsable de rien. Ce soir-là je me demande ce qui a motivé son choix. Je me demande pourquoi elle ne m’a pas tiré dessus. Elle a torturé d’autres mecs après P’tit Louis. Elle était douée pour rencontrer des tordus – des types attirés par la violence – des proies désignées ou bien des prédateurs brutaux – mais elle n’a jamais été aussi loin qu’avec P’tit Louis. Lui elle l’avait détruit. Elle l’avait bousillé. Maintenant il doit avoir trente-cinq ans. J’imagine. S’il ne s’est pas suicidé. Je ne sais pas s’il s’en est remis. Je ne sais pas si on peut se remettre. De ça. Est-ce qu’il en rêve encore ? Sûrement. Toute une nuit de torture. Séquestré et torturé par des gens qui ont continué à aller au lycée avec lui. Je ne sais pas pourquoi j’aime me repasser cette histoire.
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Re: RIEN - roman à suivre - diffusion hebdomadaire

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LES INFOS DE SEPTEMBRE, POUR COMMENCER :

ce mois-ci, quelques nouveautés à vous mettre sous la dent :

- ici : http://konsstruktphotos.blogspot.com, vous pourrez voir quelques photo de la lecture donnée à lyon pour le vernissage d'anne vanderlinden en compagnie de gredin à la basse et à la game boy. à noter aussi qu'il reste quelques fanzines tirés à cette occasion. ils contiennent l'intégralité de la nuit noire et le texte de la lecture (c'est à dire le début de rien). pour les commander (68 pages, 5 euros) il suffit de m'envoyer un mail ou d'envoyer un chèque à cette adresse :
christophe siébert - 9 allée des colibris - 33700 mérignac

- pour ceux qui l'avaient raté à l'époque et pour ceux qui l'avaient aimé et voudraient le relire, le recueil de poèmes MON CUL est de nouveau disponible en téléchargement gratuit ici : http://www.leoscheer.com/man/spip.php?p ... rticle=493

- enfin, last but non least, mon deuxième roman dans la collection les érotiques d'esparbec est paru il y a quelques jours. il s'appelle le mange-femme et en voici la quatrième de couverture :

colosse au passé trouble, l'ogre veut finir sa vie dans la baise la plus débridée. Il les a toutes eues ; enfin, presque toutes. à l'heure du bilan, quand son médecin lui annonce qu'il a contracté une maladie fatale, il se rend compte que des femmes manquent à son palmarès. il va alors se lancer dans sa dernière quête, explorer tous ses fantasmes, franchir tous ses tabous.

et voilà ce qu'en dit l'éditeur :
après j'ai peur et le valet, le mange-femme est le troisième roman de christophe siébert. on y retrouve le même goût des excès et la même folie. sa lecture est fortement déconseillée aux tenants du "sexe libéré". son domaine, c'est l'enfer, pas le paradis...

voilà, c'est chez media 1000, il y a un cul magnifique en couverture, ça se trouve dans les gares ou sur le site de l'éditeur (http://www.lamusardine.com).

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RIEN - épisode 10


La chambre est bien. Elle est belle. Confortable. Jolie vue. Tout. Tapisserie à fleurs – mais pas moche. Deux photos en noir et blanc – le style Paris au bon vieux temps – encadrées et sous verre. Des petites lampes de chevet avec des abat-jour plissés. Rouge sombre. J’ai envie de boire. Je lutte contre cette envie. Je m’allonge sur le lit. Il est confortable. Large. Avec tous les interrupteurs à portée. J’éteins le plafonnier. J’allume les lampes. Lumière chaude et enveloppante. Belles ombres. Je me sens bien ici. Et puis ça revient : ma mère est morte – Céline est morte. Je me tourne sur le côté. Vers la fenêtre qui me renvoie mon reflet. Quand Céline passait trop longtemps sans boire elle devenait agressive et angoissée. Elle avait des maux de ventre et des migraines. C’était comme ça depuis qu’elle avait mon âge – elle m’a raconté – je n’ai jamais vu – on avait tout ce qu’il fallait à boire – on n’avait aucune envie d’arrêter. L’alcool ne lui causait aucun dégât apparent. Elle avait la peau douce et fine. Elle avait le même genre de voix que les pouffes de ma classe – pas du tout l’allure d’une nana de presque quarante ans. Je me relève. Je fais les cent pas dans la chambre. Des petites lattes soigneusement assemblées. Ca ne grince presque pas. Je ne l’ai jamais vue vomir. Des fois elle se taillait les bras ou le ventre avec un couteau ou alors elle donnait des coups de poings dans les murs jusqu’à se faire saigner les jointures. Le lendemain elle ne pouvait plus bouger les mains. D’autres fois elle voulait se battre avec moi. J’ai envie de sortir. Je ne peux pas rester là à gamberger sans cesse. Il est quelle heure ? Putain je ne sais pas. Il doit être au moins minuit. Je vais voir à la fenêtre. Personne devant le théâtre. Il a l’air fermé. Plus loin il y a un bar. Il a l’air ouvert. Personne en terrasse. Trois tables occupées à l’intérieur. Un type tout seul au comptoir. Il a gardé son imper. Pas beaucoup d’animation. Plus de minuit sans doute. Sa libido devenait incontrôlable et insatiable – quand elle était bourrée. Elle adorait m’exciter – m’allumer. Se refuser à moi et ensuite me prendre de force. Elle était plus forte que moi. Même quand j’étais cuit au point de ne pas pouvoir bander elle y arrivait. Elle aimait des trucs qui m’auraient paru dégueulasses venant d’une autre. Elle aimait que je lui lèche la chatte ou l’anus alors que je venais d’y éjaculer. On buvait tout le temps – du matin au soir. Bière au réveil – elle se réveillait à l’aube – on baisait un peu en fumant des pétards. On se rendormait jusqu’à midi – là on passait au pastis ou au vin et on mangeait ce qu’on trouvait. L’après-midi on marchait dans la campagne ou alors on restait à boire du vin taper des rails d’héro et baiser encore en matant des DVD – on s’endormait à moitié – on parlait – on sortait de la torpeur après le coucher du soleil. On attaquait la vodka et on roulait d’autres pétards – jusqu’à la fin. On ne buvait que des bons alcools – on ne se privait pas – on avait les moyens – avec la liasse que j’avais découverte dans la boite à bijoux. On parlait jusqu’à l’aube – elle me faisait tout son cirque d’allumeuse/violeuse – elle adorait que je la lèche quand elle était à ce stade de défonce – comme ça tous les jours pendant trois mois. Des fois on quittait la maison pour aller se perdre dans la forêt. On allait dans les arbres. On accomplissait des rituels. On faisait des feux. On criait des trucs. C’était bizarre sa religion. J’enfile mon manteau. Je n’oublie pas mon revolver. Tentation de le charger. Non. Ne fais pas cette connerie. Déconne pas. Je sors de la chambre. Je descends l’escalier. Un jeune type en uniforme noir et blanc est à l’accueil. Il me dit bonsoir monsieur. Je lui tends la clé. Je dis à tout à l’heure. Il me dit bonne fin de soirée monsieur. Je sors de l’hôtel. Froid glacial. Je n’ai pas envie de dormir. Non. Je vais passer la nuit éveillé je crois. Et demain : le train. Retrouver ce fils de pute. Retrouver de bâtard. Antoine. Le gendarme. Antoine le gendarme. Je dépasse le bar. Je traverse la place du Chatelet. Le quartier est endormi. Je marche lentement. Je regarde tout – les voitures – les façades – le ciel – la route – je regarde tout – mais rien ne frappe ma conscience. Rien de ce que je vois ne me distrait. Je pense à Céline. A ma mère. Inlassablement. Je tourne en rond. Je ressasse. Je rejoue les conversations. Je me demande ce qu’aurait répondu Céline si j’avais posé autrement la question. Je pose de nouvelles questions. J’écoute les nouvelles réponses de Céline. Je parle à ma mère. J’écoute ses explications. J’écoute surtout les miennes. Je règle mes comptes. Dans ma tête. Avec deux personnes mortes. Ma mère. Morte. Et Céline. Morte. Je leur parle. Je leur parle sans pourvoir m’arrêter et c’est toujours les mêmes phrases. Je n’en peux plus. Je suis épuisé. Je marche. Rien ne me déconcentre.
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