Techno is dead

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Panurgisme de masse… 50000 ravers… Marigny… Larzac… annonces par TF1 des trajets des sons… des centaines d’articles dans la presse à chaque nouveau tekni… “laissez nous danser” pour slogan ultime… stéréotypes… degré zéro de la créativité musicale… “boom tsss boom tsss”… “féééépééétééé”… flics… CRS au rendez-vous… fin de la ZAT… autogestion zéro… une musique qui a 15 ans d’âge… repolitisation tardive… manque de cohérence… réflexivité réduite aux enjeux persos… beaufs partout, alternatives nulle part… plus rien à sauver.

“Le teknival traditionnel du 15 Août dans le sud de la France aura bien lieu cette année encore mais avec l’accord des autorités”

Par cette phrase, le Collectif des Sons annonçait fièrement que l’un des plus importants rassemblement techno de l’année 2003 serait co-organisé par le Ministère de l’Intérieur sur un chantier d’autoroute… Ce rassemblement allait réunir 50000 personnes, serait commenté par plus d’une centaine d’articles de presse, annoncé par toutes les télévisions et radios nationales. Comment en est-on arrivé là ?

Cette page synthétise quelques uns des arguments que j’ai développés sur divers forums de discussion, en particulier sur Tekalombre où ils ont généré plus d’une centaine de réponses.

Panurgisme : un teknival ? Des tekni-veaux…

Le panurgisme de masse, corollaire de l’immobilisme intellectuel, a progressivement fait son apparition dans le public de la techno, et chez ses acteurs (DJ, VJ, critiques, organisateurs, etc.). On est passé en quelques années d’un mouvement alternatif, engagé et créatif, à un mouvement de “fans 2”, de consommateurs béats, replets, inactifs, immobiles, stéréotypés : les veaux du tekni-beauf organisé par le Ministère de l’intérieur et le Collectif des Sons. Soirée merguez pour Bidochons encadrés par des rangées de CRS sous l’oeil des caméras de TF1 : un immense Loft-Story de la boom-boom culture !

Accuser le Ministère de manipulation serait trop simple : personne n’a forcé les 50000 gnous du troupeau en folie a envahir le Larzac en pleine canicule… De plus, le panurgisme des tekni-veaux ne date pas de 2003. Mais on ne peut pas non plus se contenter de désigner des “coupables” parmis les organisateurs, même si ça défoule, et je ne m’en priverai pas ! Il y a sans doute autre chose. Autre chose de bien plus pervers que la manipulation à des fins électoralistes par le populisme sécuritaire. Autre chose que le vieillissement du mouvement, qui affiche plus de 15 ans d’âge au compteur, voire qui en aligne près de 30 si l’on prend les premiers disques de Kraftwerk comme date anniversaire (mais peu importe l’historiographie des maniaques des origines ultimes !). Ce qui compte, c’est de constater à quel point le panurgisme teknivalier est l’indice d’une mutation spectaculaire du mouvement techno.

Car ce qui caractérisait la techno, en dehors de critères stylistiques connus, c’était la tendance à l’autogestion des gens qui s’y investissaient. Du punk, la techno avait hérité du fameux “do it yourself“, un positionnement idéologique qui visait, par l’implication active des membres du public et des musiciens et DJ mis sur un même pied d’égalité, à casser les hiérarchies implicites issues du rock et de son star system. En lieu et place d’un rapport scène-salle incarné par la figure tutélaire du chanteur rock s’adressant à une foule obéissante, et lui dictant son “message”, la techno avait inventé le dispositif de la rave, dispositif au sein duquel le DJ est caché derrière un mur d’enceintes et se refuse à toute parole. Le spectacle était supposé se passer dans la salle, et accompagnait une attitude modeste des musiciens qui anonymisaient leurs disques : rien de moins repérable qu’un vinyle techno souvent sans étiquette. En fin de compte, la techno avait repris en les inversant les valeurs du rock : à la star voyante elle préférait le “boy’s next door“. Aux spectacles chers et lourds à organiser des Pink Floyd, les punks et la techno répondaient par le mépris : la simplicité et la légéreté constituaient des garanties structurelles permettant, idéalement, d’opposer des tactiques de contournement aux stratégies des pouvoirs en place, politiques ou économiques. Aux grandes affiches annonçant les concerts plusieurs semaines à l’avance avaient succédé les infolines ésotériques, les rendez-vous nocturnes avec des passeurs dans la campagne ou en banlieue, les flyers déposés au dernier moment chez les petits disquaires. Aux salles réputées des centres-ville, la techno opposait les centres sportifs anonymes, les locaux industriels ou les clairières perdues au coeur des forêts. Et pour couronner le tout, il y avait l’idée de la Temporary Autonomous Zone, la TAZ, une forme de théorisation de l’autogestion. Avec les free-parties, évolution récente, se rajoutait à cet ensemble d’idées et de comportements la volonté de gratuité : il s’agissait de refuser tout échange marchand autour de la musique. A la rigueur, le public apportait une participation sous forme de nourriture, en offrant des vinyles aux DJ dans certains cas, ou sous diverses autres formes (donations, aide à l’organisation ou au rangement, etc.). Cela signifiait, tout simplement, que la coupure entre ceux qui faisaient de la musique et ceux qui l’écoutaient se dissolvait dans une pratique collective de l’organisation des événements : public un jour, DJ le lendemain, chacun testait d’autres formes de rapports sociaux que celles communément admises le reste du temps. Cette utopie de la TAZ reste cependant largement ambiguë : comment changer les rapports économiques et sociaux, uniquement pour une durée de quelques heures et dans un lieu donné, sans s’engager pour autant dans la voie d’une révolution plus globale de tous les rapports économiques sociaux ? Vaste mystère jamais élucidé par les acteurs du mouvement.

Mais comment s’autogérer quand on est 50000 ? Elle est où l’utopie de la Temporary Autonomous Zone dans ces conditions ? Elle est où l’implication active des publics quand c’est TF1 qui annonce le tekni-veaux ? Bientôt on vit apparaître les sponsors, comme c’est le cas dans les grands rassemblements hollandais comme la “Dance valley” en Hollande, où les bouâtes d’ennui du centre ville se chargent d’organiser d’immenses scènes mettant en valeur, pour d’innombrables publics, des stars inaccessibles dans la plus pure tradition du rock des années 70 : “And now !!!! please welcome… the one, the only, the unique, the fabulous ! Caaaaaaaaarl Coooooox !!!!“. Grandes affiches “www.carl-cox.com“, sponsors Coca-Cola et MTV, stands Heineken, fouille complète à l’entrée, prix prohibitifs, interdiction d’apporter sa nourriture ou sa boisson, et toute sortie est définitive : coco, tu es là pour raquer ! Si les tekni-veaux ne sont pas encore sponsorisés, ils sont cependant devenus payants : il faut bien financer les infrastructures ! On ne réunit pas 50000 personnes sans une logistique importante. On ne pérennise pas un événement – à savoir le rendre incontournable et réitérer l’expérience tous les ans – sans en changer profondément la nature : là où l’éphémère et la tactique structuraient le dispositif scénique de la rave ou de la free, c’est maintenant le durable et la stratégie qui encadrent les tekni-veaux. Les représentants du Collectif des Sons s’expriment sur France Inter, négocient avec un Ministre de l’Intérieur qu’on ne peut qualifier autrement que d’extrémiste de droite, acceptent de se laisser désigner publiquement un lieu : le Loft Story de la free party en déroute, de la techno ectoplasmique, des stéréotypes et des normes comportementales a l’avenir devant lui, et les institutions les plus répressives de France à ses côtés…

Et on devrait rester optimiste et souriant face à ça ? Face à cette… merde ? Car oui, c’est de la merde m’écriais-je sur le ton de Jean-Pierre Coffe découvrant un mac Do dans son assiette ! C’est de la merde frelatée, ce qu’est devenu la techno ! Son public ? De la merde ! Ses acteurs ? De la merde ! Sa musique ? De la merde en barre ! Désolé de me montrer vulgaire (j’espère que vous percevez le ton “JP Coffe” pour en rire), mais je ne vois pas d’autre mot.

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Tous ensemble, tous ensemble, oui ! Oui !

Alors bien entendu, on me dira “oui, mais il reste des poches de résistance”. Bien entendu ! J’en connais, de ces poches, et j’y ai des potes qui restent actifs. J’aime par exemple l’implication de Tournesol, d’Öko System, avec qui j’ai eu la joie de participer à quelques soirées. Mais justement, ces gens là sont devenus minoritaires. Ils ne sont plus que la petite flamme qu’on conserve, qu’on se transmet, comme au temps de la guerre du feu, comme pour témoigner que ce serait encore possible de rêver à un autre monde, un monde loin des masses stupides et homogènes fabriquées de toute pièce par l’ordre sécuritaire et l’idéologie pénétrante du marché. Car même si l’on ne paye pas son entrée au tekni-beauf, on y célèbre le nombre, les vertus statistiques (“ils étaient 50000, ma brave dame ! Mon bon monsieur, c’est hénaurme ! Quelle réussite !”) comme dans les matches de foot ou les audiences de TF1 : “le teknival 2003 a fait 50% de part d’audience, et a généré des profits substantiels ! Réjouissons-nous ! Quelle gloire !”

Interlude cauchemardesque :

Bientôt Freetekno Inc. sera coté en bourse, et on verra les membres du Collectif des Sons arriver en cadillacs roses, accompagnés de blondasses péroxydées : lignes de coke, glamour du kaki comme il y eut le glamour du punk chic & destroy. Alors on verra des Vivianne Westwood de la techno ouvrir des officines branchées “Au Camtar doré“, “A la TAZ chic et choc : soldes en tous genres“. MTV et Coca Cola seront les sponsors du Tekni-beauf 2006, et Ernest Antoine Salière s’y encanaillera : “trop d’la balle, cher ami ! Ces jeunes, quelles énergie !”.

Ils consommeront tous ensemble, tous ensemble, oui ! Oui ! En masse, agglutinés parce que dehors il fait froid, parce que penser différemment ne leur vient même plus à l’esprit, parce qu’on finit par faire les choses sans plus y penser, parce que tout le monde le fait, parce que “ça l’fait grâââve, lol !“.

Allez ! “Paye ton skeud, sheeper !” et “fait pééééééééééter !!!“: syntaxes approximatives, idées floues, discours stéréotypés dans le bronze des idées reçues, des certitudes faciles, des inexpériences excusables un temps, certes, mais pas tout le temps, pas aussi longtemps ! Pas en aussi grand nombre ! Pas si gros ! Si gras ! Si installé ! Berk ! Conformisme intellectuel ! Pétons dans la soie ! Nous y sommes : c’est la fin.

heu… me serais-je énervé ? Désolé. Ça m’énerve, ça doit être pour ça… C’était mon coup de gueule : je vomis la techno de l’année 2003 ! Vite, un aspro… Reprenons…

La relève ?

La relève : j’imagine que tous ceux qui n’aiment pas la tournure qu’ont pris les événements y pensent. J’y pense, pas mal de monde a des idées, mais “la relève” ? C’est l’histoire qui dira, rétrospectivement, qui a fait partie de la relève et si elle a réellement eu lieu : wait & see. En revanche, je crois qu’il y a des choses à faire, qui iraient dans le sens d’un renouvellement des pratiques. Je liste, en vrac, sans avoir encore trop réfléchi au truc (soyez indulgents) :

  • Changer de vocabulaire : ne prononcez plus le mot “t***no”, sauf pour sticker ou tagger le slogan “Techno is Dead”. Pareil, éliminez les mots ” H**d C**e”, “T*K”, etc. Demandons nous plutôt comment réinventer un vocabulaire qui supprime nos oeillères. Je qualifie en ce moment mes production musicales soit de Hard_ambient , soit de Brutal_Disco : ça ne veut rien dire, et c’est le but. En effet, en faisant cela, j’empêche le public d’avoir des attentes trop précises. Et j’espère éviter aux puristes de la f**e p***y ou du h**d t*k de perdre leur temps à venir m’écouter.
  • Changer de pratiques festives : ne pas cautionner les grands rassemblements. Small Is Beautyfull ! On vit très bien sans avoir jamais mis les pieds en tekni, si, si, c’est mon cas. Économisez sur vos prods, et PAYEZ votre entrée dans de petits festivals (electronica, jazz, musique baroque, etc.) : ouvrez vos oreilles, c’est souvent très bon marché (surtout les festivals electronica qui sont animés par des passionnés, qui ne réunissent que rarement plus de 1000 personnes et qui sont des mines de créativité). Rien à foutre de l’idéologie de la gratuité : sur quoi a-t-elle débouché ? Sur 50000 touristes massés devant des sons tous identiques. Alors ? Alors elle fait peut-être partie du problème, la fameuse gratuité.

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  • Changer de son : je mixe de la musique contemporaine, et je m’en porte très bien. J’ai toujours utilisé des samples de jazz, de hard-rock, de n’importe quoi, on peut en fabriquer, bref, y’a largement de quoi faire dès qu’on arrête de fouiller dans les bacs spécialisés des disquaire spécialisés. Ce n’est pas une idée bien nouvelle, et je ne prétends pas réinventer la scie musicale, mais quand on entend le sempiternel “tsss boom tss boom” du nartek de base, on se prend à rêver d’autres horizons. Du genre de ceux qui animaient les débuts de la techno, quand répétitivité et sérialité ne rimaient pas avec ennui et monotonie. Comment ça, ça rime pas ? Ben justement…
  • Ne plus jamais organiser des soirées homogènes : dites non au son uniforme, et ne vous contentez pas de mixer les Béruriers Noirs en guise de caution culturelle : foutage de gueule ! Les Bérus, c’est ringard à mort, passéiste, et punk is aussi dead que la tek, bon sang ! Avec Neurocircus, on a déjà réalisé une soirée où on a joué de l’ambient_crooning, du dub_dilettante, du hard_tek old school, du Brutal_disco, et quand les gens ont râlé parce que ça sonnait pas assez BOOM BOOM, on les a envoyé chier : pas content coco ? Alors dégage ! Je rêve d’une rave (ou plutôt d’un festi_long_terme, ou d’une trêve_partouze, ou d’un flash_boum_hue) où un groupe de free jazz s’encanaillerait avec des classicos et du hard_boom_boom. Tant que cet événement n’aura pas eu lieu, je considèrerai la t***o comme un mouvement fermé sur lui même et qui a perdu le sens de l’ouverture à la diversité musicale qui caractérisait ses débuts.
  • Travailler à changer les dispositifs de diffusion : vous en aviez rêvé, Tournesol l’a fait ! Le Tuning Teknival a été un demi-succès ? Ben tant pis pour les tekni-gnous ! C’était l’idée à saisir pour renouveler les pratiques. Idem pour les escalades écolos pour mixer au sommet des Alpes sans générateur électrique (Solar Contest). Idem pour tout ce qui permettra d’éviter de se retrouver à 50000 boeufs dans un troupeau gardé par des CRS : les mélanges improbables de styles musicaux sont la garantie d’un public pointu et ouvert, donc réduit, donc de rencontres où l’on peut discuter avec des gens qu’on n’a pas forcément l’occasion de rencontrer ailleurs.
  • Mettre du silence entre les DJ. Ben oui, vieux truc rock qui permet au public d’applaudir. Mais qui permet surtout de ne pas avoir l’impression d’être sur l’autoroute A 55 au volant d’un bolide sans frein ! Marre du boucan à donf durant 8 à 12 heures ! Le silence permet des transitions, des ruptures, et des échanges d’opinions. Et d’abord, sans le silence, le son n’a aucun sens a proprement parler : c’est le contraste qui compte ! Un DJ qui mixe à donf durant tout son set ne fait pas de la musique : il fait de la t****o, et ça craint.
  • Se donner des contraintes arbitraires, car la liberté totale est une foutaise : on ne crée bien que sous la contrainte, Dali le savait bien, lui qui en a tant parlé. J’ai adoré participer à des festivals thématiques : aménagement du territoire ou SF, on a mieux à faire que ressasser nos petites histoires internes du milieu bien endogène de la t*k ! Les autres sont une source de créativité, faudrait voir à ne pas oublier ça ! Le rapport à soi, rester entre “nous”, se regrouper entre gens du même monde, comme le favorisent les soirées t*k, c’est de l’onanisme musical et social. Si vous appréciez la branlette, c’est votre choix, mais c’est un peu court comme démarche intellectuelle et artistique !

… à vos crayons, on relève vos copie en live, lors des prochaines soirées…

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