Préhistoire

Le projet drÖne existe depuis 2000. Au départ, il était composé d’un duo : drÖne vs SpeedyJack

Avant de nous réunir en 2000 pour former le projet drÖne, SpeedyJack et moi-même avions traversé diverses histoires musicales assez amusantes à relire avec le recul…

La protohistoire

Notre protohistoire commence vers 1984/1985 dans les ruines du punk moribond et de la cold-wave finissante, avec la fondation de Stress, un groupe éphémère composé de SpeedyJack au chant, de Bob à la Rickenbaker (forcément jouée au ras des genoux) et d’Igor B (aka Dröne) à la batterie (forcément jouée avec des baguettes). Répétitions dans une cave humide dans la banlieue de Marseille, musique glauque, visites d’usines désaffectées, recherche de sensations morbides. Aujourd’hui, on parlerait de rock “Gothique”, mais le mot n’existait même pas à l’époque et on se foutait royalement des poncifs du romantisme noir. Ce qui nous branchait, c’était le bruit des usines, le délice du claquement des marteaux-pilons, le soir, après les répétitions, les odeurs de gazoil et la pollution des villes, les photographies en noir sur fond noir…

patibulaires

Mais on commence à s’ennuyer du son guitare-basse-batterie-chant et on lorgne déjà sur l’électronique des machines musicales : premières expériences avec la TR 808 et les racks d’effets.

La préhistoire

Le tournant des années 1986 à 1988 voit l’émergence des premiers samplers numériques grand public. La new wave n’est plus qu’un souvenir qui sent le renfermé et nous procure un profond ennui, mais le rock electro-industriel déboule avec de nouvelles manières de faire de la musique : les guitares saturées frayent avec la techno de Detroit, l’EBM belge et les ambiances dark qui nous arrivent du Canada font la jonction entre l’esprit sombre de la cold wave et les machines à danser du clubbing. C’est une époque de fusions. C’était avant que les genres ne se figent et ne deviennent des stéréotypes…

Avec SpeedyJack, on crée Tableau B, une tentative pour synthétiser l’effervescence de ces années-là. On garde le côté indus sombre, mais on utilise des rythmiques qui, à l’époque, nous paraissent “techno”. Avec en plus de ces éléments, un goût déjà prononcé pour les mélodies ludiques en contrepoint du bruitisme indus et des gargouillis électroniques. Le tout sur fond de compositions déstructurées, pour ne pas être uniquement dans un trip clubbing. On passe plus de temps à travailler sur nos machines qu’à chercher à jouer sur scène durant cette période, et Tableau B ne se présente au public qu’au moment où je quitte Marseille pour Paris, ce qui fait que je ne participe que de loin à cette aventure. C’est à cette époque qu’on invente le terme de “brutal disco” pour qualifier notre musique : c’est encore celui qui figure en tête de nos flyers, pour le projet Dröne.

SpeedyJack ouvre un bar associatif (Plutonium 242), monte des expositions et organise plusieurs concerts (entre autre Frédéric Le Junter). Sur scène, Tableau B impressionne par sa brutalité sans concession, les martellements de la boite à rythme et des futs de métal répondant aux riffs de guitare sur-saturées, à la basse hypnotique, aux vocaux hurlés et aux vomissures bruitistes du sampler : pas de doute, on est en plein electro-indus ! Derrière la scène, des graphistes s’activent et les projections d’images accompagnent le tout.

tableau_b

La presse de l’époque est plutôt sympa avec Tableau B. Quelques extraits choisis :

K. O. F. techno magazine (Keep On Fighting n°4 – automne 1992) : “Marseille couve deux bons groupes : Tableau B et Ghosts and Guests. Le premier joue du brutal disco, et a sorti une K7 4 titres “Electro terrorism”. La musique synthétique est bercée par des expérimentations machinales et saccadées.”

KITCH’s – le zine des musiques urbaines, indutrielles et futuristes (printemps 1992) : “Dans le marasme musical marseillais, Kitsch’s a découvert pour vous un excellent groupe qui sort des sentiers battus. Tableau B, le groupe de Techno Trash Indus édite sa K7 4 titres (+ livret) : Electro Terrorism.

Le Provençal (9 avril 1993) : “Aussi excitant qu’un congélateur, le mouvement industriel n’en est pas moins particulièrement actif à Marseille. Sous ce terme particulièrement mystérieux se cachent une musique (la techno), des fêtes (les raves), des gens (l’équipe de Blitz, l’association Plutonium 242, les graphistes de PôW…) et des scoubidous. Tout ce petit monde devrait se retrouver ce soir et demain au Centre Culturel Mirabeau, pour d’intrigantes “Soirées Mécaniques”. Au programme, des performances et des bidouillages de JF Le Junter, bricolo from Dunkerque, ainsi qu’un concert de Tableau B, groupe proclamé brutal.

TAKTIK (7 au 14 avril 1993) : “Attention bizarre. il arrive parfois que quelques échos d’un milieu très underground parviennent à la surface du monde. […] Avec “Soirées Mécaniques”, c’est tout un univers plastique et musical, en droite ligne d’une mouvance expérimentale-techno-futuriste-kitsch, auquel nous convie le centre culturel Mirabeau […]. Tableau B est un groupe originaire de Marseille. L’histoire locale les rapproche de CTR ou de Ghost ‘n Guests, des formations musicales évoluant dans des champs très expérimentaux mais connotés rock parce qu’à Marseille on est soit classique, soit contemporain, soit non-pris en compte, c’est à dire tout un “reste” dont l’énergie revendicatrice tend à se rassembler derrière un courant rock, une notion qui par les temps actuels mériterait le débat.

K. O. F. techno magazine (n°6 – été 1993) : “Plutonium 242 est une asso qui possède un local d’exposition et de réunions à Marseille. Son but est de réunir des sculpteurs, des vidéastes, des musiciens… En compagnie de PôW et du Centre Culturel Mirabeau, Plutonium 242 a organisé “Les Soirées Mécaniques” avec les sculptures-machines de Frédéric Le Junter et les performances de Tableau B (musizyntétikexpérimentale).

RITUAL (bimestriel rock belge – n°21, avril-mai 1994) : “Tableau B enfin qui affirme haut et fort son appartenance à un concept plus qu’à un groupe. Lequel concept est, je cite : “des guitares sursaturées sur des rythmes mécaniques et un grouillement métalik perturbent l’espace sonore tellement violemment…“.

NOISING THERAPY (n°8 – noël 1993) : “Le Tableau B lance de nouvelles et punitives attaques conceptuelles. Les frénétiques plans d’invasion technocratiks ont été programmés d’après de complexes tactiques industrielles d’experts en électro-métallik subversive que sont les intriguants Front 242, Laibach et Young Gods. Le but avoué est la destruction massive des organes sensoriels et leur remplacement simultané par des prothèses auditives plus aptes à contenir les assauts techno-trash-indus expérimentaux de ces marseillais manipulant de violentes sursaturations.

En parallèle à mes compositions pour Tableau B qui poursuit sa carrière à Marseille, je crée un nouveau groupe à Paris, avec un saxophoniste free-jazz, un chanteur doom, et un bassiste hard-core-metal. En ce qui me concerne, j’assure la partie batterie électronique (jouée debout, façon rockabilly !) et les compositions electro-tek sur un séquenceur sampleur. Si, si. Puisqu’on vous le dit, c’est que c’est vrai ! J’ai toujours aimé les alliances contre nature, les mélanges improbables… Ce nouveau groupe répond au doux nom de 01 00 10 11… Inutile de vous dire qu’avec une telle direction musicale, nous eûmes une difficulté certaine à trouver un public assez ouvert pour supporter, physiquement et moralement, nos expérimentations sub-soniques. 01001011 a tout de même réussi à faire une série de lives à Paris, et à convaincre quelques magazines spécialisés que nous n’étions pas totalement fous.

01001011

On a ainsi participé à une série de soirées disons… chaotiques… Notre chanteur était à la fois excellent sobre, et imprévisible une fois imbibé de whisky. Notre problème est qu’il n’acceptait de monter sur scène qu’après avoir avalé une bouteille de whisky, ce qui nous compliqua légèrement la tâche, nos compositions musicales étant pour la plupart assez complexes au plan rythmique et mélodique.

braille !

Cela ne nous empêcha heureusement pas de participer à quelques concerts intéressants : première partie de Foreheads in a Fishtank (combo hard-core anglais), Nuit d’Epsilonia pour Radio Libertaire (avec Margaret Freeman, Bobsleigh, Interim, Nato), etc. Notre renommée a également été immense à la suite de notre tournée triomphale des MJC de la banlieue nord de Paris…

01001011 lives

K. O. F. techno magazine (n°5 – 1993) : “Pour synthétiser, le son fait furieusement penser à The Residents, et dans une moindre mesure à The Legendary Pink Dots. La composition est riche et complexe, pleine de ruptures et de syncopes, avec un saxo omniprésent et une voix étrange. Igor, également membre du groupe marseillais Tableau B, laisse ici libre cours à sa créativité débordante. Le résultat est très original et personnel. Loin du “boom tchak tchak” ambiant, 01001011 va-t-il réussir dans cette voie peu propice au succès médiatique ?

KITCH’s – le zine des musiques urbaines (n° 3 – 1993) :
Interview :

kitch’s : 01 ?
Igor B : Après un long passage par la musique indus et techno-machiniste, il m’est apparu que cette esthétique, toute cette vague, était pour notre génération ce que le macramé était aux hippies des sixties : le macramé (ainsi que toute cette culture flower-power), était le reflet d’une nostalgie, celle d’un monde rural disparu. Idem pour les nostalgiques de l’ère industrielle. Ceci s’adresse à tous ces récupérateurs de vieilles ferrailles, sentimentaux des vieilles unités de production industrielles.
Kitch’s : 10 ?
Igor B : En fait, nous deviendrons dans vingt ans les nostalgiques de l’ère informatique. Quand le monde informatique aura disparu, chacun exprimera sa nostalgie au travers du langage binaire. On est donc en avance d’une nostalgie !
Kitch’s : C’est une grande claque à tous ces industrieux ?
Igor B : Non, ça ne nous intéresse pas de donner des claques à qui que ce soit. Surtout pas à des mourants !”

Cette préhistoire se termine de façon tragique, avec le suicide de Pascal, le guitariste de Tableau B (rest in peace, man ! On pense toujours à toi !) : le groupe s’arrête alors et on plonge tous dans le noir…

Mais… we’re back ! Ze chaud must go on… drÖne naît en 2000.

En octobre 2005, nouveau décès, celui de SpeedyJack, qui était aussi mon meilleur pote. Il n’aurait pas apprécié que je baisse les bras : ze chaud must go on again…

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