LA MAISON DES MORTS - roman à suivre - diffusion hebdomadaire

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Modérateur : drÖne

konsstrukt
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Re: RIEN - roman à suivre - diffusion hebdomadaire

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Céline m’a raconté pour ma mère. Ce qu’elle cherchait à faire. Céline était dans la maison depuis deux ou trois jours. Nous baisions et buvions déjà comme des fous. Et la défonce. Elle avait des petites réserves – insuffisantes mais pour débuter c’était bon. Tout de suite ça a été sur les chapeaux de roue. Tout – le sexe – la drogue – l’alcool – les discussions et les choses choquantes. Tout très vite très fort. Et moi lancé là-dedans à fond. Sans me demander ce qui allait se passer. Sans me demander ce qui allait en sortir. Je m’en foutais. J’y allais. Fasciné par le regard de Céline et par sa chatte. Son autodestruction que je m’appropriais. Le premier être humain qui me ramenait à l’existence depuis ma disparition. Le premier qui me parlait. Qui me disait des choses. Et que j’écoutais.
Ma mère. Ses croyances. Un peu les mêmes que celles de Céline. Moins profondes – mais plus dangereuses – d’un autre côté.
La maison – cette maison qu’on habitait désormais et où on copulait comme des animaux – c’était un temple. C’était le sien – à ma mère. Dédié à la magie sexuelle. Elle adorait des esprits. Des formes démoniaques qui naissaient de l’énergie sexuelle – s’en repaissaient – offraient leur pouvoir à travers l’usage rituel du sexe.
C’est ça que faisait ma mère. C’est à ça qu’elle croyait.
Je suis dans la rue Saint-Denis. Encore. Il n’y a plus de pute et les peep-shows sont fermés. Il n’y a presque personne. Des mecs louches. Qui me regardent. Qui me jaugent. Je ne dois pas avoir l’air d’une victime. Tout le monde me laisse passer. De toute façon j’ai mon flingue. Qu’ils viennent. Ca me fera un entraînement. En attendant demain. Antoine. Le gendarme.
J’arrive au bout de la rue Saint-Denis. A la porte Saint-Denis. Il n’a pas de pigeon. La journée ils sont amassés là et ils ne bougent pas – les gens se fraient un chemin et ils s’écartent à peine – sans même s’envoler juste en bougeant leurs ailes et en roucoulant. Je regarde le sol est couvert de merde de pigeon. Une couche uniforme – blanche avec des reflets ardoise. Sous l’arche il y a sept personnes. Trois mecs se tiennent debout et qui font la gueule. Quatre policiers leur font face en arc de cercle. L’un d’eux regarde les papiers. Les autres les matent d’un air agressif. Je m’engage sur le boulevard Bonne-Nouvelle. Un car de flics roule vite en direction de la porte de Saint-Denis. Très peu de circulation. Un horodateur : une heure quarante-cinq.
C’est pour ça qu’elle a voulu coucher avec moi. Pour avoir un enfant. Un enfant de moi. Les dates correspondaient. Dans le calendrier qu’elle avait calculé. Des correspondances lunaires. Des correspondances avec d’autres planètes. C’était l’année où j’étais capable de lui donner un enfant. Elle surveillait mes draps. Elle examinait mes slips. Elle cherchait le sperme. Elle cherchait les traces des premières branlettes. C’était l’année des premières branlettes. Elle a calculé. Le bon mois. Le bon jour. L’heure la plus propice. C’est mon père qui a tout fait foirer. Lui aussi au départ il était dans ce trip. Lui aussi il était à fond dans les dieux anciens et les démons du cul. Mais pas à ce point. Lui il trouvait ça intéressant mais il n’y croyait pas vraiment. Ma mère elle elle y croyait. Pour de vrai. Quand mon père s’est suicidé elle s’est sentie le champ libre. Libre cours à ses croyances. Dans ton temple. C’était ça ses fugues. Mais plus question de m’impliquer. C’était trop tard. Le bon moment était passé et on n’y revient pas. C’est une fois ou jamais. Alors elle est partie sur une autre piste. Les mecs qui voulaient se suicider. Les jeunes. Qui avaient mon âge. Et certains étaient puceaux. Elle les branchait sur le forum. Elle les rencontrait dans la maison. Dans la cave. Elle baisait avec eux et les aidait à mourir. C’était ça ses fugues. C’était ça qu’elle faisait.
Je marche dans la rue. Je n’en peux plus. Tout tourne dans ma tête. Céline me racontait ça – comme s’il s’agissait d’une chose normale. Banale. Elle les aidait à mourir.
– Mais comment ?
– Avec cette arme.
Elle me montre le flingue – évidemment.
Et les corps – elle les enterrait dans le jardin. Dans la forêt. Des fois il y avait encore d’autres cérémonies. Elle ne s’est jamais fait choper – ça me paraissait aberrant – ça. Comment ça se faisait ? Comment elle avait pu ? J’avais du mal à y croire. Elle était organisée. Elle choisissait bien ses partenaires – partenaire – c’est le mot qu’utilisait Céline.
– Et puis il y avait Antoine. Antoine il l’aidait.
Ca n’était pas son domaine les disparitions de mineurs – mais il s’intéressait aux enquêtes – avec l’aide d’Antoine Céline n’a jamais été inquiétée.
Elle l’avait rencontré comment Antoine ? Et Céline ?
Tous elle les avait rencontrés à travers le forum de suicidaires. Toute la bande.
– Mais c’était quoi ces gens ? Des terroristes ou quoi ?
Pas exactement. Ils voulaient provoquer la terreur – oui – mais sans raison – par plaisir. Ils vivaient pour la violence. Ils étaient brillants. Cultivés. Racistes. Ils aimaient se battre. Ma mère filmait leurs actions. C’est de là que provenait son fric. Tout ce fric que j’ai trouvé dans la boite à musique. C’était ça. Les combats clandestins. Les tortures. Les viols. Toutes les saloperies. Les ratonnades. Les clips pour leurs groupes. Tout ça que filmait ma mère. Ils détestent l’humanité. Ils se prennent pour des surhommes. Ma mère les aimait bien. Ils ne partageaient pas ses croyances – ils ne croient en rien.
– La violence. Ca oui. Ils croient à la loi du plus fort. Et ce sont les plus forts.
Ma mère était tombée enceinte d’un des adolescents. Enfin. Après toutes ces tentatives. Elle était enceinte et je ne l’ai pas vu. Nous vivions ensemble. Et je ne l’ai pas vu. Elle l’a caché. Elle a réussi à le cacher pendant neuf mois. Au bout de neuf mois elle a disparu. Et voilà. Elle était enceinte et elle a disparu pour accoucher et je ne l’ai plus jamais revue. Elle a disparu pour toujours et elle est morte.
– C’était ça le sang dans la cave ?
– Oui. Et le sac-poubelle aussi.
– Mais le chien ? Le chien c’était quoi ?
– Un sacrifice.
Un sacrifice. Le chien. Ils l’ont tué. Ma mère a voulu qu’on le tue. Pour honorer les démons. Les dieux. Le sexe. C’est Céline qui a tué le chien. Elle me l’a dit.
– On était quatre. Il y avait ta mère évidemment – et moi – et Antoine qui aidait ta mère a accouché – et un autre type qui filmait.
La mise au monde s’est bien passée. C’est après que ça c’est compliqué. A cause d’Antoine.
– C’est Antoine qui a tué le bébé.
Il avait toujours voulu faire ça – il en avait déjà parlé – et là il avait l’occasion alors il l’a fait.
– Il faut bien comprendre : il n’y avait pas tant de morts que ça. Les suicidaires. Bon. Ils se suicidaient. Pendant les combats à mort mais il n’y avait pas si souvent des combats. Lors des snuffs c’était surtout des tortures et des viols.
Ma mère filmait ça. Oui. Elle filmait ça.
– Elle participait aussi. Moi aussi j’étais actrice. Mais elle n’a jamais fait les tortures. C’était pas son truc.
– Toi oui ?
– Oui. Moi oui. Des fois.
Très peu d’assassinats. Tous ceux qui mourraient – c’était soit volontaire soit c’était des gens du groupe – des gens qui étaient au courant des risques. Et ceux qu’ils torturaient ou violaient – il y avait toujours Antoine pour court-circuiter les enquêtes. Mais il y avait très peu de meurtre. Moins d’une dizaine. D’après Céline. Mes cheveux se dressaient sur ma tête.
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Re: RIEN - roman à suivre - diffusion hebdomadaire

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Antoine a tué le bébé. Devant ma mère. Mais il n’y avait plus Céline. Mais elle a vu le film. Tout était filmé par l’autre type.
– C’était qui lui ?
– Je ne sais pas. Je ne le connaissais pas. C’est celui que ta mère a flingué.
– L’histoire du journal ?
– Oui.
– Y’a pas d’autre histoire comme ça ?
– Des mecs qu’elle aurait flingués ? Non. Y’a que lui. C’est après qu’ils l’ont chopée et qu’ils l’ont tuée.
Antoine a foutu Céline dehors. Il a pris le bébé et il l’a tué. Quand Céline a vu le film c’était fini depuis longtemps. Ma mère était morte depuis plusieurs jours.
C’était ça tout ce fric qu’elle avait ma mère. Elle était actrice. Elle filmait. Toute une nébuleuse d’activités. Terrorisme. Black métal. Extrême-droite. Ratonnades. Combats clandestins. Roulette russe. Snuff-movies. Pédopornographie. Ma mère. Participait. A des trucs. Tout ce blé. Toutes ces vidéos. Planquées dans l’ordi – sous des noms de fichiers anodins. Tout ce que je n’ai pas vu – protégé par des mots de passes.
Mais c’est fini maintenant. Y’a plus d’ordi.
– Y’en avait beaucoup ? Des vidéos ?
– Enormément. Des dizaines. Tu n’aurais pas supporté de les voir. Ca aurait été trop pour toi.
Je savais qu’elle disait ça avec mépris. Ce que j’éprouvais moi – lors de ces conversations insupportables – je ne sais pas. Heureusement qu’il y avait l’alcool et la drogue. Je ne me rendais pas complètement compte. On baisait. Ca faisait tout passer. On baisait pratiquement tout le temps. Toutes les horreurs dont on parlait. J’aurais été dans mon état normal – sobre – je n’aurais pas pu. Je n’aurais pas encaissé tout ça. Je serai devenu dingue. J’aurais tué Céline. Mais j’ai tué Céline. De toute façon.
– Et toi ?
– Quoi moi ?
– Tu foutais quoi avec ces dingues ?
– Je les aime bien. Ils sont vivants. Ils sont comme moi.
– Comme toi ?
– Ils ont la haine de tout. Ils sont lucides. Ils sont dans le vrai.
Je la regardais avec effarement.
– Tu es encore en contact avec eux ?
– Plus trop en ce moment. Ca m’a fichu un coup l’histoire de ta mère. Enfin d’un autre côté tout le monde fait ce qu’il veut.
– Je vais les tuer ces enculés.
– On verra si tu y arrives.
– Tu es avec qui ?
Elle riait. Quand je posais cette question – elle riait – elle me parlait comme à un enfant – elle me baisait et elle me disait qu’elle n’était avec personne. Elle me faisait jouir en me méprisant et plus elle me méprisait plus mon désir pour elle augmentait. La drogue. L’alcool. Tout ça faussait mes perceptions. Mes jugements.
Des fois je la violais dans son sommeil. Je l’étranglais. Je la tapais. Je lui faisais mal. Elle jouissait.
Une fois le film avec ma mère terminé – il n’y a pas eu que le bébé – ils lui ont aussi fait des trucs.
– Quoi ? Quel genre ?
– Des trucs avec sa chatte et avec son cul. Dégueulasse.
Ils l’ont laissée là. Ils pensaient qu’elle allait crever. Mais elle n’est pas morte. Elle a survécu. Elle a voulu se venger.
– Elle a réussi à flinguer ce type et c’est comme ça qu’ils l’ont récupérée.
Pour Antoine c’était facile de faire ça. Et puis ils l’ont tué. Il y a une vidéo de ça. C’est Philippe qui l’a torturée. Il était content.
– Tu l’as vue la vidéo ?
– Non.
Elle mentait. Je savais qu’elle mentait.
Après l’avoir tuée ils ont balancé son cadavre dans une maison qui ne servait qu’à ça. Céline ne savait pas où se trouvait cette maison. D’après elle dans cette maison il y avait une vingtaine de corps qui pourrissaient. Peut-être même trente. Ils en parlaient des fois.
Je n’en pouvais plus. J’avais gerbé et bu et regerbé. J’avais passé quatre ou cinq jours inconscient. J’avais fait n’importe quoi. Céline m’avait laissé faire. J’avais les mains en sang. J’avais des croûtes de sang sur les bras et le visage. J’avais été dans la forêt. Céline refusait de me dire ce que j’avais fait. Et ensuite nous avons baisé. Et ensuite j’ai bu pendant encore quatre ou cinq jours. Je ne me souviens plus du tout ce cette période. J’ai passé dix jours de black-out en tout. Et ensuite la vie a repris. Je ne comprends pas. Dans quel état j’étais – dans quel état je pouvais être pour encaisser tout ça.
Je ne sais pas trop où je suis. Ca fait un moment que je marche. Un horodateur. Il est trois heures douze. Une plaque de rue. Boulevard Hausmann.
Un peu de circulation. Un panneau indique la place de l’Etoile.
Ma mère était morte. Son corps était dans une maison avec d’autres corps. En train de pourrir. Philippe savait où se trouvait cette maison. Et c’est lui qui avait torturé ma mère. Antoine. C’est lui qui avait tué – mon frère – c’est étrange – de penser à ce bébé – comme mon frère – mais pourtant – c’est la vérité – c’est mon frère.
La vidéo. Je ne sais pas si j’ai envie de la voir ou pas.
Encore quelques heures et je vais prendre le train. Je vais choper Antoine. Il va mourir.
Ca fait combien de temps que je n’ai pas dormi ? Difficile à dire. Je ne me souviens pas des quatre derniers jours. Après avoir enterré Céline – je crois que j’ai dormi un peu et dès mon réveil – il faisait encore jour je crois – j’ai bu. Après c’est le trou noir. Et après je suis venu à Paris. Le seul repas dont je me souvienne depuis des semaines c’est le Chinois. Je n’ai pas sommeil. J’ai faim. Comme si les fonctions vitales revenaient. Je l’ai lu quelque part ça – quand on s’apprête à la violence les pulsions de vie – le sexe la bouffe – tout ça – reprennent de la force. J’ai l’impression que mon deuil est terminé. Cette partie-là de mon deuil. Je ne suis plus en larmes. Je suis triste. Ressasser tout ça – ressasser me fait du bien – d’un côté ça entretient la tristesse et la colère et la violence et le désespoir – mais d’un autre – je ne sais pas – j’ai l’impression que ça m’assainit. C’est bien. Je me sens propre. Je me sens sain. Comme si je m’étais – d’une manière ou d’une autre – purifié. Nom de Dieu de putain de merde. J’ai faim. Les Champs-Elysées ne sont pas loin. Je vais aller là-bas. Je trouverai bien quelque chose d’ouvert toute la nuit. Je trouverai bien.
Céline avait rencontré Philippe et toute la clique quand elle était à la fac. Par le biais du jeu de rôle elle était arrivée au paganisme et de là au black métal. Elle avait déjà eu des problèmes avec la police et elle avait déjà été internée. Philippe et elle – ils se sont tout de suite plus.
– Il a une bite énorme. Il aime faire mal. Il me connaît par cœur.
Ses yeux brillaient.
Philippe était étudiant en histoire de l’art. Il suivait aussi des cours de sciences politiques. Il était copain avec Antoine. Antoine étudiait les sciences politiques aussi et le droit. Tous les deux pratiquaient le free-fight. Ils étaient copains avec les militants d’extrême-droite du campus. Ils participaient aux ratonnades et aux manifs. Ils assuraient des services d’ordre. Ils ont formé un groupe de black metal. Paroles anti-chrétiennes et antisociales. Ils ont cassé des gueules et des vitrines au cours de manifs. Ils ont profané des tombes et taggués des croix gammées sur des synagogues avec des copains à eux – certains sont allés en prison mais Antoine Philippe et Céline sont passés à travers. Céline a refait de l’hôpital psychiatrique pour avoir agressé des flics. Antoine et Philippe se sont fondus dans la masse.
Antoine est devenu gendarme. Il aimait l’idée que l’Etat légitime sa violence. Il disait qu’il aimait briser la vie des pauvres connards qui tombaient entre ses mains. Faire sauter son permis à un mec pour qui la voiture est vitale et l’imaginer perdre son boulot – sa voiture – ses gosses. Se dire que dans quelques années il allait croiser des mecs dans la rue – des SDF – qui seraient d’anciens clients à lui. Il aimait ça – vraiment ça le faisait jouir. Ce qu’il aimait aussi c’est quand un type qu’il interpelait se rebellait. Alors il pouvait se faire plaisir. La bavure ça n’existe pas dans la gendarmerie.
– Une fois il a envoyé un mec à l’hôpital avec une mâchoire fracturée et le genou pété. Le type n’a jamais pu remarcher normalement. Il est resté trois mois à l’hosto. Il a porté plainte mais il n’y a jamais eu de suite. La hiérarchie d’Antoine avait couvert le truc. Le type avait résisté à son arrestation.
– Qu’est-ce qu’il avait fait le type ?
– Il avait répondu « allez vous faire voir, c’est pas vos oignons » à Antoine. Antoine lui avait demandé s’il était pédé – après lui avoir dit qu’il se coiffait et qu’il parlait comme une pédale.
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Je remonte les Champs-Elysées. Les boutiques sont fermées. Le MacDo est fermé. Une bande de racaille vient vers moi. Ils sont six. Survêtements. Capuches. Ils m’interpellent. Je regarde autour de moi. Sur toute la perspective de l’avenue – personne. Que des voitures garées et des appartements éteints. Sauf quelques-uns. Ce qui est éclairé aussi : l’obélisque de la concorde à un bout et – je tourne la tête – au passage je vois que ça y’est – ils ont fini de traverser – l’arc de triomphe. Ils viennent vers mois. Je les attends. L’un d’eux m’interpelle – Ho ! Tu cherches pas du chichon ? – Non merci. Et un autre – T’es sûr ? T’as pas de thune ou quoi ? Et un autre – Y’a quoi dans ton sac ? Et un autre – Vas-y fais voir passe ton sac !
Il me passe quoi par la tête je ne sais pas – ils n’ont pas l’air menaçant ni rien – juste l’agressivité typique du dealer de banlieue – des mecs que haïraient Antoine et Philippe et Céline – des mecs qu’ils adoreraient rencontrer ici et défoncer et laisser pour morts - ici. Je pose mon sac et j’ouvre mon sac et je sors mon arme – ils reculent et ils se figent – je ne braque personne. Le premier – Ho ! Fils de pute ! Un autre – Nique ta race ! Ils baissent la tête. Je Regarde l’arme – ils me regardent par en dessous – ils calculent. On entend un oiseau quelque part pas loin et une moto autre part – plus loin. – Je vais tuer un gendarme avec ça. Demain je pars à Montpellier et je vais tuer un gendarme. Ensuite je ne sais pas trop. J’aurais un autre mec à tuer. Mais d’abord le gendarme. – Quoi ? Un keuf ? Pourquoi ? – T’es un ouf ! – Il a tué ma mère. Il a aidé ma mère à accoucher et puis il a assassiné le bébé sous ses yeux et ensuite il a tué ma mère. Ils reculent. Ils ne calculent plus. L’oiseau – encore – mais un peu plus loin. – J’ai faim. J’ai envie de bouffer quelque part. Ils me regardent. Ils ne sont pas très sûr d’eux. – Mais d’abord faut que j’aille pisser. Je vais là. Je désigne une sanisette. Je m’y dirige. Ils me suivent. Je les entends parler entre eux. Je ne n’entends pas ce qu’ils disent. J’entre. L’odeur d’urine est très forte. Je charge mon arme. Je ressors. Le Taurus toujours à la main. J’éprouve une sensation de puissance. Ils sont soumis. Ils me regardent avec crainte et respect. – Vous savez où on peut aller manger à cette heure-ci ?
Ils m’expliquent qu’ils ont des trucs à faire – des gens à voir. Ils se barrent. Je continue à marcher en direction de l’arc de triomphe.

Après ses études Philippe est devenu professeur d’arts plastiques. Il a rencontré Fred. Fred est éditeur et directeur de label. Editeur de pamphlets néonazis et directeur d’un label de black metal sous le nom de Underground Pornography. De là les snuff ont dérivé. Et tout le reste. Philippe et lui se sont bien entendus. Fred était politiquement très installé dans l’extrême-droite du nord de la France. Des skinheads à ses ordres. Des connections avec les hooligans du Parc de princes. Avec les skins de Paris. Quand Fred est mort – il s’est fait descendre il y a sept ans – c’est Philippe qui a pris le relai. Une partie du relais en tout cas. D’autres gens gravitent autour d’eux. Des organisations diverses. Toujours sur un socle commun. Clandestinité. Cinéma gore. Accumulation – diffusion – tournage de vidéos mettant en scène des blessures – mutilations – morts réelles. Internet comme lieu d’échanges. Internet : maquis. Forums. Forums cachés derrière les forums. Black metal. Amour de la violence. Ethique de guerre. Ce sont des chevaliers. Des combattants. Des résistants. Ils sont en guerre. Rejet des valeurs monothéistes. Antichrétiens. Antimusulmans. Antisémites. Intolérance et élitisme. La violence comme moyen d’action – la violence comme fin et but. Autarcie. Anti socialité. Terrorisme. Rejet de l’état – de toute institution. Loyauté. Probité. Courage. Intransigeance. Pureté. Elitisme. Haine de la médiocrité. Philippe déteste les enfants. Il les hait. Vraiment. Il y avait ce type qui lui devait de l’argent et qui tardait à le payer. Philippe a décidé de se venger de lui. Il a repéré dans quelle école allait la fille de ce type. C’était une gamine de sept ou huit ans. Philippe lui a donné un cadeau. Un paquet. Dedans il y avait un chat éviscéré. Dans les yeux du chat il avait planté des clous. La gamine a fait des cauchemars pendant des semaines. Il a fallu qu’elle suive une psychothérapie. Elle a redoublé. Quand Céline m’a raconté cette histoire j’étais atterré. Ils pratiquent la magie. Tous. Mais rien de mystique. Ils ne vénèrent rien. Ils invoquent. Ils contrôlent. Ils prennent. Philippe viole certaines de ses étudiantes. Il les invite chez lui. Il les drogue. Il les viole. Il les filme et les menace de diffuser ça sur Internet si elles se plaignent. Il choisit bien ses victimes. Personne ne s’est jamais plaint. Autour de Philippe il y a toute une bande d’étudiants et d’anciens étudiants. Ils sont fascinés. Il agit avec eux comme avec un gourou. Quand Céline me racontait ça je ne savais pas quoi penser. D’un côté ces types ont l’air complètement dingue. Dangereux. Irrécupérables – ce sont de parfaites ordures mais d’un autre côté – je ne sais pas – il y a un côté pathétique. Ils ont l’air complètement con. Je ne sais pas quoi penser de tout ça. Je n’arrive pas à juger ça.
Et puis ces pensées reviennent – la torture. P’tit Louis. Ma mère. Est morte – et je me souviens que je n’ai pas besoin de juger que ce sont des merdes humaines que tout ce qu’ils méritent c’est une balle dans la tête. Je ne peux pas tous les avoir. Antoine pour commencer – déjà Antoine ensuite on verra.
Ils ont monté un site internet qui s’appelle AryanShop. On trouve des vêtements. C’est là que Céline était modèle – pour des sous-vêtements. Des films pornos racistes. Des répliques d’objets du Troisième Reich. Des ouvrages qui font l’éloge de l’Holocauste. Des CD et des DVD de groupe de National-Socialist Black Metal et de groupes skinheads. Des ouvrages de magie noire. Toutes sortes de choses.
Ils ont tourné un film qui est devenu un succès dans ce milieu. L’illustration d’un procès médiéval. De l’interrogatoire au supplice. Sans aucun trucage. C’est un Arabe qui est supplicié. C’est le seul film en circulation – que Céline connaissait en tout cas – qui mettait en scène une mort réelle. C’est des skins qui jouaient les bourreaux – on ne connait pas leur nom – Céline en tout cas – ne savait pas. C’était un supplice réel qui était mis en scène. Philippe avait recopié l’introduction de Surveiller et punir – de Michel Foucault.
– Ca lui avait servi de script. Foucault était une pédale mais son bouquin était pas mal.
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Ils avaient un projet. Céline ne savait pas à quel degré d’avancement ça en était. C’était lié aux forums de suicidaires. Ma mère leur avait – involontairement – ou pas – difficile de savoir – à ce degré d’horreur et de grotesque – fourni cette idée.
– Toutes ces pédales qui veulent mourir. Tous ces faibles. Toutes ces larves. L’idée c’est de les utiliser pour foutre encore plus de bordel. On y a tous pensé à ça. Moi la première. Tu m’imagines avec mon fusil à pompe ? Combien je pourrais en descendre avant d’être obligée de retourner l’arme contre moi ?
J’acquiesçais. Elle était lancée. Son regard brillait de dinguerie. J’étais sous héroïne et imbibé de Ricard. Incapable de discuter. Tout – les informations – les sensations – les souvenirs – les pensées – me bombardait la conscience sans hiérarchie. J’étais une éponge. J’étais en plein cauchemar – de toute façon c’était tout aussi irréel qu’un cauchemar.
– Ceux qui veulent en finir. Qui veulent vraiment. Tu leur fournis une ceinture d’explosifs. C’est pas compliqué à trouver ce genre d’engin Tu la leur file. Et ils vont mourir au milieu de la Fnac un samedi après-midi. Ou bien devant Notre-Dame. Ou alors au Musée du Louvres. Ou n’importe où ailleurs. Dans une gare un jour de grands départ. Tu imagines ?
Oui. J’imaginais. Du terrorisme gratuit. Du terrorisme sans aucune revendication. Oui. J’imaginais.
– C’est sur ça qu’ils travaillent. Il y a un deuxième forum derrière le premier. Pour écrémer. Pour repérer les vrais. Ceux qui veulent vraiment mourir. Et parmi ceux-là ils font un tri. Une deuxième sélection. Pour isoler ceux qui ont le profil qui correspond à leur projet.
Du terrorisme sans revendication. Un trou noir. De la terreur qui ne cache rien derrière. Le point d’angoisse. Face à ça – si ce truc arrivait – comment on se sentirait – tous – tous les gens ? Je ne sais pas. Abandonné. Encore plus. La mort n’importe quand et sans raison. Vraiment sans aucune raison. Le crime parfait. Le crime sans mobile. Sans auteur. Voilà le truc qui me foutait le plus la trouille dans ce que me racontait Carine. Ces attentats-suicides.
– Ils veulent que l’Etat s’effondre. Et l’Etat ça n’est pas assez. Toute cette civilisation de merde. Ils ont raison de toute manière. Tout se casse la gueule. Toute cette sale merde mise en place par les chrétiens. Toute cette saloperie. Ils ont bien raison.

Il est presque cinq heures du matin. Je suis assis sur un banc. La circulation devient petit à petit plus dense sur la place de l’Etoile. L’air se charge de gouttelettes de brume. De minutes en minutes j’y vois de moins en moins. Je suis de plus en plus humide – de plus en plus froid – je m’engourdis. Je me coupe un moment de mes pensées. De mon ressassement. Je regarde la brume se lever. L’humidité me glace tranquillement. Le sac est posé à côté de moi sur le banc. Mon coude est posé sur le sac. Je suis affalé. Je regarde la brume s’épaissir et la lumière du jour venir à la rencontre de celle des lampadaires. Je regarde les voitures s’accumuler. Brillantes d’humidité. J’écoute leur bruit prendre de l’importance – moteurs - klaxons. J’attends. J’ai très froid. Ca ne me dérange pas.
Céline. Ma mère.
J’ai très froid.
Au bout d’un moment qui me paraît très long le jour devient plus clair que les lampadaires – les lampadaires s’éteignent et paradoxalement tout paraît plus sombre. Les phares des voitures s’éteignent. Presque tous d’un coup. Presque en même temps. Par télépathie en l’espace de trois minutes plus une seule voiture ne roule phare allumé. La brume se lève doucement. Le vent la chasse. La foule apparaît. Progressivement elle aussi. Comme si la brume en disparaissant la révélait – comme si les gens apparaissaient comme de la rosée – sans venir de nulle part – juste là et en mouvement vers quelque part. Le bruit des klaxons. Celui des moteurs. Il doit être six heures du matin. Au moins.
Je me lève. Je suis ankylosé. Par le froid. L’humidité. Toute une nuit de marche. De pensées horribles. J’ai très très faim. Je n’ai pas mangé de la nuit. Le restaurant chinois me paraît bien loin. Tout me paraît loin. Les pensées de cette nuit me paraissent loin – elles aussi.
Il fait jour. Ca change tout. Ca donne une teinte bizarre à ce qui s’est passé tout à l’heure. Raconter la vengeance et le meurtre – parler de ça à des inconnus – sortir le revolver. Tout ça est bizarre à la lumière du jour. Je me sens comme après d’une insomnie. Je me sens fripé. Déphasé. Les gens ont quitté le monde et ils y reviennent. Ils sont neufs. Moi je suis encore de la veille. C’est étrange cette impression. Eux ils ont changé de jour et moi pas. Eux ils sont le lendemain. Non. Ca n’est pas ça. C’est moi qui suis resté la veille. C’est moi qui suis resté bloqué dans le passé. Il faudrait que je dorme. Mais ça changerait quelque chose ? Je ne crois pas. De toute façon je n’ai pas sommeil.
Le vent se calme. Il commence à pleuvoir. Un crachin glacé. Le ciel est bas et gris. Premiers embouteillages sur la place l’Etoile. Je m’en éloigne. Je marche d’abord jusqu’à un plan. Il faut que j’aille gare de Lyon. Le mieux pour moi c’est de remonter les Champs-Elysées et ensuite de longer la Seine. Ca me semble faire des kilomètres. J’en ai pour deux heures de marche. Au moins. N’importe. De toute façon je ne prendrai pas le Métro. Je ne veux pas. Et encore moins de Taxi. Je vais marcher. Peut-être que le MacDo des Champs Elysée sera ouvert d’ici à ce que j’arrive ? Je crève de faim.
Je marche sans penser pendant un long moment. Je ne regarde rien. La pluie cesse et revient et cesse. J’ai les reins douloureux à cause du froid et de l’humidité. J’ai mal aux jambes. Aux bras. Je sens mauvais. L’odeur malpropre de la nuit blanche. Une odeur de clochard – un peu.
C’est étrange de remarcher sur les Champs-Elysées quelques heures après. Les employés municipaux qui nettoient les rues. Les premiers passants – bien habillés et pressés – les premiers autobus. Les voitures. Je regarde tout ça. Tout paraît neuf. Tout est humide et brillant de crachin. Tout paraît propre – c’est étrange. Tout paraît net alors que moi je me sens crasseux.
Le MacDo ouvre juste quand j’arrive. Quelques jeunes bien sapés discutent posément et entrent. Ils ont mon âge. Sans doute au lycée – vu leurs sacs. Mais nettement plus friqués que moi. Un groupe de mecs de trente ans – en costard – déjà en costard à cette heure-ci – ça fait combien de temps moi que je ne me suis pas changé – je ne me souviens pas. Le vigile laisse passer tout le monde sans un regard – me laisse passer moi aussi. Nous formons une sorte de groupe. Nous descendons tous au sous-sol – c’est là que se trouve le MacDo. L’odeur – rien que l’odeur – familière – me donne faim.
Il est six heures trente quand je m’attable devant mon brunch.
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Peu de temps avant qu’on joue à Guillaume Tell et à la roulette russe Céline m’a reparlé d’Antoine. On était en descente tous les deux. On avait mangé des champignons et bu énormément d’alcool – surtout de la vodka – je crois – du speed là-dessus – ça nous faisait trente heures sans dormir – on ne mangeait rien et on fumait de l’herbe pour adoucir la descente. J’étais à ce moment entre veille et sommeil où le corps est très lourd et où chaque geste est difficile et décourageant. Je n’avais plus de volonté et il n’y avait plus de frontière entre l’extérieur et moi. Je ne faisais plus la différence entre mes pensées et les sons extérieurs – ni vraiment entre les débuts de rêves que provoquaient mes rapides somnolences et les restes d’hallu que provoquaient encore des petites remontées de champi. Je n’avais rien gerbé. Céline parlait de tout et de rien – elle était souvent bavarde en descente – c’était pénible – je n’écoutais pas tout – et le sujet est arrivé à Antoine.
Pour une fois il n’était pas question de son énorme bite. Elle m’a encore raconté une anecdote sordide – je ne me souviens plus des détails – une histoire de viol au cours d’une garde à vue – ça avait fait du bruit à l’époque – il avait failli être suspendu mais après une enquête interne – la parole de la victime mise en doute – elle aurait bien été violée mais par un policier pas par un gendarme – d’ailleurs qu’est-ce qu’un gendarme ferait dans un commissariat – enfin elle n’avait plus été capable de l’identifier formellement et il avait été blanchi – on en avait parlé dans Entrevue – dans un article sur les bavures policières – c’était un peu son titre de gloire – il avait acheté des journaux pour tout le monde – il avait affiché l’article chez lui – si ça se trouve l’article y était encore. Mais il foutait quoi chez les flics en fait ? C’était lui ou pas lui pour finir ? Bien sûr que c’était lui ! Chez les flics il avait ses entrées ! Tu parles ! Il tient un dojo de free-fight à Montpellier. Tous les bourrins de la ville viennent s’entraîner chez lui. Tous les mecs de la BAC et tous les CRS et aussi quelques inspecteurs. Il connaît tout le monde et les autres il les fréquente à travers le forum. Les intellos il les séduit sur internet. Le forum ? Oui – un forum non-officiel où les flics viennent déverser leur haine des racailles et s’auto-congratuler quand y’en a un qui envoie un Arabe à l’hôpital. Le forum de tous les fafs dans la police. Une idée d’Antoine. Et ça marche. Ca marche même du tonnerre. Tous les flics sont ses copains à Montpellier. Du ratonneur de base jusqu’au carriériste UMP.
– Bin... Les autres...
– Les autres ils laissent pisser. Ceux qui le détestent laissent pisser. Et il vaut mieux d’ailleurs. C’est un mec dangereux Antoine. S’il t’a dans le collimateur il vaut mieux pas sortir seul le soir.
Je n’arrive pas à imaginer ça. A imaginer un truc pareil. Un mec pareil. Je ne pige pas. Je ne le comprends pas. Une énigme – ce type. Je le hais – je veux sa peau ça d’accord – et même – je ne suis pas certain de ça – d’être capable de tuer quelqu’un – Céline – oui mais Céline j’ai pas fait exprès – et puis c’est elle – c’est elle qui s’est tuée. Toute seule. Mais moi. Assassiner un type. Froidement. Ca ne fera pas revenir ma mère. Et de toute façon. Ma mère est-ce qu’elle valait mieux que tous ceux-là ? Mon père s’est suicidé. Je crois de plus en plus que c’est à cause de tout ça. Je retourne tout ça dans ma tête. Mon père. Il devait en savoir assez. Il avait vu des films ? Peut-être. En tout cas il en savait assez. Il s’est tué pour – pourquoi d’ailleurs ? Une histoire d’honneur ? De morale ? Il souffrait trop ? Impossible de savoir. De toute façon ma mère – elle m’a toujours menti à ce sujet.
Ma mère ne mérite pas qu’on la venge. Mais quand même. Je vais le faire. Chercher Antoine. Au moins. Et voir.
C’est difficile à croire qu’un type pareil existe. Dans la vraie vie. Ce type-là. Méchant. Dégueulasse. Tordu. Taré. Plein d’appuis. Plein d’amis. Un mec qui fait ce qu’il veut. Il a pu tuer une femme – ma mère – il a pu tuer ma mère – à un moment où qu’elle était recherchée pour meurtre – il a pu faire disparaître son corps. Ou alors le fait qu’elle soit recherchée pour meurtre facilitait les choses – pour lui ?
Je sors de MacDo. Je n’ai presque rien mangé – finalement.
J’ai le ventre noué. Je ne sais pas où aller désormais. Gare de Lyon – déjà ? J’aime déambuler. Ca donne l’impression de faire quelque chose – l’errance. Avancer. Aller quelque part. Sauf qu’il n’y a pas de destination – elle s’efface – je vais jusqu’à l’horizon et je reviens.
La fuite c’est bien.
Encore une cinquantaine de mètres. Pourquoi je garde mon sac ? Il ne sert pas beaucoup. Des souvenirs. Des CD. Aucun intérêt. Des vêtements. Je peux en acheter des vêtements. Le livre. De ma mère. Le roman policier de Manchette. Mais je ne risque pas de le lui rendre. Des livres à moi que je ne relirai pas. Des choses qui me rattachent à une ancienne vie. Ca n’existe plus tout ça. Aucune raison de conserver ça. Je pose le sac. Je me mets debout à côté – comme si j’attendais quelqu’un. J’attends – je regarde les gens passer. L’affluence croissante des piétons – la circulation de plus en plus importante – aussi. Il fait froid. Je devrais acheter un pull plus chaud. Mais non que je suis con. Je vais à l’autre bout de la France.
Tuer un type.
Ma mère est morte.
Céline est morte.
Toutes mes pensées me ramènent à ça. Même les plus anodines. Tout me ramène à ces informations basiques – fondamentales. Qui me ruinent.
Ma mère est morte. Ma mère était une folle dangereuse. Il faut que je la venge et je ne comprends pas pourquoi j’ai ce désir. Céline est morte et elle était une folle dangereuse et c’est moi qui l’ai tuée. Je vais assassiner un type qui le mérite mais qui ne m’a rien fait personnellement. Il a tué ma mère. Si c’est bien lui. Il n’y a que Céline à l’affirmer. Après tout. Elle a peut-être menti.
Je me remets en marche. Sans le sac. Personne ne dit rien – personne ne fait attention. Sans doute quelqu’un le prend – je ne me retourne pas pour vérifier.
Marcher – au moins quand je marche je ne peux pas penser à tout ça. Je me concentre sur le trajet – sur les gens – sur la routine de la marche. C’est absorbant.
Il reste des bribes de pensées. Que j’essaie de chasser. Qui s’infiltrent. Quel intérêt de me venger ? Mais j’ai l’impression de n’avoir pas le choix. Qu’une chose en entraine une autre. Que tout est lié dans une grande chaîne où chaque maillon est indissociable de celui qui précède et de celui qui suit. Je ne peux pas rester statique. Alors je marche. Il faut bien aller quelque part – je ne vais pas tourner en rond – alors je vais vers une gare – pour quitter Paris – je n’ai rien à faire à Paris – mais quelle gare – à quel endroit j’ai quelque chose à faire ? – nulle part – mais il y a Montpellier – c’est le seul endroit qui reste – encore lié à mon histoire – et je ne peux pas quitter mon histoire – je ne veux pas être – à ce point-là – hors du monde.
Alors Montpellier. Alors le meurtre. Puisqu’il faut bien y aller pour faire quelque chose et que là-bas il n’y a rien d’autre à faire. Rien d’autre du tout.
C’est comme une partie d’échec je m’en rends bien compte. Tout est dans l’ouverture et une fois l’ouverture choisie et jouée les coups s’enchaînent avec précision et automatisme. J’ai choisi mon ouverture – je l’ai choisie dès le début : fuite – errance – hôtel – train. Maintenant tout s’enchaîne. La partie se joue. Et les coups se répètent : fuite errance hôtel train.
Je me sens oppressé. Je regarde les gens. Je regarde les façades d’immeubles et même les affiches pour des concerts que je n’irai jamais voir – c’est fini ça c’est terminé – ça n’est plus pour moi – je me sens comme si j’étais passé de l’autre côté de la vie – comme si j’étais sur un pont au milieu de la vie – je peux tout observer tout contempler – tout écouter et tout comprendre – mais je ne peux rien faire – moi – il y a une vitre infranchissable entre les vivants et moi. Voilà comment je me sens. Comme si j’étais déjà mort. J’ai l’impression que je traverse les choses – que je vis des expériences – que j’accomplis des trucs – mais que rien ne m’atteint. J’agis mais – quoi – dans un an – dans quelques mois – qu’est-ce que ça fera – je ne serai pas changé – je suis inerte – rien ne me modifie – je suis inaltérable – c’est ce que je ressens en tout cas – ça me rend désespéré. Je ne changerai jamais. Je n’apprendrai rien. Je ne suis pas vivant. Je ne suis pas vivant et je regarde les vivants comme à travers une vitre. Me revient l’histoire d’une folle entendue un soir à la radio – je ne sais plus quand ni quel contexte – une folle qui croyait que le mec avec qui elle couchait l’avait entourée de film plastique étirable – sur tout le corps – les yeux la bouche la chatte tout – pour l’emprisonner – et elle n’avait aucune idée de comment se débarrasser du truc – elle appelait la radio à l’aide.
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Je me force à ne plus penser. Je me force à regarder les affiches. A regarder les gens. A me laisser porter – absorber – par ce qui m’entoure. Mais quand je ne pense pas c’est la mémoire qui se met en branle. N’importe quel détail me rappelle un truc. Il n’y a même pas de logique. N’importe quoi peut me rappeler n’importe quoi. Je passe devant une boulangerie. Ca me rappelle la cérémonie que Céline a faite pour ma mère. A laquelle j’ai participé. Je ne sais pas pourquoi cette boulangerie me rappelle cette cérémonie. C’est idiot.
On était dans la forêt.
Ca lui a pris une semaine après son arrivée. Elle m’avait déjà tout raconté des derniers moments de ma mère – et de tous les pans de sa vie que j’ignorais complètement – j’étais dans une indifférence hébétée à cause de tout ce qu’on prenait – et aussi à cause de Céline – le sexe – qui me maintenait dans un état d’excitation permanente – tout ce qu’on faisait. La débauche écartait la tristesse. Je pleurais beaucoup en descente – je sanglotais après avoir baisé. Mes émotions suivaient une sinusoïde très raide. Dans l’ensemble – cependant – l’excès de défonce – de picole – de cul – me maintenait dans un état de complète indifférence aux choses. Mon corps prenait les commandes – et je le nourrissais.
La date était bonne – elle disait. C’était une date importante – dans le système de croyance qui était le leur. Pour ceux qui pratiquaient la magie sexuelle et qui adoraient les esprits sauvages – c’était une date sacrée. Elle m’a expliqué. Mais je n’ai pas compris ni retenu.
Nous avons fabriqué une poupée approximative avec de la terre de l’eau et des branches – supposée représenter ma mère. C’était une silhouette rudimentaire. Un torse – deux bras – deux jambes – une boule plus petite pour la tête. Creuse. Nous avons cousu ensemble deux morceaux de tissu cousus – l’un pris dans mes fringues et l’autre dans celles de Céline – je me rappelle du sien – une culotte grise – délavée – et nous avons fouillé toute la maison pour y ramasser des cheveux – des poils – toutes sortes de déchets et de rognures qui auraient pu appartenir à ma mère.
Je me souviens avoir été surpris par la quantité de ce qu’on a trouvé. Des cheveux pleins le lit. Une dizaine – longs – ça m’avait serré la gorge. Des poils à la salle de bain. Des poils de sa chatte – de la chatte – de ma mère. Je n’osais pas les toucher. C’était bizarre. Dans la poubelle à pédale de la salle de bain nous avons aussi trouvé des ongles de pied. Nous avons récupéré tout ça. Je faisais ce que Céline me disait. Tout ça me paraissait stupide. Mais elle me faisait tellement bander que je participais à toutes ses débilités – des cérémonies à la con il y en a eu d’autres – des tas – une autre fête où nous avons chanté nu des trucs dans une langue que je ne connaissais pas – dans la forêt – dans une clairière qu’elle connaissait – nous étions à poil et après avoir chanté nous avions baisé et ensuite nous nous étions coupés et nous avions aspergé un peu tout de notre sang - il y avait des bougies de toutes les couleurs arrangées en cercle autour de nous – avant qu’on chante et tout elle les avait allumées dans un ordre précis en récitant des trucs dans cette même langue – après avoir baisé nous avons fait cramer de la sauge et nous avons respiré les vapeurs – c’était pour chasser certains démons et pour en faire venir d’autres – et nous avons baisé encore une fois. Il y a eu cette autre fois dont je me rappelle avec précision – c’était dans la cave cette fois – une sorte de rituel sexuel – mais c’est pareil je ne sais pas du tout à quoi il servait – à chaque fois elle m’expliquait tout mais je ne pigeais rien – pas en état. Je ne croyais pas à tous ces trucs de toute façon. Dans la cave on a allumé des bougies – on a dessiné des diagrammes au sol – on a brûlé des herbes – on a décapité un rat – un rat vivant – un gros rat – un rat des campagnes quoi – un truc d’au moins vingt-cinq centimètres – on a bu son sang et on s’est badigeonné avec – pas n’importe comment – uniquement les parties génitales et l’anus – et ensuite on a baisé – d’abord je l’ai enculée – ensuite elle m’a enculé avec un gode-ceinture – et pour finir je l’ai léchée – sa chatte pleine du sang du rat – j’ai failli gerber. Il y en a eu d’autres des cérémonies bizarres comme – des morceaux me reviennent – pour ma mère après avoir recueilli les débris on les a broyés dans un mortier – je me suis branlé jusqu’à éjaculer dans le mortier – elle s’est doigtée et a recueilli de la mouille – c’était un peu ridicule – elle se plantait un doigt – elle se faisait du bien et moi ça m’excitait à mort – tellement que je me suis rebranlé mais je n’ai pas joui dans le mortier – je n’avais pas le droit une deuxième fois – elle gémissait – et elle sortait son doigt gluant de mouille et l’essuyait sur le bord du mortier – et puis elle regardait et elle trouvait qu’il n’y en avait pas assez – alors elle recommençait – elle a fait ça trois ou quatre fois – ça a duré presque dix minutes – à la fin elle a joui – c’était important qu’elle jouisse – elle m’a expliqué. Après tout ça elle a pilonné tout ce bordel pour le transformer en une espèce de pâte mal foutue – et elle a rempli le corps de la poupée avec cette pâte – et nous avons été enterrer le truc dans la forêt. On a chanté – dansé – baisé. Trois jours plus tard on est retourné à cet endroit – on a déterré la poupée – on l’a fait cramer et rebelote pour la baise.
Quand je repense aux cérémonies – à ces mascarades débiles auxquelles je me prêtais juste parce que j’avais la trique – je suis atterré. D’un autre côté – ça m’a permis de traverser le deuil de ma mère – sans même m’en rendre compte.
Maintenant je pleure toujours – mais le plus dur est passé – je me dis. Maintenant je pleure toujours mais je ne suis pas écrasé de chagrin ni de douleur comme j’aurais pu l’être. En même temps je ne sais pas si j’aurais été écrasé de douleur étant donné ce qu’est ma mère – étant donné ce qu’elle a fait – ce qu’elle m’a fait.
C’est embrouillé dans mon esprit. Je ne comprends toujours pas ma détermination à la venger. Ni a vouloir à tout pris retrouver son cadavre. Dans la fameuse maison. Je ne comprends pas. Est-ce que ce sont mes élans mystiques à moi – tout aussi ridicules que ceux de Céline – mais moins structurés – avec des rituels moins élaborés ?
Je ne sais pas. Tout ce que je sais – je le sais avec certitude – ça ne fait aucun doute – c’est que je vais le faire. Je vais tuer Antoine. Je vais chercher la maison des morts. Je vais chercher ma mère. Je vais le faire. Je le sais. Ca ne fait aucun doute. Aucun.
J’achète un billet pour Montpellier. Le train part dans une heure. Je m’installe à une brasserie. Je mange un steak et des frites. Je bois beaucoup d’eau. Je n’arrête pas de réclamer un nouveau pichet à la serveuse qui en a marre. Je suis épuisé. Je n’arrive plus à penser. Parler – passer ma commande à la serveuse – acheter le billet – c’est difficile. J’articule mal. J’ai mal partout. La lumière me blesse. Je ne vais pas bien du tout.
La maison des morts. Elle ne m’en a pas parlé tout de suite – Céline – de la maison des morts. C’est elle qui a employé le terme. Il m’a impressionné.
Le train démarre. Je suis en bout de rame – une place à quatre sièges – une nana blonde assise à côté de moi – elle côté fenêtre et moi côté couloir – nous sommes dans le sens de la marche – elle s’assoupit.
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En face de moi il y a une autre fille – blonde aussi – une peau laiteuse et des ongles impeccables – un peu longs – blancs aux extrémités – un arrondi parfait – elle lit – elle a des gros seins – une jupe plissée bleu marine et des bottes noires qui lui arrivent à mi-mollet – le train prend de la vitesse – on sent les vitesses passer – les à-coups dans la conduite – le petit claquement sourd chaque fois que le wagon juste avant le nôtre subit une accélération – le truc qui relie les deux wagons se tend – ça produit ce claquement – l’accélération se propage jusqu’à nous.

Les deux filles dorment maintenant. Je ferme les yeux moi aussi. Combien de temps que je n’ai pas dormi ? Je ne sais pas. J’ai l’impression que ça fait des jours. J’ai la flemme de calculer. Mes pensées s’effilochent. J’essaie de cesser de penser. Mes muscles s’affaissent – je le sens – sur mon visage surtout – et puis je m’endors.
Je m’éveille. J’ai rêvé de la maison des morts. J’étais dedans. Non. Je m’approchais de la baraque. J’étais pieds nus – on m’avait piqué mes chaussures – je m’étais fait casser la gueule – je marchais sur un sol très dur – on aurait dit du verre – des éclats de verre et des cailloux pointus – la maison était très loin – je la voyais – c’était un genre de pavillon de banlieue – à l’horizon – rouge vif comme si elle avait été couverte de sang – le ciel était gris perle – le sol était gris marron – mes pieds se couvraient de plaies – je laissais toute une piste de gouttes derrière moi – au bout d’un moment je me rendais compte que le sol n’était ni de la terre ni du verre ni des cailloux – mais des os – des os humains broyés et pulvérisés et certains encore entiers – des os éclatés en esquilles fines et pointues – et tout était d’une couleur uniforme de poussière déposée années après années – la même couleur que celle des roues et des attaches de trains – ce gris opaque – un millier de couches de poussière uniformes homogènes. C’est à ce moment-là que je me suis réveillé.
Je me sens poisseux. Je transpire. Ma peau est collante. Je suis sale. Les deux filles dorment toujours. Je me demande quelle heure il est. J’entends le grésillement d’une musique écoutée très fort dans un walkman quelque part derrière moi. Je regarde dehors. La campagne. Le ciel bleu. Quelques nuages gris et quelques autres ardoise. Le soleil masqué. J’estime qu’il est dix heures. De toute façon je ne peux pas savoir. Je me sens pâteux et lourd.
La maison des morts.
C’était une baraque que quelqu’un possédait – Céline ignorait qui – peut-être Philippe – peut-être encore un autre type – en tout cas Philippe savait où elle se trouvait – en pleine cambrousse.
D’après ce que savait Céline – elle ne savait pas grand chose – des rumeurs – des discussions auxquelles elle ne participait pas vraiment – Céline – en fait – était dans le groupe mais ne participait pas à tout – pas à toutes les activités – elle n’était pas vraiment au centre des choses – tout comme ma mère en réalité – d’après Céline la maison servait surtout de lieu de tournage et également d’espace de stockage pour les cadavres.
De cache. De dépotoir. On la voyait sur certains clips – une fois – en ville – nous sommes allés sur Internet – chercher un clip – on voyait la façade – les couleurs étaient désaturées – la caméra tremblait – l’ambiance était très sordide. Il y avait un type cloué à la porte. Il se vidait de son sang et des chats venaient lécher les rigoles de sang sur son corps – il se tordait de souffrance – c’était une vieille baraque en pierre – un genre de ferme abandonnée. Le toit n’avait pas l’air en très bon état. Il était difficile de se faire une idée. Nous avons vu une autre vidéo ce jour-là qui mettait en scène des jeunes taggueurs arabes – ils se faisaient choper dans une grande ville – la nuit – par des mecs bâtis comme des vikings – habillés black metal – armés de couteaux et de haches – ils étaient en même temps très menaçants et très ridicules. Les taggueurs se faisaient menotter et bander les yeux – leurs ravisseurs les faisaient monter de force dans une voiture – la voiture roulait un moment dans la nuit. C’était des plans fragmentés. Un décor de campagne profonde. Pas de son à part la musique. Un morceau instrumental à montée très lente – lancinant et stressant – et ils arrivaient à la maison. Dans la maison les tagueurs se faisaient violemment casser la gueule – le chant démarrait – guttural – en anglais – parlait d’ultraviolence et de guerre contre la racaille. Ca se passait dans le séjour – apparemment – c’était très sombre – très mouvementé – il y avait déjà des corps – des gros plans flous sur les autres corps révélaient qu’ils étaient là depuis un bon moment – et alternaient avec d’autres gros plans sur les visages terrifiés des taggueurs – qui terminaient chacun avec une balle dans la tête tirée par des types à cagoules et tee-shirts noirs ornés d’une croix celtique blanche. La chanson se concluait par des « heil » et des « white power » hurlés d’une voix d’outre-tombe.
Céline m’a montré d’autres clips de ce genre – quelquefois elle me racontait les conditions de tournage – nous en avons vu – je ne sais pas – plus de vingt – peut-être – et sur la masse – quatre ou cinq c’était ma mère. Qui les avait tournés.
A chaque fois je ressortais de ces visionnages hagard. Il se dégageait de ces images quelques chose de noir – de violent – quelque chose qui m’en mettait un coup. Je repensais à Cannibal holocaust que j’avais vu l’an dernier – la scène du village incendié – contrairement au reste du film – ne m’avait pas fait rire mais avait provoqué un malaise – la scène avec la tortue aussi. Ces clips me faisaient la même chose. De la musique de malade mental – à destination de malades mentaux.
Il n’y avait pas beaucoup de séquences sur la maison elle-même – mais de nombreux clips s’y passaient – au bout du compte je parvenais à m’en fait une image assez précise. Les pièces. Les meubles. Je me disais que je ne serais pas surpris en la visitant.
Ma mère.
C’est là-dedans qu’elle avait fini. Il existait une vidéo. Quelque part. Qui montrait sa mort.
Et la vidéo de la mort de son bébé.
De mon frère. Si on veut.
Céline ne savait pas où se trouvait cette maison. Elle n’en avait aucune idée. Elle pensait à la campagne alsacienne. A cause de Philippe. Qui en était responsable et qui vivait à Strasbourg.
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rappel : konsstrukt en live (lecture, musique, projection) à paris au point fmr le jeudi 3/12 à 23h10, entrée libre, nombreux invités entre 20h et 1h. une soirée du cercle pan! pour la sortie de la revue d'olivier allemane la vérité débraillée.



J’ouvre les yeux. Je m’étais assoupis. Il me faut un moment pour raccrocher le fil des événements. La fille à côté de moi lit un livre d’Anne Gavalda. La fille en face de moi dort. Dehors il fait jour. Aucune idée de l’heure. D’après la lumière je dirais neuf heures. Ca voudrait dire que d’ici une heure – maximum – le train arrivera à Montpellier.
Je me sens épuisé. Ca m’est pénible de me concentrer. Je commence à avoir faim. Je réfléchis. Pour me rappeler la dernière fois que j’ai mangé. C’était à la fin de la nuit. Vers six heures du matin. Quelque chose comme ça. Ah oui : La brasserie de la gare.
J’ai faim. Et je me rends compte que j’ai aussi envie de pisser.
J’aime les voyages. Ce moment où plus rien ne se passe – c’est comme être en dehors de l’univers. Ce qui serait mieux encore : une panne au milieu de nulle part. Toutes ces heures à attendre dans un endroit où rien ne se passe et où personne n’habite. Juste le train et tout autour le néant agricole.
Ca m’a fasciné à Paris – ça. La facilité avec laquelle on peut disparaître – y compris physiquement. Une mauvaise journée – une soirée malchanceuse – plus d’argent – un gros coup de froid – un cadavre de plus. J’ai eu de la chance – moi. A Paris un type seul et sans argent meurt. Sans que qui se soit s’en aperçoive. Un mort de plus – aussi invisible que quand il était vivant. Ca aurait pu m’arriver à moi aussi.
La fille à côté de moi bouge dans son sommeil. La fille en face de moi repose son bouquin et ferme les yeux. Elle le repose ouvert – la tranche tournée vers le plafond. Elle laisse aller sa tête en arrière et ferme les yeux. Sa bouche forme un demi-sourire. Elle a les mains posées sur la tablette. Les ongles courts mais propres. Ils brillent de vernis incolore.
Je repense à Céline. A ses séjours en hôpital psychiatrique. A ses évasions. Aux histoires débiles qu’elle m’a racontées. Et à toutes les histoires horribles. Elle a trouvé un crâne – un jour – un crâne humain – elle rodait près d’une clinique où elle avait séjourné des années auparavant – près d’une forêt – en furetant dans les arbres – les fourrés – elle a découvert un crâne – il émergeait de la terre – elle a hésité à le garder – elle aurait bien voulu le garder – finalement elle l’a apporté au commissariat en racontant toute l’histoire. Ils ont failli ne pas la croire.
La première fois qu’elle a été en HP elle a mordu les policiers qui essayaient de l’arrêter – ils tentaient de l’arrêter parce qu’elle sautait à pieds joints sur le toit de leur voiture – elle en a défoncé un à coups de pieds et lui a labouré le visage avec ses ongles.
Elle me racontait aussi l’histoire de ce type qui se frappait la tête contre les murs – jusqu’à se faire pisser le sang – et il le faisait si souvent que les infirmiers s’en foutaient – tout le monde s’en foutait sauf elle – sauf Céline – et il restait allongé par terre en saignant comme un porc jusqu’à ce qu’elle – Céline – s’occupe de lui. Quand elle est partie plus personne ne s’est plus occupé de lui. Il emmerdait tout le monde à se péter le crâne contre les murs. Ils auraient préféré qu’il soit mort.
Encore une demi-heure. Mes pensées vont dans tous les sens pour éviter de se fixer sur la seule qui soit importante. Durant cette demi-heure mon ventre se tord et ma bouche devient de plus en plus sèche. Le train arrive à Montpellier. Je descends – et les centaines d’autres voyageurs. J’effectue un rapide calcul – inutile – mais c’est une diversion – comme toutes les autres pensées – quinze wagons – cent places environ dans chaque wagon – mille cinq cent personnes ont voyagé en ma compagnie de Paris à ici. Je sors de la gare et il fait soleil.
En face de moi plusieurs lignes de tram se croisent. Un jardin public. Des punks. Des vieux. Des arabes. Des touristes. Des petits groupes de jeunes avec des sacs à dos. Un MacDo. Une pharmacie. Une boulangerie Paul. Plusieurs bars. Un tram passe. Il est bleu avec une hirondelle stylisée jaune. Quelques minutes. J’éprouve un vif sentiment de liberté pendant un instant. Je sais que ça ne durera pas. Alors j’en profite. Un autre tram passe. L’extérieur des rames est couvert de fleurs peintes de toutes les couleurs.
Le ciel est lumineux. C’est impossible de soutenir son éclat.

Il est deux heures du matin. Une des trois salles du cybercafé – la plus petite – est remplie d’adolescents de mon âge qui jouent à Counter-strike. Je suis dans la grande salle. La dernière salle – c'est-à-dire la plus petite – est fermée. Je suis presque seul dans la grande salle. La salle intermédiaire est vide. C’est étrange ces types de mon âge et moi pas avec eux. Alors que je devrais – que j’aurais du. J’ai l’impression que c’était dans une autre vie. J’ai l’impression d’être quelqu’un d’autre – ou personne.
Je recopie des trucs sur une feuille de papier. Je copie-colle des photos sur un document que j’imprimerai ensuite.
Dans la petite salle – une dizaine d’ordi occupés – tout le monde gueule et s’invective. Des mecs se lèvent de leur siège pour aller serrer la main ou faire semblant de menacer un adversaire ou un allié. Les vannes et les insultes fusent. Tout le monde boit du Coca. Ambiance virile. On dirait le collège. Tout ça me paraît loin. Je me sens vieux. Pas comme si le collège était trois ans en arrière. Comme si c’était il y a dix ou quinze ans. Les visages – j’ai du mal à m’en souvenir – et les noms pareils.
Je suis sur Google. Death factory black metal Montpellier. Sur le site officiel du label. Sur des forums qui en parlent. Sur un site d’actualité culturelle de la ville. Sur le blog d’un type qui en fait partie. Sur une communauté de sites de black metal en général. Sur un forum de NSBM.
En fond sonore dans le cybercafé : Korn. AC/DC. Sepultura. Slayer. Slipknot. D’autres trucs que je ne connais pas mais qui sonnent dans le même genre. Des trucs que j’écoutait quand j’avais quatorze ans et que je suis supposé mépriser maintenant. Maintenant j’écoute quoi ? – je n’écoute plus – maintenant.
Au bout de deux heures j’ai assez d’infos. La photo d’un mec qui s’appelle Antoine Garriga et qui est gendarme. C’est peut-être bien le type que je cherche. Il joue de la basse dans le groupe Honneur de la police – en référence – je lis ça sur un forum – aux types qui ont assassiné un type qui s’appelle Pierre Goldman dans les années soixante-dix. Ca semble important à des tas de gens ce truc. Et l’idée que porter un nom en référence à ça soit aussi bien une marque d’appartenance à un bord qu’à un autre. Une insulte ou alors un hommage. Des débats merdiques. Est-ce qu’untel est Nazi ? Est-ce que machin a réellement participé à des ratonnades ? Est-ce que tel autres est bien ce type qui a fait de la prison dans les années quatre-vingt-dix pour avoir profané une sépulture ? Polémiques. Rumeurs. Propos racistes et antisémites. Forums fermés et déroutés. Des tas d’histoires sur des poseurs qui se font démonter la gueule lors des concerts. Des choses comme ça. Qui m’intéressent peu. Je trouve quelques contributions de l’Antoine de Honneur de la police. Elles suffisent à me convaincre que c’est lui. J’ai des bouffées de rage. Je repense à tout ce que me racontait Céline. Et puis je repense à Céline. Et à un moment je trouve des contributions de Céline. A un autre moment je trouve sa photo à poil. Je lis. Je regarde. Des souvenirs me viennent. Ca n’est pas gai. Les larmes me viennent aux yeux et c’est à ce moment que je coupe la connexion et que je quitte le cybercafé.
Les larmes coulent sur mes joues. L’air frais de la nuit sèche mes larmes mais je ne cesse pas de pleurer pour autant. Je me dis que j’ai de la chance – je n’ai trouvé ni photo ni contribution de ma mère.
J’ai imprimé tout un tas de trucs. J’ai des photos des adresses des dates. Honneur de la police joue demain soir dans un bar. Il faudrait que j’aille dormir maintenant. Mais j’ai plutôt envie de boire.

(fin de la première partie)
konsstrukt
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Re: RIEN - roman à suivre - diffusion hebdomadaire

Message par konsstrukt »

(d'abord : compte-rendu du live au point fmr)

jeudi 3/12, l’ami olivier allemane présentait au monde sa bien pimpante revue LA VERITE DEBRAILLEE, très chic dans son noir et blanc pas du tout débraillé, lui. on y trouve les meilleurs, comme toujours. mention particulière au texte illustré de dranem : mon préféré. pour se procurer cette merveilleuse chose, il faut écrire à laveritedebraillee@yahoo.fr

pour fêter ça, une soirée était organisée au point fmr. konsstrukt y était pour faire une lecture. konsstrukt, c’était moi-même (christophe siébert), daslook (http://www.daslook.com) à la projection vidéo et the other colors (http://www.theothercolors.com) à la musique et c’était organisé par le cercle pan. le cercle pan, c’est mathieu diebler et mathilde texier. mathilde texier, cette connasse qui porte un chapeau pour masquer l’absence de pensée, mathilde texier, cette connasse qui porte au visage un loup noir pour cacher qu’elle n’a pas d’yeux, mathilde texier qui n’a pas honte de lire de la poésie comme si elle déclamait une récitation en classe de cm2, mathilde texier qui lit comme une fayotte qui voudrait faire mouiller la maîtresse. mathilde texier est une conne sans envergure. le cercle pan, c’est aussi mathieu diebler. mathieu diebler qui écrit comme moi je pisse : l’esprit ailleurs, le jet un peu en dehors du trou et en finissant par s’en foutre plein les doigts.

konsstrukt enfile son zob au centre du cercle pan. konsstrukt encule bien bas le cercle pan. konsstrukt pisse dru sur le crâne médiocre de mahieu diebler et dans la bouche stérile de mathilde texier.

assez parlé des merdeux. au sommaire de la revue : thth – swen – muzo – baloup – dranem – allemane – dom garcia – magali brien – anne marché – jérôme bertin – renaud brébant – jean-louis costes – marjolaine sirieix – christophe siébert – charles pennequin – jérôme-david suzat – anne van der linden – jean-philippe pierquin



***

RIEN - début de la deuxième partie


Depuis la mort de mon père c’est pire. Il est mort quand j’étais en cinquième. Je n’ai pas vu ça. Il a fait une rupture d’anévrisme. C’était un samedi matin. J’étais chez ma grand-mère. Ca arrivait des fois. Ma mère m’a raconté. Il était mort dans son sommeil. Etouffé par son vomi. Les voisins ont vu l’ambulance et la voiture de police. J’ai su tous les détails. Comme si j’y étais.
Ensuite pendant trois ou quatre mois ma mère sous somnifères. Elle n’a pas fugué pendant cette période. Et puis les fugues ont repris.

La première fois que je suis resté seul – tout seul – putain.
Elle ne va jamais revenir. J’étais dans le même était que maintenant mais en pire. J’étais dévoré d’angoisse. J’errais dans les pièces. J’avais tout de suite trouvé le mot à la cuisine. Juste pour me prévenir que je devais me faire à manger tout seul. Pas d’au-revoir – rien. Pas un bisou. Aucun cœur dessiné. Que dalle. Je ne me suis pas fait à manger. Je n’ai pas été à l’école. Elle est revenue le lendemain. Je lui ai demandé ce qui se passait. Elle m’a dit que ça arrivait des fois. Qu’il fallait qu’elle aille quelque part. Faire des trucs. C’est tout ce qu’elle à dit. J’ai pleuré. J’étais abruti de tristesse. Je me vidais en sanglots et j’essayais d’articuler des reproches. Je n’arrivais à rien – elle me regardait comme un bébé qui fait un caprice. Dans ses yeux : un mélange de tendresse et d’impatience.
Elle m’a laissé pleurer. Elle m’a laisser me vider – me calmer.
Quand j’ai été calme elle m’a redit. De temps en temps il fallait qu’elle fasse des choses qui ne me regardait pas. Pendant un moment j’ai cru que c’était des histoires de cul – mais non ses histoires de cul elle m’en faisait profiter. Je ne voyais pas. Je ne comprenais pas. Ma mère était un loup-garou.

J’ai des souvenirs de ma mère qui me reviennent. Des vacances à la plage – ma mère qui me montre des méduses – tout un banc de méduses crevées sur la plage et les vaguelettes qui viennent se briser dessus – le soleil – il est dix-neuf heures et nous nous apprêtons à faire un barbecue – toutes les voitures sont garées là – les femmes sont dans un coin à papoter et les hommes debouts s’affaire autour du barbecue en buvant des bières – le soleil est encore haut – les enfants jouent au ballon et moi je suis dans les jupes de ma mère je porte un short et rien d’autre et mes bras et mes jambes sont blancs et fins et on voit mes côtes – ma mère m’explique pour les méduses – elle me raconte et je l’écoute. Je me souviens de la lumière que ça faisait le soleil couchant sur les capots des voitures.
Un an après la mort de mon père – au restaurant – une pizzeria juste en face du collège où j’allais – c’était quelques mois avant qu’on déménage. On a pris chacun une pizza. C’est mon premier souvenir d’un repas en tête-à-tête avec elle. Je ne sais même pas s’il y en a eu d’autres. Quand on est entré dans le restaurant j’avais un peu honte à cause de la proximité du collège – mais on était samedi alors ça allait. Enfin quand même de savoir le collège tout à côté ça ne me rassurait pas beaucoup. Je n’aimais pas tellement ça le collège. Nous avons parlé de tas de trucs. A la fin du repas elle m’a annoncé qu’elle voulait me dire un truc important à propos de mon père. Ca m’a fait bizarre – un genre de boule à l’estomac – j’ai reposé ma cuillère et j’ai écouté. Je me souviens : je mangeais un tiramisu. Je n’aimais pas trop ça mais ça faisait bien – ça faisait adulte. Putain. C’était il y a cinq ans déjà. La vache. Cinq ans. C’est long. Je me reconnais à peine – c’est comme si ces souvenirs c’étaient pas vraiment les miens. C’est là qu’elle m’a dit qu’elle avait cessé d’aimer mon père un an ou deux avant sa mort. J’étais soufflé. Qu’elle me dise ça. Qu’elle ait attendu aussi longtemps pour me le dire. Qu’elle ose me le dire alors que ça ne me regardait pas du tout. Elle a continué. Moi je n’avais plus faim. Elle parlait d’une voix douce. Elle choisissait ses mots. Elle m’expliquait ça de la même manière que si elle voulait m’annoncer leur divorce prochain. J’étais sidéré – fasciné. Elle n’aimait plus mon père. Elle le détestait. Elle n’a pas employé ce mot – enfin je ne crois pas me souvenir qu’elle ait employé ce mot – mais c’était clair dans sa façon de me dire les choses : elle le détestait. Il y avait des trucs entre eux deux – elle refusait de me dire quoi. Elle insistait sur un point : il avait toujours été un très bon père pour moi et elle voulait que je respecte sa mémoire. Il avait toujours été un très bon père – oui mais comme mari et comme amoureux il ne valait pas un clou. C’était ça que j’étais supposé comprendre. Les gens. Leurs statuts et tout ça. Leurs ambiguités. Ils sont bien pour ceci et mauvais pour cela. Ton père était une ordure avec moi mais un mec bien avec toi. Débrouille. Même aujourd’hui j’ai du mal.
Je fouille dans l’armoire. J’ouvre les deux grandes portes. Les robes accrochées à des cintres. Les tee-shirts – les sweat-shirts – les pulls – pliés en quatre et rangés sur les étagères. Les deux petits tiroirs sous les portes. Pourquoi je fouille je me demande. Je ne sais pas. Ca me fait du bien de fouiller – c’est tout. Tiroir numéro un : les petites culottes – les strings – les bas – les collants. Je me sens un peu honteux – un peu embarrassé. Je plonge les mains là-dedans. La douceur des matières. Les couleurs sombres : bordeaux – noir – anthracite. Une guépière noire qui se termine par un porte-jarretelle. Une nuisette presque transparente. Je rougis. J’essaie de ne pas l’imaginer en train de porter ça. Je n’y arrive pas.
Tiroir numéro deux : une simple boite en carton – mon cœur s’accélère comme si je savais à l’avance. J’ouvre la boite. Un gode rose en forme de bite. Un vibro violet terminé par des ergots. Un gode en forme de galet. Un gode de la taille d’un batonnet de rouge à lèvres. Des boules de geisha. Je connais les boules de geisha j’ai déjà vu une meuf s’en mettre sur une vidéo sur internet. J’ai le cœur qui bat vite. Je me sens pas très bien – un peu honteux. Sous tout ça un CD vierge dans un boîtier en plastique. Je retourne le cd. Il est gravé presque en totalité. Je le remets dans son boîtier. Je jette le CD sur le lit. Je suis perplèxe. Je suis honteux.

Ma mère n’a jamais bossé – ça ne m’a jamais étonné – déjà du temps de papa – avant qu’il meure – elle ne bossait pas : c’est lui qui ramenait la thune. Lui il était ingénieur. On avait du pognon. Ensuite il y a eu l’assurance-vie – je crois que ça nous a fait tenir un bon moment. Peut-être un an ou deux. Après elle a fait de la voyance par téléphone – elle était bonne à ça. Des tas de gens l’appelait elle. Elle avait choisi un prénom nul pourtant : elle s’appelait Catherine pour les clients – Cathy pour ceux qui la connaissait bien. C’était toujours les mêmes histoires – des fois elle me racontait – c’était toujours des gens qui appelaient pour savoir si leur mec ou leur nana les trompait – y’avait plus de nanas que de mecs qui appelaient – en général des mères au foyer – et toujours des gens qui voulaient savoir si ils allaient retrouver du boulot. Aucune histoire pittoresque ni aucun maboule. Que des ringards bien normaux qui n’en voulaient qu’à l’amour ou au fric et souvent aux deux en même temps. Ma mère leur tirait les tarots par téléphone. Le mercredi je la voyais faire. Elle tirait vraiment des vraies carte et elle les baratinait. De toute façon les gens voulaient toujours entendre la même chose : des bonnes nouvelles enrobées de menaces un peu flippantes. Les gens se faisaient juste des films de seconde zone. Ce qu’ils voulaient c’étaient la certitude du happy-end mais en chier un petit peu avant d’y parvenir – histoire de donner de la valeur à leur bonheur j’imagine. Quelque chose comme ça. En tout cas ça marchait bien pour ma mère.
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Re: RIEN - roman à suivre - diffusion hebdomadaire

Message par konsstrukt »

ATTENTION :

pour une raison à la con et dépendante de la yaourtière qui me sert de boite crânienne, RIEN change de titre. désormais et jusqu'à la fin (j'espère), ce sera LA MAISON DES MORTS.

***


Je ferme la porte derrière moi. Je ferme à clé. Je descends les marches. Je ne vais pas vite. Mais ça n’est pas à cause du sac. Je me demande quel est le dernier geste que j’ai fait dans cette maison. J’ai pissé un peu avant d’enfiler mon manteau mais ça n’est pas ça. C’est quoi. Je suis resté un moment devant la porte. J’ai encore marché un peu dans les pièces. Ah oui. J’ai pris le bol encore plein de Chocapics et de lait – les Chocapics à moitié dissous faisaient une bouillie marron – et je l’ai mis dans l’évier. Habitude à la con. Mon dernier geste dans cet appartement.
Je remonte les quelques marches. Je laisse les clés sous notre paillasson. Il est bleu sombre. Par une bête coïncidence c’est le même que celui de nos voisins de palier. Je redescends les marches. Je sens le poids du sac sur mon épaule. Ca n’est pas désagréable. Ca veut dire quelque chose. Ca donne une impression de réalité. La pesanteur du réel. Rien à voir avec mon sac d’école ni avec la valise que prends pour les vacances chez mamie. Tiens si ça se trouve c’est chez elle que j’irais si je prévenais les flics. Rien à foutre. Ma décision est pris de toute façon.
J’ouvre la porte. Je sors de l’immeuble. Sensation de froid d’abord sur mes mains et puis juste après sur mon visage. Froid vif et clair. Ca fait du bien.
Je me retourne pour regarder la porte de l’immeuble se fermer. Je n’ai plus les clés. Sans les clés impossible d’entrer à moins de sonner chez un voisin et je ne le ferai pas.
La porte se ferme lentement à cause du ressort qui la retient. Je la regarde tout le long de son parcours. Ca prends plusieurs secondes. A chacune je peux remonter et ne pas être parti. A la toute fin le ressort se détend et elle se ferme d’un coup en produisant un claquement métallique.
Voilà. C’est fermé.
Par superstition ou je ne sais quoi j’actionne la poignée. Non. Ca ne s’ouvre pas. De là où je me trouve je discerne la porte de l’appartement. Je dois faire un effort pour la voir à cause de la lumière du soleil qui se reflète dans la porte vitrée de l’immeuble et la rend opaque.
Un dernier regard. Et puis je me détourne et je me casse.

Une émotion violente me traverse quand j’entre la clé dans la serrure de la chambre d’hôtel – la chambre trente-six. Je tourne. Déclic. J’ouvre. J’entre – l’émotion ne me lâche pas.
Je commence à comprendre – peut-être – ce qui passe par la tête de ma mère quand elle fugue.
J’ai un truc au ventre – une sensation – putain que je me sens vivant. Bordel de Dieu.
J’entre la tête baissée – à cause de l’effort de porter le sac – ça fait bien deux heures que je le porte non stop. Je me retourne pour fermer la porte. Léger claquement de la poignée. Exotique après des années à écouter un autre claquement. On peut pas la fermer à clé de l’intérieur. Il y a un verrou. Je le pousse. Je laisse tomber mon sac sur le sol. Je laisse tomber la clé à côté du sac.
La première chose que je remarque : les consignes se sécurité sur la porte. C’est une feuille de plastique souple. Elle est vissée dans la porte. La porte est bleu. La moquette sur le sol est marron clair. Presque beige.
Ensuite je me retourne et je regarde tout le reste. La chambre est de faibles dimensions. J’occupe un corridor bref. Sur le mur à ma droite : un tableau qui représente un bateau. Sur le mur à ma gauche : une porte – je l’ouvre : les toilettes le lavabo la cabine de douche. Je referme et j’avance. La chambre proprement dite est un rectangle. J’y débouche par le grand côté. Un lit à deux places occupe la surface principale. Il est de profil par rapport à moi. Sa tête part du mur qui est situé à ma droite. C’est un lit en bois blanc d’allure massive. Il est flanqué de part et d’autre de deux tablettes surmontées d’ampoules protégées par des globes. Sur la tablette de droite il y a un téléphone et une télécommande. Sous le téléphone il y a une feuille de papier protégée par une pochette plastique. Au-dessus de la tête il y a un tableau qui représente une mer démontée. Le mur en face de moi est percé d’une grande fenêtre carrée. La lumière y pénètre bien. A gauche de la fenêtre une armoire en bois blanc haute et étroite occupe l’angle. Son unique porte est ouverte. Sur le mur situé à ma gauche il y a une patère. Dans l’angle du mur gauche opposé à celui de l’armoire et presque au plafond il y a une petite télévision orientée vers le lit. Au plafond il y a une troisième ampoule elle aussi protégée par un globe. Les murs sont jaune très pale. Le plafond est blanc. Tout est propre. Ca sent le propre. La lumière est très belle.
Je m’allonge sur le lit.
Depuis le lit en regardant dehors je ne vois que le ciel. Le ciel tout blanc avec quelques effilochements blancs. Je ne vois pas le soleil. Je perçois juste son incandescence qui me force à plisser les yeux. Je reste un moment ainsi. Mes pensées vont et viennents. Elles progressent par à-coups et par associations d’idées. Je me concentre sur certaines que j’essaie de suivre mais je n’y arrive pas – une autre survient et je bondis dessus et je suis entraîné davantage que je n’entraîne quoique ce soit.
J’ai des inquiétudes pour l’avenir. Et en même temps ce sont des inquiétudes sans réelle substance – abstraite – en tout cas elles n’ont pas de prise sur mes émotions. Je perçois ce que tout cela a d’inquiétant mais je ne l’éprouve pas.
Allongé sur ce lit j’ai des ébauches d’avenirs – des rêveries – avec une fille qui me dépucèle – des gens qui m’apprennent des choses – je crois que ça va bien se passer.
La chambre d’hôtel – ce lit inconnu anonyme et confortable – cette vue que je ne connais pas encore et que je vais découvrir dans quelques minutes – le ciel – la lumière – tout ça se conjugue pour faire naître un sentiment d’allégresse.
Au bout de quelques minutes comme prévu j’en ai marre de rester sur le lit – et puis je sens que si je reste encore un peu plus longtemps je vais m’endormir – c’est le même genre d’abrutissement soudain quand on est confronté à une situation horrible ou impossible à assimiler – ton meilleur ami meurt sous tes yeux – ou alors tu apprends que tu perds tout – ta maison tout – et hop tu as un gros coup de pompe un gros coup de barre et tu dors. Je sais comment ça s’appelle ce truc ça s’appelle une fugue psychogénique – tu fuis dans le sommeil une réalité trop horrible et angoissante pour être appréhendée.
Pourtant moi c’est pas le cas c’est pas ça du tout.
Au contraire je suis bien je suis dans l’action et ma réalité n’est pas horrible du tout. Même si ma mère a disparu.
Je me lève du lit et je vais à la fenêtre.
Je vois la place Jean-Jaurès entourée de quatre cafés. Il y a le Jean-Jaurès le Mistral le Café riche et le Bon copain. Les terrasses sont sorties malgré le froid et malgré le froid il y a du monde attablé en terrasse. Au Café riche la terrasse est chauffée. Au Jean-Jaurès elle est protégée par des sorte de paravents en plastique transparents. Aux deux autres elle est laissée au vent mais il y a autant de monde partout. A part au Riche les gens gardent leurs manteau et boivent surtout des cafés et des chocolats. Il y a aussi du monde en salle mais de là où je me trouve je ne parviens pas à voir comment ils sont habillés ni ce qu’ils boivent – je distingue juste leurs silhouettes.
La place et les rues qui en rayonnent est pavée à l’ancienne. Les gens émergent d’une rue traversent la place d’un pas vif et disparaissent par une rue. C’est étrange de voir cette place que je connais et ces bistrots – j’ai bu des coups dans chacun d’eux – d’un point de vue totalement différent. Je me sens étranger. Je me sens comme un touriste dans ma propre ville. J’ai des visions d’autres villes – d’autres points de vue – d’autres hôtels où je séjournerais bientôt. Une femme d’une trentaine d’année qui porte une robe noire des bas noirs et des chaussures à talons traverse la place en poussant un landeau. Le landeau tressaute à cause de l’irrégularité des pavés. Ca me fait sourire et puis brusquement ça me rend triste. Je repense à ma mère – et à moi qui a un moment donné me suis trouvé dans un landeau poussé par elle. Ma mère a disparu. Je me rends compte enfin que – si – je suis dans une situation catastrophique. Bien sûr que non je n’arrive pas l’assimiler. Le coup de barre évidemment – et aussi ça : ce que je suis en train de faire : cette fuite à la con et vers où : vers nulle part. Une chambre d’hôtel. Et vers d’autres chambres d’hôtels ailleurs. L’ordinateur et le CD. Il faut qu’ils contiennent la solution. Je verrais ça. Pour l’instant non. Pour l’instant je n’ai pas envie – ou plutôt j’ai la trouille. J’ai envie de sortir. Je vais aller sur la place boire un coup en regardant d’en bas la fenêtre de ma chambre. Point de vue inverse. Pour voir. C’est con mais je m’en fous je vais le faire quand même.
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