Les Barbudos

La Drönésie, oasis de fraicheur au sein d’un désert brûlant, doit faire face à bien des convoitises. Depuis toujours, elle est en guerre contre de terribles ennemis héréditaires. C’est normal : comme l’a si bien fait remarquer Georges Orwell, tout état moderne et organisé doit disposer d’ennemis héréditaires. D’infâmes barbares barbus, ignoblement matérialistes, sont ainsi massés à nos frontières : ce sont les Barbudos.

 

Les Barbudos : des êtres odieux !

Les Barbudos sont une armée de quasi-clones (vus de loin seulement, vus de près ils sont tous différents) barbus ET moustachus. Ils changent sans arrêt de physionomie, si fait qu’il faut toujours un temps d’accommodation pour les identifier : au début on peut les confondre avec des arbres, des lapins, des pierres, des nymphes, etc. Mais ensuite ils se révèlent dans toute leur bassesse. Ils emploient un langage sirupeux et bien policé tandis que nous, les drönésiens, on a un langage simple et sans détour. Et, pire que tout, les Barbudos portent des pantalons en velours côtelé beige !

Leur chef politique et militaire est El Barbudo (voir plus bas), une entitée étrange dont on ne sait pratiquement rien. Leur maître à penser est le terrible Sous-Adjudant Chef des Puissances Matérialistes de l’Axe, aussi connu sous son nom de famille qui est Régis Debrayo. Il est le chef de file des intellectuels médiocrates barbudiens. Son identité est flottante, multiple, hésitante et erratique, et il est insaisissable en raison de ses apparences toujours changeantes au gré des modes politiques.

Barbudos

Les Barbudos ont tendance à chercher des voies de conciliation, et c’est là qu’ils sont les plus dangereux et qu’il faut être le plus fin et le plus stratège. Car à chaque réunion, à chaque conférence de paix qu’ils obtiennent, ils peuvent gagner des territoires en Dronésie. Pour les Barbudos, la réunion est une bataille, terrible, redoutable, avec des joutes oratoires mortelles. Ils passent leur temps à s’entraîner sans relâche dans des séminaires de rhétorique, impitoyablement dressés des heures durant dans des blockhaus et devant des vidéos où ils étudient leurs adversaires. Nous, on a tendance à croire que les batailles, c’est quand on se tape dessus. Alors on attend des batailles et on se retrouve coincés dans des réunions interminables, comme dans les canyons des westerns : le piège quoi. Heureusement, les drönésiens sont toujours sauvés juste à temps par des arguments qui terrassent leurs ennemis de façon parfaitement inattendue, des tournures de phrases imprévisibles, ou des évènements extérieurs qui les démoralisent et les font battre en retraite.

Les pratiques de lectures des Barbudos sont pour le moins désarmantes : lorsqu’un de ces barbares matérialistes a un livre entre les mains, figurez-vous qu’il refuse d’en aborder le contenu, mais qu’il s’extasie sur la forme rectangulaire de la couverture, le poids de l’ouvrage, le trajet du camion entre l’imprimerie et le distributeur, le prix de vente, et la position du code barre. Car oui, les barbares barbus sont des sauvages incultes et triviaux. Ce qui n’est pas notre cas à nous, nobles drönésiens !

El Barbudo, notre ennemi héréditaire !

Voici un portrait possible d’El Barbudo, pris dans un de ses rares moments de fixation identitaire, à l’époque où il guerroyait dans la forêt vierge Drönésienne contre nos valeureux Commandos d’Intervention Analytique. C’est notre Laboratoire d’analyse scientifique et stratégique qui l’a obtenu grâce à la méthode du scannoscillographe :

Voici maintenant un plan rapproché du visage d’El Barbudo : remarquez son regard torve et mesquin :

Pour mieux connaître vos ennemis

Le talon d’Achille du Barbudo, c’est son dernier mot. Les Barbudos ne peuvent résister à l’envie d’avoir le dernier mot en toute circonstance, et le Drönésien astucieux saura exploiter cette faiblesse. Par exemple, si un Barbudo, après avoir soigneusement dissimulé sa barbe et son regard torve, trouve le moyen d’entrer en Dronésie et de se mêler à un peuple naturellement accueillant et aimable à l’excès, il pourra être aisément démasqué par sa manie. Lorsque vous entrez en conversation avec un individu suspect, concluez l’échange en étant attentif à la réaction de votre interlocuteur, et en reprenant systématiquement l’initiative s’il persiste à conclure lui-même. S’il prolonge inutilement l’échange par une succession de “oui oui”, “parfait”, “or donc”, “certes mais enfin”, et toutes interjections insignifiantes de ce type, n’hésitez pas à le dénoncer le plus rapidement possible aux autorités drönésiennes.

Barbudos

NB : on nous signale que le cas de Drönésiens ayant tenté de démasquer des barbudos par ce moyen, qui auraient aux-même été injustement dénoncés par leur interlocuteur et malheureusement exécutés. Prenez garde et soyez subtils.

Les Barbudos ont une technique intellectuelle qui, malgré de nombreuses failles aisément décelables, peut s’avérer redoutable face à des adversaires ignorants et influençables.

Lorsqu’un formalisme ou une structure leur semble particulièrement marquant, les barbudos cherchent immédiatement à l’habiller d’un revêtement barbudien, pour que le formalisme ou la structure en question leur soit attribuée et soit ainsi portée au crédit de leur propre philosophie. Prenons quelques exemples fictifs pour démanteler le procédé : si les barbudiens entendent une formule telle que “au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit”, dont ils peuvent constater sans peine que son succès a été considérable, ils réfléchissent à une adaptation, par exemple : “au nom de la langue, de la plume et de la puce” et la diffusent comme étant une nouveauté révolutionnaire et indispensable. Les esprits crédules ne tarderont pas à céder à la séduction de l’argumentation et iront jusqu’à penser, en entendant à l’occasion la formule-racine “au Nom du père, du Fils et du Saint-Esprit”, qu’il s’agit d’une invention barbudienne s’ils ignorent les éléments de chronologie qui contredisent cette vision. Quand bien même ils découvriraient l’indiscutable antériorité de la seconde, ils y verraient une éclatante justification de la puissance et de la justesse de la pensée barbudienne. Autre exemple pour bien se mettre en tête une variante du processus : si les barbudiens découvrent une séduisante théorie dans laquelle une chose et son inverse ont exactement la même signification, tôt ou tard, vous pourrez être sûr qu’il s’approprieront cette magnifique combinaison intellectuelle dans toutes sortes de versions abâtardies qu’ils déclineront de toutes les manières possibles pour se la faire attribuer : blanc c’est noir, dessus c’est dessous, rien c’est tout, et ainsi de suite. Prenez garde.

Éléments de philosophie barbudienne

Drönésiens et Barbudos divergent sur une question philosophique fondamentale. Si le mouvement est au cœur-même de la pensée Drönésienne (voir dans ces pages), la logique barbudienne fonctionne sur un principe opposé. Pour les barbudiens, l’état de paix est un état d’équilibre et l’état d’équilibre est un état stable. Le plus sûr moyen d’atteindre l’état stable est l’immobilité. Tout mouvement superflu comporte le risque d’amener à accomplir d’autres mouvements générés par le premier, qui eux-mêmes génèreront le besoin ou le désir d’autres mouvements encore et ainsi de suite, avec tous les inconvénients de l’imprévisibilité et de la fatigue qui s’en suit. Si l’état stable est menacé par un désir de mouvement superflu, le philosophe barbudo recommandera fortement de se réfugier dans un coin en attendant que ça passe, en évitant tout sursaut. Le moment le plus délicat est celui où l’on arrête de cesser de bouger, lorsqu’on estime que l’état stable est atteint : la remise en mouvement peut compromettre le bénéfice de toute la cessation de mouvement qui l’a précédée. Le tout est de bouger par contrainte, dans la situation où l’on souhaite le plus vite possible retourner à l’immobilité. Il faut corrélativement éviter autant qu’il est possible de se mettre en mouvement sous l’impulsion du désir de bouger, pour éviter toute perte de contrôle dans la logique des choses, laquelle doit être exactement superposée au cours des choses.

 

 

 

 

 

 

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