Lyon subit actuellement une terrible invasion. Ils sont arrivés, en masse, au cœur de la ville. Car la grande fête du gaspillage d’énergie électrique, organisée tous les ans autour du 8 décembre par les services du marketing touristique de la mairie de Lyon, a commencé. Elle tombe cette année – Ô ironie du calendrier ! – durant le sommet de Copenhague, celui qui va tenter d’enrayer la catastrophe écologique en cours.
Ils ont été attirés par les lumières, tels des insectes affolés virevoltant autour des lampadaires. Ils papillonnent autour des installations lumineuses : couleurs criardes et musique vulgaire, infrastructures démentielles de boite de nuit à ciel ouvert, lasers, projections de vidéos sur les façades. Festivités de pacotille, marketing outrancier, appels à la consommation avant cet autre grand potlatch consumériste qu’est Noël : il faut vendre, vendre, vendre encore, pour que la ville produise, produise, produise toujours plus et qu’ils consomme encore, encore et encore. Lyon capitale du consumérisme de masse, et du mauvais vin chaud vendu à la criée dans les rues.
Ils arrivent ! Ils s’entassent ! Ils sont en masse !
Ils sont venus en bus, et s’agglutinent en grappes compactes, par milliers, formant des colonnes au milieu des avenues : ils suivent des guides qui les mènent, tels des troupeaux de bœufs, à l’aide de parapluies lumineux clignotants pointés vers le ciel à bout de bras. Spectacle grotesque.
Dans la journée, on les voit dans les bus, agrippés à leurs appareils photos numériques, mitraillant au hasard des rues tout et n’importe quoi, sans discrimination. Ils dégainent leurs plans de Lyon à chaque coin de rue, s’attroupant en bandes indifférentes au reste de la vie locale : il faut qu’ils trouvent toutes affaires cessantes telle place mise en lumière, telle installation, et peu importe si leur groupe compact gène la circulation ou vous empêche d’accéder à la porte d’entrée de votre appartement.
Le soir, ils s’entassent dans les restaurants, grincheux, autoritaires, réclamant une attention prioritaire de la part des serveurs. Dans les bouchons lyonnais, ces restaurants bon marché qui servent de cantines aux étudiants, on les entend alors râler, inlassablement, ânonnant indéfiniment les mêmes reproches : les prix sont trop élevés, la carte du restaurant n’est pas assez élaborée, le menu à 15 euros n’est pas assez gastronomique, on ne les a pas servis assez vite. On les sent aussi : ils s’enduisent copieusement les mains d’un liquide bleuâtre et gluant, un désinfectant d’une écœurante odeur d’hôpital. Car ils ont peur des maladies, tout comme ils ont visiblement peur des autres. C’est pourquoi ils visitent la ville en groupes, en troupeaux, plusieurs milliers de personnes évitant de se mélanger à la population locale : qui sait si les lyonnais sont propres sur eux ? Peut-être ont-ils des maladies honteuses, comme la grippe A H1N1 ? Et ils se foutent bien de savoir si vous, assis à la table d’à côté, avez déjà commencé votre repas qu’ils gâchent par leur obsession d’une santé parfaite.
“Ils”, ce sont les touristes du troisième âge : c’est à eux que la fête des Lumières s’adresse. Depuis plusieurs jours, on voit des hordes de vieillards cacochymes envahir les rues de la ville, claudiquant entre trottoirs et chaussées, à l’appel de la consommation, attirés par la perspective du Grand Gaspillage : consommer, consommer, consommer… telle semble être leur devise.
Ils consommeront jusqu’à la mort. Et tant pis si la planète crève avec eux : après eux, le Déluge…
Nous sommes bien loin d’une philosophie des Lumières et du partage entre les générations. Bien loin également d’une vision enchantée du rapport à l’autre et d’un tourisme responsable. Tout au plus aura-t-on financé quelques poseurs de lampes, en attendant – qui sait ? – la révolte des poseurs de bombes : ce monde égoïste et écœurant va-t-il vraiment durer encore longtemps ?
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